Enfin, Ethan avait reçu des nouvelles de sa famille! Il avait dû attendre huit jours! Huit jours dans l'incertitude, sans savoir s'il y avait eu des conséquences chez lui à la maison après la chute du Ministère. Ethan s'était précipité à la volière dès qu'il l'avait pu. Il avait tenu à rassurer sa famille que tout allait pour lui et qu'il était en sûreté. Ce qui le perturbait, c'était la date qu'il voyait sur la lettre et qu'elle avait été ouverte. On pouvait lire qu'elle avait été envoyée le 4 mai, c'est à dire le lendemain de l'envoi de son courrier. Ses parents avaient été prompts à répondre. Alors pourquoi tant de retard? Et, surtout, pourquoi avait elle été ouverte? Les hiboux n'avaient quand même pas appris à lire? Était-ce déjà des conséquences du nouveau régime? Il n'en savait rien du tout. Il savait que d'autres camarades s'étaient plaints de lettre ouvertes et de hiboux en piteux état. Ce n'était pas rassurant du tout.

Ethan ressassait ses pensées en descendant les marches des escaliers de la tour ouest quand il se dit que pour se remettre de telles émotions, rien ne valait mieux que les crêpes de la Grande Salle. C'était l'heure du goûter donc c'était le moment idéal pour s'y rendre. Il dirigea donc ses pas vers cette salle cathédrale, comme il aimait se le dire. Son plafond lui faisait toujours le même effet. Un jour, quand il aurait la chance d'être seul, il se coucherait sur un banc pour l'observer tout son saoul. Mais le moment n'était pas à la contemplation. Il était à l'action. Il allait affronter son ennemi les crêpes. Allait-il parvenir une fois de plus parvenir à toutes les engloutir?

Le sourire aux lèvres, le regard dans le vide car distrait par ses pensées d'actes héroïques - Ethan, le justicier qui protège la veuve et l'orphelin des crêpes brûlantes -, il bouscula quelqu'un en pénétrant dans la Grande Salle. Il bredouilla quelques mots d'excuses. Heureusement, à voir la taille, c'était une élève et pas un professeur.

-Hum, pardon, je ne t'avais pas vu...

Il faisait un bien piètre justicier s'il causait lui-même des ennuis aux innocents sur son passage. Il reconnut Panthéa en levant les yeux vers l'élève qu'il avait bousculé. Cela faisait déjà un moment qu'il n'avait pas pris de ses nouvelles. Il voyait là une excellent opportunité de rattraper son retard.

- Oh, c'est toi! Je suis content de te revoir! Tu vas bien?

Il savait que sa question était bateau. Qui allait réellement bien depuis le deux mai? La vraie question à poser, ça aurait dû être "A quel point vas tu mal depuis le deux mai"? Bien qu'il y a certainement des élèves qui doivent se réjouir des changements qui sont en cours dans le monde sorcier. Si il y a assez d'adultes dans le coup pour créer cette situation, cela signifiait qu'il y avait certainement des élèves qui étaient de la même opinion qu'eux et que le changement de régime était nécessaire. Après tout, ces adultes ont des enfants, et les enfants sont souvent de la même opinion que leurs parents au niveau de la politique. Mais il ne pensait pas sa camarade être du côté du Conseil des Sorciers de ce qu'il savait d'elle. Il le saurait très vite maintenant.

La conversation tenue par ses camarades Serdaigle, à quelques centimètres à peine de la où elle était assise, lui parvenait comme un échos très lointain. Panthéa n'avait pas la tête à discuter cet après-midi-là, d'autant que ses amies tenaient absolument à échanger leurs points de vue sur la situation politique actuelle du Monde de la Magie. Quand on lui avait demandé son opinion, elle balaya la question en répondant un bref : "Je ne sais pas et je m'en fiche."

Agacée. La jeune fille était profondément agacée. Que pouvait-elle bien penser de tout ces changement brutaux ? Tout ce qu'elle souhaitait, depuis le début de l'année, c'était d'avoir des nouvelles régulières de sa famille. Mais visiblement, tandis que le reste du pays prenait un malin plaisir à venir lui casser les pieds tous les jours avec des nouvelles dont elle n'avait cure, sa famille faisait la sourde oreille et ne prenait même plus le temps de lui envoyer quoi que ce soit. Loin des yeux, loin du coeur ! Panthéa était sincèrement fâchée, surtout que les rumeurs et les journaux échangés par les autres élèves relayaient tous la même stupeur : un changement de régime aussi soudain qu'inattendu, la mise en place d'un "Conseil de Sorciers" qui, de ce qu'elle avait compris, plaçait le sang avant les qualités magiques d'un individu. Elle ne voyait pas bien ce que le sang pouvait avoir de si important, mais elle avait compris, malgré son jeune âge, que ce changement était important et allait impacter leur vie à Poudlard, d'une façon ou d'une autre. Partant de cette certitude, elle se doutait aussi que son père serait le premier à discuter du sujet avec sa mère, et sans doute apercevrait-elle un ou deux de ses articles dans les journaux à paraître.

Et si jamais elle constatait qu'il avait pris le temps d'écrire un article long comme le bras alors qu'il ne lui envoyait plus rien depuis la fin décembre, elle serait parfaitement furieuse !
L'idée la fit bouillir sur place avant de laisser place à une immédiate et profonde tristesse : on l'avait abandonnée. Elle perdit tout son appétit et en même temps que son calme.
Elle ne pouvait souffrir la conversation de ses camarades plus longtemps, aussi s'excusa-t-elle d'une petite voix avant de se relever et de se diriger vers la sortie, le coeur lourd et les pensées en vrac.

Panthéa n'avait pas fait cinq pas qu'un élève la bouscula à l'épaule. Surprise et stoppée net dans son élan, elle se retourna, prête à s'excuser platement, lorsque son regard croisa celui d'Ethan. Il lui adressa un sourire si vif qu'elle se sentit immédiatement heureuse et soulagée de tomber sur lui. A cet instant, si elle voulait bien parler à quelqu'un, ce serait sans doute au jeune Poufsouffle, d'autant que cela faisait une éternité qu'ils ne s'étaient vus.

"J-Je vais bien, m-merci, et toi ?", bafouilla-t-elle, encore sous le coup de la tristesse qui s'était emparée d'elle, quelques secondes auparavant. "Je m'excuse, je ne t'avais pas vu. Je ne t'ai pas fait mal ?"

Embarrassée de lui être ainsi rentrée dedans, elle se tourna vers lui en rangeant une longue mèche de cheveux derrière son oreille gauche. La mine réjouie du jeune garçon lui fit oublier, sur l'instant, la rancune qu'elle avait ressentie à l'encontre de ses parents - surtout de son père - ainsi que le sentiment qu'elle avait eu d'être laissée de côté par l'ensemble de sa famille.

La petite mine que faisait Panthéa se mua rapidement en un visage plus serein. De toute évidence, la jeune fille avait été soit contrariée d'avoir été bousculé, soit par quelque chose d'autre avant. Mais il n'en saurait rien, du moins pas tout de suite, car sa jeune camarade lui répondit que tout allait bien. Une réponse automatique et polie, mais qu'attendre de plus avec la formule qu'il avait utilisé lui-même. La Serdaigle s'excusa même de l'avoir bousculé alors qu'il se sentait en tort d'avoir déboulé dans la salle sans trop faire attention.

- Il n'y a pas de mal, ne t'en fait pas. Et ne t'excuse pas, c'est moi qui suis rentré ici sans trop faire attention. C'est plutôt à moi à te demander si je ne t'ai pas fait mal?

Il était encore trop content d'avoir reçu la lettre de ses parents qu'il ne put s'empêcher de lui en parler immédiatement. Il montra à la jeune fille l'enveloppe dans laquelle avait été replié la lettre.

- Je vais super bien, merci! Regarde, j'ai enfin reçu une lettre de mes parents! On dirait que tout va bien pour eux, mais je ne suis pas certain d'avoir tout compris.

Ethan sortit la lettre de l'enveloppe à Panthéa, l'air devenu un peu soucieux.

Brighton, le 4 mai 2044

Mon cher Titi,

Nous sommes tous les trois rassurés d'entendre que tu vas bien et que tu te sentes en sécurité à l'école. Pour nous, tout va bien également. Tu vas être content car je vais désormais avoir beaucoup de temps pour m'occuper de ta sœur, et je sais que cela te tient particulièrement à cœur. D'ailleurs elle te transmet son bonjour et un "gros gros câlin" pour reprendre ses termes exacts. Ta maman se concentrera désormais exclusivement à sa clientèle moldue. Ne t'inquiète pas pour elle, j'ai usé de mes talents pour que sa boutique ne soit visitée que par des personnes ayant de bonnes intentions. Mais tout le monde lui veut du bien, rassure toi!

Je viendra te chercher à Londres pour que tu viennes passer les vacances à la maison. D'ici là, sois fort et courageux mon chéri!

Nous te faisons tous les trois de gros bisous,
Papa, Maman & Mathilda

PS: ta maman souhaitait aussi te dire que tu lui manques très fort et elle te rappelle de ne pas te prendre à la dernière seconde pour étudier tes examens et de bien te brosser les dents chaque soir

Il attendit patiemment que la jeune fille prenne connaissance de la lettre avant de lui faire part de ses commentaires. Malgré les zones de flou, les nouvelles étaient bonnes et rassurantes. Son ventre cria famine mais ce détail attendrait bien encore quelques instants. Mais pas longtemps car les odeurs attirantes provenant des tables qui arrivaient à ses narines l'invitaient à s'attabler sans tarder.

Ethan avait l'air si enthousiaste que son bonheur déteint un instant sur le moral de Panthéa. Elle lui répondit par un sourire encore plus large lorsqu'il lui parla de la lettre qu'il avait reçue de sa famille, soucieuse de cacher l'horreur de la situation qui lui déchirait le coeur : tout le monde recevait du courrier, tout le monde sauf elle. Sans s'en rendre compte, le jeune Poufsouffle avait tourné et retourné le couteau dans la plaie béante, mais elle réussit l'impossible en conservant un visage particulièrement avenant. Il avait l'air si content de la voir et de pouvoir partager son bonheur avec elle qu'elle s'en serait voulue de tout gâcher.

Il sortit la lettre de son enveloppe et la lui fourra dans les mains avec impatience, comme un enfant qui montrerait un excellent bulletin à ses parents.

La lettre lui en apprenait un peu plus sur la vie d'Ethan, si bien que la jeune fille fut d'abord terriblement gênée de plonger le nez dans son intimité. Bien sûr, c'était lui qui lui avait donné la lettre, donc elle n'avait pas à rougir de sa curiosité mal placée, mais le rose lui monta tout de même aux joues tandis qu'elle parcourait les lignes tracées sur le papier par son père.
Ethan avait donc une soeur. Ils semblaient très proches vu le mot qu'elle avait laissé son père lui transmettre. La tonalité générale de la lettre était rassurante et bienveillante, mais Panthéa sentit une sorte d'inquiétude percée à travers les lignes. Si tout allait bien, alors pourquoi tant de précautions pour rassurer leur fils ? Et le rassurer à propos de quoi ?
Quand elle lut que son père s'assurait que "seules des personnes bien intentionnées" entraient dans la boutique de sa mère, elle fronça les sourcils. "Des personnes bien intentionnées" ? Qu'est-ce que ça voulait dire ? Cela impliquait forcément la présence de personnes mal intentionnées, mais par rapport à quoi ? Et pouquoi protéger la boutique de sa mère alors qu'elle n'était que couturière ? Ca ne faisait aucun sens.
La jeune fille se rappela de la conversation dont elle avait entendu les bribes, quelques minutes plus tôt, à la table de Serdaigle. Le changement de gouvernement, le nouveau Conseil des Sorciers et leur histoire de "sang-pur". Elle ne voyait pas bien la relation de cause à effet, mais elle eut comme une idée fugace, un léger et mauvais pressentiment. Sans doute cette ligne sur la nécessité de sa mère de ne s'occuper que de ses clients moldus augmentait cette sensation. C'était donc forcément des sorciers que les parents d'Ethan devaient se méfier.
Les dernières recommandations de son père, avant le post-scriptum laissé par sa mère -et qui ne manqua pas de faire intérieurement sourire la jeune fille- recommandait à son fils d'être fort et courageux. Le mauvais pressentiment de la jeune fille monta d'un cran, et c'est avec un regard empli d'une certaine inquiétude qu'elle rendit finalement son courrier à Ethan, avant de prendre la parole :

"Q-Qu'est-ce que c'est que cette histoire de ne s'occuper que des M-Moldus ?", lui demanda-t-elle, avant de s'apercevoir que la question semblait particulièrement abrupte en comparaison au ton si léger et enthousiaste qu'il avait adopté jusque-là.
"J-Je veux dire ... C'est étonnant, je croyais qu'elle s'occupait des Sorciers et des Moldus tout pareil. Elle a voulu changer ? E-en tout cas, tu as beaucoup de chance, je suis contente pour toi que tu as reçu cette lettre !"

Le ventre d'Ethan fit un bruit si soudain qu'il lui décrocha un léger rire.
"Tu veux qu'on aille s'asseoir ? Il reste encore plein de crêpes."
Elle n'avait plus envie de partir maintenant, trop curieuse à propos du contenu de la lettre et de l'avis du jeune Poufsouffle sur les questions qu'elle se posait.

Ethan rit, un peu gêné, en même temps que Panthéa lorsque son ventre se manifesta bruyamment. La réputation des Poufsouffle ne serait pas encore infirmée aujourd'hui. Elle lui proposa de s'installer pour manger des crêpes.

- A croire que tu lis dans mes pensées! répondit-il enthousiaste.

Les deux enfants s'attablèrent face à face un peu à l'écart des groupes d'élèves bruyants. Ethan se servit d'une belle crêpe appétissante et la garnit de confiture à la fraise. Tout en s'affairant à préparer son goûter, il commença à répondre aux question de Panthéa. Lui aussi, il ne comprenait pas bien ce que son père lui écrivait. Pourquoi sa mère moldue aurait subitement envie de ne s'occuper que de ses semblables? Même si elle n'y comprenait rien à la magie, elle avait toujours été ouverte.

- Je ne comprends pas non plus pourquoi maman ne veut plus s'occuper que des moldus. Cela ne lui ressemble pas. Il doit y avoir quelque chose là derrière, mais ça m'échappe.

Ethan avait encore d'autres interrogations qui se bousculaient dans sa tête.

- Je ne comprends pas pourquoi il va aussi avoir beaucoup de temps pour s'occuper de ma sœur. Qu'est ce que ça veut dire? Qu'il a moins de travail?

Ce point là était vraiment troublant. Son père était passionné par son travail et mettait un point d'honneur à donner le meilleur de lui-même pour que tout soit toujours réalisé avec précision et qualité. Il avait peur que le changement au ministère ait un impact important sur sa carrière. Un morceau de crêpe pour réfléchir. Il reprit la parole une fois la bouche vide.

- Ce qui est vraiment bizarre, c'est qu'il dit qu'il a dissimulé la boutique de maman des regards malveillants. Mais la boutique de maman, c'est une pièce dans la maison. Est-ce qu'il a donc dissimulé la maison entière? Et il dit que je ne dois pas m'inquiéter pour maman. J'aurais dû donc m'inquiéter? C'est flippant, non?

Ethan était vraiment rassuré que tout le monde se portait bien chez lui, mais au plus il pensait au contenu de la lettre, au moins il se sentait à l'aise. Il se servit un nouveau morceau de crêpe, qu'il trouvait d'ailleurs très bonne, et parcourut une nouvelle fois les mots de son père. Il était maintenant pressé de rentrer à la maison, pour s'assurer que tout aille vraiment bien. Et en même temps il ne voulait pas quitter Poudlard et ses amis. Si la situation était critique à l'extérieur, qui dit que plusieurs de ses camarades ne manqueraient pas à l'appel en septembre? Il préféra penser à autre chose et s'intéressa à Panthéa.

- Et toi, as tu déjà reçu des nouvelles de ta famille?

Il savait que le courrier arrivait au compte-goutte. Il espérait que sa camarade avait déjà pu être rassurée de son côté aussi. L'incertitude était souvent ce qu'il y avait de pire à supporter.

Panthéa avait pris place à côté de lui mais ne s'était pas servi de crêpes. La conversation ne lui avait pas fait retrouver son appétit, bien au contraire, et elle était de toute façon bien trop intriguée par la lettre d'Ethan pour penser à manger à ce moment-là.
Ethan semblait désormais inquiet, lui aussi, et la jeune fille sentit une pointe de culpabilité lui transpercer le coeur : il semblait si heureux en arrivant, sans doute la question qu'elle lui avait posée et le ton qu'elle avait adopté avaient réussi à instiller le doute dans l'esprit de son camarade.
Ce qu'il disait était assez troublant, en fait : Panthéa n'avait pas réalisé que la boutique de sa mère se trouvait dans leur maison familiale, et elle comprenait mieux l'ampleur des enjeux contenu dans la simple phrase de son père sur "garder les gens mal intentionnés" à l'écart de la boutique. En outre, elle savait que son père travaillait au ministère, et était chargé de dissimuler le monde des Sorciers aux Moldus grâce à des sorts de dissimulation. Ce n'était pas un métier qu'il appréciait faire, mais il le considérait néanmoins comme nécessaire, et maintenant, le voilà qui disait disposer de beaucoup plus de temps pour s'occuper de la petite soeur d'Ethan. Avait-il perdu son emploi ? Le changement de gouvernement avait-il entraîné la suppression de son post ?

Ethan mangeait ses crêpes avec beaucoup d'appétit et réfléchissait à voix haute, par intermittence. Panthéa gardait ses réflexions pour elle et se contentait de hocher la tête ou de hausser les épaules, indiquant qu'elle n'en savait pas plus que lui sur la situation. Elle ne voulait pas risquer de troubler plus son camarade en lui lançant des hypothèses inquiétantes à la figure.

Sa question la fit tressaillir.

"Euh ... N-Non, non je n'ai r-rien reçu. Pas depuis décembre. M-mais ..." Elle réfléchit. Elle ne voulait pas qu'on la prenne en pitié ou que l'on croit que sa famille ne s'occupait pas d'elle. Elle ne voulait pas non plus que l'on s'inquiète à sa place : elle le faisait déjà bien toute seule. "Mais je sais que mon p-père a beaucoup de travail, et ma mère aussi ... et mon frère a ... beaucoup de devoirs dans son école ... J'imagine."
Comment justifier une absence de nouvelle depuis cinq mois ? Cela ne s'était sans doute jamais vu. En tout cas, Panthéa n'avait jamais été habituée à un tel silence de la part de sa famille. Même sa grand-mère prenait soin de lui écrire une fois par mois. Plus elle y songeait, et plus la situation lui semblait inquiétante, mais elle n'avait aucun moyen de contacter sa famille en dehors des hiboux.
Elle fondait tous ses espoirs sur la perspective de revoir ses parents pendant les grandes vacances, mais elle commençait même à douter de cela : un très mauvais pressentiment.

"C-Ce n'est pas grave. Je ... Je n'ai pas grand chose à leur raconter, de toute façon.", ajouta-t-elle dans un sourire. Grossiers mensonges, mais elle ne voulait pas avoir l'air trop touchée par tout ça. Les inquiétudes d'Ethan semblaient bien plus justifiées que les siennes. La lettre de son mère était sans équivoque sur les conséquences du changement de gouvernement, et même si Panthéa n'y avait d'abord pas prêté beaucoup d'attention, le témoignage des parents de son camarade avait suffi à lui mettre la puce à l'oreille : tout ça n'augurait rien de bon.

"Je ne savais pas que tu avais une petite soeur. Mathilda, c'est ça ? Peut-être que ton papa est juste en vacances ou en congés ?", demanda-t-elle finalement, pour alléger la conversation autant que ses pensées.

La question qu'Ethan posa à Panthéa la fit tressaillir. Et pour cause, elle n'avait plus aucune des nouvelles de sa famille depuis décembre. Quelle famille pouvait faire subir un pareil châtiment à ses enfants? Le méritait-elle? Il ne la connaissait pas beaucoup, mais de ce qu'il avait pu observer d'elle, c'était qu'elle semblait très gentille. S'était-elle disputé avec ses parents? Elle invoquait l'excuse du travail, mais c'était sans doute pour s'auto-rassurer. Quel parent ne prendrait pas quelques minutes de son temps pour prendre des nouvelles de sa fille de 11 ans? Soit la raison qui les empêchait d'écrire à leur fille était vraiment grave et ils ne voulaient pas l'alarmer en faisant les morts -ce qui était bien indélicat-, soit c'était simplement des parents indignes. Panthéa ajouta enfin que ce n'était pas grave. Il en doutait fortement. Il aurait été dans tous ses états à sa place. Surtout après les événements du deux mai. L'injustice de la situation le dégoûtait. Sa pauvre camarade était lâchement abandonnée par ses parents, voilà ce qu'il pensait, lui. Il dût faire un effort sur lui-même pour ne pas faire de remarque désagréable. Il remercia le destin de lui avoir donné ses parents. Ils n'étaient pas parfaits, mais ils lui convenaient parfaitement.

- Ne le prends pas mal, mais tes parents sont... -quel mot utiliser pour ne pas blesser son interlocutrice?- particuliers de te laisser si longtemps sans nouvelle. Tu leur as écrit, toi?

Elle dévia la conversation vers sa famille à lui. C'est vrai qu'elle n'était pas au courant de l'existence de sa petite sœur. Il se rendit compte avec effroi que, dans son enthousiasme, il avait laissé lire tout le contenu de la lettre à la jeune fille, en-tête et post-scriptum inclus! Elle savait désormais que ses parents l'appelaient Titi. Autant il aimait qu'on l'appelle ainsi quand il était petit, autant cela commençait à le rendre gêné maintenant. Surtout devant ses copains. Il faudrait qu'il ait une conversation avec ses parents à ce propos dès qu'il rentrerait à la maison. A leur décharge, pour la lettre, ils n'étaient pas censés savoir qu'il allait la montrer à quelqu'un. Mais il leur en parlerait quand même. Son idée de congés était saugrenue.

- Oui, j'ai une petite sœur, Mathilda. Elle a neuf ans. J'espère que mon papa n'a pas pris congé maintenant. Sinon il n'en n'aura plus quand je serai à la maison pendant les vacances d'été...

Et ce serait le comble. Il lui en voudrait s'il lui faisait un coup pareil. Non, cela devait être autre chose, mais quoi? Était-il tombé malade? Mais alors pourquoi ne lui aurait-il pas dit? Une conséquence du putsch du Ministère? Mais en quoi le job de son père pouvait être gênant? Il devait tout de même continuer à exister, non? Son père n'avait jamais fait de mal à qui que ce soit. L'idée même qu'il ait des problèmes lui donna encore plus faim. Il se resservit une nouvelle crêpe, qu'il recouvrit d'une belle couche de miel.

- Tu ne manges pas de crêpes? Elles sont super bonnes! Tu devrais en goûter. Tiens, prends un morceau de la mienne. Il isola un morceau sur le coin de son assiette à l'attention de sa camarade.

Sa crêpe, fut engloutie en moins de temps qu'il le fallait pour le dire. Sa camarade ne semblait pas être dans un état normal comparé à ses souvenirs. Ses sourires masquaient une tristesse, ou quelque chose du genre.

- Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Tu peux me dire ce qui ne va pas tu sais... En tout cas, toutes ces émotions, ça creuse, tu ne trouves pas?

Il se resservit une troisième crêpe. Il n'aurait sans doute plus très faim au repas du soir, mais on ne vivait qu'une fois et, depuis le deux mai, on ne pouvait pas être sûr qu'on arrive vivant jusqu'au repas suivant.

La remarque d'Ethan sur ses parents eut un effet assommant sur la jeune fille. "Particuliers". Le mot lui noua les tripes tant il était vrai. Quels parents n'écrivaient pas à leur enfant pendant cinq mois d'affilée ? Bien sûr qu'ils travaillaient énormément, mais ses excuses étaient complètement nulles et non avenues. Ils avaient toujours pris du temps pour elle, et pour son frère ! La situation n'avait rien de normal, elle était même terrifiante ! Mais que pouvait-elle bien y faire ? Pleurer n'aurait rien arrangé, s'en plaindre n'aurait rien changé non plus. Evidemment qu'elle leur avait écrit. Toutes les semaines. C'était une façon pour elle de faire face aux bouleversements extérieurs. Une façon aussi de se convaincre que tout était parfaitement normal. Enfin, c'était le seul moyen qu'elle avait de changer les choses, espérant très fort, à chaque envoi de hibou, qu'il reviendrait enfin avec une réponse.

"J-Je leur écris, oui. Je ... C'est pour les tenir au courant de mes notes. Qu'ils sachent que je travaille bien.", encore un mensonge. Chacune de ses lettres se terminait par un interminable paragraphe sur combien ils lui manquaient, et combien elle aimerait avoir de leurs nouvelles.

Sa remarque sur les congés de son père et son envie de profiter de lui pendant les vacances d'été lui sembla évidente. Après avoir lu la lettre que les parents d'Ethan lui avait envoyée, il était peu probable qu'il prenne des vacances sans lui, surtout dans la situation actuelle du monde des Sorciers. Elle hocha vivement la tête et sourit légèrement à l'évocation de sa petite soeur. Panthéa n'avait qu'un grand frère, qu'elle admirait et adorait par-dessus tout, et elle ne pouvait qu'imaginer l'attachement qu'Ethan avait pour sa famille. Étrangement, l'entendre ainsi parler de ses parents et de sa jeune soeur lui faisait du bien, tant elle avait besoin de réconfort : même si l'affection ne la concernait pas, elle la vivait par procuration.

Il lui proposa de la crêpe avec tant de gentillesse qu'elle en fut sincèrement touchée, rougissant même de voir qu'il lui en découpait un morceau rien que pour elle. Elle déclina l'offre cependant. Habituellement gourmande et bec sucré, les soucis qui s'étaient accumulés depuis décembre lui avaient complètement coupé l'appétit au point qu'elle avait sensiblement perdu du poids.

Puis il lui posa la question fatidique. Celle qu'il ne fallait pas lui poser sous peine d'ouvrir les vannes et de laisser libre cours au torrent de tristesse qui s'écoulait en elle. Les larmes lui montèrent rapidement aux yeux, et elle eut un mal fou à lui répondre sans se mettre à pleurer.

"C-Ca va.", dit-elle simplement une fois que la boule coincée dans sa gorge fut ravalée en même temps que ses larmes. "J-Je ... M-mes parents me manquent beaucoup. J-J'espère que ... qu'ils n'ont pas de problème. Mon père a parfois des soucis avec ses articles dans le journal, mais c'est jamais trop grave."

L'aveu était très lourd. Une larme coula le long de sa joue. Elle l'essuya en vitesse avant d'ajouter : "E-Et euhm ... Ta petite soeur, c'est une sorcière aussi ? Est-ce qu'elle va venir à Poudlard plus tard ? Oui, c-c'est sûr que ça creuse, mais j'ai déjà bien mangé avant." Nouveau sourire.

Il était certain que Panthéa esquivait ses questions. Les réponses étaient beaucoup trop concises et dénuées de réelles implications pour corroborer avec son visage qui s'exprimait à sa place. La petite Serdaigle était très expressive, comme beaucoup d'enfants de onze ans. Il se fit la remarque qu'il devrait en prendre de la graine et apprendre à mieux se contrôler.

Ce qui devait être parfaitement juste, par contre, c'était qu'elle écrivait à ses parents. Cela devait être une épreuve extrêmement frustrante pour elle de communiquer à un mur qui ne répondait jamais. Que se passait-il dans la tête de ses parents? De nouveau, le sentiment d'injustice envers sa camarade se fit ressentir en lui. Mais il préféra ne pas en rajouter une couche et abandonna le sujet.

Quand il lui demandait comment elle allait, elle lui répondit avec des mots et un langage corporel qui ne pouvaient pas plus s'opposer. Mais Ethan préféra ne pas insister non plus. Il lui avait tendu une perche, si elle préférait l'esquiver, c'était tout à fait son droit. Il était peiné de la voir dans cet état. Beaucoup d'élèves étaient sur les nerfs depuis les événements du deux mai mais il lui semblait que Panthéa était encore un cran au dessus de la normale. Le fait que son père puisse avoir des problèmes à cause de son travail était certainement aussi une source d'inquiétude non négligeable. Malheureusement il n'y avait pas grand chose qu'il sache faire pour l'aider. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était attendre et espérer. Etre dans l'inaction forcée et se trouver dans l'incertitude devait être vraiment pénible.

Sa camarade changea encore une fois de sujet. Elle semblait très adroite pour changer la direction de la discussion, se dit Ethan. Les questions sur sa soeur l'auraient perturbé il y a encore quelques mois seulement, mais à force d'en parler -ici personne ne connaissait sa situation alors que dans sa ville natale, ses connaissances étaient au courant "depuis toujours"-, cela le laissait désormais presque indifférent. Même si, bien entendu, la situation en elle-même continuait de le contrarier.

- Ma soeur est aussi une sorcière, oui. Mais elle ne viendra jamais à Poudlard. Elle est retardée mentalement et ses jambes ne répondent pas non plus comme il faut, du coup elle est obligée de se déplacer en chaise roulante. dit-il en levant les épaules, l'air malgré tout désolé pour sa petite soeur.

Il se demandait d'ailleurs parfois comment elle apprendrait à utiliser sa magie, ou du moins à la contenir. Du moins, si c'était possible. Personne ne savait à quel point sa déficience mentale allait la perturber à ce niveau là. Il faudrait qu'elle apprenne à se contenir sinon, adulte, elle pourrait créer quelques dégâts indésirés.

- L'avantage, pour elle, c'est qu'elle ne se rend sans doute pas vraiment compte de ce qiu se passe en ce moment, tenta-t-il maladroitement de détendre l'atmosphère.

Ethan était rassasié. Il était cependant tenté par une quatrième crête. Elles étaient si bonnes! Une intense lutte entre le petit ange et le petit diable fit rage dans sa tête et ce fut le petit ange qui l'emporta. Il repoussa son assiette pour joindre le geste à sa décision.

- Tu penses qu'il se passe quoi au dehors? La gazette du sorcier semble dire que tout va bien et notre nouvelle ministre y est très appréciée. On dirait que c'est une personne charmante! On a presque de la peine de croire qu'elle est méchante et qu'elle a quelque chose à voir avec l'attaque du château.

Ethan ne savait plus trop quoi penser. Ses lectures quotidiennes de la Gazette du Sorcier l'avaient presque convaincu de la bonté de la nouvelle ministre.

Elle pensait esquiver ses questions en abordant un sujet plus léger et familier, mais quand Ethan parla de sa soeur, la jeune fille eut le coeur serré. La lettre de ses parents n'avait pas laissé supposer un seul instant que Mathilda soit dans cet état-là, et Panthéa avait beau croire que personne n'était jamais fondamentalement différent, elle ne put s'empêcher de ressentir une vague d'émotions nouvelles. Sa compassion pour Ethan atteignait désormais des sommets, et elle dut se retenir de lui prendre la main tant sa fragilité émotionnelle la rendait profondément triste. La nouvelle était tombée si abruptement qu'elle ne savait pas quoi lui répondre, et cela lui parut d'autant plus difficile qu'il tenta ensuite de détendre l'atmosphère : elle aurait aimé lui sourire, mais le coeur n'y était plus depuis des jours. Elle se contenta de lui lancer un regard qui voulait dire "je suis sincèrement désolée pour toi, désolée pour elle". Des choses qui lui avaient sans doute été dites maintes et maintes fois et qu'il était lassé d'entendre.

Malgré le sérieux et la gravité dont s'était teintée leur conversation, Ethan n'affichait aucune tristesse. Il semblait parler de sa soeur avec beaucoup de tendresse, mais la situation était normale pour lui, il ne s'apitoyait pas. La jeune Serdaigle l'admira pour ça.
Quand il lui demanda son opinion sur les évènements qui avaient lieu en dehors de l'école, son premier réflexe fut de lever les yeux au ciel tant ce sujet de conversation, qui était sur toutes les lèvres depuis quelques jours, l'épuisait. Mais elle songea à son père et à ses articles, et un lien émergea soudain dans son esprit éreinté par le manque de sommeil et les pleurs. Elle fronça les sourcils, pris le temps de réfléchir avant de répondre, d'une petite voix :

"J-Je n'pense avoir le niveau pour juger, et puis il y a des choses que je ne comprends pas bien, mais ce qui m'étonne le plus, c'est que le changement de ministre arrive comme ça, sans prévenir, du jour au lendemain. Ca ne se passe pas comme ça, d'habitude."

Que dirait son père ? Elle imagina une conversation entre sa mère et lui, comme ils en avaient souvent lorsque Edwin devait rédiger un article de presse et qu'il voulait une opinion ou une critique différente de la sienne. Depuis petite, Panthéa avait souvent écouté aux portes de ces entrevues tenues à huit-clos dans le bureau de son père, et même si elle n'avait jamais compris tous les enjeux des divers sujets traités, et avait su saisir l'importance de l'exercice pour la réflexion de son père qui se voulait toujours le plus objectif possible.

"Ce qui est bizarre aussi, c'est que tout le monde en parle avec beaucoup d'inquiétude et que la Gazette fait tout pour nous convaincre que tout est normal. Mais ... M-mais ça n'a rien de normal. Poudlard a été attaquée, quand même ! C'est comme si on voulait nous cacher la vérité pour que les gens n'aient pas trop peur."

Elle soupira. Quel serait l'intérêt de mentir dans un tel contexte ? Qui avait quelque chose à cacher ? L'école ? Le ministère ?
L'absence de ses parents se faisait lourdement ressentir face au poids des questions qui se bousculaient dans sa tête. Elle se tourna vers Ethan en haussant une épaule, montrant combien cela était compliqué et combien elle se sentait dépassée et perdue.