Il se passait beaucoup trop de choses au dehors, à l’extérieur de l’école de sorcellerie. La communauté magique semblait tomber dans une torpeur improbable. Elle en frissonnait souvent, elle devait l’admettre. Après tout, elle avait elle aussi prit part à ce combat – sans en connaître véritablement le fond, ni la forme. Elle s’était laissée embrigadée dans la Citadelle pour répondre aux besoins impériaux de son père, de sa famille et plus généralement des Taylor.

Quoiqu’il en soit, et malgré les évènements quelque peu tumultueux, elle continuait à faire son travail de professeur avec la même rigueur qu’à l’habitude. Parce que cela faisait partie de ce qu’elle devait faire, elle en était certaine. Ainsi, elle s’imaginait que les élèves pouvaient continuer à étudier comme si de « rien n’était », même si elle en avait bien conscience : cela ne durerait qu’un temps. Elle se montrait patiente, face à ceux qui la regardaient encore de travers, souvenirs d’un bal d’Halloween douloureux pour tout le monde, où chacun avait pu connaître son passif au sein de la Citadelle. Elle s’en était accommodée, après tout, elle n’avait pas vraiment eu le choix.

Et c’est tout à ce genre de pensées que ses yeux se posèrent sur une jeune étudiante, installée sur la table des Poufsouffle, bien à l’écart de ses camarades. Ce n’était pas la première fois que Joanne la voyait, ainsi à l’écart, lui renvoyant parfois l’image qu’elle avait d’elle au même âge. Cette fois-ci, l’enseignante se décida à aller lui parler : rester seule n’était jamais un bon présage pour l’avenir et elle était malheureusement bien placée pour le savoir. S’approchant doucement de la jeune fille, l’enseignante ne fit que peu de manière pour engager la conversation « Il me semble que vous devriez vous rapprocher de vos camarades Miss ». L’élève n’était pas issue de sa maison et ne faisait pas encore de runes alors forcément, Joanne ne pouvait pas connaître son nom. Cela viendrait sans doute bien assez tôt.

Une voix sortie de nul part fit sursauter la fillette. Elle se retourna lentement vers la propriétaire de cette voix et aperçut une femme qui la regardait de haut. Les deux yeux bleus qui la fixaient lui firent presque froid dans le dos. Cette femme, bien qu'un peu austère, était plutôt belle. Elle avait des cheveux noirs, tout comme la totalité des vêtements qu'elle portait en cette soirée de janvier. Autumn avait déjà croisé cette femme de nombreuses fois. Elle était enseignante à Poudlard. Mais malgré tous les efforts d'Autumn, elle ne parvint pas à se rappeler la matière dont elle était en charge. Suite à la réflexion de la professeure, Autumn jeta un rapide coup d’œil à ses camarades. Elle ne s'était pas rendue compte qu'elle s'était assise si loin d'eux. Elle regarda à nouveau la femme qui se tenait derrière elle et ouvrit la bouche pour lui répondre. Impressionnée, la fillette se mit à rougir et mit quelques secondes avant de pouvoir sortir un son de sa gorge.

 " Vous... Vous avez raison Madame...? Panique. Autumn déglutit. Incapable de se souvenir du nom de cette professeure, elle reprit en abaissant le ton à la fin du mot. Madame. Je n'avais pas très envie de discuter alors je me suis dis que je serai plus tranquille au bout de la table. "

La fillette s'éclaircit la gorge. Elle avait un peu honte qu'une adulte remarque son isolement et lui dise de se rapprocher des autres. En règle générale, Autumn adorait passer du temps avec les élèves de sa maison. Mais les récents événements l'avaient changé. Elle se sentait de plus en plus mal. Sa propre famille et le monde moldu qu'elle avait toujours connu ne voulait plus d'elle et dans son nouveau monde tout semblait lui rappeler à longueur de temps qu'elle ne devrait pas être là. C'était fatiguant à la longue. Mais qui pouvait la comprendre? Pas une adulte en tout cas. Les adultes ne comprenaient jamais rien, ils ne savaient que mentir. Les yeux légèrement humides, Autumn adressa un rapide sourire à la femme et ajouta.

" Je n'ai pas très faim de toute façon, je vais bientôt retourner dans ma salle commune... "

La jeune fille semblait quelque peu … impressionnée ? Que l’adulte lui adresse ainsi la parole. Plus ça allait, plus Joanne se reconnaissait dans ce trait de timidité marquée. Elle aussi, elle avait voulu s’enfuir, rester seule. Pour ne plus jamais se confronter à la vision des autres, à leurs rires qu’elle ne comprenait pas. Aujourd’hui, ce temps-là était révolu pour la sorcière et elle faisait son maximum pour qu’aucun jeune étudiant ne se sente aussi désespéré. Y arrivait-elle ? Elle n’en était pas certaine. D’autant plus qu’elle n’avait pas été doté d’une option empathie profondément marquée, alors elle faisait ce qu’elle pouvait, avec les armes qu’elle avait.

Et, comme elle auparavant, l’étudiante prenait la fuite. Elle indiquait à l’enseignante qu’elle allait partir, retourner dans sa salle commune. S’asseyant face à elle, droite comme un i, les yeux de la trentenaire n’avait pas quitté la jeune Poufsouffle. « C’est dommage, moi qui espérait avoir trouvé un peu de compagnie pour ce repas ». Elle ne laissait pas le choix à la jeune fille, elle espérait d’ailleurs que son ton soit sans équivoque pour ne pas essuyer de refus – qu’elle n’accepterait pas de toute façon.

« Les mets ne vous conviennent pas, peut-être ? » Joanne se doutait bien qu’il ne s’agissait pas de cela mais c’était pour elle une façon comme une autre de lancer la conversation. Peut-être que la jeune fille allait s’ouvrir davantage, ou au contraire fuir tête baissée en espérant ne plus jamais recroiser Joanne, que ce soit au cours de la soirée ou de l’année scolaire toute entière. Autour, le brouhaha de la Grande Salle continuait son bonhomme de chemin, sans prendre en compte le simple échange de banalités entre une enseignante et une élève.

Persuadée que la femme partirait s'asseoir avec les siens à le fin de cet échange, la fillette avait commencé à se détendre. Jusqu'à ce que... Ces deux yeux d'un bleu glacial se retrouvent pile en face d'elle. La femme, assise plus droite qu'il n'était possible de l'être, assura vouloir manger avec Autumn. La Poufsouffle ouvrit la bouche et puis la referma quelques secondes plus tard. De toute façon elle n'avait pas vraiment le choix... Cette femme était déjà assise en face d'elle, elle ne pouvait ni lui refuser ce repas ni partir tant qu'elle était attablée. Les mets ici lui convenaient toujours, et si par malheur elle n'aimait pas ce qui était servi au dîner elle se forçait tout de même à en manger un peu par respect pour ceux qui cuisinaient. Autumn parvint à se souvenir brièvement du jour de son arrivée à l'école. Les professeurs s'étaient présentés tour à tour ou quelqu'un les avait présenté, elle ne se rappelait plus exactement. Est-ce que cette femme était Mrs Taylor?... C'était bien possible. Ignorant la question portant sur la nourriture, la fillette changea de sujet temporairement.

" Excusez moi... Vous êtes Mrs Taylor c'est bien ça? Vous enseignez l'étude des runes... "

Autumn n'était pas du tout sûre d'elle. Comme elle n'avait pas encore de cours avec Mrs Taylor, il était normal qu'elle bloque sur son nom. Pour ne pas manquer de respect à sa professeure la fillette lui répondit enfin.

" Oh non, la nourriture est très bonne c'est que... Je ne suis pas vraiment en forme depuis la fin des vacances. "

La fillette réfléchit un instant avant d'en dire plus. Elle sonda son interlocutrice pour savoir si elle pouvait s'y confier. Elle faisait partie du corps professoral après tout. Si elle ne pouvait pas se confier à l'une d'eux, à qui le pouvait-elle? La fillette attrapa sa fourchette et déplaça sa nourriture dans son assiette, pensive.

" Mes parents sont des moldus. Et je crois qu'avec ce qu'il se passe en ce moment ils commencent à avoir peur de moi. Ils m'ont interdit de rentrer pour le reste des vacances scolaires de l'année. Et... On m'a aussi fait comprendre que je n'avais rien à faire à Poudlard. Au final, on ne veut de moi nul part, alors je préfère rester seule. "

La jeune fille l’interrogeait sur son identité, pourtant la trentenaire n’y répondait pas, se contentant simplement d’un hochement de tête pour confirmer qui elle était. Après tout, il n’y avait pas besoin de long discours pour cela. Finalement, après quelques secondes de silence, la jeune fille répondit à la question de sa professeure : la nourriture était bonne mais elle n’était pas en forme depuis le retour des vacances. Qui ne le serait pas avec les événements qui se passaient à l’extérieur de Poudlard ?

Et puis, comme une délivrance, la jeune fille finit par se confier, se délestant un peu de ce poids qui était le sien. Avec une douceur enfantine elle expliquait à Joanne que ses propres parents avaient peur d’elle. Un instant, Joanne se demanda comment il était possible pour des parents de renier l’objet de leur chair. Mais elle le savait plus que quiconque : l’être humain est capable du pire lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts. Toutefois, la suite du discours interpelle la sorcière : qui irait dire à une jeune sorcière qu’elle n’a pas sa place à Poudlard ? Cela ne faisait pas sens pour Joanne, aussi, elle n’hésita pas une seule seconde à demander « J’espère que ce n’est pas quelqu’un de Poudlard qui a eu l’audace de vous sortir pareille bêtise ». Derrière l'affirmation se cachait, sans l'ombre d'un doute, une question auquel Joanne espérait obtenir réponse.

Si elle ne pouvait pas faire grand-chose pour les parents de la jeune fille, elle pouvait au moins tenté de la rassurer sur sa présence à Poudlard. D’une part, c’était plus sécuritaire pour elle, et d’autre part cela lui permettrait d’apprendre de sa magie, à ses côtés, en établissant un lien profond avec elle. Sa baguette ne deviendrai pas qu’un vulgaire outil mais bien plus que cela. Elle devait le comprendre même si, Joanne s’en doutait, elle n’en était pas encore là.

Autumn releva brusquement la tête lorsqu'elle entendit la remarque de la professeure. Est-ce qu'elle était bête ou bien? Qui d'autre qu'une personne de Poudlard pouvait lui dire qu'elle n'avait pas sa place dans ce château? La Poufsouffle savait très bien qu'il fallait respecter les grandes personnes et qu'elle ne devait en aucun cas s'autoriser à mal leur parler. Pourtant, Autumn était un peu en colère. D'abord ses parents et puis maintenant même une professeure? Les adultes étaient tous bêtes! Ils étaient tous des menteurs! Cela dit, le fait que Mrs Taylor ignore ce qui était arrivé à la fillette quelques mois auparavant la rassura un peu. Cet épisode était tellement humiliant qu'Autumn préférait le passer sous silence quitte à ne jamais obtenir justice face à ses deux bourreaux.

" Bien sûr que c'est une personne de Poudlard! Une élève même. Il y a beaucoup d'élèves qui n'aiment pas les gens comme moi. Elle fit une pause, totalement muette avant de reprendre en haussant les épaules. Je pensais que vous le saviez... "

La dernière phrase sonnait un peu comme un reproche. Il était adressé à Mrs Taylor car elle était en face d'Autumn à ce moment là, mais plus profondément c'était un reproche à l'attention de tous les adultes de l'école. Ils étaient en charge de protéger les élèves, non? Pourtant ce jour là, aucun adulte n'était là pour l'aider. A l'exception peut-être de Mrs Montmort qui l'avait aidé mais qui était arrivée bien après les dégâts. Les adultes qui se devaient être des personnes de confiance à qui Autumn devait pouvoir se confier et sur qui elle pouvait compter, commençaient vraiment à perdre de l'estime dans l'esprit de la fillette. Au final, on ne pouvait pas leur faire confiance. Les adultes étaient fourbes, manipulateurs et faibles.

La jeune fille vivait avec la peur omniprésente de ses parents moldus vis-à-vis d’elle, et pire encore, elle vivait entourée de personne lui faisant comprendre que, parce qu’elle était née-moldue, elle n’était pas la bienvenue dans le collège de sorcellerie qu’était Poudlard. Les dents de l’enseignante grincèrent, ses mâchoires se crispant et se clivant l’une sur l’autre. Comme si Joanne voulait s’empêcher de dire des mots qu’elle n’aurait pas pu défaire par la suite. Figeant ses yeux céruléens sur la jeune fille, Joanne ne mâcha pas les premiers mots qui sortirent de ses lèvres pincées « Pensez-vous vraiment que l’avis d’une seule élève représente l’avis des élèves ici présent ? Des professeurs qui vous encadrent ? Nous luttons jour après jour pour faire cesser ce clivage qui n’a aucun sens. Les nés-moldus ont autant leurs places à l’école que les nés-sorciers. Et vous ne devriez pas vous laisser atteindre par ses propos venus d’un autre temps ».

Après sa tirade, l’enseignante marqua une pause. Elle fulminait d’une colère sans nom. La magie choisissait ses prétendants peu importe de quelle pureté soit le sang de ceux-ci. Et personne ne pouvait aller contre ça. Joanne s’efforçait de faire comprendre cela aux autres. « Vous savez, je suis issue de ce qu’on appelle une famille de sang-pur. Cela ne fait pas de moi une meilleure sorcière que les autres ». Les yeux translucides de la sorcière brillaient d’une singulière lueur. Comme si quelque chose d’éteint venait subitement de s’allumer en présence de la colère froide qu’elle pouvait ressentir. L’étudiante n’était pas obligée de la croire : elle ne l’y forcerait pas de toute façon, mais cela ne me modifierai pas ce qu’elle était. Loin de là.

Oups... Est-ce qu'Autumn avait poussé le bouchon un peu trop loin? Son ton s'était fait un peu arrogant, un peu déplacé peut-être. Pourtant, elle n'avait pas voulu être irrespectueuse. Quand Mrs Taylor avait répondu en la regardant droit dans les yeux, Autumn s'était sentie mal. Un peu comme si elle venait de se faire remonter les bretelles. Elle grimaça légèrement et baissa la tête vers son assiette. Même si le ton était un peu dur, dans le fond les paroles ne visaient pas Autumn directement. On aurait même dit que la professeure était en train de rassurer la Poufsouffle. Alors qu'elle s'apprêtait à s'excuser, la petite brune releva la tête en entendant la femme reprendre la parole. 

Sang-Pur. De mémoire, c'était aussi les origines de l'élève qui l'avait agressé. Pourtant la professeure tenait un discours plutôt différent. Elle semblait se considérer au même niveau que tous les autres sorciers. Peut-être disait elle cela pour encore une fois rassurer Autumn. Dans le doute, la fillette décida de faire confiance à cette femme qu'elle ne connaissait que peu. Après tout, si elle détestait les né-moldus elle aurait sûrement déjà manifesté son dégoût ou sa haine quand Autumn avait mentionné ses parents. Or, ça n'avait pas été le cas. Retrouvant toute son innocence, la fillette rétorqua dans la seconde.

" Ben... Si vous êtes professeure c'est quand même que vous êtes une sorcière forte, non? N'importe qui ne peut pas enseigner la Magie! Surtout à des débutants... " Autumn piqua sa fourchette quelque fois dans son assiette. Evidemment, la nourriture était froide mais au moins elle n'aurait pas le ventre entièrement vide. Alors qu'elle prenait son temps pour mâcher elle eut soudainement une idée. " Dites Mrs Taylor... Si ce que vous dites est vrai, vous croyez que je pourrai devenir une sorcière aussi forte qu'un ou une Sang-Pur? Peut-être même aussi forte que vous? "

La fillette avait des étoiles dans les yeux. C'est vrai que jusqu'alors la Magie n'avait pas toujours été une évidence pour elle et qu'elle était loin d'être la meilleure de sa classe mais pourquoi pas? Si tous les sorciers étaient égaux, alors ils devaient logiquement l'être aussi en puissance. En y réfléchissant, c'était aussi un des seuls moyens de se faire respecter de tous. Prouver qu'elle mérite sa place. 

" Madame, vous pourriez m'apprendre vous? A devenir forte! M'aider à devenir la plus grande sorcière né-moldue qu'on ait jamais vu! " 

Autumn avait retrouvé sa motivation. Elle s'enflammait un peu vite mais dans sa situation il fallait se rattacher à ce qu'on pouvait. C'est en adressant un sourire radieux à la femme en face d'elle que la Poufsouffle attendait une réponse à sa grande proposition.

L’élève avait une vision idéalisée des professeurs : être enseignant n’était pas gage de qualité ou de puissance magique. Dans le cas de Joanne, notamment, qui avait passé la majeure partie de sa vie à étudier les runes, on ne pouvait pas dire qu’elle était très brillante. Elle avait eu de bonnes notes bien entendu, l’assiduité y étant pour beaucoup, mais cela ne faisait pas d’elle une puissante sorcière, elle le savait bien mais trouvait touchant que l’enfant la voit ainsi, telle une héroïne sortie d’un quelconque dessin animé, dotée de pouvoirs extraordinaires ou de capacités pas franchement humaine.

Joanne préféra donc ne pas répondre à cet élan d’énergie à son égard et continua d’écouter la petite sorcière. Elle hocha toutefois la tête, pour confirmer à la jeune fille qu’elle était capable de devenir une sorcière aussi forte qu’un sang-pur – quand bien même le concept lui échappait un peu. Elle ajouta d’ailleurs « Le principal n’est pas d’être à la hauteur d’un quelconque sang-pur, mais plutôt d’être à la hauteur de vos projets ». C’était sans doute un peu trop philosophique pour un enfant ? Pas forcément concret ? Joanne ne savait pas trop.

La jeune fille continua, suppliant presque l’enseignante de rune de lui apprendre à devenir forte. Joanne laissa éclater un petit rire cristallin. « Oh vous savez, je ne pense pas être la mieux placée pour vous apprendre à devenir forte. Je ne suis qu’une enseignante de matière secondaire, d’une langue particulièrement ancienne et pas franchement utilisée. On ne peut pas dire que ce soit synonyme de grande puissance ». Cette fois, le rire était plus fort. Reprenant son sérieux quelques instants, elle ajouta « Etre la né-moldue la plus puissante qui soit ne vous apportera rien, tandis que trouver votre voie au sein du monde magique vous apportera plus que vous ne l'imaginez. Et vous avez toute votre scolarité à Poudlard pour trouver cette fameuse voie qui vous convient ! ».