Infini resta immobile. Paralysé.
Comment ce garçon pouvait-il être aussi changeant ? Il a aidé Infini. Il lui a hurlé dessus. Il l'a poussé. Et là, il lui nettoie les mains, le dépoussière et finit par essuyer ses larmes. Il est contre les sorciers, en étant un lui-même. Infini dodelina la tête doucement en scrutant le jeune élève. Pourquoi est-ce que tout devait être si compliqué ? Toujours des paradoxes, des axiomes se révélant faux, des contre-exemples qui viennent détruire, réduire en cendre toute une théorie finement construite. Et retour à la case départ.

Infini avait beaucoup de mal à lire les personnes, comme si tous les jugements qu'il construisait, déjà tachés de suppositions, étaient absurdes. Alors, il ne s'y risquait plus trop, il se contentait de suivre le mouvement. Mais là, Edwin - puisque c'était son prénom - était comme ce fichu problème de maths qui résistait de temps en temps à Infini. Trouillard mais tenace, il arrivait toujours à bout de ces fameux calculs.

Edwin n'était ni plus ni moins qu'une équation qu'il faut résoudre.

Une équation qui a des gestes affectueux, qui sèche les larmes, qui parle à Finn comme à une personne censée douée d'intelligence et pas comme à un vulgaire enfant écervelé. Une équation qui dit "Petit Finn" et "Tu fais partie d'la meute". Une équation qui a un sourire éclatant et un regard rieur... Indescriptible.
Une équation qui fait totalement remuer le ventre d'Infini, qui lui fait tourner la tête. *Que ferait papa dans ce cas-là ?* Aaron Parker était le repère de son fils, un exemple sur lequel l'enfant comptait et calquait à chaque situation.

Objectivement, Edwin avait aidé Infini.
Objectivement, quand Percy aidait Aaron, Aaron embrassait Percy.
Objectivement, alors, Infini allait embrasser Edwin.

- En guise de remerciement, Edwin.

Infini fit disparaître l'écart entre les deux garçons, et les mains moites, avança ses lèvres vers celles d'Edwin, un peu précipitamment, et colla les parcelles de peau roses entre elles, naturellement, sans aucune autre question que de penser à respirer pour ne pas s'évanouir.

Un sourire s'installa sur le visage de Finn.
Finn, Edwin, ça rime.

Edwin Wellhister était un gamin instable, mais il n'en avait pas tellement conscience. Lui pensait simplement qu'il n'avait pas la capacité presque obsessionnelle de pouvoir contrôler chacun de ses sentiments, mais ça allait plus loin que ça. Il n'était pas seulement contrôlé par les siens, mais ils étaient aussi totalement instables. Il n'y avait pas une seule journée où Edwin comprenait tout ce qui pouvait bien se passer dans sa tête, tout comme il n'y avait aucune journée sans sautes d'humeur. Ça lui arrivait tout le temps, et il s'y était habitué, même si ça continuait à faire mal parfois, c'était comme ça et il était bien incapable de contrôler tout ça, de toute façon, alors il continuait juste à vivre sa vie comme si tout était normal et comme si ses sentiments ne se battaient pas dans sa tête et tant pis si les autres ne pouvaient pas le suivre. Alors si Finn' lui avait dit ne pas comprendre son changement soudain, Edwin aurait simplement sourit en disant que lui non plus, mais que ce n'était pas grave et qu'il fallait oublier les choses comme ça quand elles arrivaient, parce qu'il n'y avait pas de réponses magiques, qui permettraient tout d'un coup qu'il se comprenne et que les autres le fassent. C'était comme ça et puis c'était tout, il n'y avait rien d'autre à dire. Edwin était instable, colérique et incapable de gérer tout ça, mais il n'était pas un mauvais gamin.

On ne lui avait juste pas apprit à faire attention à sa colère, à réfléchir avant d'agir ou même à se poser quelque part pour essayer de calmer la tempête dans sa tête et même s'il commençait à apprendre maintenant, il n'était plus vraiment certain de pouvoir calmer l'ouragan. Trop fort, et lui était trop faible pour accepter tout ça, alors accepter qu'il n'allait pas bien était aussi improbable pour lui que l'était le fait qu'une tortue dépasserait un jour les 100km/h.

Il secoue la tête pour chasser ses pensées avant d'observer l'autre, le sourire toujours aux lèvres, parce qu'il était content, là tout de suite, d'avoir fait un truc de bien. Il n'attendait pas tellement de remerciements, vraiment pas, en fait il n'en attendait jamais, mais ça lui fit plaisir.

Et puis après, trou noir. Ce n'était probablement pas la bonne expression, mais il avait réellement l'impression que toutes ses pensées s'étaient faites la malle en vitesse à partir du moment où l'autre l'avait embrassé. Edwin n'avait jamais fait attention à tout ça, comme il n'y avait jamais apporté la moindre importance, mais là il était bien obligé de revoir tout ça. Il loucha violemment sur le visage de l'autre avant qu'il ne se recule quelques secondes après, ou peut-être trop de secondes pour encore être comptées comme telles ? Il n'en savait rien. Il rougit violemment avant de plaquer sa main sur ses lèvres, toussant quelques fois. J-Je... heuuu... Il se frappa la tempe. Ce n'était rien, rien de plus qu'un merci, et il n'y avait rien de bizarre là dedans, rien de plus qu'un remerciement. Et puis, il n'aimait même pas les garçons. En fait, il n'en savait rien, pour le moment il n'aimait personne. Ce n'était qu'un merci, alors tout allait bien. Il reprend un sourire, même si ses joues sont encore rouges, avant de donner un léger coup d'épaule à l'autre. De rien ria-t-il avant de tapoter le crâne de l'autre, comme on le ferait avec un petit enfant. C'était bizarre aujourd'hui il hausse les épaules préviens moi quand tu veux me dire merci, que j'me prépare à la crise cardiaque. D'habitude on me dit pas merci.

Infini recula d'un pas en même temps qu'Edwin. Edwin n'avait pas réagit de la même manière que Percy, c'était assez étrange. Et puis le garçon l'avait regardé avec un drôle d'air, comme si Infini avait un moustique ou une abeille sur le visage. Il passa une main sur son visage pour enlever la chose qui dérangeait Ed. Mais il devait être encore dérangé parce qu'il se frappa la tempe, rougit et toussa. Un instant Finn cru qu'il était en train de s'étouffer, mais non.

Quand Edwin donna un coup d'épaule à Finn, en bon ami, quelque chose chatouilla les entrailles et la gorge de l'écolier, qui s'empourpra. Son visage était cramoisi, à coup sûr mais il garda un sourire scotché sur son visage, semblable à celui du garçon en face de lui, mais moins brillant que le sien. Edwin, un peu plus grand qu'Infini, le surplombait de quelques centimètres, lui cachant partiellement le soleil. Les rayons du soleil un peu pâlot formèrent un instant une auréole angélique autour de la tête d'Edwin. Et c'est à ce moment-là que Finn comprit que le fond profond d'Edwin était bon ; malgré cette apparence de caïd qu'il voulait se donner ; malgré les affiches qu'il avait collées ; malgré le mal qu'il pouvait faire. Il était bon.

Infini avait du mal à soutenir le regard d'Edwin, parce que d'une certaine manière il le trouvait intimidant. Il tritura ses doigts, haussa des épaules.

- Ouais, c'était bizarre. Il ne savait pas quoi dire de plus. D'abord, il y avait eu le vol plané, puis la discussion, et puis là, maintenant. Il tenta une vanne. T'inquiète, si tu fais une crise cardiaque je sais faire le bouche-à-bouche. Les pommettes de Finn remontèrent toutes seules et il se détendit.

Sonnerie. La fin des cours sonna. Infini sursauta et stressa, sortant de sa rêverie.

- Euh, oh ! Je dois aller à mon entraînement !

Infini partit en courant vers les grilles, et revint avant de les passer, ramassant son sac au passage, avec un sourire gêné.

- J'ai oublié mon sac. Bon, euh, j'y vais. Il se retourna et recommença à courir. Salut ! dit-il en direction d'Edwin, manquant de peu de tomber.

Pour avoir été une journée étrange, ça en avait été une. Il n'était pas habitué à ce qu'il se passe tant de choses, à ressentir quelque chose de presque gentil pour quelqu'un dans le monde moldu, ou tout court depuis quelques mois en fait. Depuis qu'il était revenu, il pouvait presque sentir son cerveau se décomposer dans son crâne tellement sa vie était devenue d'un ennui total et particulièrement désagréable. Il se levait le mâtin, allait en cours, revenait le soir pour aider sa mère, l'écouter insulter ce qu'il était et il allait se coucher. Rien d'amusant, rien de nouveau, juste une routine qui durait et qui l'enfonçait de plus en plus dans un trou bien noir dont il ne pouvait pas se sortir. D'un certain point de vue, le sien, Finn avait été une petite lumière dans sa pièce sombre, comme un placard à balais, avec son sourire et sa façon de croire réellement en un monde bienveillant. Lui il n'y croyait plus, à un monde comme ça, parce qu'on ne lui avait jamais montré, ou du moins jamais réellement. Et peut-être qu'il s'en voulait un peu, d'avoir balancé sa façon de penser comme ça à l'autre, mais il savait que ce n'était pas un mensonge : le monde n'était pas beau, les gens n'étaient pas gentils et si le plus jeune s'acharnait à vouloir qu'ils le soient, il finirait juste par se faire écraser, ou se faire taper sur la gueule. Enfin, lui croyait en sa magie, il croyait au fait qu'elle pouvait le protéger, il n'en avait pas peur, alors il pouvait encore s'accrocher à quelque chose. Edwin, non.

Edwin, lui, il ne croyait plus en grand chose, en fait. Trop souvent déçu. Une déception de gamin, de ne pas savoir quoi faire, de ne pas avoir ce à quoi il s'était attendu, mais une déception qui faisait mal, atrocement même. Une simple déception qui partait du fait que sa mère n'était plus sa maman, celle qui se levait les matins même quand elle avait du mal pour l'embrasser sur le front en le réveillant. Et la déception en avait entraîné d'autre, c'était aussi simple que ça, mais aujourd'hui il ne pouvait penser à sa mère que comme celle qui lui hurlait dessus, ou qui le frappait avec une cuillère en bois quand il ne finissait pas son assiette. C'était probablement de bonne guerre, et c'était probablement à cause de lui qu'elle faisait tout ça, parce qu'il était un gamin compliqué, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être déçu, et d'avoir mal au cœur. Parfois, il voulait se l'arracher de la poitrine, persuadé que la douleur serait moins violente. Mais on ne pouvait pas s'enlever le cœur comme ça, qu'importe le nombre de fois où on essayait, c'était pas possible.

Bye bye Finn' ! gloussa-t-il avant de se rendre compte que pour une fois, il était content. On se verra plus tard ajoute-t-il assez fort pour que l'autre l'entende. Une figure souriante dans le Londres grisâtre, ça lui avait manqué.

A la prochaine Finnou !