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27 mai 2020, 10:08
 15.04.2045  La fin des McKinney
Je ne crois pas qu’on puisse expliquer ça par des mots. Aujourd’hui encore, je ne suis pas certaine de comprendre ce qu’il s’est réellement passé cette nuit là. Ce que je sais, c’est que mon monde n’a plus été le même après cette nuit là. Il s’est effondré et ne s’est jamais relevé…

Mère était assise sur son siège préféré, au dossier relevé, non loin de la cheminée principale. Elle avait son verre de vin à la main et écoutait, il me semble à son regard vague tourné vers le feu, d’une oreille distraite. Père l’entretenait des mauvaises nouvelles qui affluaient en nombre de New York. Le MACUSA semblait plus décidé que jamais à éradiquer toute notre famille de la carte. Je me souviens m’être demandé combien de temps notre manoir en Louisiane leur resterait caché… ne me jugez pas trop sévèrement, la naïveté a ses travers. L’insouciance liée à notre statut de l’époque ne m’a pas aidé beaucoup plus.

Je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, le processus s’est réellement enclenché. Le Lien de Sang est une malédiction que Mère ne voulait pas nous léguer avant que nous soyons en âge d’en saisir toute la complexité. L’arme légendaire de notre famille se méritait. C’est en tout cas de cette façon que ma soeur, mes frères, et moi-même, imaginions les choses à cette époque… Mère a soudain lâché son verre pour s’agripper aux accoudoirs. Père a tout de suite compris, enfin c’est ce que je crois avec le recul. Il s’est penché vers elle, l’oeil alarmé. Mère avait les yeux exorbités. Je l’entends encore pesté :

« C’est impossible ! »

Ses derniers mots…

Je la revois se plier en deux en se tenant le ventre… je revois le sang noir s’écouler de son nez, de ses yeux, et même de l’oeil magique… nous nous levons tous de table et nous précipitons à son chevet, mais son visage se crispe… elle se plaque contre le dossier de son siège, Père lui hurle quelque chose — je ne me souviens plus quoi, je n’entends plus rien à ce moment-là… mon coeur sent quelque chose que mon cerveau ne comprend que plusieurs minutes plus tard… les larmes me montent aux yeux tandis que Mère, le visage crispé par la douleur et — il me semble — la haine, crache un liquide noir… sa poitrine se soulève, elle n’arrive pas à respirer… tout le monde cri autour de moi… je tombe à genoux… je la regarde, je regarde son si beau visage d’autrefois se recouvrir de veines noires… elle se cambre, pousse un cri terrible qui dure une éternité… puis elle s’effondre pour de bon, écrasée par le poids de la Mort, les yeux voilés de noir…

Comment vous dire… la mort est toujours soudaine, mais celle de ma mère fut comme un éclair sur nos vies. Privés d’elle, notre famille devint orpheline de sa propre identité. Il y eut bien l’oncle Aaron, le seul frère de Mère, pour profiter de la situation et s’adjuger la direction des opérations. Cet imbécile se fit capturer par le MACUSA à peine deux semaines plus tard. Père aimait vraiment Mère. Il se donna la mort quatre mois après ça en nous laissant une lettre qui devait nous expliquer son geste. Emportés par leur colère incommensurable, mes frères moururent héroïquement en affrontant une armée d’Aurors devant le Woolworth Building. Ma jumelle, Automn, eu beau plaider notre cause auprès des Six familles restantes, ce vieux roublard de Ferrovecchio ne voulut rien entendre à ce qu’elle me raconta. Je crois qu’elle ne s’en remit jamais… elle se calfeutra dans notre manoir de Virginie où je ne me risque plus à entrer. On dit que l’endroit est maudit…

Qui aurait cru que la petite idiote de la famille McKinney serait la seule à conserver le peu de dignité que le destin avait bien voulu laisser à cette famille ? Pas cette idiote en tout cas. Mais c’est bien ce qui s’est produit. Aujourd’hui, ce nom ne résonne plus qu’au fond de mon coeur.

Mon mari n’en saura jamais rien. Ni mes enfants.

LES CONTES DE L'ŒIL
(En vadrouille jusqu'au 3 janvier inclus)