La lueur se frayant un passage sur la figure de l'autre — *Non, pas l'Autre. Élina* — la réchauffa de l'intérieur, comme si le compliment qu'elle avait adressé se retournait vers elle. Elle comprit la signification de ce sourire : Merci. Et les coins de sa bouche s'étirèrent d'eux-mêmes vers le haut. Comme tout semblait simple, ici ! Rien à faire dans ce lieu ; sinon observer. Penser, rêver, parler en silence. En échos.
Sa compagne des fleurs semblait réfléchir à la question ; alors elle se taisait, bercée.

Pourtant, ses paroles éveillèrent son attention. Intriguée, c'était cela ; elles l'intriguèrent. Au cœur de cette douce efflorescence, l'enfant s'était sentie plonger, apaisée dans une chaleureuse torpeur. Comme un entre-deux songeur, pas vraiment réalité, ni tout à fait illusion. Mais la suggestion toute nouvelle balaya le calme. Elle ne s'arrêta pas sur la gêne de la fille ; ses mots l'attiraient.
Comme un souffle apporté par le vent viendrait rider l'eau du Lac, l'idée s'infiltra dans son esprit, guidée par la curiosité perçant la Surface. *Des devinettes, c'est —

— des énigmes.
Ses pensées, accrochées par le hameçon des mots, dérivaient juste assez pour encore retenir le flots qui menaçait de franchir ses lèvres.
Elle aimait les 'jeux'. Ceux qui étaient innocents, sans dissimulations. Mais les énigmes dissimulaient. Elles impliquaient un mystère ; un point d'interrogation ; une question. Quelque chose à deviner, et elle n'était pas voyante. Elle n'aimait pas cela. Elle haïssait ce qu'elle ne connaissait pas, et les énigmes entraient dans ce cercle restreint. Elle aimait ce qui était limpide, visible, discernable. Et elle aimait les défis, quitte à faire une chose très désagréable à ses yeux.

Elle voulait savoir ce qui allait se passer, maintenant. Obstinée à brûler ses pensées pour son désir de connaissance.

— D'accord, laissa-t-elle échapper, derrière un sourire qu'elle espérait impassible. Peine perdue ; son visage dégoulinait d'émotions mêlées, si bien qu'elle ne pouvait s'en défaire, ni les nommer.
Pourtant, lorsqu'elle se redressa, droite contre le tronc de l'arbre, une lumière éclaira son visage dans l'ombre. Pour ne pas être prise par surprise, elle s'élancerait première.

— Tiens, écoute...

Les mots lui vinrent naturellement, s'imposant à elle avant même de prendre forme distincte. Son énigme lui était évidente, et elle en venait presque à l'apprécier.


— Qu'est-ce qu'on voit toujours mais qu'on arrivera jamais à atteindre ?

Son sourire illuminant toujours son visage se refléta sur celui de Felicia. *Elle a compris* Tout était si simple ici. Il n’y avait pas de prise de tête, rien à se soucier et aucune préoccupation. Pourquoi la vie ne pouvait-elle pas toujours se dérouler ainsi. Tout serait beaucoup plus facile, non ? Mais ce n’était pas le cas et elle devait profiter à fond de ce moment hors du temps.

Son… amie ? Était-elle amie ? Leur relation se questionnait, mais à l’instant, elle n’avait pas envie de se questionner là dessus. *Plus tard* Un petit sursaut de son corps l’agita lorsque Fea sortit de ses pensées. Le jeu des devinettes lui plaisent et la fillette en était bien heureuse. C’est donc la jeune fille qui commença la première, soufflant à travers la pièce les mots formant peu à peu un mystère pour la brunette. *Qu’est-ce qu’on voit toujours mais qu’on arrivera jamais à atteindre* Plusieurs idées lui vinrent en tête, mais rien d’assez convaincant pour qu’elle ose proposer à voix haute.

Très vite, son regard se perdit dans le vide, cherchant mentalement la réponse à l’énigme de son interlocutrice. Ça ne devait pas être bien sorcier. Elle cherchait sans doute trop loin. Dehors, le vent fait toujours des ravages dans le froid, balayant de bourrasque le peu d’individu osant s’aventurer à une telle température a l’extérieur. Le paysage était beau d’ici, il aurait été facile de se laisser distraire par la beauté de l’environnement. Mais une illumination fait soudainement son apparition dans l’esprit de la jeune fille. *L’horizon !*

-Ça y est, je sais. C’est l’horizon, n’est-ce pas ?

Tout sourire d’y être parvenu, elle cherche rapidement une énigme en retour.

-À moi, qu’est-ce qui vole sans aile et pleure sans yeux ?

À son avis, la réponse était moins évidente que pour la première énigme, mais Felicia en était capable, elle en était certaine.

La quiétude du moment l'enveloppait d'un doux voile cotonneux, qui étouffait de lui-même le mugissement des bourrasques extérieures, des rafales qui faisaient tournoyer l'air à l'infini de l'autre côté tandis qu'il se débattait en sifflant furieusement se trouvaient estompées, réduits à l'écho derrière les murs, malgré la violence du temps. Dans ce lieu de chaleur, l'enfant sentait son esprit se tendre vers de voluptueux méandres de la demeure de Morphée, tant il était confortable de poser son être au creux d'un arbre dans ce refuge tandis que le onde faisait rage, au-dehors.
L'atmosphère la berçait et elle se laissait flotter. Légère et lourde à la fois, empreinte d'une sensation lumineuse et contrastée, comme si de silencieux courants la portaient ailleurs, emmenant ses pensées valser sous d'autres cieux.
Les paupières mi-closes, ses idées tanguaient entre songe et éveil, toutefois le fil qui la maintenait attachée à la réalité demeurait bien mince. Immobile et fragile, mais libéré des turbulences.

Son esprit s'étiolait dans les serres, se perdant entre clarté et brouillard, tandis que sa compagne d'un après-midi se trouvait en pleine réflexion — c'était du moins ce que laissait percevoir son apparence songeuse, et la fillette, à vrai dire, s'en désintéressa quelque peu, un temps. Ce fut lorsqu'Élina parla que ses rêves éthérés se déchirèrent ; ils disparurent, la laissant seule avec a voix douce de la Bleue, qui avait deviné la réponse sans efforts.
L'énigme que l'enfant avait posée n'en était pas vraiment une, mais avait attisé ses pensées, attirée comme elle l'était par tout ce que l'univers recelait de lointain, et d'inconnu. L'Horizon était infini, en ces boucles éternelles. Si on le suivait jusqu'au bout de la Terre, il nous ramenait chez nous. Felicia aurait aimé caresser l'Horizon, un jour, car il était son seul amant, celui qui la guidait dans sa quête émerveillée de nouveauté. Il scintillait toujours pour elle.
Lentement, elle acquiesça aux mot de la fille.

— C'est bien ça ; à toi !

Elle n'eut pas le temps de prendre la parole davantage afin de dire à haute voix ses pensées entremêlées, seulement le temps de relever la tête et de se taire pour écouter. A elle de déchiffrer le message sibyllin, de trouver le sens dissimulé sous les mots.
Elle n'était pas particulièrement attachée aux énigmes, et elle avait peur — oui, c'était bien de la peur — de lâcher l'idée de solution qui la traversait, peur de dire la réponse qui s'esquissait dans son cerveau. L'image lui était rapidement venue, jolie métaphore venue recouvrir l'interrogation. Mais plus difficile était de lui faire franchir la porte de l'imagination pour la rendre tangible, malgré ses doutes. Elle avait peur de se tromper, en vérité.

Une poignée de secondes s'étendit. Elle inspira, expira doucement le mot qu'elle avait choisi pour solution avant de le laisser s'écouler.

— C'est... un nuage ?

Une fois dite, l'idée s'échappait hors de portée, sans qu'on ne puisse la reprendre. Enfuie dans un souffle, elle paraissait vacillante, à présent. Était-elle juste ? Elle l'était pour la fillette qui l'avait conçue, et le resterait.
« Une énigme. » — quel terme vaste ! Chaque personne en était une, à vrai dire ; chaque personne possédait sa propre clef. Il existait mille façon de découvrir l'entrée d'un labyrinthe.

Maintenant, elle attendait la réponse de son *amie ?*, hésitante ; elle n'osait reprendre le jeu, intriguée.

Elle aimait bien l'énigme qu'elle venait de poser. C'était une belle métaphore et elle trouvait l'image magnifique, légèrement poétique. *J'aimerais bien être un nuage parfois* Elle pourrait observer les vas-et-viens des autres tranquillement sans se soucier de ce qu'elle devait faire ou dire. Ce serait beaucoup plus simple. Et puis, elle voyagerait. Puis se transformerait en goutte de pluie avant de redevenir vapeur. Oui, ça pouvait être une vie intéressante. Dommage qu'il n'y avait pas de sort de métamorphose capable de faire ce qu'elle souhaitait. *Peut-être du Polynectar ?*

Sortant de ses pensées grâce à la réponse de la rouge, la brunette hoche doucement la tête en signe positif. *J'savais qu'elle pouvait y arriver !*

-C'est exactement ça, bravo !

La fillette lui sourit, le regard pétillant. Elle était vraiment bien ici et pour rien au monde elle n'aurait souhaiter partir. Mais malgré que le temps semblait s'être complètement arrêté depuis qu'elle était entrée dans la serre, c'était loin d'être le cas à l'extérieur. Depuis combien de temps était-elle ici ? Quelques minutes ? Une trentaine ? Une heure ? Elle n'en avait pas la moindre idée et elle n'était pas certaine d'avoir envie de changer ça. Mais son estomac n'était pas tout à fait d'accord avec ses pensées. Un léger grognement se fit entendre et la serdaigle rit doucement avant de se tourner vers Felicia.

-J'crois qu'il est p't-être temps qu'on rentre, non ? J'commence à avoir faim, toi ?

*Dis oui s'il-te-plait !* Peut-être qu'elle pourrait profiter du repas ensemble, elle aimait la compagnie de la rouge, pourquoi s'en séparer s'y tôt ?

Elle avait raison ! La surprise la traversa de part en part. Sa réponse, interrogation jetée au vent, était juste. Son instinct avait trouvé la vérité, bien plus que son propre cerveau. Un grand sourire éclaira ses traits ; elle était si heureuse, si lumineuse, ici ! dans ce refuge, ce petit coin de paradis dressé contre les éléments. Elle aurait formulé le vœu d'y demeurer éternellement, si Élina ne l'avait, par ses mots, ramenée à la réalité. *Château. Dîner* Ni l'un ni l'autre ne l'attiraient ; tout son désir était là, au cœur de ce royaume de végétaux, contrée éloignée et exotique, séparée de l'extérieur par des années-lumière. Rien ne lui paraissait plus beau que cela, à ces instants perdus dans la semi-obscurité des Serres – le soir abattait son manteau de ténèbres sur le monde. Pourtant, il leur fallait rentrer, demeurer de sages élèves respectueuses du règlement, et obéir aux lois édifiées envers et contre leurs plaisirs d'enfants.
A contrecœur, la fillette s'y plia. Elle répondit d'une voix claire, qui se voir enjouée, à la Bleue – il n'était pas question de ternir cette après-midi rayonnante maintenant – :

– Oui, d'accord ! On pourra manger ensemble !

Elle sauta sur ses pieds, vive, n'attendant aucune réponse pour saisir la main de son amie et l'entraîner vers la sortie. Elle n'oublia pas, cependant, d'enlacer une dernière fois du regard le vénérable arbre qui avait supporté son corps et ses réflexions, ce jour là, et se promit encore une fois d'apprendre son nom.

Accrochée à Éli, elle cherchait sa voie dans le dédale créé par les Fleurs, riant avec joie lorsqu'elle débouchait sur une impasse plutôt que sur le Dehors. Elle se perdirent presque, malgré la petitesse de l'endroit – ou peut-être était-ce simplement le refus de partir –, se retrouvèrent et gagnèrent l'entrée, enfin.
L'extérieur hostile et froid les attendait – elles l'affronteraient sans souci, puisqu'elles n'étaient pas seules.