La réponse compréhensive de la Serdaigle lui tira un soupir muet de soulagement. Bien qu'encore nouées, ses épaules se détendirent imperceptiblement tandis qu'il posait les yeux sur le sol.

Un nuage passa, puis un second, ombres molletonnées mangeant de gris le vert de l'herbe et le blanc de sa main.

Une fois de plus, le garçon se retrouvait dans l'attente. Une fois de plus Élina demeurait silencieuse. S'il n'avait été aussi retourné, il aurait été exaspéré qu'elle reste là avec lui alors qu'elle avait de toute évidence toutes les raisons du monde de le laisser tranquille — comme par exemple lui permettre de profiter du doux calme de la solitude, et non de celui lourd de la compagnie inopportune. Mais Edmund était trop happé par sa gêne, et la honte d'avoir menti — une fois de plus — qui serrait tranquillement son ventre distrayait ses pensées. Il sentait ses vrilles s'enrouler, transpercer son estomac presque avec attention, avec soin.

-Dis, c'est quoi ta couleur favorite ?

P... pardon ?

Le mot faillit franchir ses lèvres, tout juste retenu par les onze années d'éducation prodiguées par son père. Au lieu de ça, il se contenta de détailler la figure qui s'était adressée à lui, une confusion non dissimulée peinte sur le visage. Ses pupilles analysaient les traits avec minutie, comme espérant trouver dans l'écartement des yeux, la longueur du nez et la largeur du front la raison de cette question incongrue. Enfin, incongrue... complètement absurde, oui !

Seulement après avoir généreusement dévisagé Élina commença-t-il à envisager de lui fournir une réponse.

- Le bleu nuit.

Rapide, précis, efficace. Il lui fournissait l'information exacte qu'elle requérait sans fioritures. Ce devrait pouvoir servir à lui faire enfin comprendre qu'il souhaitait qu'elle le laisse seul, non ?

Mais attendez une petite seconde, n'avait-il pas décidé juste quelques instant auparavant qu'il essaierait de se montrer positif et courtois ? Ouvert au dialogue et au contact ?

Edmund se mordilla la lèvre, incertain.

Pour autant qu'il désirait de la tranquillité, il voulait aussi rendre son père fier de lui, et il savait qu'il serait extrêmement fier d'apprendre que son fils avait réussi à entretenir une conversation cordiale avec une autre élève dès sa première semaine de cours. Regarde comme tu t'améliores ! s'exclamerait-il certainement, plein d'espoir. En moins d'une semaine ! Au collège il t'avait fallu presque un mois avant que tu ne te fasses des copains !

Le dilemme était cornélien, et le petit Long ne savait quoi décider. Ou plutôt, il savait ce qu'il devrait décider mais ne se sentait pas la force de le faire. Ce fut finalement l'image de son père, déçu qu'il ait paniqué si violemment qu'il en avait quitté la salle de classe avant la fin du cours, qui fit enfin pencher la balance.

- C'est une couleur rassurante, douce, reprit-il d'un ton un peu forcé. Et puis, on me dit souvent qu'elle me va bien

Il avait prononcé la dernière phrase en désignant du doigt ses iris, bleus clairs d'usuel, rendus ternes par le passage d'un énième nuage.

Edmund se râcla la gorge discrètement en baissant le regard de nouveau, puis prit encore la parole, désireux de bien faire.

- Et euh... et toi ? Tu as une couleur préférée ?

La question en elle-même n'avait aucun importance — ou plutôt, le sens qu'elle revêtait était autre de celui que partageaient ses mots — mais il n'avait aucune autre idée de la façon dont il pourrait maintenir le contact que la Serdaigle semblait tenter de maintenir tant bien que mal. L'enfant comptait rendre son père fier, il voulait que la prochaine fois qu'ils se voient il puisse lui raconter comment il avait réussi à se faire une copine en seulement quelques jours et que cela provoque une étincelle de contentement dans ce regard azur, qui lui assurerait qu'il a bien agi.

Edmund ne savait pas combien de temps il lui faudrait converser pour allumer cette étincelle, il ne savait pas à quelle fréquence il lui faudrait revoir la fille pour que son père la considère comme une copine de son fils, mais il était résolu à le faire. Pour l'instant, en tout cas.