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17 oct. 2021, 11:42
 ÉP 47.5 - Tribune  La Prison Noire
Et le monde de mes pensées s'écroule. S'accumulent les et si, plus présents et nombreux à chaque instant, cherchant à me plonger dans leur vision désastreuse de ce qui aurait pu se passer ; se mêlent à eux les j'aurais pu, grandissants et s'accentuant, toujours plus terribles, toujours plus horribles, tentant de m'envahir pour m'imposer des images que je ne cherche pas à voir, mais même les yeux clos elles me sont visibles. Je suis coincée dans mon propre crâne, enfermée avec ces affreuses pensées à chaque seconde un peu plus présentes et oppressantes, raffermissant sans douceur la poigne avec laquelle elles enserrent mon âme. Je respire presque normalement mais j'étouffe ; je suis appuyée sur la porte mais je me sens tournoyer ; j'ai les yeux perdus sur le bois abîmé par les marques de Chronos mais mon regard est fixé sur mes pensées, suivant comme une ombre leur chemin et leurs murmures assourdissants. S'épanouissent mes douleurs dans mon cœur et mon crâne, comme la goutte liquide rencontrant un autre liquide finit par s'y mêler et s'y fondre. Je suis mes pensées affolantes et mon cœur effronté ; je suis la souffrance dans mon corps et les images dans ma tête. Et tout se mêle et s'emmêle pour mieux s'écrouler.

Soudain, me voici au bord du trop. La monstrueuse peau de douleur qui recouvre mon corps m'étouffe. J'explose de souffrance dans un grand éclat. Des sanglots jaillissent de ma poitrine déchirée pour noyer mon visage. Sous la couche trop-pleine de mes malheurs, les Tournesols de mon Bonheur restent enfermés, la Lumière leur est inaccessible.
Je ne distingue rien tant tout est trop fort. Aujourd'hui, tout est devenu trop : le nombre de personnes dans cette salle, les paroles qui circulent entre ces murs, les murmures de mes pensées incontrôlées, la douleur dans ma poitrine secouée de soubresauts, les images qui défilent dans mon crâne, les regrets qui dévorent mon cœur ; le monde est trop et j'étouffe à chaque respiration, incapable de calmer le rythme rapide avec lequel ma poitrine se soulève. J'aimerais être ailleurs en ce moment, loin de tout cela, dans un endroit secret où l'Azur époustouflant et infini remplirait ma vision, où les Marins de l'Océan céleste formeraient des flottes entières, où mon cœur serait plus calme et bercé par la Beauté autour de moi et où un sourire illuminerait mon visage. Doux Merlin, je donnerai tout pour me retrouver loin d'ici et ne plus avoir les pensées débordantes de douleur ! Ah ! Parfois, nous ne vivons plus, nous ne profitons plus des ins-temps, parfois nous subissons simplement tout ce qui s'attaque à nous : nos pensées, nos émotions, nos sensations. Je suis dans un de ces moments où la lumière semble bien lointaine. Je suis dans un de ces moments où la douleur devient omniprésente et me remplit tout entière. Mais que j'aimerai, d'un battement de paupières, m'en aller loin d'ici !

Les perles sauvages sillonnent mes joues pour y laisser leur trace. Honteuse de ma faiblesse et de mon apparence pitoyable, bien visible par tous, je pose mes mains sur mes yeux, frottant ceux-ci et cachant à mon cœur la vision des visages passant près de moi. Mes sanglots me semblent si bruyants, ma douleur si perceptible ; Maman aurait honte de moi. Mais comment me retenir dans une situation pareille ? Belle Circée, j'ai mal ! je souffre ! je suis recouverte de mes douleurs luisantes ! J'aurais pu partir à la place d'Irene, d'Elowen, de Jacob ou de Lilly. J'aurais pu partir et ne jamais revenir. *Jamais*, c'est terrifiant.
Comment ne pas être bouleversée ?

Et tout à coup, la voici proche de moi.

Je ne l'ai ni entendu, ni vu, petite silhouette frêle se glissant parmi les grandes ombres. Cependant, je la reconnais bien avant de distinguer son visage. Je ne sais pas si c'est l'odeur de sa peau, la douceur de son contact ou le réconfort apporté par sa présence qui l'a trahie mais avant même que je ne me tourne vers elle, mon esprit est déjà comme rassuré par sa tête contre mon épaule. Aucune méfiance, aucun doute ; je Sais sans voir. *Oh, Alison*

Un nouveau sanglot surgit de ma poitrine. J'ai tellement mal ! Je suis en train de me perdre dans mon Ciel, soufflée par la puissance de mes émotions. *Mais elle est là.* Étrangement, cette pensée se répète en moi, petite boucle grandissante. Alors, tout doucement, grâce à cette répétition, les battements de mon cœur se calment et je parviens à respirer plus simplement malgré mes larmes et mes sanglots s'écoulant à flots de mon co(eu)r·ps en détresse. Sa seule présence me permet de tenir avec plus de facilité sur mes jambes et de chasser cette grande peur qui m'encombrait l'esprit — peur de quoi ? Je n'en sais diablement rien. Mais, *elle est là*, *Nous sommes là.* Je prends une belle inspiration qui me semble être la première depuis une éternité.

Tout doucement, calmement, sans violence ni force, je passe mes deux bras autour de ce petit corps frêle qui me soutient désormais. Je ne dis rien, les yeux encore brouillés par mes larmes, le cœur encore lourd de mes douleurs. Entre nous, les mots n'ont pas lieu d'être. Nous savons par bien d'autres moyens. Les sensations, le regard, le cœur, les ressentis, ils nous permettent de nous comprendre sans mots. Nous partageons de toute manière bien plus que ces sons à qui le Monde a donné du sens. Nous avons nos propres mots et, en se connaissant pourtant si peu, nous parvenons parfois à lire en l'autre avec autant d'aisance que lorsque nous lisons en nous-mêmes. Miroirs, reflets, nous voyons ce que nous sommes, or, à certains moments, nous sommes juste Nous, et Nous devient Je.

Je ferme les yeux, frotte mes paupières de la paume de ma main droite et enfouis mon visage dans les cheveux de jais d'Alison. Tout contre moi, je la sens pleurer. Belle Circé, *pleurer* ? Mon cœur s'étonne et se cabre. Elle pleure et je n'ai rien fait pour retenir ses larmes ! Elle pleure et moi aussi. Alison a également tout vu, des sortilèges impardonnables aux monstres hantant les cauchemars ; elle a tout ressenti, du plus grand espoir à la plus profonde des terreurs ; elle a certainement tout compris, de l'agression visuelle non-choisie pour tout graver dans notre mémoire à l'incapacité de tous ceux présents dans la Grande Salle de pouvoir agir pour aider d'une quelconque manière ceux de l'autre côté de la fumée. Peut-être a-t-elle vécu toutes ces horreurs seule, sans personne pour la soutenir, entourée d'inconnus. Peut-être a-t-elle laissé glisser d'autres perles luisantes sur ses joues tandis que moi, trop concentrée sur ma propre douleur, ne pensais pas à celle que les autres pouvaient ressentir. Par la barbe de Merlin, j'ai été d'un tel égoïsme ! Je ne me suis intéressée qu'à moi, n'ai tourné mon œil intérieur que sur mes propres regrets et mes propres souffrances ! Et Alison pendant tout ce temps avait certainement besoin de moi. Mon esprit se trouble à ces pensées. Mes promesses ne doivent plus rien signifier pour elle. J'ai été assez stupide pour ne pas parvenir à les respecter et à cause de cela, la Jaune sanglotant entre mes bras ressent et a ressenti beaucoup de douleur. J'ai le cœur lourd de regrets. *J'suis tellement désolée...* mais c'est trop tard maintenant, je le sais.

Je la sers délicatement contre moi pour me convaincre que sa présence est bien réelle, que ce n'est pas une quelconque illusion de mon esprit souffrant et que je ne l'ai pas définitivement perdu à cause de cette *foutue* urne. Alison est bien là, si près de moi. Elle est venue me retrouver. Je ne sais pas exactement ce qu'elle cherchait et durant un instant, je me questionne sur ses raisons, cherchant des réponses logiques. Cependant, j'abandonne mes questionnements car peu m'importe les raisons, elle est là. Alors je savoure ce moment sans mots trop compliqués, sans reproches bouleversants et sans pensées paralysantes comme l'Œil Blanc profite des courts instants entre Nuit et Jour où il peut partager le Ciel avec l'Astre du Jour. Ma souffrance est toujours bien présente, recouvrant ma peau de ses larmes froides, mais elle l'est bien moins qu'avant. Une certaine douceur a fait son apparition et mon cœur s'en retrouve réchauffé. Que c'est agréable de savoir qu'Alison est là, que nous sommes en vie et que presque tout va bien. Le visage entre les cheveux noirs de la Jaune et le cœur près du sien. Silence de verre, joues humides, soutien partagé. Je respire enfin normalement.

D'un mouvement de ma manche droite, j'essuie mon visage mouillé. Je me détache d'Alison et recule un peu avant de plonger mon regard dans ses orbes émeraude pour y trouver un peu de lumière. Un sourire se tord sur mes lèvres, il semble si faux et si illusoire ! Certains pourraient se demander pourquoi il est important d'essayer de sourire quand on ne peut pas le faire de manière sincère, à eux j'aimerais répondre que l'important n'est pas le résultat mais l'intention. Si je souris, c'est pour montrer que je peux le faire et que nous nous relèverons après cette tempête, il faut avoir confiance en l'avenir, même si celui-ci semble si sombre. Grand Merlin, j'aimerais pouvoir dire que le plus dur est passé mais je n'en sais rien ! Tout ce que je sais, c'est que si un autre événement traumatisant survient, je ne laisserais plus Alison vivre cela toute seule. Je me le promets. Je sais que pour l'instant, mes promesses n'ont aucune valeur alors celle-ci, je préfère la garder pour moi pour ne plus dégrader davantage l'image que la Jaune doit avoir de moi. Oh, je le sais, partir du principe que je pourrai rompre ma promesse n'est pas une bonne idée mais je ne peux m'empêcher d'y penser. Alors, je renforce dans mon crâne cette envie, ce besoin de tenir cette promesse que je me suis faite. Je veux me prouver que je peux le faire et je ne souhaite plus que la Jaune pleure une nouvelle fois à cause de moi, c'est bien trop douloureux.

Avec délicatesse, les sourcils très légèrement froncés et les yeux fixés sur ma tâche, je viens frotter les joues d'Alison de mon pouce pour chasser ses larmes. Les voir fleurir sur son visage ne fait qu'affermir la souffrance qui brûle mon cœur. C'est étrange, ce contact entre mes doigts et sa peau, celle-ci me paraît si chaude. Je suis un peu troublée en constatant que je retiens ma respiration, comme si je craignais de faire quelque chose de mal. Une fois ses joues dépourvues de larmes, je parviens à esquisser un petit sourire.
Tu sais, nous allons y arriver, Alison. Tout ça, cela ne nous fera pas tomber à genoux. Nous sommes bien plus fortes ensemble. Nous avons vaincu des Orages et nous pourrons en vaincre encore des milliers d'autres, j'en suis certaine. Et si cela recommence, je serai là, *promis*. Cette promesse je la tiendrai et je ferai tout pour qu'il n'y ait plus de larmes comme celles-ci sur ton visage. Nous parviendrons à refaire fleurir nos Tournesol(eils), il nous faut juste un peu de Lumière mais il paraît que celle-ci est cachée dans nos cœurs.

Je glisse ma main dans celle d'Alison et la serre un peu. « Viens, on s'en va. » Loin de cette salle et de ses murs renfermant nos cauchemars. Loin des images bouleversantes et des ombres inquiétantes. Loin de nos larmes et de nos peurs. Très loin de cette Grande Salle pleine de nos terreurs.

Je renifle une dernière fois avant de me tourner vers les couloirs et d'avancer. Mais Merlin, pourquoi mes jambes tremblent-elles encore ?



Fin pour moi !
Merci beaucoup aux MJs de nous avoir offert un contexte si prenant ! J'ai été très heureuse de pouvoir écrire sur celui-ci.



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Leurs Échanges sont bien trop forts et bien trop doux, Plume d'@Alison Morrow...
Que j'ai hâte de découvrir cette suite !




Pardon pour ce pavé hmm hmm..

#466962Étudiante à l'Institut de Médicomagie et des Sciences Magiques — spécialité botanique
présence réduite