Le bruit du bois qui s'entrechoque de manière répétée sous le cri des mouettes et le rire des enfants. L'air iodé des Cornouailles qui rentre dans ses poumons et les embruns de la mer qui lui caressent le visage. Déguisés en pirates, Senku et Lewis croisent le fer – ou plutôt le morceau de bois – dans un duel épique. Senku porte un cache-œil et un chapeau de pirate en piteux état, tandis que son meilleur ami, Lewis, lui porte un chapeau assez similaire et un faux crochet en plastique sur sa main libre. Cela faisait maintenant plusieurs mois que les garçons se rendaient fréquemment sur cette plage pour jouer à leurs jeux enfantins afin de passer le temps qu'ils avaient à tuer depuis qu'on les avait expatriés de Godric's Hollow suite à la prise de pouvoir d'Ursula Parkinson et de ses partisans. Senku demeurait chez ses grands-parents tandis que Lewis était chez une vieille grand-tante un peu gâteuse, donc autant dire que les deux enfants sortaient dehors dès qu'ils en avaient l'occasion. Aujourd'hui, ils avaient opté pour jouer aux pirates après avoir vu la veille une BD moldu sur ces bandits des mers.

– YARGHHH !! s'écria Senku en agitant son bout de bois dans tous les sens. Où as-tu caché mon trésor vil crapule ?

– Ça tu ne sauras jamais, MOUHAHA !! renchérit Lewis avant de lancer une nouvelle salve de coup de bâton.

Le combat faisait rage sur la plage de Tinworth en ce beau jour ensoleillé tandis que le mois de juillet débutait. Les deux garçons tapaient dans leur bout de bois respectifs et faisaient diverses cascades épiques pendant plusieurs minutes jusqu'à épuisement et lassitude. Le soleil entamait sa lente descente dans le ciel, il restait encore quelques heures avant qu'il ne disparaisse dans l'horizon mais Lewis trouva plus sage de rentrer maintenant avant la visite hebdomadaire de sa mère. Senku n'insista pas car il savait que ces moments étaient importants pour son ami, il les attendait avec impatience même si à chaque fois la déception le gagnait quand il ne voyait pas son père transplaner aux côtés de sa mère. En effet, depuis que l'homme avait appris que son fils était définitivement un Cracmol, il était devenu très distant envers lui. Après un dernier au revoir et un coup d'épaule amical de son compère, Lewis quitta la plage, laissant Senku seul. Le garçon, lui, ne voulait pas rentrer tout de suite, il voulait encore profiter un peu de l'extérieur avant d'être étouffé par sa grand-mère et toutes ses questions sur ce qu'il avait fait aujourd'hui. Toujours affublé de son chapeau de pirate et son cache-œil, il observait l'horizon marin et alors que son regard se perdit sur des rochers à l'entrée de la plage, il vit une silhouette qui tentait d'échapper à sa vigilance.

– Hey toi ! J'te vois tu sais.

Qui pouvait bien se cacher derrière les rochers ? Était-ce Lewis qui voulait lui faire une mauvaise blague ? Et puis depuis combien de temps cette personne était là à le surveiller ? Le garçon se raidit alors et bomba le torse, prêt à faire usage de son bâton de bois en guise de sabre.

Encore désolée pour ce retard impardonnable

Mahaud s'était éloignée de la tour sans s'en rendre compte. Le nez baissé sur ses pieds qui avançaient seuls, elle observait les semelles de ses spartiates écraser les herbes sèches en craquant. Pendant des heures, qui lui semblaient des minutes, la jeune sorcière vagabondait dans les environs de la plage, sans d'autre but que celui de profiter de la chaleur et d'oublier pendant quelques instants la solitude qu'elle ressentait seule dans la maison alors que son père travaillait au village.

Son jeu préféré consistait à se mettre à la place des fourmis, minuscules, qui s'affolaient lorsque la fillette franchissait leur territoire. Si elle se concentrait suffisamment, une sensation de vertige envahissait son corps. Depuis le perchoir de son crâne, elle flottait sur son imagination, s'imaginant fourmis puis reine des abeilles. Elle s'envolait sous les vagues derrière les rochers, nageait dans les nuages et s'allongeait sous les arbustes à la recherche de terrier de renards. Elle se sentait libre d'aller où bon lui semblait dans ses pensées autant qu'avec ses jambes.

Au-dessus de sa tête, un oiseau poussa son cri strident. Mahaud sursauta avant de l'observer tant bien que mal avec ses jumelles enchantées avant qu'il ne disparaisse au loin. Le plumage caractéristique des mouettes rieuses était bien entendu répertorié dans l'objet magique qui entama un long monologue d'une voix criarde sur l'habitat, la reproduction et le régime alimentaire de la Chroicocephalus ridibundus. L'objet, un cadeau pour ses onze ans, était son bien le plus précieux : il étanchait sa curiosité quant à la faune et la flore des Cornouailles et elle ne se lassait jamais de la voix grésillante et monotone qui en sortait. Les jumelles étaient sobres, de cuir sombre et de cuivre, et son étui ne quittait jamais la hanche de la fillette ; elles étaient son professeur particulier en ces temps loin de Londres et de l'école.

Un nouveau cri résonna. Mais ce n'était pas un cri de mouette, ni de renard, encore moins de fourmi — D'ailleurs, quel était le bruit de la fourmi ? Mahaud se promit de demander à son père en rentrant avant de s'approcher subrepticement de la plage d'où résonnaient des bruits secs et des voix, vraisemblablement humaines. Dissimulée derrière de gros rochers, accroupie dans un interstice humide et couvert de coques, la fillette posa ses lunettes magiques sur son nez.



« Merde ! »

Brusquement, la jeune Joyce recula en éteignant la fonction audio de l’appareil enchanté et faillit s'écraser au passage sur l'arête pointue d'un rocher. Les mains éraflées, elle se remit en position pour observer les deux garçons sur la plage. Ils étaient accoutrés comme des pirates. Ridicule. Mais la petite fille était jalouse devant leur enthousiasme et leurs rires. Elle les observa longtemps, sans oser s'approcher. Sa mère ne cessait de lui dire de ne pas parler aux inconnus, et son père de faire attention aux moldus - et aux sorciers aussi, ce qui revenait au même. Et même si elle voulait se rebeller, elle n'osait pas, regarder les gens c'était aussi bien de loin.

Elle finit par trouver une position un poil plus confortable et commença à observer les coquillages et autres crustacés à travers les lunettes, tout en épiant, de temps à autre les deux gamins bruyants. Il commençait à faire plus frais et plus sombre lorsqu'elle s’aperçut qu'elle en avait perdu un, le petit avec les cheveux noirs et le crochet. L'autre restait seul, figure étrangement solitaire qui lui rappelait Penelope. Sans faire attention, elle bougea légèrement son assise pour observer un peu mieux le "pirate". Elle activa le zoom, le garçon avait un bandeau sur les yeux et ses cheveux clairs contrastaient étrangement sur son teint mat. Zoom. Il avait l'air pensif, presque triste. Quoique, il avait plutôt l'air ... surpris.

« Hey toi ! J'te vois tu sais. »

Bondissant en arrière, Mahaud s’effondra de l'autre côté du rocher en criant de douleur. Son pantacourt, déchiré au niveau du genou, laissait voir une estafilade sanglante.

« Aïe ! Aïe ! Aïe ! »

La douleur lancinante se répandait dans sa jambe gauche alors qu'elle voyait s'épanouir le sang le long de sa peau brune, des petites étoiles semblaient voiler sa vision rebondissant en rythme avec les battements de son cœur alors qu'elle se dégageait des traîtres roches. Elle s'approcha en boitillant avant de s'asseoir lourdement sur le sable, à quelques mètres de l'étranger. Finie la timidité, elle avait juste mal.

« J'ai mal bon sang, tu m'as fait peur. »

Maudissant l'idiot qui se prenait pour le roi pirate de la plage, ainsi que son propre manque de vigilance et d'adresse, Mahaud grinçait des dents. La main appuyée sur son tibia pour s’efforcer de stopper le sang, elle fixa de ses yeux l'enfant qui semblait aussi vieux qu'elle.

« Tu as un mouchoir ? »

S'il te plait ?

Une Mahaud sauvage apparaît.
Déso pour la longueur --'

L'air marin avait toujours eu un effet bienfaiteur pour le jeune garçon qui avait pourtant toujours été un citadin pur et dur. Londres, puis Godric's Hollow, la mer était loin d'être très présente dans sa vie, mais les rares fois où il s'y rendrait il ne pouvait s'empêcher de se sentir calme et apaisé. Il avait également cette irrésistible envie de plonger dedans pour ne plus jamais en revenir : l'appel de la mer, faire sa vie de triton loin des préoccupations qui soulevaient depuis quelque temps le monde sorcier. Affublé de son chapeau de pirate et de son cache-œil, il était seul face à la mer. Du moins c'est ce qu'il pensait, jusqu'à ce qu'il l'aperçoive, cette silhouette cachée derrière les rochers qui semblait l'observer. Quand il l'interpela, la personne disparue derrière les rochers et un cri de douleur résonna dans l'immensité de la plage. Hein ? Est-ce que sa voix avait désormais le pouvoir de blesser les gens ? Instinctivement, Senku resta figé dans sa position défensive tandis que l'inconnu s'extirpa des rochers, venant boitiller vers lui avant de s'effondrer sur le sol. Dans l'incompréhension totale, le garçon accourut cependant dans la direction de la jeune fille qui devait probablement avoir son âge, il ne savait trop. Son visage était tordu par la douleur tandis qu'elle se tenait le genou. En regardant mieux, le garçon vit un liquide rougeâtre couler le long de la peau brune de l'inconnue, il en déduit ainsi qu'elle venait de tomber, s'éraflant très certainement l'échine contre la pierre dure. Est-ce que c'était à cause de lui ? Une culpabilité vint se lover contre son cœur qui se resserra dans sa poitrine. Alors qu'il était sur le point de se confondre en excuses, la fille commença à l'accuser de lui avoir fait peur.

– JE t'ai fait peur ?! Tu rigoles, c'pas moi qui jouait à cache-cache derrière des rochers j'te rappelle, madame l'espionne.

Il insista sur ces derniers mots tandis qu'il lança un regard appuyé sur les jumelles qui dépassaient à côté des roches. Étaient-elles moldues ou bien enchantées ? Dans le doute, il préféra rester prudent, comme lorsqu'il allait au village moldu voisin avec Lewis. Il aurait ainsi pu continuer à lui lancer des reproches en la traitant de "creapy" ou encore à chercher à comprendre pourquoi elle l'observait, dissimulée de la sorte, mais il comprit vite que ce n'était pas l'heure de la confrontation tandis que le saignement continuait et que madame l'espionne lui demanda un mouchoir.

– Euh... oui ! Il enleva son chapeau de pirate pour dénouer le bandana qu'il avait autour du crâne. Tiens !

Senku lui tendit alors le morceau de tissu, préférant la laisser faire son bandage elle-même plutôt que d'essayer le faire et de prendre le risque qu'elle lui crie dessus. D'ordinaire courageux, il était totalement paniqué devant la jeune fille blessée, il ne savait que faire, si bien qu'il commençait à bafouiller ce qui n'était pas fréquent chez le garçon d'ordinaire plus éloquent.

– Ça va... Ça va aller ? J'peux faire quelque chose ?

Comme m'en aller et faire comme s'il ne s'était rien passé ?

La douleur lancinante qui s’était propagée dans son esprit à mesure qu’elle voyait le sang s’écouler le long de son mollet l’affectait plus qu’elle ne souhaitait le montrer. Le souffle court, elle retenait ses larmes, refusant de penser à son père, loin d’ici, qui ne pouvait lui venir en aide avec son air apeuré et inquiet habituel. Elle n’allait tout de même pas mourir, mais la chute lui avait fait peur et lui avait obscurcit l’esprit.

C’est l’étranger qui lui rendit le contrôle de sa psyché. Son indignation titillait la fierté de Mahaud, elle qui connaissait ces rochers comme sa poche et qui vivait dans les environs depuis des années lorsqu’elle n’était pas à Londres, jamais elle ne serait tombée sans ce maudit pirate de pacotille. Et puis elle ne jouait pas à cache-cache, elle était une observatrice de la faune et la flore de Cornouailles, célèbre aventurière, sans peur ni reproche, qui voguait de lieux en lieux inhospitaliers, courant avec les musaraignes, volant avec les cormorans, dormant sous les pins maritimes. Les espions n’étaient rien à côté d’elle.

Le garçon jeta un regard vers ses précieuses jumelles, tombées près des rochers. Tout de suite, Mahaud se figea. Les lunettes étaient-elles endommagées par sa chute ? Elle ne pouvait le vérifier sans quoi, le pirate verrait qu’il s’agissait d’un objet magique, et son père l’avait mis en garde de nombreuses fois vis-à-vis des sans-pouvoirs. Mahaud ne comprenait pas, parce que tous les moldus qu’elle connaissait était des gens "normaux", comme sa mère, mais ça avait rapport avec la politique –chose bien trop vaste et ennuyante pour l’intéresser. Son départ, précipité de Londres, était la conséquence des magouilles politiques magiques et normales, c’est tout ce qu’elle savait.

Alors que la fillette priait secrètement pour que le garçon ne soit pas trop curieux, elle vit celui-ci lui tendre son bandana de pirate. Avec une moue, elle s’en saisit presque sèchement. Le tissu n’était pas très propre, mais il ferait l’affaire, elle l’enroula autour de son mollet sans se soucier de son "sauveur" … Mahaud n’avait jamais été polie, et elle ne se souciait pas vraiment des autres en règle générale. Cependant, lorsqu’elle reposa ses yeux sur le visage du garçon, elle ne put s’empêcher de marmonner un vague « Merci. » Il avait l’air sympathique et semblait réellement inquiet pour un pirate sanguinaire. Son cache-œil lui donnait un air étrange alors qu’il entreprenait une approche balbutiante mais attentionnée. Gênée, la petite Joyce sourit timidement en retour.

« Je crois que je peux me lever, je n’habite pas très loin de Tinworth donc ça devrait le faire. »

Merlin. Qu’avait-elle dit ? Tinworth était une ville semi-magique, dont les habitants étaient pour la plupart des sorciers, surtout par les temps qui courraient… Comment avait-elle pu faire cette boulette ? Le soleil devait lui taper sur la tête.
Elle se leva en vitesse, ressentant un léger vertige. Il lui fallait partir, sa blessure était bénigne, d’ailleurs ça ne lui faisait pas si mal. La piètre espionne et aventurière estropiée fit un pas et en cachant une grimace en baissant la tête.

« Tu vois, même pas mal. »

Elle plissa les yeux en avançant d’un pas puis un autre en direction de rochers.

« Je dois juste récupérer mes… outils d’espionnage. »

Elle sourit de nouveau pour cacher son angoisse, tout en se demandant comment sortir de ce mauvais pas.

Et si elle s'en allait et faisait comme s'il ne s'était rien passé ?

omg j'adore ton protégé (trop choupi)
@Senku Nightingal

La situation était réellement étrange, si bien que le jeune Senku ne savait trop comment se comporter. Il avait été observé par une fille alors qu'il jouait aux pirates avec Lewis et quand il la démasqua, elle eut peur, glissa sur les rochers et se blessa, laissant ainsi le garçon tirailler entre plusieurs émotions. Il était tout d'abord outré qu'elle l'ait lâchement espionné sans même daigner se présenter à lui mais aussi piqué dans sa fierté qu'elle ait osé l'accuser de sa blessure, et enfin coupable pour ce même chef d'accusation. Et si elle se vidait de son sang sur la plage, qu'est-ce qu'il adviendrait de lui ? Pire, si cette fille était une moldue, est-ce qu'il déclencherait une énième guerre entre eux et les sorciers ? Les BDs avaient bien trop tendance à faire dramatiser le garçon, sans compter les récents événements qui secouaient le monde magique et rendaient tout le monde terriblement tendus.

Mais son état anxieux se calma un petit peu quand l'inconnue la remercia et que son visage sembla s'éclairait d'un léger sourire, malgré la douleur qui lui provoquait des froncements de sourcils. Il fut toutefois quelque peu étonné quand elle prononça le nom de Tinworth : il savait que le village était semi-magique, donc potentiellement habité par des moldus, mais la grande majorité des résidents étaient sorciers. Enfin du moins, c'est ce qu'il pensait. De peur de griller sa couverture, il fit mine que tout était normal. Juste éviter de parler de magie, ok ?

– Ah pas très loin de... Tinworth tu dis ? Eh bien...

Le garçon allait tenter de noyer le poisson, mais il s'arrêta quand il vit la jeune fille se hisser sur ses deux jambes. Instinctivement, il mit les mains en avant, comme pour la rattraper en cas de chute. Il aurait bien aimé l'aider à se lever, lui servir de béquille pour qu'elle s'appuie sur lui, mais bien trop effrayé par sa potentielle absence de magie, il préféra rester à moins d'un mètre d'elle. Comme si elle serait capable de détecter sa magie à son contact, pfff. Il la regardait boitillait d'un pas qui semblait peu sûr, mais elle semblait déterminer à récupérer "ses outils d'espionnage". Ni une, ni deux, Senku saisit alors la double occasion de faire une bonne action, tout en s'assurant une bonne fois pour toute de la nature de l'inconnue : il la contourna – plus rapide qu'elle avec ses deux jambes valides – pour aller chercher ses fameuses jumelles.

– Attends, bouge pas, tu vas t'faire encore plus mal ! Je vais te les chercher.

Sans même accorder un regard à la jeune fille, il releva son cache-œil pour y voir plus clair, se baissa et attrapa entre ses deux mains l'objet qui gisait sur le sol. Il avait déjà vu des jumelles enchantées mais ne savait pas du tout s'en servir. Jetant un discret regard, il espérait voir des feux d'artifice jaillir comme pour lui dire "Oui, c'est une sorcière aussi, relax".

La panique embuait son cerveau. Après tout, elle n’avait pas vraiment eu l’occasion de parler à des gens de son âge depuis … Et bien depuis que le journal faisant froncer les sourcils de son père, depuis qu’elle avait déménagé à Tinworth, depuis que les moldus et sorciers se déchiraient mutuellement à coup de meurtres et tortures.

Brrr. Un frisson envahit son corps endolori, reflétant sa peur subite d’être découverte. Elle avait fait une bourde et tout ce qu’elle espérait à présent était que le garçon ne soit pas très fute-fute. Son cerveau turbinant à toute vitesse, elle essayait de décrypter les paroles du « pirate » et son hésitation. Soit il était effectivement pas très intéressé par la politique locale, soit il était au courant et prenait des pincettes. Un nouveau frisson l’envahit alors qu’elle s’approchait doucement mais surement de ses jumelles.

Comme une ombre, l’étranger la frôla, la dépassa et s’empara de son bien. Était-il pirate ou plutôt ninja ? Quoi que les forbans soient attirés par les objets brillants et que voler les satisfait au plus haut point, jamais elle n’avait vu quelqu’un se déplacer aussi vite pour « aider » une inconnue. Elle cria, à la fois d’indignation et de peur alors qu’il manipulait l’objet avec curiosité.

« Rends les moi ! »

Dans un élan de stupidité, elle avança plus vite pour se saisir des jumelles encore dans les mains du garçon. Avait-il l’intention de les lâcher ? Avait-il l’intention de lui voler ? Peu importait alors que la surface froide et lisse glissait sous ses doigts, et que par mégarde, elle actionna un mécanisme.

En un clic, une voix métallique et criarde s’échappa de l’instrument de cuivre :



Elle lâcha prise soudainement. Figée, ses grands yeux noirs écarquillés vers le pirate. Rien dans cet objet n’indiquait la magie, la voix aurait très bien put être issue des dernières technologies moldues après tout. Mais les jumelles étaient usées, loin d’être neuves et ses matériaux bien trop lourds pour être dans les mains d’une enfant normale. L’esprit de Mahaud tourbillonnait dans tous les sens, mais elle restait immobile. Son désarroi semblait d’autant plus suspect que l’objet n’avait rien d’un « jouet moldu ».

Elle ne pouvait pas s’enfuir en courant, sa jambe l’élançait toujours, ni même nier la réalité qui s’imposerait certainement dans l’esprit du garçon. Il lui faudrait peut-être se battre ? Mais elle ne tenait même pas bien debout … Les mains tremblantes, les dents serrées, elle attendait la réaction de l’inconnu alors que l’air marin se rafraichissait et s’engouffrait violemment dans ses cheveux.

Qu'avait-elle fait ?

L'objet de l'espionne était désormais entre ses mains. Il examina la paire de jumelles sous toutes ses coutures ; elles semblaient plutôt anciennes et surtout, elles ne ressemblaient en rien à un jouet pour enfants. Le garçon était loin d'être fin détective mais il était persuadé que l'attirail de la jeune fille était beaucoup trop sophistiqué pour son âge. L'avait-elle volé à ses parents ? Ou non, pire ! Et si elle était réellement une espionne pour le compte des Moldus. Après tout il ne connaissait rien à leur monde et pour lui, cela semblait tout à fait possible qu'ils emploient leurs enfants pour partir à la chasse aux sorciers. Son idée était complètement tirée par les cheveux, mais Senku était un garçon qui pouvait parfois faire preuve d'une grande naïveté quand il s'imagine des scénarios dignes des meilleurs bande dessinées sorcières.

Mais alors qu'il s'apprêtait à lui lancer un regard noir et lourd de sens, prêt à l'interroger comme un véritable détective qu'il était loin d'être, l'inconnue se précipita à son tour sur les jumelles encore dans les mains de Senku. Par réflexe, le garçon agrippa l'objet, comme un pirate à son trésor, sans même savoir pourquoi il tenait temps à le garder en sa possession. Après tout c'était à elle, alors pourquoi le gardait pour lui. Dans la bataille pour savoir qui allait remporter les étranges jumelles, une voix, sortie de nulle part, sembla arrêter le temps.


Comme si le général de leurs armées respectives venait de sonner un cessez-le-feu, Senku s'immobilisa, les mains crispées sur l'objet de sa convoitise que l'espionne relâcha, elle aussi figée de stupeur. Qui était-ce ? Le bruit venait vraiment des... jumelles ? Alternant entre un regard pour l'inconnue, pour les jumelles, puis pour l'inconnue à nouveau, le cerveau du pirate tournait à fond les gamelles. Il savait que les jumelles enchantées du monde sorcier "parlaient" mais les Moldus, avec leurs nouvelles technologies pouvaient également très bien pouvoir le faire. Mais l'objet semblait pourtant si vieux et usé, loin d'être un objet flambe en neuf avec des matériaux étranges qu'ont les Moldus. Il ne savait pas trop comment s'assurer qu'il s'agissait bien d'un objet du monde sorcier sans griller sa couverture. S'il s'y prenait mal et que l'inconnue était une Moldue, elle pourrait très bien allait le dénoncer lui, le petit sorcier qui habite dans cette maison excentrée de Tinworth avec ses grands-parents, étranges eux aussi. Il eut cependant une idée. Soudaine et qui le ferait très certainement passer pour un gamin dérangé, mais qui lui permettrait enfin de savoir la vérité sur l'identité de l'espionne.

– Waouh, elles sont grave stylées tes jumelles parlantes ! Tu vas les amener à... Poudlard ? sa voix dérailla quand il prononça son dernier mot, mais il tentait de garder la face.

Tous les jeunes sorciers britanniques comme lui connaissaient Poudlard, donc il était certain que si elle aussi était une sorcière, elle comprendrait sa manoeuvre. En revanche, si elle était bien une Moldue, elle ne comprendrait guère, et Senku prétendrait alors que Poudlard est un monde imaginaire qu'il avait créé de toutes pièces, où vivaient des pirates et des espions. Son idée était certes un peu troublante, mais elle était radicale et lui permettrait de sortir de cet océan trouble dans lequel les deux enfants nageaient hasardeusement depuis leur rencontre.

Avait-il eu raison ?


Je m'excuse encore une fois pour ce retard inadmissible, en espérant que la réponse te plaise.

Stupéfaite, surprise, ébahie, médusée. — Tiens, et pourquoi on dit « médusé » ? Ça a rapport avec les méduses ? — Mahaud tentait de reprendre son souffle coupé par leur courte mais intense bataille. L’air ahuri, son cerveau turbinait pour trouver une excuse, une échappatoire, une sortie de secours. Pensant à outrance à des listes de synonymes, elle ne trouvait rien qui puisse l’aider. Alors, pantoise, elle regardait le pirate, ses lunettes traîtresses entre les mains de l’ennemi, puis de nouveau le garçon, puis la paire de jumelles, et ainsi de suite. S’enfuir à toutes jambes lui était impossible avec sa blessure, sa meilleure arme était sa vivacité d’esprit, sa capacité d’adaptation et de répartie.

« … »

Ah, bah non. Rien. Elle pouvait peut-être changer de sujet : lui demander son nom, ce qu’il aimait dans la vie, l’école dans laquelle il allait, son âge, n’importe quoi. Mais cela aurait paru suspect, étrange, louche. En cet instant, Mahaud n’était bonne à rien, elle se contentait de regarder pantoise l’étrange garçon qui lui aussi semblait chercher ses mots.

Et il les trouva. Poudlard ! La jeune Joyce eut un mouvement de recul qui la fit presque perdre son précaire équilibre. Poudlard ! Le pirate connaissait l’école de magie britannique ! Poudlard ! Il l’avait prononcé en balbutiant, en hésitant, vacillant sur le terme. Mais bon sang ! Poudlard quoi !

« Quoi ?! » Le volume de sa voix fluette était beaucoup trop fort, elle se reprit, avalant sa salive. « Comment ? » Méfiance est mère de sûreté, c’est ce que les adultes disaient. Mieux ne valait pas accorder sa confiance tout de suite, si ?

Oh et puis crotte ! Les adultes n’étaient bons qu’à gronder les enfants, et même si elle s’échappait de ce pétrin dans lequel elle s’était fourrée, elle était bonne pour une sacrée réprimande en rentrant. « Tu es un sorcier… ? » toi aussi ? Non, il fallait toujours se mouiller la nuque avant de plonger dans la mer, et Mahaud n’avait aucune envie de plonger tête baissée finalement. Le corsaire essayait peut-être de la mener en bateau après tout…

La petite sorcière était déboussolée, l’étrange garçon était trop direct, trop frontal pour qu’elle puisse s’esquiver. Il fallait reprendre depuis le début, oublier l’espionnage, oublier sa blessure, oublier qu’elle ne devait pas parler avec des inconnus, lâcher prise et recommencer.

« J’suis une sorcière aussi, du côté de mon père. Elle reprit son souffle et sa contenance. Et j’vais prendre mes jumelles enchantées avec moi si c’est autorisé ... À Poudlard, j'veux dire ... je serais en première année. »

C’est bon, elle avait vidé son sac. La tension quittait lentement son corps et la douleur reprenait la place. Le bandage de fortune était désormais coloré de pourpre sur sa jambe gauche. Elle se laissa tomber sur le sol, faisant semblant de le resserrer pour éviter de regarder l’inconnu dans les yeux et ne pas s’écrouler lamentablement.

Finalement, la blessure superficielle ne saignait plus. Apaisée, elle ferma les yeux quelques secondes avant de les fixer sur le garçon.

« Au fait, j’peux récupérer mes jumelles ou pas ? »

Senku tenait les jumelles entre ses mains moites, il était crispé et hésitant. Il avait prononcé "Poudlard" devant une parfaite inconnue alors qu'une tension régnait entre les sorciers et les Moldus. Il regardait intensément la brune, espérant déceler toute information utile sur son visage. De la joie de rencontrer un compatriote sorcier ? De l'incompréhension, car elle ne connaissait pas du tout ce mot ? Il serait même ravi qu'elle se moque de lui et de son "Poudlard", ce mot si étrange. Mais au lieu de cela, ce fut la stupéfaction qui se lit sur son visage, et bientôt, elle se mua en des mots. Senku eut l'impression qu'elle lui hurlait dessus au début, puis elle prononça cette phrase qui lui glaça le sang "Tu es un sorcier… ?" C'est alors qu'il crut littéralement à la fin du monde : il en était persuadé, c'était une Moldue au courant de l'existence de Poudlard et il venait de lui avouer sa véritable nature, il avait signé son arrêt de mort ! Il aurait aimé riposter, trouver une ruse pour se sortir de ce traquenard, mais Senku était à court de mots – une grande première. Mais c'est alors que l'espionne reprit la parole, sonnant le glas de cette inextricable situation. Elle aussi était une sorcière !

– Par Merlin... souffla-t-il alors, soulagé. J'suis bien un sorcier aussi ! Wah, j'ai cru que t'étais une Moldue...

Le garçon se pencha en avant pour reprendre ses esprits, tenant toujours les jumelles dans l'une de ses mains. Que d'émotions cette fin de journée, de véritables montagnes russes. La brunette lui expliqua alors qu'elle tenait ses pouvoirs de son père, cela signifiait-il que sa mère était une Moldue ? Cette idée, d'avoir des parents des deux mondes, lui semblait étrange et l'intriguait. Elle lui expliqua aussi qu'elle serait en première année l'année prochaine, comme lui.

– Moi aussi je vais rentrer en première année en septembre, c'est marrant.

Le garçon était à présent bien plus à l'aise maintenant qu'il savait qu'il ne risquait plus rien à parler davantage à l'espionne qui s'avérait en fait être une sorcière de son âge parfaitement normale. Parfaitement normale, mais toujours aussi blessée ! Elle s'assit sur le sol et sembla rafistoler son bandage. Bien que ce dernier était gorgé de sang, la blessure semblait superficielle. Elle lui posa alors une question qui le déstabilisa un peu. Ses jumelles oui, c'est vrai qu'il les tenait toujours, il avait complètement oublié.

– Oh euh oui, tiens, dit-il en lui tendant l'objet, encore confus par leur bataille.

Gêné d'avoir ainsi gardé les jumelles, le garçon fuyait le regard de la jeune fille et le sien vint se poser sur l'horizon. C'est alors que son cœur manqua un battement : le soleil se couchait, ne laissant entrevoir qu'un petit morceau de l'astre solaire. Paniqué, il ramassa son épée en bois et lança des regards affolés à la jeune fille.

– Aaaaah, je dois absolument rentrer avant le coucher du soleil sinon j'vais encore me prendre un savon d'ma grand-mère ! Je... encore désolé de t'avoir fait peur tout à l'heure. On s'voit plus tard, ou alors à Poudlard. Le garçon s'éloigna en courant pour rejoindre les abords de la plage. Il s'arrêta soudainement et mit ses mains autour de sa bouche avant de hurler en direction de l'espionne. Au fait, j'suis Senku, à bientôt !

Puis il reprit sa course effrénée, l'image des sourcils froncés et des reproches de sa grand-mère le faisant courir plus vite que le vent. En chemin, il eut soudainement mauvaise conscience de se dire qu'il avait laissé la jeune fille blessée sur la plage. Il espérait qu'elle réussirait à rentrer chez elle. Malgré tout, il se fit la promesse d'en parler à sa grand-mère en rentrant, pour lui demander la permission de retourner plus tard sur la plage pour voir si elle s'y trouvait encore et si elle avait besoin d'aide.


Voilà, sans réponse de ta part, je me suis permis de clôturer notre rp. En tout cas, ça a été un plaisir d'écrire avec toi.
RP TERMINÉ