Maëlle sourit lorsque la Serdaigle lui dit qu'elle voulait bien apprendre. La gryffone ne savait trop comment faire pour devenir prof de piano en un claquement de doigt, elle improvisera, il n'y a rien de tel.
Alors, Noémie s'installa au clavier et commença une mélodie. Maëlle sentit un courant froid envahir sa nuque et descendre dans son dos. Une petite perle bleue d'eau coula d'un de ses yeux qu'elle frotta immédiatement d'un revers de main.
Non... Non, pas ce morceau...
C'était celui qu'elle avait du jouer pour l'enterrement de la grand-mère d'une de ses meilleures amies, il y a 3 ans. A cette époque, elle était contrainte d'être au clavier de l'Eglise pour les messes, mariages, enterrements, cérémonies... Elle s'était amusée à faire un mauvais tour au père de l'église du quartier. Comme il avait entendue par le bouche à oreille qu'elle était douée au piano, il avait décidé de l'embaucher jusqu'à "une durée indéterminée".

Le souvenir de son amie en pleurs lui déchirait le cœur. Elle remarqua à peine lorsque Noémie rata le début de son morceau. Elle se ressaisit et s'efforça de garder son calme.
Elle observa que Noémie faisait deux ou trois fautes par ci par là. Pas très grave. Les yeux encore rouges, elle s'efforça de ne pas regarder la Serdaigle dans les yeux.

-C'était... Très bien. Vraiment. Juste tu devrais plus accentuer certains passages, écoute.

Maëlle attendit que la Serdaigle se lève et elle s'installa sur le siège. Elle respira profondément, leva ses mains au dessus des touches noires et blanches, et les abaissa.
Elle se souvenait de la mélodie, et le fait de l'avoir réentendu deux minutes plus tôt, elle avait pu improviser un peu en gardant une sonorité correcte.
A la fin du morceau, elle dit:

-Comme ça. Tu as entendu la différence? Je n'ai pas joué les mêmes notes que toi parce que je ne connais pas le morceau par cœur mais la mélodie était la même, tu as pu voir les endroits à faire piano ou forte, ou encore d'autre.

@Noémie Claire-Cornwell Retard upsiii

Noémie fronça les sourcils pensive, ne faisant grand cas des yeux rougis de la gryffone. Une autre question plus intéressante lui trottait en tête.

"J'ai aussi accentué quelques passages, mais juste pas les mêmes que toi. Ni même à la même intensité. "

Il n'y avait aucune amertume dans sa voix ou de jugement, juste de l'interrogation. Il y avait-il une bonne réponse sur les endroits à accentuer? Après tout, les compositeurs le faisait savoir sur leurs partitions quels moments devait être forte, mezzo piano ou autre. À vrai dire, la première année ne s'était jamais interrogée sur ça, elle se laissait faire, tout en essayent de respecter les souhaits des compositeurs. Elle balançait entre les désires de ses doigts et ceux du solfège. Est-ce que pour improviser, Maëlle prenait-elle cette sensation au niveau au dessus pour s'affranchir du besoin de partition?

"Tu crois qu'il n'y a qu'une seule bonne manière de jouer un morceau?"

La remarque de sa camarade de première année lui avait définitivement posé une colle. Passant son bras droit au dessus de l'épaule de Maëlle, elle joua les notes de la main droite d'un des passages de bases. Doucement. Puis refit, insistant. Elle jouait avec la pression de ses doigts. Ou les faisant sautantes, piqués. Ce n'était pas pour s'amuser qu'elle agissait ainsi, mais par esprit scientifiques. La bleue faisait une expérience, tentant de trouver la bonne réponse. Et si ce qu'il lui semblait bon pour elle, ne l'était pas pour Maëlle, alors il y aurait un paradoxe. Ou juste la variable humaine. Noémie ne se le disait pas en ces mots, manquant de vocabulaire. Elle savait la musique personnelle, mais ne s'était jamais questionnée sur les limites. Quand est-ce que l'interprétation devenait fausse?

La question de la Serdaigle scotcha la châtaigne. "Y a t'il une seule bonne manière de jouer un morceau?" Pendant quelques secondes, Maëlle eut le regard vide, perdu dans l'au-delà et réfléchie à une réponse à donner à Noémie.

-Et bien... Ca dépend comment tu veux le jouer, si tu veux suivre à la lettre le compositeur, faire la version originale du morceau, alors oui, il n'y a qu'une seule bonne manière de jouer le morceau. Sinon, si tu veux faire différemment que le compositeur, si tu veux y "ajouter une touche personnelle", alors il y a toutes les versions du monde possible. En revanche il fait vraiment faire attention à ce que lorsque qu'on joue, on laisse des accents, piano, forte etc. C'est vraiment important, sinon le morceau n'a plus de valeur, il est plat, il n'est que des notes de musiques jouées les unes après les autres, il n'y a plus d'âme, plus de corp, juste des notes noires sur un papier blanc.

La rouge et or ne savait pas d'où elle avait sorti ces mots. Elle avait eu l'impression que cela lui semblait naturel, comme si elle avait dit ça toute sa vie.

-Je vais te montrer avec un morceau de Mozart. Il est connu ce morceau, je pense que tu vas le reconnaitre, tu pourras voir les différences de nuances. C'est la "marche turque".

Maëlle se concentra et se mit à jouer. C'était un morceau très compliqué, et un peu long, surtout qu'on ne peut jamais s'arrêter, il est toujours rapide.

La jeune Serdaigle hocha la tête aux paroles de la rouge et or. Certaines de ses phrases étaient d'une évidence enfantine, tandis que d'autres étaient teintées d'une poésie qui, pour l'esprit rationnel de la jeune fille, n'avaient rien à faire là. Certes, elle était d'un naturel créatif, mais elle ressentait toujours le besoin de trouver un raisonnement derrière chaque choses. Pourquoi se laisser aller quand elle jouait d'un instrument? Juste parce que c'était libérateur; si ça n'avait pas été le cas, jamais elle ne s'embêterait à faire de la musique. Simple. Logique.

Ce fut avec un certain interêt que Noémie écouta Maëlle jouer la Marche turque, haussant un sourcil admirative. Il était clair que cette joueuse était bien meilleure qu'elle. À son grand regret, Noémie, bien qu'elle adorait le piano, n'avait pas de talents particuliers pour cet instruments; dans la moyenne. Les morceaux qu'elle savait jouer, elle s'était battu pour ça.

La première année hocha la tête, une fois de plus.

"Je vois. Et si tu voulais aller plus loin, s'affranchir des volontés du compositeur, tu pourrais carrément changer le tempo."

À quel moment, en ajoutant sa touche personnelle, on dénaturait le morceau? Quelle était la limite? Était-elle en soi existante? Ceux qui avaient révolutionné leurs disciplines, sont ceux qui ont vu plus loin, qui ont décidés que les codes devraient être repoussés, revus. D'autres ont aussi essayé, mais ça tombait dans le n'importe quoi souvent. Où était le domaine entre le n'importe quoi et le génie, vu qu'ils semblaient reposer sur les mêmes principes?

@Maëlle Apic excuse moi pour cet affreux retard ><

Une fois son morceau terminé, Maëlle se mit à réfléchir à la remarque de la Serdaigle. Pendant quelques secondes, elle se demanda ce qu'elle pouvait bien lui répondre avant de se lancer:

-Pour changer le tempo, il faut bien faire attention. Si tu le changes, ça peut modifier complètement le morceau et à la fin donner quelque chose de pas très beau. Vaut mieux éviter. Moi j'essaye de respecter les morceaux de quelqu'un d'autre, bien que je modifie deux ou trois choses par ci par là. Si le compositeur à créé son morceau d'une certaine manière, c'est qu'il avait une bonne raison de le faire et je n'ai pas envie de gâcher son travail en faisant n'importe quoi avec. Pareil quand je fais de l'improvisation; si je commence un morceau avec un air triste, ce serait complètement ridicule que cinq minutes après je me mette à jouer un air gai et joyeux, ça n'aurait aucuns sens.

La gamine voyait que Noémie était bien intéressée par la musique, notamment par le fait de "que ce passe t'il si on modifie telle ou telle chose dans un morceau déjà existant". En tout cas c'était son impression.

-Si ce que je dis n'est pas clair tu me dis surtout. Après tout je suis pas un compositeur connu ou quoi que ce soit, c'est possible que je me plante complètement dans ce que je te dis.

@Noémie Claire-Cornwell

Noémie n'aimait pas tellement le ton professoral que Maëlle prenait. Bien qu'elles n'aient pas le même niveau, la petite sorcière savait jouer. Et elle était en désaccord sur les paroles de la rouge. Tout dépendait du point de vue de chacun. De là où chacun mettait leurs priorités dans la musique. Rien de plus ni de moins. Bien que certes, la première année de manière générale respectait les partitions, elle aimait parfois les oublier, ses règles de solfège. S'amuser avec. Quand sa grand-mère n'écoutait pas, sinon elle en ferait une syncope. Non, quand elle était seule dans la maison de ses grands-parents. Personne pour n'émettre de jugements sur sa manière de jouer, sa manière de s'exprimer musicalement.

Noémie avait tendance à jouer plus sobrement devant les autres, ou alors un relâchement contrôlé, acceptable.

"J'admet ne pas être d'accord sur tout. Je pense que certains prodiges peuvent s'affranchir des règles, voir créer les leurs. C'est ainsi que la musique évolue, sinon on en serait rester aux chants religieux. Mal fait, effectivement ça peut être moche."

Elle prit une petite pause.

"Et dans la théorie de l'improvisation, tout dépend de l'histoire que tu veux raconter. Passer des rires aux larmes ça arrive dans les livres, sans sembler ridicule. Ça doit s'appliquer à la musique."

Noémie avait l'impression d'avoir dit ce qu'elle voulait dire. Ses yeux gris caressèrent les touches, les analysant une à une, toute prise à ses réflexions.