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18 avr. 2022, 17:32
Le pire des vices  PV 
Mon visage se décompose en même temps que le sien. Sauf que sur ses traits, c’est la tristesse et le désespoir qui peuvent se lire, que ce sont les larmes qui coulent ; sur le mien, ce n’est que l’horreur qui s’inscrit. Je me retrouve démunie face aux gros sanglots qui s’échappent du garçon. C’est si soudain ! À peine ai-je terminé de parler qu’il s’est mis à pleurer et maintenant, rien ne semble pouvoir l’arrêter — ce n’est de toute manière pas moi qui vais m’y essayer. Je me sens trop mal pour tenter quoi que ce soit. Trop gênée, comme si mon corps prenait toute la place et était la cible de tous les regards. Sauf que ce couloir est immense et que le seul regard qui pourrait me perforer est rempli de larmes. Je gigote un peu, passe mon poids du pied droit au pied gauche, triture un morceau de cape et fais rouler ma baguette mystérieusement apparue entre mes doigts.

Je sais que je dois réagir, faire quelque chose. Lorsqu’une personne pleure face à nous, on se sent le devoir de faire quelque chose. Donner un mouchoir, avoir une parole réconfortante, poser la main sur l’épaule de l’éploré, s’excuser peut-être, surtout si les pleurs surviennent juste après une parole sortie de notre bouche. Tant de choses à faire ou dire. Ce n’est pas que je ne sais pas choisir entre tout ça, c’est seulement que je n’ai pas envie de faire quoi que ce soit. J’aimerais bien disparaître, là, et abandonner cette personne à son chagrin.

Je ne comprends pas ce que j’ai fait de mal. Je présume qu’il n’a pas aimé ce que je lui ai dit, qu’il s’est vexé *qu’elle s’est vexée*. Cela m’énerve plus qu’autre chose : une nouvelle preuve que les Autres sont incapables d’accepter ce qu’on leur dit. Ils pleurent ou s’agacent mais ne comprennent jamais. J’en ai assez de cette susceptibilité. Je soupire, jette un regard à la fille avant de ramener mes yeux sur Zikomo. Il me lance un regard perdu. À la position de ses pattes je comprends qu’il va sauter… Ce qu’il fait effectivement. Il atterrit doucement sur le sol. Il trottine vers le garçon en larmes mais à peine a-t-il le temps de se mettre en marche que l’autre s’enfuit en courant après avoir balbutié de misérables excuses — pourquoi s’excuse-t-il, pour s’être trompé sur son propre genre ? pour être indécis ? pour ses larmes ? Incapable de trouver la réponse, je ne peux que le regarder s’éloigner jusqu’à ce qu’il disparaisse à un carrefour.

Mes muscles se relâchent enfin et je pousse un lourd et profond soupir en me massant les paupières.

« C’était quoi son souci à c’ui-là ? »

En ouvrant les yeux, je tombe sur le profil sévère de Zikomo. Je dresse un sourcil dans sa direction, l’air de dire : bah quoi ?

« Tu manques vraiment de sensibilité, Aelle… »

Ça sort d’où, ça ? Il me lance son regard de Mngwi furieux, je déteste ça. Ce regard me rappelle qu’il est bien, bien, bien plus âgé que moi, qu’il se croit plus sage aussi, et que parfois, lorsque ça lui prend, il se plait à me le rappeler et à faire comme si cela lui donnait le droit de me faire la leçon.

« De sensibilité ? rétorqué-je. C’est d’ma faute peut-être s’il s’est mis à chialer ? J’ai rien compris à ce qu’il disait et lui-même ne se comprenait pas ! Je ne vois pas en quoi tout ça est de ma faute !
Peu importe le ou la coupable, souffle Zikomo en secouant le museau. Tu n’es pas forcée de te montrer dure avec tout le monde. Tout le monde n’est pas capable de le supporter.
Tant mieux. Ça me permet de faire le tri : ceux qui en sont capables sont ceux qui méritent que je leur parle. »

Zikomo plonge son regard dans le mien et je l’affronte le menton haut et les sourcils froncés. La bataille dure quelques secondes, jusqu’à ce que je me détourne. Je m’arrache du mur contre lequel j’étais adossée.

« Bon, on reste coincée là toute la journée ou on y va ? »

Quoi qu’il arrive je me mets en marche. Du coin de l’œil, je vérifie que Zikomo me suit : il trottine derrière moi, le museau bas et trop silencieux pour que je ne comprenne pas qu’il m’en veut.

« On va dans le parc ?
Tu ne veux pas continuer d’espionner Elowen, Aelle ? »

Depuis quand Zikomo est-il aussi rancunier, hein ? Je lui jette un regard sombre, une moue désapprobatrice sur le visage.

« Non, c’est bon. Mais si t’as pas envie d’aller te balader c’est bon, j’y vais toute seule. »

J’accélère le pas, soudainement envieuse de me retrouver seule, sans que quiconque puisse juger mes comportements ou me faire la leçon comme si je n’étais qu’une gamine. C’est sans compter Zikomo qui accélère pour se mettre à mon niveau.

« Je t’accompagne. »

Je hausse les épaules. Je m’en fiche, veut dire ce geste. Mais au fond de moi je suis rassurée qu’il décide de me suivre malgré tout, qu’il ne me fasse pas la tête et qu’il ne me boude pas. Ça lui prend parfois de m’en vouloir et de rester loin de moi plusieurs heures parce que j’ai fait quelque chose qui ne lui convenait pas. Je suis heureuse que ça ne soit pas le cas aujourd’hui.

Plus je traverse les couloirs, plus je m’éloigne d’Elowen. J’ai l’impression qu’un fil se déroule, se déroule, se déroule depuis mon coeur, un fil qui s’étire au fur et à mesure des mètres que je mets entre nous. Que se passera-t-il si ce fil s’étirait au point de se déchirer ? À quel point cela me fera-t-il mal ? Pourquoi existe-t-il ce fil, de toute manière ? Et pourquoi chaque pas que je fais m’envoie un coup douloureux dans les cotes ? Chaque coup est accompagné d’une image. Il y a Elowen et Sildnir, il y a Elowen avec Sildnir. Parfois cette image me fait tellement mal que je voudrais l’arracher de ma tête à coup de sortilèges.

— Fin —


J'ai beaucoup apprécié lire ton dernier post, même si Eden pleure et souffre.
Je te remercie pour ce RP que nous avons partagé. Je suis heureuse d'avoir pu écrire avec toi et découvrir Eden à travers ta plume. Ça me désole qu'Aelle l'ait autant bouleversé et j'espère que tout ira bien pour lui désormais.
Au plaisir de te retrouver dans les mots !