Bristyle ressemble à un navire que la Mer agite. Ce qui est une illusion ; c'est elle, la Mer. C'est elle qui va sans doute m'emporter, m'offrir aux requins. Je me sens affreusement faible (sûrement parce que je le suis), et je me doute à son regard que ce que je lui ai dit ne plaît pas du tout. Il n'y a que la Vérité qui blesse, certes, mais dès fois je crois qu'il vaudrait mieux que je me taise parce que ce que je viens de provoquer chez Bristyle n'annonce rien de bon. Un mélange de colère je crois, d'impatience et de surprise. Voilà ce que je suppose. Voilà ce qui m'attend. Une Vague tonitruante.

Je garde au fond de moi l'espoir qu'elle va rester là et répondre à ma demande. Cet espoir aussi petit qu'un gravier. Car je ne peux nier l'évidence. J'ai commis l'Erreur. Celle de provoquer la colère chez Bristyle. Aborder celle-ci n'est pas une science, c'est un art, j'en ai désormais la preuve. Une science, ça fonctionne à tous les coup lorsqu'elle est exacte. Alors qu'un art... Il y a une myriade de paramètres à prendre en compte, et cela ne marche pas tout le temps. Aujourd'hui par exemple, je croyais détenir l'appât idéal pour susciter l'intérêt de la Jaune ; raté. C'est de là qu'a surgi cette phrase imprévisible, cette phrase malheureuse qui a tout gâché.

Et soudain, la Violence frappe. Mon petit corps frêle se retrouve à la merci de Bristyle, qui me saisit par le col. C'est bête à dire mais, ainsi suspendue, je peux mieux dévisager cet être mystérieux dont le prénom est proscrit. Je peux plus facilement errer dans ses yeux sombres déformés par la colère, je peux voir ses sourcils de plus près (et constater qu'il sont sacrément froncés, par la colère de Zeus !), j'accèderais presque à ses pensées, me dis-je alors que sa bouche s'entrouvre pour me balancer des horreurs.

En fait, elle me donne surtout une leçon. Pas celle que j'attendais, bien évidemment, mais une leçon tout de même. Elle me rappelle en somme à quel point j'aurais mieux fait de la boucler au lieu d'être sincère. Et en même temps, je me dis que ce n'est pas si facile. La fascination aveugle que j'entretiens pour elle me fait réellement faire n'importe quoi, et je ne sais vraiment pas si je serais capable de mettre la main sur ce que je dis lorsque je m'adresse à elle (encore faut-il qu'elle me laisse le faire une autre fois).

Je viens non seulement de gâcher mon après-midi, mais aussi mon ultime chance de parler avec Bristyle (en tout cas c'est ce qu'elle sous-entend). Une pluie de déception, que dis-je, un orage de déception, à la quelle on peu ajouter de la culpabilité, s'abat sur moi soudainement. Je ne réagis même pas quand je vois Bristyle s'en aller à grand pas vers la sortie. Je reste immobile, figée par la torpeur. Je suis complètement sonnée, comme si elle venait de me donner une grande claque, sauf que techniquement, elle m'a juste attrapée par le col. Cette fille n'en finira donc jamais de me faire ressentir des émotions contradictoires ?

Je tente de replonger dans mon devoir d'Histoire de la Magie. Mes pensées alternent entre cette dissertation*le-bûcher-fut-une-façon-de-dissoudre-les-inquiétudes-du-peuple-moldu-face-à-des-événements-surnaturels* et mon altercation avec Bristyle *j'suis trop conne, bon sang, j'suis trop conne*. Finalement, je pose ma Plume et fait le point. Un an plus tard, je ne maîtrises toujours pas l'art de parler à Bristyle. Si je voulais une chance de lui parler, il allait falloir trouver un bon stratagème.

Une idée me vient. Je vais dénicher une personne assez proche de Bristyle à qui je pourrais parler pour convaincre cette dernière de me parler. Il faudra du temps, pour apaiser la colère, et ce n'est pas gagné, loin de là. Mais je me dis qu'après tout, je n'ai plus rien à perdre.

Oui, Bristyle, un jour je serai digne de te parler et je te le montrerai.