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25 oct. 2021, 13:05
{ Un, trois, Treize... }  ++ 
The Reply, Auguste Toulmouche



< Thème musical : Le Caire - Sofiane Pamart >



« Quand tu auras appris à espérer, je t'apprendrai à vouloir »
Sénèque

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Hannah, 13 ans
4 Octobre 2046, 20h [Soirée]
Salle d'études, Poudlard


J'essaie de me concentrer mais par les Érinyes, c'est tout bonnement impossible. Une nuée de pensées, semblable à mille frelons venus me dévorer l'esprit, viennent croquer les couloirs de mon cerveau. Un essaim noir, noir comme mon angoisse qui se fait de plus en plus grande. J'essaie de me rassurer à coups de *ça va aller* mais ce n'est pas extrêmement convaincant. Qu'on dise à un chevalier à moitié défait qu'il va gagner son duel, il vous rira au nez ; s'il est encore temps. Il faut donc que je trouve un moyen de me concentrer sur cet exercice de Potions. Quelle idée, aussi, de commencer par le plus difficile ! J'aurais du commencer par l'Histoire de la Magie. Je suis sûre et certaine que cela aurait fonctionné.

Maudites pensées ! Elles étaient essaim ; elles se font tornade. J'assiste à ce désastre, ma Plume au creux de la main. C'est rageant. L'impuissance conduit l'humain à l'agacement. Je devais à tout prix m'avancer aujourd'hui pour avoir la paix demain soir ; on voit le résultat. Je vais une fois encore me retrouver complètement en retard, comme le voyageur qui court après le train. Moi, c'est pire : je ne cours pas après le train, je le regarde partir avec de grands yeux. Je devrais me ressaisir. Aller de l'avant. Mais mon cerveau est... Il est paralysé. Complètement. Engloutie par la colère et la honte, je suffoque mais nulle perche ne vient à mon secours. Je vais me noyer.

Je me couche sur la table, de tout mon long. Je me retiens, une fois, deux fois... Puis c'est trop tard, les larmes viennent s'échouer sur le rivage de mes yeux. Oh, heureusement que ceux-ci sont cachés par mon coude et mon avant-bras sur lesquels ma tête repose. Que penseraient les autres ? Ils penseraient que je suis *faible* Zeus ! Les pensées qui me remuaient les entrailles durant ma première année reviennent de plus belle ! Je ne vais donc jamais en sortir, de ce cycle. Alors les larmes, comme le flux de la pluie, redoublent d'intensité. Je me retrouve une seconde fois noyée.

Les sanglots arrachent à mon corps des mouvements pathétiques que j'aimerais pouvoir oublier un jour. Cela me rappelle la fois où, comme une idiote, j'étais allée me fourrer la tête dans la neige. Je commence sérieusement à croire que je suis complètement folle, à force de me torturer pour des sottises. Mais c'est plus fort que moi, c'est comme si j'étais un pantin dont les ficelles étaient tenues par une Force destructrice. Quelle est cette Force ? Celle d'Hadès, celle du Diable ? Possible. Plausible même.

Ce n'est pas de la tristesse que je ressens, c'est du désespoir. Tout ce que je tente échoue. Tout ce que je dis résonne dans le vide. Tout ce que je pense est vide de sens. Tout ce que je désire est impossible. Tout ce que je crois est faux. Je me construis dans la destruction — l'auto-destruction — sans m'arrêter. Je suis sur ce chemin que personne n'arpente. Celui des damnés, des con-damnés. J'ai un boulet en métal à la place de mon cerveau. Lourd et vide. Mon cœur lui ressemble, quand j'y pense.

Je relève finalement la tête, non sans difficulté. Mes yeux doivent être dans un état pitoyable, mais je n'ai pas le choix. Je dois travailler. Qu'importe ce qu'il se passe dans mon crâne. Je dois me reprendre. Me ressaisir et réussir à boucler cet exercice. Je n'ai pas cinq ans ; il est passé, le temps des caprices — *est-ce vraiment un caprice ?* interrogent mes pensées. Je n'ai pas le temps de réfléchir. Je dois travailler. Je n'ai pas le temps de tergiverser. Je dois travailler. Mes mains s'activent, faisant courir la Plume sur le Parchemin inondé de noirceur — je ne relève pas la métaphore ; je dois travailler — avec soin, avec application. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je ne sais pas pourquoi je me suis mise à paniquer de la sorte. Cet exercice est d'une facilité déconcertante. Un vrai jeu d'enfant.

Plume de @Félicia Luke

𐌔

30 oct. 2021, 10:58
{ Un, trois, Treize... }  ++ 
Felicia
Quatorze années — déjà
Monochrome soirée






La vie est un Calvaire. La vie est une foutue chose à la lumière adamantine, qui renferme sur nous ses cruelles serres sitôt l’âge de la Raison atteint. La vie est une toile tissée de paysages enchanteurs, jalousement gardés ; pour nous détourner des délices de cet Éden, on nous pousse vers l’abîme, dans les bras d’une inconsciente existence semée de leurres – le Temps, et l’Argent. Le monde Humain tout entier, la Société comme ils la nomment, conspire à nous confondre dans ce gigantesque théâtre d’illusions. On nous assomme d’une soi-disant Morale, d’un prétendu savoir, on nous engorge d’une Magie altérée, on nous abreuve de vérités cousues du fil blanc des inventions ; tout cela pour nous tirer vers le profane, pour nous éloigner de l'Arbre métaphorique de la réelle Connaissance, d'un éclat pur, peut-être dur – mais ni beau ni laid –, vrai.

Mes pensées s'égarent vers les lointaines sphères de mon imaginaire désœuvré ; je fuis à tous prix cette réalité-ci et construis mes songes en détruisant les fondements intangibles de l'univers.
Mes pensées sont des papillons qui s'éparpillent au loin, désordonnés, pour ne demeurer que de simples ombres sur les nuances de l'Horizon. Je les observe, mes papillons, et je les aime de tous mes sens, dans tous les sens. Rouges jaunes noirs dans la grisaille, ils échappent à l'assaut du vent. L'Horloge a beau poursuivre sa cadence effrénée, mes pensées volent, battent des Ailes dans leurs ébats, et je ris de joie, silencieusement, de les voir voyager si haut ! Je ris parce que le rire ne fut que pour fuir les présences horrifiques ; et mes papillons, oui, ils s'enfuient. Dans leur Ciel, nul nuage ne survient ; l'air a un parfum de mauve. Leur Ciel est violet, tandis que le mien est de pierre.
Ce constat chasse mes frivoles rêveries ; cette triste pensée éteint mes papillons lunaires – ils restent encore, maintenant, à l'état de lucioles.

J'ouvre mes yeux sur la pièce, et ce qu'ils me montrent est d'une monotonie sans fard.
Je laisse errer mes noirs iris sur ce lieu, me raccrochant aux doux filaments de l'Imagination. Je passe sur les rangées de Silhouettes courbées, sur les corps penchés, comme succombant au poids d'un labeur épuisant – celui de l'esprit. Ils travaillent, tous, et moi je ne fais *rien* ; c'est une étrange ivresse qui retient ma plume, l'envoûtement de l'immobilité quand tout se meut. Un délicieux frisson d'interdit s'écoule le long de mes vertèbres, à Moi, Artisane des clopinettes.

Mon cerveau a cessé toute application ; mes engrenages sont enrayés par le brouillard, et par toute la fumée s'évadant des Autres, dues aux intenses réflexions. Mon être est épuisé par le vide. L'Histoire, les Sortilèges, les Élixirs – tout cela me parait bien dénué d'intérêt aujourd'hui, alors que j'aimerais tant absorber les somptuosités de l'automne pour y raviver les teintes de ma Palette. Je veux peindre ; cela fait si longtemps que je ne me suis pas abandonné à ce plaisir. Certes, je veux peindre mais les devoirs m'accablent, je ne puis délaisser ces fardeaux sur le bas-côté pour mieux m'en aller, légère et libérée. Il faut *faire avec*. Cette certitude détermine mon fonctionnement ; je travaille pour mieux rêver, plus tard.
Mes orbes se posent sur la feuille, enfin. Mes neurones se mettent en branle pour se plonger dans les Mots. Les méandres brumeux des cours de Potions émergent à la surface des souvenirs et je laisse courir mon stylo sur le papier pour répondre à d'inutiles questions.
Difficilement, mon encre couvre les lignes tandis que l'ennui le plus profond s'empare de mon esprit : je suis persuadée que rien de ce que j'écrirai aujourd'hui ne trouvera un quelconque usage pour moi à travers les années. Mon attention portée aux théorèmes insoutenables de la Magie est nulle ; je préfère toujours agir, mettre en pratique des idées folles, ou m'étioler dans de tortueux raisonnements issus de mon cerveau ; tout cela bien davantage qu'énoncer des faits que tant d'autres auront prouvé, raconté, détaillé, parcouru en long, en large, et en travers, bien avant moi.

Ma plume reste en suspens, droite comme un i au-dessus de ma dernière phrase. Je cherche un mot. Je cherche un mot qui pourrait décrire à lui seul ma pensée dans mon écrit, et ce mot-là s'est envolé, maudit. Je l'ai perdu mais je le sens, toujours au coin de ma tête, s'aventurant le plus loin possible dans mon oubli pour me convaincre de le remplacer. Je hais cette situation où je suis condamnée à subir les farces du mot, obnubilée par ce que je ne sais pas. Je le poursuis, je lutte avec son ombre informe depuis mon esprit infirme mais je ne parviens à lui arracher son masque de noirceur ; je me heurte à son refus. Ma tête se relève, scrutant la réalité pour l'y dénicher ; je suis prête à hurler mon impuissante colère. Je passe et repasse sur les visages qui m'entourent, froncés et crispés par la muse Concentration, et je tente en vain de découvrir celui derrière lequel se dissimule mon ennemi. Je ne puis abandonner ma lutte mentale ; seul, il m'a volé toute expression ; il a engouffré, abîme infernale, toutes les paroles que j'aurais su marquer sans lui ; il m'a sciée, je me suis tue. Un Mot m'a réduite au silence.

Tout à coup, un éclat accroche mon regard. A peine un éclat, c'est une poussière scintillante accolée à une peau ; une goutte qui perle jusqu'à un angle de la mâchoire, avant de s'effacer tendrement, de se fondre dans le Tout. C'est une larme qui a accroché mon regard. Celle qui l'a perdue ne semble pas s'en rendre compte, prise par ce qu'elle étudie.
Peut-être dois-je la prévenir de l'évanouissement de ce fragment de l'Océan ? Peut-être dois-je l'assurer, ensuite, que cette perte est naturelle ? – ; les joyaux de la Mer ne peuvent demeurer qu'un temps en notre Cœur car il leur faut après s'esquiver, et retourner à leur Mère. Cette larme égarée me perturbe ; il me semble qu'elle n'a fait que suivre d'autres de ses consœurs – il faut dire que l'Art des pleurs ne m'est plus inconnu depuis un temps certain, maintenant ; nombre de personnes sont à fleur de peau, et moi qui incendie mes larmes par ma fureur n'aime pas laisser ces eaux salées sécher sans un bruit, et se faire ravaler par le mutisme.
Larme a piqué ma curiosité ; je veux comprendre. De plus, un lieu tel que celui-ci est bien trop sérieux pour me retenir de faire des vagues, aussi discrètes soient-elles. Je ne suis pas à la recherche du même savoir que les autres, je veux connaître l'éphémère.

Je rassemble mes affaires dans mon sac, d'un tour de main, je m'en saisis et me lève. Quelques pas suffisent à me rapprocher de l'enfant aux yeux rivières ; nul ne daigne me prêter attention lorsque je m’assois à côté d'elle – personne n'est autre chose qu'un nuage de réflexion, ici. Un essaim envahi par la torpeur que je défais dans un murmure.

Pourquoi tu pleures ?

évanaissance

29 nov. 2021, 21:40
{ Un, trois, Treize... }  ++ 
Ma plume ne veut plus s'arrêter. Je crois que je peux dire qu'elle survole le parchemin à toute vitesse, comme un oiseau déployant ses ailes en quête d'autres horizons, fuyant le mauvais temps et son froid mortel. Peut-être qu'après tout, je suis cette plume, sauf que moi, je fuis bien d'autres choses : mon passé, mes pensées, mes erreurs, entre autres. Je fuis tout ce que je peux, même les gens que j'aime, je sais que c'est une mauvaise chose mais je le fais quand même. Le pire, c'est que je ne sais même pas pourquoi je fais ça. C'est presque instinctif. C'est instinctif.

Je me rends compte que j'ai oublié de sécher mes yeux. Vite ! Que personne ne me voie dans cet état catastrophique, cet état de faiblesse que je hais à un point que je n'ose imaginer. Que personne ne s'engouffre d'un regard dans une de mes failles comme le ferait le héros d'un roman de Frison-Roche dans une grande crevasse inexplorée. Que personne ne se doute qu'au fond de moi se cachent des choses étranges, douloureuses, qui m'arrachent parfois des sanglots quand je les fait remuer, dans le fond de leur Antre. Je ne veux pas qu'on m'aide. Je sais très bien me débrouiller toute seule. Je n'ai pas besoin des autres — *pas besoin d'eux* — et encore moins des Semblables. Les Semblables, de toute manière, ne savent faire qu'une chose, en boucle : crier, crier, crier.

Misère. Une voix s'élève, tout près de moi. On m'a vue. Peut-être même qu'on m'a entendue ! Je suis perdue. Dans un premier temps, je me dis que je pourrais ignorer cette voix, faire comme si elle n'existait pas. Mais je ne peux pas. Mon tympan a recueilli l'information, et mon cerveau me dit *réponds*. Me voilà à nouveau dans une situation des plus embarrassantes. Que vais-je lui dire ? Que je pleure comme une gamine qui fait son caprice face à un exercice un peu plus difficile que d'habitude ? Avouer que ma tête est un chantier qui ne s'arrêtera jamais ? Lui mentir ? Aucune de ces solutions ne me semble correcte et pourtant, il va bien falloir que je choisisse entre ces trois là.

« Je... J'en sais rien. »

Là, je suis dans mon élément. Les réponses vagues et moi, c'est une longue histoire. Et je ne parle pas des bégaiements qui sont devenus presque habituels — à tel point que j'en oublierais presque leur ridicule. Dès qu'il faut qu'une myriade de mots s'échappe de ma bouche, c'est toujours la même chose. Je reste plantée face aux lettres sans savoir choisir, alors tout sort sans organisation, dans le désordre le plus total. Je devrais songer à prendre des cours sur l'art de la parole. On m'apprendrait enfin à m'exprimer. Mais il n'y a pas ce genre de cours à Poudlard. Ce n'est pas le genre de chose que les Adultes jugent importante. Pourtant, ça l'est à mes yeux. En témoignent les gouttes de sueur sur mon front crispé.

Le pire dans cette affaire, c'est que je ne sais pas vraiment ce qui m'a fait pleurer. Cela prendrait sûrement des heures si je souhaitais l'expliquer. Je suis comme beaucoup de ces gens qui ne seraient pas capable, face à un psychologue, d'expliquer ce qui ne va pas. Je pourrais disserter à l'infini, je ne trouverais jamais l'ensemble des causes de mon mal-être, de mes douleurs. Dans le lointain — quelque part dans le noir, au sein de mes pensées — j'entends des phrases, des souvenirs, des sons qui remontent vers la surface. Je les noie immédiatement dans l'obscurité ; est-ce de là que vient le problème. Personnellement, je préfère me dire que ce n'est pas ça. Non, ce n'est pas ça.

Je jette enfin un regard à la fille. Une Semblable, probablement. Le genre d'élève intrusive qui m'aurait agacée si je n'étais pas aussi démunie que je ne le suis actuellement. Elle a de la chance, car au pire ma colère restera coincée au fond de ma gorge — avec mes mots, tiens.

𐌔

06 janv. 2022, 18:58
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Un nénuphar dans la poitrine


Je suis juste à côté de la fille, maintenant, cette Personne qui a alpagué mon attention voltigeante. Une Personne ou personne ? Cette gosse qui renferme trop de larmes pour ne pas s'y noyer, elle se fondrait si bien dans une foule — comme tant de monde, finalement — que nul ne la remarquerait. Sans signe particulier déviant ses traits vers l'irrégulier, elle est lisse de l'extérieur, presque trop discrète pour une ombre ; sans signe particulier hormis les perles de diamants qui fuient ses yeux comme un lieu maudit. *C'est si triste !* La pensée jaillit de mes sens comme une évidence, sensation à laquelle je dois me confronter, liée à elle aussi étroitement que par des chaînes d'acier. Je ne peux y faire face, pourtant. Je ne peux pas la refouler, je ne peux pas faire semblant, ignorer mon ressenti et clamer d'un sourire que rien ne m'atteint, et plus je songe à tout ce fouillis qui emplit ma tête depuis des lustres, et plus j'ai du mal, plus j'ai Mal pour cette gosse effondrée au creux d'elle.
Ma jolie coquille se fissure.
Je ne comprends pas. Elle est jolie, elle est si douce, cette enveloppe de confiance que j'affiche ; elle est si fière, et j'espère qu'elle ne volera jamais en éclats, cette carapace de leurres si simple à enfiler, tellement plus facile à porter que la vérité de mes sentiments, mes émotions.

Je ne comprends pas, parce qu'il n'y a rien, plus rien autour de moi hormis le vide grandissant de mes failles, par lesquelles s'infiltre la souffrance de la gamine en pleurs, insidieusement ; elle m'envahit, et elle fait partie de ces violences qui refusent de se laisser combattre. Elle m'immobilise, je deviens statue, statue de marbre glacée qui attend qu'un baiser la réveille parce que toute vie n'a pas encore disparu — c'est ça, le pire — ; et mon cœur, lui, vit toujours et pulse dans ma poitrine une douleur insoutenable, une douleur liée à cette fille qui efface ses sanglots, à la brutalité des perceptions qui m'assaillent, aux mots qui me manquent pour la consoler, et à la perte de toute capacité à décrire ce que je ressens. Tout me vient dans le désordre. Je suis perdue, je ne sais plus ce que je dois faire ; pourquoi suis-je venue m'immiscer dans la misérable existence de l'enfant, si je n'appréhende qu'imperceptiblement les contours de la mienne ? Mes émotions sont une mer que je contiens à grand peine, et bientôt elles me submergeront, comme elles l'ont si souvent fait par le passé. Et comme toujours, maintenant que ma grève éboulée est envahie par des vagues nées des profondeurs de mon inconscience, je veux fuir. Fuir, c'est bon pour les robinets, me dirait Vian, mais le problème m'apparait si immense, le nœud inextricable de mes actes et pensées me semble si énorme que j'ai peur de m'y attaquer, j'ai peur de le surmonter et de traverser ce labyrinthe dénué de sens. Je suis lâche face à ce que je renferme alors je fuis, je cours, je projette mes forces contre l'extérieur, pour me détacher de mes étranges chimères.

Plongée dans la tourmente de mes réflexions, je ne relève la tête que pour entendre l'autre prononcer trois syllabes, qu'elle semble tirer à grand peine de ses lèvres. Elle non plus, ne sait pas, et cela ne me perturbe plus ; ma recherche de savoir s'est évanouie avec mon assurance apparente. Je détourne les yeux ; mes prunelles noires balaient la salle qui se vide d'étudiants, passent sur le plafond gris qui masque le ciel et l'air habité d'une torpeur studieuse puis reviennent, encore une fois, se poser sur la gamine, irrésistiblement attirés par celle qui, par son silence égaré, rouvre toutes mes fêlures. Je veux partir. Ici, je ne suis pas à ma place, je m'en rends compte ; quelqu'un appelle à l'aide au fond de cette fille, j'en suis certaine pour avoir croisé quantité de personnes comme elle entre les murs de pierre de ce Château, mais je suis incapable de comprendre ou de l'aider, et puis, je doute qu'elle éprouve la volonté de poursuivre cet échange — peut-être Solitude est-elle une plus douce compagne que moi en cet instant ?
J'ai l'impression de m'être décalée de moi-même ; cette rencontre me plonge dans un abyme d'incertitudes et d'obscurité.
Je veux partir, quitter cette atmosphère close que je fréquente depuis plusieurs heures déjà, mais je me sens redevable à cette gosse ; redevable parce qu'elle a répondu à ma question, qui était certainement trop impromptue et impudente, et parce que je n'aime pas voir les gens pleurer : c'est une trop grande parcelle d'intimité que je vois ainsi dévoilée. Fuir sans même lui adresser un dernier mot me répugne, mais continuer à parler en vain me dérange tout autant.
Prise d'une subite inspiration, je tire d'une poche un morceau de parchemin légèrement froissé, et griffonne dessus quelques lignes, d'une main hésitante. Je préfère toujours la Plume à la Voix, parce que lorsque la seconde me fait défaut, l'encre coule plus facilement, à la vitesse de la pensée. Aujourd'hui, pour exprimer les choses que je ne sais dire, j'écris, et laisse ainsi le silence se relever et me garder de toute imprudence, c'est mieux ainsi.
Une poignée de secondes à peine se glisse dans le passé, et je plie mon message en deux avant de le laisser sur la table, puis je pars. Je me lève avec précautions, pour ne pas faire bruisser le silence et m'éloigne lentement.

Un arrière-goût de regret sur les lèvres, ma conscience se fond entre les ombres de mes doutes ; je ne pense même pas à l'impression d'étrangeté que j'ai dû laisser à l'enfant, je veux simplement retrouver des vérités, sans appréhension.
Les lettres que j'ai tracée s'effacent de les souvenirs au fil de mes pas, elles disaient une lueur d'espoir, elles disaient

Sans ombre il n'y a pas de lumière, et les étoiles brilleront un jour sur tes larmes. Toutes les nuits du monde gardent au creux d'elles la promesse d'une aube grandiose.

Cher poëte, je ne sais que te dire. Felicia m'a surprise. Je ne sais que penser de son trouble soudain, et m'interroge sur son sens. Je suis désolée que cela nous mène si vite à une ébauche de fin... à moins que Hannah n'en décide autrement ?

évanaissance

18 janv. 2022, 14:44
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Le silence. Elle l'avait respecté. *C'est pas une Semblable*. Elle était restée silencieuse, une fois qu'elle avait eu sa réponse. Peut-être que son geste verbal n'était qu'un élan de gentillesse. Peut-être voulait-elle simplement que tes branches se peuplent de bourgeon. Car quand la sève dégouline ainsi, cela signifie souvent une chose : l'Arbre cache une entaille, plus ou moins profonde selon la coulée de sève. Ta sève était transparente, presque invisible, mais cette Rouge avait un Cœur — car c'est ainsi que l'on Voit — et avait perçu ces cendres de sanglots. Ces résidus du mauvais vent.

Reconnaissante, soudain. Tu n'osais cependant pénétrer dans la surface de l'autre, qui s'appliquait à écrire tu-ne-savais-quoi sur un morceau de parchemin. Hors de question de s'aventurer dans cet espace ; tu aurais détesté que l'inverse se produise. Fallait-il poursuivre la conversation après cette Entracte — car à la reconnaissance s'additionnait la curiosité — ou était-ce une Fin après un bref échange de Mots ? Tu avais du mal à lire cette situation, il fallait improviser et tu ne maîtrisais que très peu cet art de l'Inconnu.

Tu avais définitivement lâché ton devoir de Potions. Tes yeux s'écartaient des lignes et les lignes déviaient de la trajectoire de ton Regard. Impossible alors de se concentrer. D'une manière générale, tu préférais sans aucun doute la Salle Commune à la Salle d'études lorsque tu avais à travailler. La première était plus intime, plus douce, moins bruyante — car le bruit d'une trentaine de plumes sur du parchemin t'étais vite insupportable. Son bleu te rassurait et surtout, il y avait moins de monde. Ici, tout te désorientait. Comment ne pas céder à la tentation de lever les yeux lorsqu'un élève entrait dans la salle ? Comment résister à l'envie de savoir qui sont les trois personnes aux troisième (ou au quatrième) qui discutent avec entrain de leur prochaine partie de Bavboules ? Tu n'étais tout simplement pas capable de faire abstraction du monde autour. Depuis toujours, tu vivais recluse dans un coin de l'Angleterre, sans voir la Mer, sans voir d'autre Terre que celle de ta naissance. Alors, irrémédiable, la sensation était venue à ta rencontre pour se muer en une passion pour ce qu'il y avait à l'extérieur de ton Monde. Cette sensibilité à l'Extérieur enfantait de belles pensées, de jolis poèmes et de tendres dessins mais aussi, et c'était bien là que se situait le cœur du problème, une incapacité au renfermement hors de moments de Noirceur — qui n'étaient pas souhaitables.

Ces sensations qui te parcouraient comme une horde de fourmis n'avaient pas toujours existé. Elles étaient arrivées au cours de l'été, sans crier gare. Petit à petit, elles avaient peuplé ton quotidien et tu fus incapable de les repousser. Le mal qui nous ronge ressemble parfois à un de ces poisons addictifs ; impossible ou presque de s'en séparer. Depuis quelques mois, tu vivaient donc avec ces pensées éparpillées plus encore qu'avant, qui se fixaient sur chaque environnement au moindre mouvement, au moindre froissement de feuille, au moindre frottement d'une plume sur du parchemin. Comment qualifier cela ? Tu ne le savais point. L'avis que tu tentais de te faire sur la question était ambivalent. Si cela te permettait de sentir des choses que les autres ne percevaient visiblement pas, comme les Gouttes de Mort1, ce que tu ressentais avait eu une influence néfaste sur tes résultats dans certaines matières. En Potions notamment, où il t'arrivait parfois de ne pas avoir la moyenne. La question était en somme insoluble pour le moment.

Soudain la fille s'en alla ne laissant sur la table qu'un morceau de parchemin *celui de tout à l'heure* Ton regard se perdit d'abord en s'échouant sur la silhouette de la Rouge qui se dirigeait inexorablement vers la porte de la sortie. Tu aurais pu lui courir après, l'interpeller ; tu ne fis rien. Une étoile brillait dans ton regard, une étoile nommée Admiration. Admiration qui grandit lorsque tu déplia le bout de parchemin. Surprise, stupeur. *l'écrit drôlement bien* Il était trop tard sûrement pour se précipiter vers la sortie et remercier la fille de t'avoir accordé ces Mots. Il était trop tard sûrement pour qu'un réel lien se crée. Mais il serait encore temps de la retrouver, un jour, par quelque moyen.

*J'te retrouverai, ô toi que j'admire*



Fin


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1. Voir L'Elixir était Faux, avec la Plume d'Alison Morrow.

Une Danse peut en cacher une autre.

𐌔