L’encre s’écoulait en caillots sur la feuille. Il était plutôt joli à observer ce contraste de noir sur blanc, d’ébène liquide qui aurait servi à graver de l’ivoire. Lydia avait toujours fait attention à sa calligraphie ; on traçait bien les boucles avant de faire retomber les traits et de marquer des virgules. Une écriture propre pour une compréhension pratique, c’était une de ses clés pour apprendre ses cours. Sa mère lui reprochait souvent des erreurs de syntaxe - franchement poser des étiquettes intouchables aux mots était bien trop autoritaire, plus joli de les écrire un peu au hasard, tant qu’ils nous parlaient - mais Lydia n’y avait jamais fait très attention. Elle se comprenait et les professeurs aussi, que demander de plus ?

En ce samedi, alors qu’elle traçait ses habituels déliés pour recopier un brouillon de Runes, elle sentait son esprit vagabonder et se tortiller autant que les boucles de ses lettres. Il fallait qu’elle parle à Eaven aujourd’hui, qu’ils s’expliquent un peu. Et puis... Elle enfouissait cette idée au plus profond de ses songes mais en vain... Son cerveau avait décrété qu’il fallait qu’elle parle à Nerrah. Elle savait très bien qu’elle s’était conduite n’importe comment, que respect et politesse étaient de mise avec un ancien préfet : il fallait qu’elle lui parle.

Bien sûr, elle pensait aussi à un autre sujet de discussion. Une jeune fille brune, quatrième année, première de classe avec un chat nommé Lune, vous voyez ? Oh et elle porte le nom d’une tragédie Shakespearienne.
Maintenant vous voyez.

La brunette savait que le jeune homme était dans la salle d’études, et il avait l’air d’être seul. Ce n’était plus le moment de se défiler. Elle rangea ses affaires dans son sac et partit en direction de Nerrah.

« Mh Nerrah ? On peut parler ? »

Les joues rosies (maudite peau blanche qui lui empêchait d’avoir un visage plus neutre !) et la main posée sur une chaise qui indiquait clairement son doute, elle devait offrir une image assez pitoyable.

« Promis je serai plus docile que la dernière fois ! » lança-t-elle avec un petit rire gêné.

Bon bon... Le malaise était palpable mais elle avait au moins repris le contrôle de la situation. Elle respira et regarda le blond avec ses yeux azur ; il ne lui échapperait pas.

Docile.

Ce n'était pas un mot banal, un mot qu'on emploie tout les jours pour parler de tout ou de rien, c'est ce qui fit relever la tête à Aliosus plus que l'appel de son patronyme. Docile. Ça renvoyait à une certaine obéissance, d'aucun auraient dit soumission, une chose était sûre, c'est que l'emploi de ce terme était un signal fort qui lui était envoyé : un signal de paix, et la promesse d'être écouté.

Deux jours auparavant, Lydia Holmes, la nouvelle préfète de Serdaigle - c'était semble-t-il une manie chez les Directeurs de Maison de prendre des préfets les plus jeunes possibles, sans doute était-ce lié à l'excellent travail qu'il avait effectué l'année précédente, montrant à chacun que le talent n'attend pas le poids des années et que certains ont une autorité naturelle - avait été particulièrement désagréable en remettant publiquement en cause sa fiabilité. Un crachat verbal qu'il avait ruminé depuis, et qui commençait à peine à s'effacer de son esprit, jusqu'à ce qu'elle se plante devant lui bien entendu. Il l'aurait bien envoyé paître, mais elle promettait d'être docile.

Aliosus la fixa droit dans les yeux, en se penchant en arrière sur sa chaise, délaissant ses recherches sur les propriétés des champignons cavernicoles dans l'usage des potions et en croisant les bras.
«Holmes, quelle surprise. De quoi tu as besoin ?»

Il ne l'imaginait pas ravaler sa fierté par principe, sans une bonne raison, et le sort devait faire qu'elle n'avait que lui vers qui se tourner. Ça lui rappelait Aelle...

Tiens, il la fixait dans les yeux. Lydia soutint le contact et se jura d’en faire de même le plus longtemps possible. Nerrah croisa les bras en lui demandant de quoi avait-elle besoin.

Cette question déstabilisa la brunette ; ce petit impertinent le faisait-il exprès ? Elle n’avait besoin de rien, était très bien toute seule – ou alors avec Eryne – et ne dépendait de personne. Elle n’aurait su dire si cette question la vexait vraiment ou la prenait juste au dépourvu. La manière de parler du Serpentard, elle l’avait remarqué la dernière fois, n’étais pas la même que la sienne. Elle qui ne parlait pas très bien à l’oral avait du mal à anticiper les paroles de cet interlocuteur-ci et redoutait de se laisser prendre au piège. Lydia avait le sentiment qu’elle devait gagner le respect de Nerrah pour obtenir les échanges qu’elle voulait – et n’était pas franchement bien partie.

« Alors, ce n’est pas un besoin » souligna-t-elle.

Non mais, il ne fallait pas la prendre pour une assistée !

Elle ramena la chaise sur laquelle sa main était posée et s’y installa. C’était mieux qu’ils soient tous deux dans la même position ; assis et prêts à discuter.

« J’ai mal réagi la dernière fois et je voulais… m’excuser. C’était idiot de ma part et c’est dommage que j’en sois arrivée à te déranger aujourd’hui. »

Nul doute qu’il penserait que le dérangement n’était pas nécessaire puisque son avis était figé, mais elle espérait avoir préparé le terrain pour sa deuxième partie. Ses doigts s’emmêlaient et se démêlaient entre eux tandis qu’elle pensait à la manière dont elle présenterait son affaire avec Macbeth. Enfin... comment définir son affaire ? Son objectif était sûrement de bien connaître Adaline, ni plus ni moins.

Touché. Il n'avait pas été particulièrement poli avec la Serdaigle, c'était de bonne guerre après leur dernier échange après tout, et cette entame de discussion en forme de botte d'escrime semblait bien avoir passé la garde de son interlocutrice. A présent il pouvait temporiser, prendre un peu de recul et juger de sa réaction. Il essaya de ne pas sourire en constatant l'agacement qui transpirait du "Alors" de Holmes par lequel elle commença à lui répondre. Cependant elle ne se répandit pas en explication et préféra s'installer à son niveau en face de lui. Soit, il ne l'avait peut être pas autant déstabilisé que ça après tout.

Aliosus écouta attentivement ce qu'elle avait à lui dire et se sentit vite coupable d'avoir été aussi acéré d'entrée de jeu. La préfète Serdaigle s'excusait auprès du lui, ça il ne l'avait pas vu venir et il s'en voulait, il aimait à penser qu'il savait prévoir les réactions des uns et des autres, c'était ainsi qu'il raisonnait, en calculant les effets d'une parole soigneusement choisie, pesée et délivrée au bon moment. Ici il venait de perdre l'initiative. Touche pour Holmes.

«C'est très gentil de ta part, je regrette moi aussi cet échange. Et ne t'en fais pas, mon parchemin sur les champignons des cavernes se remettra de ce dérangement.»
Il ne voyait plus aucune raison de ne pas se montrer sous un jour agréable, au contraire, Lydia avait prit un nouvel intérêt à ses yeux. Il sentit néanmoins que la conversation n'allait pas s'arrêter là, elle était en train de jouer avec ses mains, il y allait sûrement y avoir une suite.

«Au fait, comment se passe ton préfectorat ? Les rondes, les infractions, ça va ?»

On étudiait donc les champignons des cavernes en quatrième année ? Ce n’était sans doute pas le sujet le plus passionnant, elle se demanda immédiatement quelles propriétés pouvait-on apprendre et en tirer. Lydia rangea ce questionnement dans son cerveau, en se promettant de regarder si les champignons pouvaient être utiles dans une potion particulière, et se concentra sur ce que son interlocuteur venait de dire. Il regrettait cet échange apparemment.
Quelque chose chez lui exprimait une forme d’aristocratie, un respect d’une étiquette particulière et de normes en vérité absurdes. Inconsciemment, Lydia trouvait une certaine noblesse chez Nerrah – qui le rendait comme supérieur à elle d’ailleurs. Leur conversation n’avait pas débuté d’une façon réglementaire, sage, et c’était sans doute ce que le jeune homme regrettait.
L’échange avait été chaotique. Leurs réactions impulsives. Tout ceci était regrettable.

Pour rester dans le dialogue policé et conventionnel, Nerrah lui demanda des nouvelles de son poste de préfète. Que dire de ça sinon qu’il lui permettait de contempler les étoiles plus longtemps que les autres ?

« Ça va, c’est bien que les profs m’accordent leur confiance. »

Elle aimait sentir que ses efforts scolaires ainsi que son sérieux étaient récompensés par une nomination plutôt importante. Il était assez plaisant de penser à l’opinion favorable que son directeur de maison pouvait avoir d’elle. La réputation de préfète lui plaisait mais le travail à faire ne lui était pas approprié : elle n’aimait pas veiller à la cohésion, elle n’avait rien à faire de l’harmonie existant entre les élèves. S’occuper des premières années surtout, qu’est-ce que c’était lassant… La brunette ne laissait cependant rien paraître et faisait ce qu’on lui demandait du mieux possible sans songer une seule fois à se plaindre.

« Et toi, tu regrettes pas d’être parti ? »

Eh oui, moi je suis préfète mais pas toi. Moi je fais ce qu’on me dit, toi tu démissionnes. Où va donc cette noblesse que je sentais chez toi si on ne peut pas te donner certaines responsabilités ? Je me demande ce qu'Adaline en pense.

En face de lui Lydia semblait engranger les regrets d'Aliosus et les assimiler, elle ne rebondit pas dessus, c'était très bien ainsi, ça n'aurait de toutes façon servi à rien si ce n'est à les remettre sur une pente glissante, en tout cas le garçon aurait définitivement eu une piètre idée de la préfète si elle s'était essoufflée à resasser leur petite altercation.

Le sujet du préfectorat ne le dérange pas, c'est lui qui l'a amené, il est depuis longtemps préparé à l'éventualité de cette discussion. Les mots de Lydia sonneraient tout à fait ordinaire pour n'importe quel élève passant par là, mais Aliosus était rodé à saisir les sous textes, les allusions, les non dits et autres évocations parfois assassines l'air de rien. Derrière ces banalités, il entendait en creux "Tu as trahis la confiance de l'école, comment le vis-tu ?" Peut être que ce n'est même pas conscient de la part de la Serdaigle, mais c'est pourtant bien la question qu'elle lui pose.

«Tu as tout à fait raison, c'est une distinction qui en dit long sur la personne qui la reçoit. C'est un rôle qui honore mais qui oblige aussi. Enfin, de manière générale, il y a toujours des exceptions surprenantes, voire décevantes.» Il ne servait à rien de nommer cette tête d'alouette de Fullbuster, sa nomination et sa destitution express en faisait un exemple remarquable de loupé dans l'attribution du badge. Il avait pourtant tout tenté pour qu'elle n'en arrive pas là, et elle lui en voulait d'autant plus qu'il avait eu raison.

«Pas le moins du monde. J'ai plus de temps pour travailler aux projets qui m'intéressent vraiment, je ne suis plus obligé de passer mes journées à guider des nés moldus qui s'échinent à ouvrir les portes en trompe l'oeil du château... La salle de bain était très agréable, mais c'est un luxe dont je me passe très bien.»
Il ne comptait pas sauter tout de suite sur le sujet brûlant de ses raisons, le fait de ne pas cautionner une direction irresponsable, incapable de protéger les élèves des Lignées et s'opposant aux seuls vrais défenseurs des sorciers, le Conseil.

En plus, étant donné sa rigidité naturelle et son air sérieux en toute occasion, il avait constaté qu'une bonne partie des élèves le pensait encore préfet.

Elle trouvait relativement amusant ce jeu de sous-entendus : qui des deux prononcerait la phrase la plus pertinente ? Il en fallait une qui dise sans trop en raconter, qui puisse masquer une pique pas vraiment méchante mais un peu désagréable. La dernière de Nerrah – si la jeune Holmes l’interprétait correctement – était bien trouvée par exemple. Il évoquait en effet les exceptions surprenantes, voire décevantes : considérait-il que Lydia était une de ces exceptions ? Elle aurait été curieuse de voir de quel côté la mettait-il, peut-être pas du même que celui de Kelly, ç’aurait été de l’abus. Elle ne perdait pas son badge, était pile à l'heure aux rondes et Diphda n'avait même pas fait de dégâts dans la salle de bain. Rien n'a lui reprocher ! De toutes les façons, elle n'aurait pas accepté les critiques sur son poste - à part peut-être celles d'Eryne - et pensait être la seule à pouvoir former un avis dessus.

Lui, en revanche, se considérait comme un élève qui méritait le rôle mais qui ne l’avait pas apprécié. Elle eut un léger sourire en s’apercevant que Nerrah reprenait quasiment ce qu’elle disait, elle, pour parler de ses tâches préfectorales. « Je ne sais pas si ce sont des nés moldus mais les premières années en général ont tendance à ne pas se souvenir de grand-chose, t’as plutôt raison… »

C'était étonnant l'obsession qu'avaient certains élèves à parler de nés-moldus au cours d'une discussion sans grand rapport. Des constatations purement matérielles, difficiles à comprendre et ne représentant pas la réalité de son avis. Elle se sentait cependant plus à l’aise – elle avait presque oublié Adaline, avait repoussé ce sujet dans un coin de sa tête et c’était mieux. Lydia constatait qu’elle pourrait très facilement se retrouver dans l’esprit du blondinet en face d’elle. Il était plus intéressant que les autres finalement, plus calculateur, rigide et bien sûr, plus noble que d’autres élèves modèles sans réel intérêt.
Elle changea de position, croisa ses jambes, posa son coude sur sa cuisse et son menton au creux de sa paume. Voilà, elle faisait plus savante ainsi ; c’était ce qu’elle voulait montrer à présent.

Mes excuses pour cet impardonnable retard...

Aliosus hochait la tête, une fois de plus, ils étaient d'accord, c'était à se demander comment les choses avaient pu tourner si vite au vinaigre la dernière fois. Il y avait une précision, une recherche de l'exactitude dans les phrases de la Serdaigle qu'il appréciait particulièrement. Ils n'avaient, par exemple fait que rebondir sur leurs phrases respectives afin d'en préciser le propos et voilà qu'ils aboutissaient à un consensus.

«Je crois que l'on peut conclure que les premières années ne sont pas bien dégourdis en effet. Pourtant, je n'ai pas souvenir d'avoir été particulièrement maladroit ou perdu, et toi ? Enfin, je ne dis pas qu'il ne m'a pas fallut du temps pour apprivoiser nos escaliers, mais tout de même...»

Voilà, la discussion va soit bien vite s'arrêter et chacun ira reprendre le fil de son existence, en ayant une perception légèrement différente, meilleure sans doute, de l'autre, ou bien quelque chose les amènera à prolonger, et ce quelque chose, il semble bien au jeune garçon qu'il est entre les mains de la préfète de Serdaigle qui ne semble pas décidée à quitter son siège, bien au contraire. Dans sa position élégante, typiquement féminine avec ce croisement de jambes, il était clair qu'elle signifiait à Aliosus qu'elle avait de la suite dans les idées.

Il cala son dos dans sa chaise en prenant un peu de recul et croisa les bras.
«Aurais-tu besoin de quelque chose d'autre par hasard ?»