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31 déc. 2021, 02:11
 Souvenirs  Le Maestro  solo 
Septembre 2039 - 16 heures
Londres - Quartier de Soho


- Il va vous recevoir. Par contre, je préfère vous prévenir : Il est d’une humeur de chien.
D’un geste nerveux, la petite blonde repousse ses lunettes sur le haut de son nez. Elle a l’air d’avoir pleuré toutes les larmes de son corps, en témoignent ses yeux rouges cernés. Elle semble aussi fragile qu’un moineau, tremblante derrière son immense bureau de bois clair, seul meuble de cette gigantesque pièce où j’attends debout depuis presque une heure. Seule une imposante statue de marbre blanc trône dans un coin. Je ne parviens pas à deviner ce que représente cette oeuvre ultra contemporaine aux formes arrondies, mais ce n’est pas cet objet qui réchauffe l’ambiance aseptisée du lieu. Les murs, blancs eux aussi, et dénués de tout ornement décoratif, intensifient l’esprit de totale dépersonnalisation voulue dans ce bureau. Je ressens comme un vertige, une perte de repère, nul endroit où poser mon regard. L’unique fenêtre dans mon dos est dissimulée par de longs et épais rideaux ivoire. La blême moquette au sol renvoie mon ombre, dont la sombre forme semble s’allonger sur plusieurs mètres. Je ne sais pas d’où provient la luminosité, mais l’éclairage est aussi puissant qu’un clair de lune sur la banquise. La jeune femme, droite comme un i sur sa chaise, pointe son doigt vers une porte.
- Il vous attend.
J’avance dans la direction indiquée, trop content de quitter cet endroit. À peine ai-je donné deux petits coups nerveux qu’une voix peu aimable retentit de l’autre côté du mur :
- Entrez !
J’essaie de trouver un peu de courage auprès de la secrétaire névrosée. Mais cette dernière continue à fixer un point invisible, sans daigner tourner la tête dans ma direction. Je m’introduis dans l’autre pièce, après avoir précautionneusement refermé derrière moi.
Dernière modification par Cassidy Powell le 01 févr. 2022, 08:52, modifié 3 fois.

Cassidy Powell - Gérant du GaiChiffon / Pré-au-Lard

31 janv. 2022, 22:59
 Souvenirs  Le Maestro  solo 
Je ne sais pas à quoi je m’attendais, mais sûrement pas une pièce aussi colorée. Partout, des pièces de tissus aux mille tons sont posées sur des tables dépareillés. Coton, lainage, crêpe, velours, Jacquard côtoient soie, satin, flanelle, mousseline, raphia, tartan, et autres matières plus ou moins précieuses. Je ne sais où poser mes yeux. Des ciseaux de toutes les tailles jonchent le sol, pêle-mêle au milieu de crayons, aiguilles, fils à coudre, plumes et bobines de laine. Des lampes de chevet de toutes les tailles éclairent la pièce. C’est un véritable atelier de couture qui s’offre à ma vue. Un feu de cheminée crépite dans un coin. Sur un large fauteuil Chesterfield de cuir rouge, une ombre se dessine à la lumière des flammes.
- Ce n’est pas avec des baguettes magiques que l’on obtient de la Haute-Couture, jeune homme, mais avec ses mains. Vous attendiez-vous à trouver des fées Clochette ?
Je devine la silhouette plutôt fine d’un homme aux cheveux poivre et sel, droit comme un i. Une longue sèche fume au bout d’un porte-cigarette en nacre blanc, entre deux doigts osseux.
- Approchez-vous, je n’ai pas l’intention de vous manger. Je n’ai plus guère d’appétit que pour l’art depuis bien longtemps.
J’hésite un instant, puis je traverse la pièce d’un pas décidé.
- Cassidy Powell. Je vous remercie infiniment de me recevoir, Monsieur.
Le Maestro me jauge de la tête aux pieds. Sa fine moustache cirée est impeccable. Il me fait penser, dans son costume de velours sombre, à un gentleman du siècle dernier.
- Vous ne manquez pas d’allure, avec ce costume de laine. Coupe française ?
- Je l’ai dessiné, et cousu moi-même, Monsieur.
L’homme semble quelque peu étonné, c’est en tout cas ce que m’indique son immobilité soudaine.
- Ah oui, vraiment ? Les épaules ne tombent pas parfaitement, et la veste est trop longue d’un centimètre. Mais tout cela reste perfectible.
Le Maestro écrase sa cigarette dans un cendrier cuivré.
- Vous commencez demain. J’ai pris beaucoup de retard pour ma prochaine collection. Soyez-là à huit heures précises.
La surprise m’envahit, mais je n’ose pas le montrer, bien trop heureux de la situation.
- Merci mille fois, Monsieur. Vous pouvez compter sur moi.
- En sortant, demandez à l’idiote qui fait office de secrétaire de vous établir votre contrat de travail.
Dernière modification par Cassidy Powell le 01 févr. 2022, 08:54, modifié 1 fois.

Cassidy Powell - Gérant du GaiChiffon / Pré-au-Lard

31 janv. 2022, 23:54
 Souvenirs  Le Maestro  solo 
- Non, non et non ! Le satin combiné au taffetas allourdit la silhouette…
J’arrache la page sur laquelle je viens de dessiner l’esquisse d’une robe courte de cocktail verte, rehaussée d’un bustier serti de perles.
- Veuillez m’excuser, Monsieur…
- Et ne vous excusez pas ! Monet s’est-il déjà excusé face à ceux qui criaient au sacrilège lorsque le mouvement impressionniste a vu le jour ?
L’homme écrase une énième cigarette dans l’un des dizaines de cendriers posés aux quatre coins de la pièce.
- La seule faute inexcusable pour un créateur, c’est de ne jamais se remettre en question. Se contenter de la facilité est l’apanage des médiocres.
L’homme m’observe saisir mon crayon. Je reprends les formes de la tenue initiale, dans les grandes lignes, mais complète cette fois-ci la coupe de velours du bustier par un large col en V. Je dessine une flèche au bout de laquelle je note « coton égyptien ». Le Maestro ne quitte pas mon ébauche du regard. Puis il lève les yeux vers moi :
- Du coton égyptien, comme pour le linge de maison ? 
Après un profond silence, il se saisit de son porte-cigarette, pour allumer celle qui se trouve positionnée au bout. Après avoir tiré quelques bouffées, il prend ma feuille de papier, semble mesurer les proportions avec son pouce et son index, puis range le dessin dans une chemise bleue posée près de lui.
- Validée ! Il faudra retravailler un peu la forme, mais j’avoue que mélanger un tissu à serviette avec de la soie n’est pas… une mauvaise idée !
Je souris timidement.

Cassidy Powell - Gérant du GaiChiffon / Pré-au-Lard