Lumah jeta un regard furtif en direction d'une certaine rouquine depuis l'angle mort où elle s'était soigneusement tapissée, avant de se cacher à nouveau, regardant désormais ce qui se trouvait à l'opposé de celle-ci. L'opération « MBEEE », ou « Mettre Brett et Élicia Ensemble » (jamais assez de e, vous noterez) était enfin lancée après trois mois d'intense réflexion - et son pion majeur, Edmund Dale, était en route.

Comment en était-elle venue à convaincre Dale ? Tout cela remontait également à il y a trois mois, où, un jour pas si particulier, l'un d'eux avait proposé à l'autre de jouer à un jeu. Bien évidemment, aucun des deux n'aurait jamais accepté de jouer si la récompense à la clé, pour le gagnant, n'était pas de donner un gage à l'autre. Par chance, c'était Lumah qui avait remporté la partie : mais sa victoire lui avait amplement suffit ce jour-ci, si bien qu'elle en avait oublié de donner un gage au garçon.

Entre-temps, il se trouve que sa meilleure amie, la toute jolie Élicia, s'était éperdue d'un autre garçon. Fini Aliosus ! La page était tournée. La rouquine s'était énamourée de son ex-ami, qui, d'ailleurs, n'avait jamais été bien loin dans sa liste de « crushs » : Brett. Lumah n'appréciait pas tellement Brett, et à juste titre, puisque c'était celui qui avait converti Boucle d'Or aux farces et tours machiavéliques qu'elle devait subir depuis de bons mois maintenant - mais, elle devait l'avouer, ils étaient faits l'un pour l'autre. Seulement voilà, des mois qu'elle entendait parler de ce Brett, mais aucune action concrète : Élicia était bien trop timide. Trois mois après, alors qu'elle s'était faite réveiller en pleine nuit parce qu'Élicia avait encore fait un cauchemar à propos de ce satané blond, Lumah avait donc décidé de passer à l'action - et c'est alors qu'elle se souvint de ce jeu qu'elle avait remporté. Elle avait donc convaincu Edmund la peste d'aller draguer sa meilleure amie (à contre-coeur, mais c'était pour son bien), lui qui savait si bien s'y prendre, afin de faire avancer leurs relations.

Comment allait se dérouler la première partie du plan ?

— Hein ?

Mais... Qu'est-ce qu'elle me raconte ?

Je n'ai pas le temps de développer mon « Hein ? » qu'elle est déjà partie.

Dois-je m'inquiéter de son état ? La rattraper pour prendre sa température, voir si elle n'a pas encore mangé un truc pas frais ? Prévenir directement l'infirmière ? Faire comme si de rien était et m'éclipser discrètement sans accomplir ce qu'elle m'a demandé de faire ? Faire ce qu'elle m'a demandé de faire sans broncher pour qu'elle évite de me rappeler chaque matin qu'elle vient de me donner mon défi d'il y a je-ne-sais-combien-de-temps déjà ? Pourquoi j'ai accepté de jouer à ce jeu, moi, déjà ?

Et puis, juste, pourquoi est-ce toujours moi qu'on contacte lorsqu'il s'agit d'une histoire comme ça ? D'abord Everhart, suivie d'Orphéa puis maintenant Lumah... Le pire dans cette histoire, c'est que j'étais justement parti pour demander à Everhart où est-ce qu'elle en était dans la mission que je lui avais donnée et voilà qu'une autre affaire me tombe dessus, comme ça ! Je sais que je suis beau comme une vélane mais ce n'est tout de même pas une raison pour toujours faire appel à moi.

Enfin bon... Élicia est juste là, à portée de voix, et, si Lumah m'a demandé de le faire maintenant, cela doit être parce qu'elle a tout calculé et que l'heureux élu ne devrait pas tarder à arriver. Autant le faire maintenant. Everhart peut bien attendre un jour de plus, ça ne va pas la tuer, au vu du temps qu'elle met à me remettre quelque chose d'aussi banal qu'une feuille de parchemin...

Et puis, franchement. On va pas se le cacher : c'est bien drôle.

Je n'ai aucune idée de comment devrait réagir le Serpentard mais, quoi qu'il se passe, je suis paré. Avec ma baguette à côté, je suis invincible. Et puis... Il n'y a jamais rien eu d'officiel, si je ne m'abuse. Je suis donc tout à fait en droit de faire ce que je veux. Il n'avait qu'à être plus rapide.

Je me dirige donc sans plus attendre vers la rouquine. Je n'ai absolument aucune idée de comment l'aborder, n'y ayant pas réfléchi en amont mais... On verra bien.

— Hey ! Élicia ?

Appuyée contre le mur du couloir, Élicia attendait. Lumah lui avait encore faussé compagnie pour aller au toilette qui se trouvaient trois étages plus haut. Le temps que la petite blonde revienne, la jeune fille avait le temps de redescendre et reprendre son déjeuner qu'elles venaient de terminer dans la Grande Salle. Avec un soupir d'ennui, la rousse tourna son regard vers les fenêtres qui lui faisaient face et laissa libre court à ses pensées. Elle fixait l'extérieur du château sans le voir, déjà ailleurs, dans un univers qui n'appartenait qu'à elle. Et où de nombreuses personnes de son entourage apparaissait parfois, quand son esprit le voulait.

Le souvenir d'une certaine soirée, plutôt récente, s’immisça dans sa tête alors qu'un doux sourire illuminait son visage. Ce souvenir, qu'elle revivait régulièrement depuis ce fameux soir, ne cessait de s'imposer à son esprit quand elle perdait sa concentration, pendant les cours ou même au beau milieu d'une discussion lorsque celle-ci ne l'intéressait peu. Et toujours lorsque l'acteur principal de ce moment passé n'était pas là. Elle en avait même rêvé la nuit, une ou deux fois en tout juste deux semaines.

La Poufsouffle revoyait la Grande Salle décorée avec les citrouilles géantes préparées par les élèves, les longues tables qui plus tard avaient fait place à une grande piste de dance. Et ce moment qui s'était passé après ça, hors du temps. Hors de la foule de ses camarades et de ses professeurs qui surveillaient et s'amusaient. Dans sa propre petite bulle impossible à briser. Leur petite bulle. Elle avait passé un moment indescriptible, au delà des mots, au delà de tout ce qu'elle aurait pu imaginer. Elle s'était sentie si bien, si légère. Heureuse. Élicia s'était retrouvée en se perdant dans ses beaux yeux verts.

Mais tout les bons moments avaient une fin, et la soirée s'était terminée. La rousse ne se rappelait même plus comment elle avait regagné son lit, trop concentrée sur ce qu'elle venait de vivre pour faire attention à ce qui l'avait entouré en retournant dans son dortoir.
Elle revoyait parfaitement son entrée dans le Hall, leur repas à la Table des Serpentard. Mais ce qu'elle préférait se remémorer par dessus tout, c'est le moment où il lui avait proposé d'aller danser, et qu'elle avait passé le meilleur moment de sa vie.

Elle le revoyait, lui, très élégant dans son costume, ses beaux cheveux blonds et ses yeux dans lesquels elle avait pris tant de plaisir à se perdre. Elle le revoyait poser ses mains sur ses hanches et l’entraîner sur le rythme de la musique. Puis se rapprocher un peu plus quand cette dernière avait ralentit pour faire place à une douce mélodie. Un slow. Qu'est-ce qu'elle donnerait pas pour...

Avec un sursaut, Élicia sortit de sa vision si agréable pour se tourner vers la personne qui l'avait appelé. Parce qu'on l'avait appelé n'est-ce pas ?
Elle trouva vite qui s'était, étant seule dans le couloir, il n'y avait rien de plus simple. Et ce n'était pas Lumah, comme elle l'avait pensé en premier lieu, bien que les voix ne correspondaient pas.

Edmund Dale.

Le Serpentard avec qui elle avait très peu - voir jamais - parlé, et qu'elle connaissait bien pour ne jamais lâcher sa meilleure amie. Que faisait-il là ? Et pire, pourquoi venait-il la voir ?
Sans montrer sa curiosité et le brin d'agacement qui montait en elle rien qu'à sa vue, elle répondit d'une voix assurée, simple et toujours aussi souriante.

Edmund ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Question stupide, mais elle n'avait pas trouvé mieux. Après tout, il pouvait bien aller n'importe où à Poudlard, elle s'en fichait. Mais elle avait la mauvaise impression que ce n'était pas un hasard s'il s'était retrouvé là, au même endroit qu'elle. Comme si il l'a cherchait...Et cette pensée ne lui plaisait guère.

« Hey ! Élicia ? »

C'est bon. Maintenant, tout n'était plus qu'une question de temps - restait à voir le jeu d'acteur d'Edmund, mais celui-ci lui avait déjà montré Ô combien il était capable de jouer un rôle autre que le sien (quitte, d'ailleurs, à perdre sa véritable identité), si bien que la petite blonde n'avait aucun doute sur la réussite de sa mission. Même dans le cas contraire, sa simple venue était déjà amplement suffisante : n'était-il pas la drague incarnée, Don Juan 2046 ? Peut-être même le Don Juan de Poudlard - vicieux, irritable à souhait, mais il pouvait être utile parfois, surtout lorsqu'on ne le considérait plus comme un ami, mais pas comme un ennemi non plus.

Qu'était-il pour elle, cet Edmund, au fond ? En première année, elle l'avait trouvé gentil. Il avait été une âme charitable un temps, à l'aider à monter dans la barque, à lui sourire dès qu'il en avait la possibilité. C'était idiot qu'une seule non-action de sa part ait gâché l'affection qu'elle avait pour lui - mais c'était ainsi. Il avait juste laissé entrevoir sa personnalité de lâche - il l'avait laissée tomber, et ce au moment qu'elle considérait encore comme le plus horrible qu'elle ait jamais vécu, et dans lequel l'avoir à ses côtés n'aurait pas été de refus. Son premier bal d'Halloween, en deuxième année. Son harcèlement, tout ça - il l'avait abandonnée à ce moment-là. Pour d'autres filles.

Elle ne lui avait toujours pas pardonné ça, et lui ne s'était jamais excusé. Ils s'étaient évités un moment, et maintenant il l'ennuyait dès qu'il en avait l'occasion. Seulement, Lumah s'était renforcée, et elle apprenait au fil du temps à lui rendre la pareille - et à moins le détester. Elle appréciait leur relation actuelle, à vrai dire, même si elle ne portait aucun nom.

Lumah posa le dos de sa main contre son front, puis regarda ses pieds, toujours perdue dans ses pensées. Si elle avait une jour pensé jouer aux cupidons, elle qui avait tant de mal avec le relationnel...

Mais bon ; c'était pour le bien de sa meilleure amie. Elle se frotta les mains à la manière d'une mouche. Il était temps de voir ce qu'avait Edmund en réserve et... Oh, Brett en approche. Assez loin encore. Parfait, oh comme c'était parfait.

MAIS OUI. Je suis débile : si elle me demande littéralement de draguer Élicia sous les yeux de Brett, c'est parce qu'elle veut que ce dernier vienne la secourir pour qu'ils se mettent ensemble... Ou pour faire comprendre à ce "preux chevalier" que sa dulcinée est déjà prise et qu'il faut qu'il cesse ses assauts. Quitte ou double. Même s'il me semblait pourtant que leur relation était réciproque, de ce que j'en ai brièvement vu... Mais bon. La timidité mène souvent à fausser les impressions extérieures. Même si, pour le coup, il n'y a vraiment jamais eu d'appels au secours. Ou vraiment trop subtilement glissés.

Hein ? Quoi ? Elle m'a répondu ? J'étais trop occupé à méditer aux raisons de la demande de Lumah, j'ai écouté d'une demie-oreille.

Je plonge immédiatement un regard aussi profond que peuvent me le permettre mes sombres yeux dans ses propres yeux cobalt dès ma rêverie terminée en me repassant la scène qui s'est jouée alors que j'étais totalement passif... Puis j'arque un sourcil.

— Attends...

Heureusement que ses paroles ont été aussi peu cohérentes : cela me donne une excuse pour mon temps de réponse.

— Tu es vraiment en train de me demander ce que je fais... Dans un couloir ?

Eh bien j'y élève des strangulots, comme tu le vois si bien !

Je détourne finalement le regard en laissant échapper un soupir amusé. Tête qui accompagne le soupir en se baissant à quarante-cinq degré vers la droite. Je sens le poids de la mèche qui se positionne parfaitement là où il le faut, devant mes yeux clos mais pas trop. Làà. C'est parfait !

Eh mais... Je ne veux pas qu'elle tombe amoureuse de moi pour autant.

Je rouvre les yeux, tête toujours penchée, pour recapter son regard.

Soit je joue très clairement les gros lourds, soit elle comprendra que je viens pour l'aider face à Brett.

...

Je ne sais pas jouer les gros lourds : ils sont trop idiots pour moi.

Plus qu'à espérer que ce soit la deuxième option... À voir la manière dont elle me répondra.

C'est vrai que sa question était idiote. Totalement. Elle s'en était rendu compte en la posant, mais en même temps, qu'est-ce qu'elle aurait bien pu lui dire ? "Dégage, je veux pas voir ta tête ?". Non, c'était pas poli, et surtout pas son genre.
Tellement absorbée par les questions qui se bousculaient dans sa tête, telles que "Que fait-il là ?", "Quel plan machiavélique peut-il bien mijoter ?", "Pourquoi vient-il me parler à moi ?" et surtout "Mais que fait Lumah ?!", Élicia n'avait pas fait gaffe au moment d'égarement du garçon. Il lui avait répondu par une question, comme si il se moquait d'elle. Ce qui ne l'étonnait pas de lui.

Elle plissa légèrement les yeux sans daigner lui répondre. Ça servait rien de toute façon, il n'attendait pas vraiment de réponse.
Perplexe, elle le regarda détourner le regard, tourner sa tête à quarante cinq degré sur le côté, puis fixer son regard dans le sien. Que fichait-il bon sang ? C'est bien ça, soit il avait un plan derrière la tête, et Merlin sait ce qu'il prévoyait de faire, soit le Serpentard était totalement dérangé. La rousse comprenait pourquoi sa meilleure amie l'évitait la plupart du temps. Il avait un côté qui la mettait mal à l'aise. Voilà, c'est ce qu'elle était, mal à l'aise. Ses joues avaient très légèrement rougit alors que ses yeux fixaient le regard sombre du jeune homme. Comment pouvait-on avoir des yeux si noirs ?
Se rendant compte de ce qu'elle était en train de faire, elle s'ébroua mentalement pour reprendre contenance, et surtout pas se dire qu'elle avait réussi à être dérouter par Edmund. Edmund quoi ! Rien ne l'attirait chez lui en plus.
Pourtant, il continuait à la regarder comme ça, la tête penchée, comme si il cherchait à percer sa carapace pour qu'elle se perde dans ses yeux à lui. A ce moment là, elle repensa aux yeux de Brett, et oublia instantanément le jeune homme qui lui faisait face. Un petit sourire se peignit sur son visage. Le sourire qu'on a quand on pense à quelqu'un qui nous est cher.

Puis la jeune fille regarda Edmund de nouveau, et arqua un sourcil.

Tu m'as appelé...tu avais quelque chose à me dire ?

Et par Merlin, que faisait Lumah ? Il fallait pas tant de temps pour aller au toilette et revenir, si ?

Un instant, Lumah voulut intervenir. Avant qu'elle ne se rappelle que non, ce n'était pas elle mais le Prince Charmant, portant la lettre B du MBEEE, qui devait intervenir. Elle avait failli ruiner sa propre mise en scène, quel talent !

N'empêche, elle s'était fait quelques centaines de scénarios (elle avait eu le temps, en un mois), mais si elle s'était attendue à ce qui se déroulait sous ses yeux... Edmund avait parfaitement compris sa mission. Lumah avait dit être certaine de sa réussite, mais il était vrai qu'elle avait ressenti un frisson de peur - le fameux « et si » : et si le plan tombait à l'eau, et s'il décidait de... Mais non, sous ses yeux se tenait un Edmund transformé (quoique pas vraiment, c'était sans doute dans sa nature), prêt à séduire des demoiselles - ici Élicia. Son approche était théâtrale, et la petite était frustrée de ne pas avoir droit de voir la tête que faisait son complice de plus près : car elle était certaine qu'il jouait du regard à cet instant précis. Il maîtrisait en fait son corps entier, c'en était presque admirable; Lumah aurait aimé applaudir, mais elle devait se taire. Mais la réaction de sa meilleure amie était ce qu'il y avait de plus drôle, et de loin. Lumah n'aurait sans doute pas eu cette réaction dans une autre situation, mais, dans cette position, son étonnement et sa méfiance étaient plus qu'hilarantes.

Si bien qu'elle laissa échapper un rire.

Oh. Oh zut.

« Tu te moques de moi là où ? », chuchota Lumah de sa voix la plus hautaine possible.

« Han mais non trop pas, mais t'as encore du chocolat sur ton pif ptdrrr », rétorqua la même Lumah avec un fort accent du sud.

Okay, elle avait couvert sa bêtise (normalement). Il était temps de fuir. Tant pis si elle ne pouvait pas voir la scène, tant que son plan était mené à bien, pas vrai ?

NAAN.

Pourquoi elle rougit ?! Arrête de rougir ! C'est pas dans le plan, ça ! Je galère déjà assez avec toutes les situations délicates dans lesquels je me suis fourré ces derniers jours, je n'ai pas besoin d'en plus une Poufsouffle qui me colle aux basques parce que le capitaine des Crochets d'Argent lui a parlé trop longtemps, c'est qu'il doit s'intéresser à eelle.

Au pire, je lui ferai clairement comprendre qu'il n'y avait rien du tout en m'esclaffant si elle venait à proposer quelque chose.

Et puis fichtre... Elle traîne bien toujours avec Lumah, non ? Cette dernière ne l'a toujours pas mise en garde contre le grand méchant Edmund ? POURQUOI ELLE ROUGIT ? Rah, ça m'énerve.

Quoi qu'il en soit, elle n'a absolument pas rebondi sur ma propre question. Cela aurait dû lui faire esquisser un rire. Un soupir. Un sourire. N'importe quoi. Mais non. Si le rougissement était présent, il n'y avait vraiment rien d'autre. Elle est vide de l'intérieur ou... ?

Elle reprend bien vite contenance en me questionnant sur les raisons qui m'ont poussé à l'aborder.

Eh bien sache, Élicia, que c'est une excellente question.

Je sais pas pourquoi je t'ai appelée, moi : chaque fois que je tourne la tête vers toi, je te vois avec Lumah. Du coup je regarde Lumah, pas toi. Si je connais les manies et les goûts de Lumah sur le bout des doigts, toi, je n'ai aucune idée de ce pour quoi tu es passionnée.

Bon. Je n'arrive toujours pas à définir si Lumah voulait que j'éloigne Brett ou que je le rapproche. Autant directement aborder le sujet.

— Je...

J'entends un rire derrière moi. Celui de Lumah.

ELLE VA TOUT FAIRE FOIRER.

— Je cherchais Brett, à vrai dire. Puisque vous êtes toujours ensemble, je me disais...

Je laisse volontairement ma phrase en suspens, afin qu'elle la complète d'elle-même si elle le souhaite. Si elle ne veut pas que des rumeurs naissent à ce sujet, elle démentira. Sinon...

Et puis, cela me permettra dans le même temps d'aller directement chercher ce fameux Carter. Reste à savoir ce que je lui dirai quand on se retrouvera face à face...

En tout cas, j'ai pris soin de parler en même temps que la voix de Lumah qui s'est élevée à la suite. J'espère qu'elle ne l'a pas reconnue.

Toujours un peu déconcertée quant à l'attitude d'Edmund à son égard, elle avait repris contenance et ses joues reprenaient leur couleur habituelle. Ses yeux fixaient le jeune homme, tentant temps bien que mal de deviner dans ses yeux ce qu'il n'avouerait sûrement pas. Son véritable plan. Il ne pouvait pas y avoir d'autres raisons que celle-ci, il ne venait jamais lui parler. Pourquoi, ce jour là, il apparaissait soudainement, l'appelait et faisait son mystérieux ? Ça n'avait aucun sens.

Élicia, bras croisés sur sa poitrine, un sourcil arqué, attendait qu'il lui réponde. Son visage était neutre, son sourire était faible mais bien présent. C'était ce même sourire qu'elle arborait au quotidien, un sourire neutre. Pas le grand sourire rieur qu'elle avait souvent avec Lumah, et Brett lorsqu'ils regardaient ensemble les victimes de leur farces. Pas ce sourire léger qu'elle adressait à sa famille, ni celui, doux, qu'elle avait eu au bal et qui apparaissait toujours quand elle pensait au beau blond.

Trop concentrée sur le visage d'Edmund pour tenter de comprendre ce qu'il avait derrière la tête, la rousse n'entendit pas le rire de Lumah.

Elle faillit s'étouffer en entendant le nom de son meilleur ami - c'est ce qu'il était non ? - et partenaire en crime dans la bouche du garçon qui lui faisait face. Pourquoi lui parlait-il de Brett ? Avait-il compris, par elle ne savait quelle magie, qu'elle pensait à lui quand il était arrivé ? Que savait-il vraiment sur leur relation ?

Là, elle perdait le contrôle. Totalement. Ses joues avaient repris une teinte rouge, plus marqué que la précédente. Elle n'osait plus regarder le capitaine des Crochets dans les yeux, ayant trop peur qu'il comprenne sa réaction.
Que répondre à ça ? Qu'est-ce qu'Edmund avait voulu sous-entendre en laissant sa phrase en suspens ? Que pouvait-il bien "s'être dit" ?

Brett ? Euh...Je ne sais pas où il est. Pourquoi ?

Sa voix n'était pas aussi assurée qu'elle le voulait. Il l'avait totalement déstabilisé. C'était ça son plan ? Comprendre ce qu'il se passait entre Brett et elle ? Ce qu'elle ressentait pour lui ? Est-ce que...est-ce que c'était le jeune homme lui même qui avait envoyé Edmund ? Non, ça lui ressemblait pas. Mais après tout, ils étaient de la même maison...

Et puis on passe pas tant de temps que ça ensemble, exagères pas.

Il n'exagérais pas du tout, mais il fallait bien qu'elle rattrape un peu le coup. Pitié que l'écossais n'arrive pas à ce moment là...Et surtout, par Merlin, faîtes que Lumah arrive vite pour la sortir de là.

Moka à l'appareil, miaou. Aujourd'hui, je me suis donné pour mission de suivre ma maîtresse parce qu'elle avait l'air particulièrement louche, pour changer... Bon, non, d'accord, c'est un mensonge : je la suis parce que j'ai bien l'intention qu'elle me donne l'attention que je mérite. Elle est tellement obnubilée par je-ne-sais-quoi depuis quelques jours - je crois qu'elle m'en avait parlé, mais c'était de l'humain, donc je n'en ai compris que la moitié - qu'elle a oublié de me donner ma caresse matinale. Et ça m'a mise en furie. Très. Donc je compte bien prendre miaou revanche, vous voyez ? Mais voilà, je l'ai suivie de loin parce que je ne voulais pas être repérée (même si je sais que je suis un félin si discret que la chance qu'elle me remarque est minime, mon aura est tant étincellante que je brille à des kilomètres, donc on ne sait jamais.) tant et si bien que je l'ai perdue de vue. C'est rageant. Moi, perdre une proie de vue ? Terrible ! Je suis une chasseuse en or, comment concombre² cela a-t-il pu m'arriver ?

En la suivant, je suis passée entre les troncs d'arbre d'un grand blond. J'ai hissé d'agacement. Qu'est-ce qu'il fiche planté là, le regard... Ah ! Je reconnais ces humains. Emud et Essia, oui oui. Je les ai rarement vu interagir, ceux-là, miaou. Enfin ! Ne croyez pas que je passe mon temps à les observer, j'ai autre chose à faire de ma vie³ !

Mais... Par mes moustaches ! Je sens l'odeur de ma maîtresse par là. Je galope. Mais qu'est-ce que... Oh, et puis à ce stade-là, je ne cherche plus à comprendre.

« Miaou.⁴ », Miaulé-je à ma maîtresse.

¹ Le chat de Lumah.
² Aux yeux de Moka, le Diable est un concombre.
³ Dormir.
⁴ Câlin stp.