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28 janv. 2022, 21:18
 Si’κλος  Pathétique
I. Adagio

Tiré des profondeurs souffle à peine perceptible un vent ancré gravissant une marche après l’autre, ralentissant entre chaque degré franchi pour s’y appesantir avant de reprendre sa lente ascension. Les trois respirations enchaînées aboutissent sur une pesante expiration de l’air tandis que le fluide élément de l’eau rapporte par frottement l’écho de ce courant. Silence, durant lequel l’adolescent en contemplation sur le bastingage se redresse à l’affût, attentif à cet appel qui semble arriver et gronder comme une houle invoquée depuis les tréfonds. Quasiment à l’identique, cette voix grave répète sa montée très progressive et se suspend à nouveau sur l’ondulation aqueuse qui précède la même pause méditative. Les vents se mêlent alors à la mer qu’ils surplombent pour rendre de concert ces singulières respirations qui retournent enfin rejoindre des vibrations de basse fréquence. Les éléments cessent dès lors d’émettre toute résonance. Ce qu’il vient de se produire est si simple, une construction cellulaire extrêmement brève. D’où vient cette sensation enfouie au fond de son corps qui vient de s’exprimer, si timidement et discrètement ; en ayant fait tout juste assez pour l’accaparer ? Hjúki commence à prendre conscience du ressenti qui lui est murmuré, un mouvement interne qui se manifeste de façon très ténue et qui par son entrée en matière efficace exige désormais son écoute. Retenant son souffle, il patiente.

29 janv. 2022, 17:36
 Si’κλος  Pathétique
I. Allegro non troppo

Par un doux clapotis la respiration reparaît à un rythme accéléré et s’évanouit, aussitôt continuée par les vents environnants ; les deux entités se succèdent en un mouvement commun de chute et ne se stabilisent que pour supporter son retour en saccades aboutissant sur des dégringolades de marches contrastant avec l’impression originelle d’ascension. Cette invocation qui avait happé l’adolescent revient par à-coups en gagnant de l’ampleur et de la vitesse ; son lent hissage s’inverse en une brusque descente quand les lentes coulées boisées se renversent en montées par sauts. Les vaguelettes s’abaissent obsessivement contre leur surface, se réduisent en un filet qui parvient à s’élever bondissant. Repos, le calme d’un Andante s’installe. Accompagnée d’une subtile couleur métallique, suivant le profil des ailes d’un oiseau, l’eau chantante mais assourdie tombe et se redresse de façon répétée, réconciliant la dualité des directions opposées.

Hésitant, Hjúki profite de ce dernier apaisement pour contempler ces mouvements ; est-ce la même voix perçue il y a quelques instants à peine qui mue et se diffracte ou bien seraient-elles plusieurs à se côtoyer ? Y a-t-il un combat d’intensité pour que l’une d’entre elles prenne le dessus où est-ce la même qui serait confrontée à des regains de force et pertes d’énergie, qui changerait son mode d’expression en fonction de l’état de ses ressources ? Qui se baladerait autour de son point d’équilibre, aurait besoin de s’enfoncer pour poindre ? Depuis qu’il avait atteint le terme d’une ère de son existence, il sentait sans conteste que son Étincelle avait été perturbée et ne l’animait plus comme autrefois. En y prêtant attention, était-ce ainsi qu’elle lui rendait compte de ses débats, de son instabilité ?

Tous les éléments qui l’entourent – l’air, la chaleur métallique, les vagues – s’agitent et condensent l’ascension par degrés à la chute par sauts pour former une courbure ailée à l’envers qui également se démultiplie et se clos en un puissant abaissement des vents. Ces derniers martelant avec pesanteur, le fluide volatil qu’il n’avait pas oublié reparaît enrichi de notes aériennes mais se dissipe tout autrement. Le chemin de retour effectué au ralenti par l’eau vers ses fonds est perpétuellement interrompu par des sursauts en hauteur ; et se prolonge finalement par un battement de plumes qui s’enfouit plus bas encore que le niveau dont avait éclos le premier souffle, à un volume si difficilement perceptible que le jeune Anastase se demande s’il ne se l’imagine pas.

Ces pics d’énergie intégrant avec obsession l’oscillation avec des phases de lenteur et repos, comme si l’Étincelle avait essentiellement besoin de se ressourcer avant chaque coup d’éclat, comme l’aveu qu’elle n’est pas infatigable… chaque acmé suivie d’un amoindrissement, chaque lutte exigeant un retrait. Jamais elle n’avait le temps de briller haut et fort dans la durée ; en boucle sa voix tente de s’élever, de s’exprimer pour irrémédiablement se réfugier et se dissiper dans le silence. Et que se produira-t-il lorsque n’y tenant plus, à force d’accumuler, l’Ardeur n’aura d’autre issue que celle de l’explosion ?

29 janv. 2022, 21:47
 Si’κλος  Pathétique
I. Allegro vivo

Elle arrivera, et c’est sans surprise qu’un retentissement rugissant le saisit sans ménagement, souffle de feu sur la mer évaporée sous le choc. La régularité de la cadence verticale prend le dessus sur les variations horizontales qui se manifestent par d’intenses et puissantes élévations évincées en l’espace d’un geste. L’oiseau déploie ses ailes fortes sur des respirations incisives ; les éléments s’accumulent en un impressionnant tournoiement. Se superposent de la plus naturelle des façons une immense excitation bondissante en sauts nerveux et la digne descente d’une pente modestement inclinée. De la saturation l’apaisement s’impose, un filet d’eau transmet les restes de tressautement mais le répit ne s’installe, les voix s’intensifient et se densifient pour hurler de concert ; la tranquillité de lentes retombées étant toujours de courte durée entre des épisodes rivalisant de violence et de véhémence. Continuellement, les intervalles de redescente débouchent sur de brillants éclatements.

Le souffle initial revient incessamment rapide, haché, brusqué, renversé et conduit par les résonances métalliques ou boisées des agents. Respirations et mouvements s’enrichissent encore et encore, avalent une place croissante, accaparent tous les récepteurs sensibles à leur portée et merci. Les phases de calme intercalées se présentent sous un jour semblable jusqu’à devenir la source des périodes d’agitation extraordinaire par l’extension des gestes dont l’amplitude est démultipliée ; la lenteur se mélange à l’intense à la limite du supportable, la pulsation engourdie se laisse attirer vers des ondulations de plus en plus graves. Plantant le clou de l’excès, des grondements dignes du tonnerre tonnent en fond de cette bataille impitoyable de couleurs. La tempête cède enfin aux graciles ailes qui s’ébattent avec douceur par des courants combinés qui se retirent progressivement pour laisser un délicat vent les dessiner seul. Les gravissements des battements filent sereinement et disparaissent.

C’est cela, le combat. Des flashs, des explosions passagères et dévorantes qui rongent leur porteur de ses contours jusqu’à son noyau qui n’a rien d’indestructible mais s’effrite en délitement tant la dépense énergétique requise est hallucinante. Au fil que les crises surviennent à une fréquence intenable, le diamètre du cœur diminue assurément pour récupérer les ressources perdues, parfois définitivement car trop vite consommées pour trouver l’opportunité de se rétablir. La réaction inévitable à chaque détonation est l’effondrement, le repli sur soi. Poussé à l’extrême ; l’excès est un invariable. La déflagration destructrice qui l’entraîne dans une action déchaînée, l’étouffement réparateur qui le soustrait momentanément du monde extérieur ; il ne fait que visiter un revers ou l’autre de la même médaille. En croyant être allé aux antipodes d’un extrême, on demeure dans l’extrême, plus proche que jamais de ce qui était mis à l’écart ; la constance triomphe. Et dès qu’il a la sensation d’avoir récolté assez depuis la dernière fois, son hurlement se décharge de tout et veut frapper d’un rayonnement le plus vaste possible ; finie la retenue. Non à l’entre-deux, à la médiété ; tout ou rien ! Les curseurs tantôt poussés au maximum, tantôt disjonctés ; jusqu’à… où cela le mènera-t-il ?

30 janv. 2022, 15:31
 Si’κλος  Pathétique
II. Allegro con grazia

Pas sûr qu’il veuille déjà l’apprendre, alors il ouvre la voie à une mélodie dansante pour occuper l’espace ; qu’il oublie un instant le concentré d’expansion frénétique et de renfermement forcené précédent. Les rythmes de Valse sont particulièrement propices à l’épanouissement combiné de la musicalité et de la gestuelle, la carrure appelle à se mouvoir. Pour un peu, il se sentirait dans cette étrange merveilleux du ballet qui transforme les contes ou narrations les plus sombres et cyniques en des récits où priment la légèreté et la délicatesse. Est-ce la seule faute au langage classique ? Non, des chorégraphes savent le modeler avec art pour traiter des arguments pesants. La ligne élaborée s’inscrit dans un tressage de couleurs variées dont l’élégance apporte un indéniable relâchement tranchant avec le lourd climat dont le souvenir n’est point occulté. Du fait du contraste établi, soit ; mais aussi parce que le profil identifiable des ailes d’un autre oiseau est tracé à la surface de l’eau pendant que l’air continue à être sifflé.

L’orage qui nécessite de se décharger en plusieurs fois ne peut de toute façon être écarté trop longtemps, les pas obstinés et graves de son approche résonnent de façon excessivement prolongée, attirant à eux les éléments suspendus en une chute de laquelle ils se débattent à peine. Le trouble est dépassé par la Valse portée par ses ailes mais qui s’évapore au profit de mouvements contraires familiers, simultanément des vagues tentent de s’élever contre des vents qui s’abaissent plus lentement ; peignant le vol déséquilibré d’une créature élémentaire dont les latéralités œuvrent à des vitesses décalées. Les pointes se rejoignent en un sommet, sa tête ou son cœur, qui exhale une brève bouffée des plus discrètes.

En même temps, Hjúki avait expiré, comme pour renforcer cette connexion avec l’atténuation toute récente de la tension qu’il vient d’éprouver. C’était beaucoup trop court pour s’y régénérer, quoique le moment fût un soupçon apaisant, la lucarne s’était refermée sans attendre. Telle serait la réponse proposée face à l’usure éprouvée conséquemment à une période ravageuse ? Une petite parenthèse de douceur s’imposant comme venue de nulle part et s’évanouissant pareillement ? Un petit interlude ondoyant comme rappel qu’au sein du même être se concilient des facettes aussi ambivalentes que la sensibilité à la Féerie et les hémorragiques ressentis ? Ce serait le même chant, qui tantôt le torture tantôt le guérit ; une seule source, qui autant le désaltère que l’empoisonne ; l’unique chaos, qui une fois l’effondre l’autre le soutient. Répercussion logique à vivre piégé dans la tourmente des intensités impossiblement régulées. Cette détente n’était-elle qu’un entracte, cadeau de clémence entre les actes bataillants, ou reviendra-t-elle lorsqu’il requerra ce genre de stase ? Il ne sait pas s’il est prêt à en expérimenter plus, ce dernier ralentissement n’avait vocation à le préparer à tous les caprices prochains dont seront traversés les éléments. Proie autant de ces derniers que de sa propre essence avec laquelle il n’a d’autre choix de s’harmoniser en dépit des dissonances.

30 janv. 2022, 18:28
 Si’κλος  Pathétique
III. Allegro molto vivace

Estomaqué, l’injection d’énergie aussi impromptue que véloce s’empare de ses sens sans avoir été pressentie ; ayant imaginé tout à l’opposé le retour d’une substance plus sombre et pesante. À sa manière ce mouvement survolté en plusieurs composantes, dont l’ondulation constante unissait la fine surface entre la mer et l’atmosphère, rompait assurément avec le répit dont il sortait. Autrement que vis-à-vis de la Valse, l’adolescent retrouve cette même sensation du geste, comme s’il était passé à un numéro dit de bravoure appartenant également à la constellation de la danse. Un murmure d’allure martiale s’immisce à pas feutrés, susurré et porté par des courants de tempéraments et d’ampleurs variés. Les poussées grimpantes l’étouffent par leur vacarme mais se divisent enfin pour qu’il devienne peu à peu audible ; s’autorisant ensuite à voyager pour habiter tous les éléments à sa disposition avec une intensité de plus en plus assumée, dans une attitude… oui, sans doute guerrière. Les ondulations reviennent à la charge, tentant de le noyer, se complétant même un motif ailé entre deux milieux ; mais sans hésitation le chuchotis devenu cri s’impose et se propage largement, tant qu’il se trouve un interstice par lequel s’infiltrer. Les prises de volume sont impressionnantes, l’agitation impétueuse ; Hjúki ne se soupçonnait pas un tel potentiel explosif qui cette fois ne s’interrompt pour aucun répit, s’exprime jusqu’au bout. Pas d’évanescence finale, de réduction, de disparition orchestrée. À l’exact inverse, les déflagrations galopantes se multiplient et se retirent brillantes, loin de l’idée de se cacher.

Alors, cela signifiait que ce pouvait être gagné ? Qu’en fin de compte, il n’y avait pas besoin de s’évanouir dans quelque retraite inaccessible à tout stimulus parasite pour se remettre du moindre engagement de sa personne en quelque action ? Diable, qu’il était exaltant d’être envahi d’une dose aussi immense d’énergie et de pouvoir la dépenser en une course d’aussi longue haleine sans se trouver à court à mi-chemin… ne pas avoir la crainte de se désagréger à tout moment, de devoir tout laisser en plan, d’être incapable de tenir le cap plus que quelques miles. Argh ! Vigueur, abattement ; où se situait-il ? L’épuisement n’avait-il pas pris le dessus depuis qu’il a donné de soi en excès ? Tout cela n’est qu’un souvenir excité, le plus vraisemblablement une nostalgique fenêtre d’enfance. Serait-il encore capable de réagir au Monde avec une pareille explosivité et fraîcheur ; ce ne sera pas sans coûts. Il faudra immanquablement payer les dégâts qu’un éclat d’une envergure aussi fabuleuse aura provoqué. Dans le Cycle, il y a toujours aussi le repli et l’effondrement, ça ne changera pas et cette jolie fin illusoire n’est pas le point d’une ligne mais celui du cercle où le jeune Anastase est engrené et dont il a compris l’évolution à force de la subir. À moins de court-circuiter le système, le craquage guette. Qu’importe l’ordre, cela lui serait immanquablement renvoyé dans la figure. Il lui reste quelques secondes pour en profiter, l’ivresse ne tardera pas à lui échapper.

30 janv. 2022, 22:11
 Si’κλος  Pathétique
IV. Adagio lamentoso

Sans sourciller, Hjúki observe la confirmation de ce qu’il savait déjà, le triomphe était un mirage qui n’avait réussi à le tromper ; évidemment ça n’allait pas se conclure de la sorte, il n’était pas à ce point crédule, les contes qui s’arrêtent sur ce dernier aperçu sont des mensonges, ils voilent le contre-coup.

En réaction , après l’indécente célérité, il va de soi qu’un ralentissement généralisé répand sa retenue sur chaque frémissement. Les phases successives paraissant se distinguer l’une de l’autre, une forme de constance est néanmoins palpable en la descente des vagues qui pour varier se transmettent fluidement la même courbe pour un rendu quasiment continu et uniforme à l’œil nu. Un timide vent sifflant s’insinue au-dessus de ces ondes et amorce une chute sans se presser, s’effaçant au seuil des tréfonds atteints. Un martèlement métallique s’installe pour accueillir contre sa paroi les coulées beaucoup plus étirées, comme au ralenti, rappelant le chant souriant d’un ruisseau. Bien que la douceur eût caractérisé cette reprise, quelques restes ont de quoi animer les éléments qui prennent en intensité et s’élèvent jusqu’à ce que tout le paysage soit en émoi. Quelque part, assister à ce sursaut issu d’une atmosphère pourtant calme qu’il perçoit comme consacrée au rétablissement réchauffe plus encore le cœur de l’adolescent qu’un épisode purement épique ; il savoure d’autant plus la majesté de cette montée, devrait-elle être compensée par une vive dégringolade immédiate et une courte pause. Émerveillé, il contemple la première courbe revenir pour apporter un regain inespéré de force mouvante et fournir un ultime éclatement absolument soufflant. Le sourire en coin, il prend conscience que ce n’est jamais pleinement terminé, grâce aux réserves insoupçonnés dissimulées en chaque entité. Le terme s’annonce toutefois quand tout s’atténue et retourne aux marches les plus basses qui clinquent d’un air grave, l’eau s’affaissant et voyant son niveau baisser en-dessous du degré dont s’était extirpée la respiration originelle ; jusqu’à ce que sa surface soit parfaitement plate, et que le moindre ondoiement en ait définitivement été chassé.

Néant, nous y étions. Levant ses Perles-de-Nótt, Hjúki constate bien que la partie la plus haute de son Architecture a été détruite de telle manière qu’elle n’est en aucun cas reconstructible. Bien que sachant quoi blâmer, inutile de demander réparation pour l’irréparable ; les séquelles dont il est marqué sont définitives. Juste pour ne pas avoir eu le choix, pour s’être soumis aux mêmes contraintes que tous les enfants, aujourd’hui rescapé la facture était amère. Jamais il ne guérira de ce châtiment des Danaïdes, son noyau a été rongé au point de ne plus avoir de chances de se reconstituer ; désormais il devra composer avec des ressources réduites. Dès qu’il voudra initier plus ; imparablement il sera éteint, incapacité, confronté à ses dysfonctions. Sa jeunesse n’est synonyme de fougue ou d’énergie. Maintenant qu’il s’est vu en toute transparence, il ne veut pas être condamné à être restreint. Rendez-nous notre Hauteur ! À Anastase d’écrire la prochaine Symphonie et les chemins ouverts par ce dénouement.


Hommage à Tchaïkovsky,
Au Courage démontré dans son ‘Finale’