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16 févr. 2022, 11:49
Lumineuses Profondeurs  + 

— à la surface de ses abysses —

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
L'Homme et la Mer, Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire



10 FEVRIER 2047, 16h32,
SALLE DE COURS VIDE, POUDLARD

Alyona, 17 ans



Je flotte au-dessus de mes pensées, à un souffle de leur océan étonnement puissant. J'entends les grondements des houles de cette immensité bleutée et ils me rappellent ces orages angoissants qui traversent parfois le ciel des journées d'été. Glissée dans les bras de velours de mes sentiments, je me laisse emporter au gré des vents et des courants sans faire attention à ma destination. Mes abysses s'étendent sous cette jolie surface, mais j'ai bien trop peur de plonger. Et pourtant... Cela fait désormais des heures que je suis assise par terre en tailleur ou debout, le crâne à moitié immergé dans ma Pensine imagée. La tête en arrière, la baguette serrée dans ma main et la bouche légèrement entrouverte, je transpire de souvenirs. Ils luisent sur ma peau, sont imprégnés à mes courbes, tatoués sur les chemins de mon corps, infiltrés dans mes plus sombres recoins. Et, doux Merlin, qu'est-ce qu'ils me fatiguent ! Je glisse vers chacun d'entre eux, un à un, les yeux fermés, dans une totale ivresse, comme si je ressentais le besoin vital de me laisser étreindre par leurs perles humides aussi lourdes que des montagnes. Cependant, je ne parviens à rien. Ils sont là, à portée de main, mais c'est comme si ma chute dans leur direction ralentissait. Je n'ose pas, j'hésite, je me décourage : je me fatigue. Mon dos se courbe d'épuisement, mes membres se relâchent et mon cœur bat rapidement. *Maudit sort...* J'inspire bruyamment ; mes lumineuses Profondeurs me donnent le mal de mer.

Je fais glisser mon avant-bras sur mon front pour en essuyer les quelques gouttes de sueur. Je suis froide, pourtant j'ai si chaud que j'ai enlevé ma cape et mon pull et que mes manches sont relevées au-dessus de mes coudes. C'est la première fois que je m'entraîne autant. Certes, il y a bien eu des jours où je me suis servie de ma baguette jusqu'à en être épuisée, mais là, j'ai l'impression que c'est différent. J'ai été au-delà d'une certaine limite que je m'étais mise et que je n'osais pas franchir, plus loin que je n'avais jamais été auparavant. Pourtant, je ne suis arrivée à rien. La Magie s'est faufilée maintes fois en moi pour s'échapper à travers mon bout de bois, je suis parvenue à lancer plusieurs sorts appris en début d'année et je me suis améliorée dans mes lancers de certains sortilèges, mais je ne suis arrivée à rien. Je tourne en rond depuis deux bonnes heures sans progresser. C'est comme si j'étais enfermée dans un endroit sans fenêtre ni porte, je deviens complètement folle et pleine de hargne. Je n'arrive à rien, Merlin ! Des heures et des heures que ce sentiment me prend en étau, que ma Magie me joue des tours et que mes souvenirs me collent à la peau alors même que je ne parviens pas à plonger vers eux. Des heures ! Je n'en peux plus, j'étouffe et je bouillonne d'agacement. C'est un peu à cause de cela que je suis épuisée, l'impression d'être enfermée sans pouvoir avancer m'a poussé à tout tenter, quitte à terminer fatiguée. Je me sens comme un oiseau en cage, sauf que j'ai les clefs entre mes serres ; je ne sais tout simplement pas m'en servir. À moins que je n'ose pas ?

Peut-être est-ce ainsi. Peut-être suis-je destinée à ne jamais y arriver. Peut-être est-ce trop compliqué pour moi. Peut-être ne suis-je pas assez forte, pas assez douée. Le Sortilège du Patronus est réputé pour être complexe, tout le monde n'est pas capable de faire apparaître son Patronus. Pourtant, je pensais que moi, je pourrais. Je veux dire, je me sens prête et je sais que j'ai les capacités nécessaires pour réaliser ce sort. Cependant, rien n'y fait, je n'y parviens pas, qu'importe tout ce que je donne dans cette quête. *Ah putain...!*

Tout bouillonne au fond de moi. Des vapeurs de Magie s'échappent à travers ma peau, j'ai chaud, je transpire de souvenirs, ma gorge est sèche et ma main enroulée autour de ma baguette est moite. Je suis prête mais je n'ose pas plonger. Mes Profondeurs me font peur et m'inquiètent. J'ai mes souvenirs à un souffle de mes doigts mais j'hésite. *Plonger...* Et si je me perdais ? Si je ne parvenais plus à sortir ces images coincées dans ma tête ? Si je restais enfermée dans mon passé pour toujours ? Maman, sa peinture et ses étoiles ; Papa, sa pêche et son badge de Quidditch ; Anaë, ses lèvres rouges et son regard brûlant ; Daï, son corps criblé de flèches et sa silhouette dans mes cauchemars ; l'urne, la voix de Sepulveda qui résonne dans ma tête et la colère d'Alison ; le Dominion, la fumée qui se fait claire dans mon esprit, ma peur et mes remords ; mes BUSE, mes échecs et mon vide intérieur... Comment arrêter un torrent si puissant ? Je ne fais que les effleurer, mais ils s'imposent déjà à moi. Je maîtrise ma Magie ; je sais la contrôler tout en la retenant. Cependant, je ne maîtrise pas mes souvenirs. Ils sont comme une addiction ou des Détraqueurs : laissez-leur une petite emprise sur vous et ils vous écrasent pour vous remplir complètement. Et tout cela me terrifie. Comment plonger sans se laisser emporter ? Je ne sais pas nager. Comment choisir le souvenir le plus fort sans se faire attirer tout au fond de mes Abysses à cause de son emprise sur moi ? Je ne sais pas pêcher.
Alors oui, je n'avance pas, je suis prise au piège entre quatre murs, mon souffle se bloque dans mes poumons et mes poings se crispent, mais je suis incapable de faire autrement. Plonger et risquer de se noyer ou rester en sécurité sans pouvoir avancer ? *Aah !* Tout bouillonne au fond de moi.

Je me relève, je chancelle. *Merlin...!* appuyée contre le mur, je patiente quelques secondes, le temps de me reconcentrer. Mon cœur bat comme un fou dans ma poitrine ; a-t-il peur d'y rester enfermé ? Mes yeux se ferment longuement avant de se réouvrir. *J'peux l'faire.* J'inspire profondément, la bouche grande ouverte. Mon regard ne quitte pas un point en face de moi. Je dois juste me concentrer et rester ferme. C'est cela, la maîtrise, non ?

Une dernière longue inspiration, une grande concentration et *bordel j'en peux plus, cette fois-ci ce sera la bonne*.

Plongeon(s).


Attention : légère mention de mort dans ce paragraphe.

Un merveilleux souvenir ? Comment chercher ? Et, belle Circé, pourquoi sont-ils tous teintés de gris ?
Maman et Papa sourient tout en me lisant un livre, il fait doux, je suis bien, mais des maudites et cauchemardesques étoiles brillent au-dessus de mon crâne et dans leur cœur. Grand-mère m'apprend à m'occuper des plantes de grand-père pour la première fois, elle me parle de lui comme un tournesol parlerait de son soleil, mais Papa et Maman son partis, bien loin de nous, et grand-père est mort. Je cours dans les champs, tentant d'atteindre le soleil qui joue avec l'horizon, les longues herbes me giflant les jambes, mais tout à coup mon regard s'écrase sur un minuscule oiseau mort à mes pieds. Je rentre à Poudlard, Anaë près de moi et des rayons de soleil dans les pupilles, mais j'ai peur de ne pas être à la hauteur et je me sens un peu écrasée par tout cet inconnu. Le parc du château en hiver, la neige immaculée comme déposée soigneusement sur le paysage, le silence blanc enveloppant les lieux, mais la glace se brise sous mes pieds et je m'enfonce dans mes terreurs1. Anaë me sourit dans sa robe rouge et noir, ses lèvres rouges à quelques centimètres de mon visage, mais je ne la rattrape pas et je la revois traumatisée2. Alison est tout contre moi, j'entends presque les battements de son cœur et la promesse que je lui ai faite a fait grandir un Tournesol dans ma poitrine, mais l'orage gronde, je dois m'en aller et je ne lui reparle plus avant plusieurs mois3. Et l'urne noire qui arrive soudainement, m'attrape et me tire vers elle, me dévore, glisse derrière mes paupières le regard si dur d'Alison, les paroles blessantes de Bristyle4, la fumée macabre, les cris, la peur et la panique5.
Je me noie complètement et ma maîtrise se fait broyer dans mes Profondeurs.

Je me laisse tomber au sol et me recroqueville, la tête enfouie dans mes genoux et les bras passés autour d'eux. Pourquoi suis-je incapable de réussir ce *maudit sort* et de ne pas me noyer dans mes souvenirs ? Une boule de déception me serre la gorge.



Booon, je ne m'attendais pas trop à ça ahah. Mais Plume d'@Eryne O'Kieran, j'espère que ce début te plaît :3 ! N'hésite pas à me dire si le titre ne te convient pas.
Et @Alison Morrow, parce que tu es mentionnée et que je pense que cet Écrit pourrait t'intéresser :cute:!

#466962Étudiante à l'Institut de Médicomagie et des Sciences Magiques — spécialité botanique