Lylas venait de finir de manger. La grande salle était bruyante. L’effervescence du 14 février n'était toujours pas retombée et tout cela à cause de cette affiche qui avait mis la pagaille dans la tête des gens. Lylas avait donc emprunté les escaliers afin de remonter en salle commune en espérant que là bas ce soit un peu plus calme. Manque de chance, les escaliers aussi devaient être de mauvaise humeur. Impossible d'accéder à la salle commune. Lylas s'arrêta donc au quatrième étage et se dirigea vers la salle de répétition. Elle entra et ferma la porte derrière elle. La gryffone vérifia qu'elle était seule : personne à droite sur la scène, personne à gauche sur les poufs et la porte du bureau du chef de cœur était fermée. La gryffone n'osa pas l'ouvrir et se dit que si elle était fermée il ne devait pas être là. Elle alla s’asseoir sur la scène et ferma les yeux pour profiter du calme.
Soudain, elle repensa à la rencontre qu'elle avait faite ici trois ans plus tôt. Anwar. C'était un jour un peu comme celui-ci, où les escaliers n'avaient pas voulu l'emmener où elle le souhaitait et où elle s'était retrouvée à chanter. Elle s'était sentit elle même ce jour là. Et c'était tellement rare. Lylas sourit. Elle avait une envie irrépressible de chanter et puis après tout il n'y avait personne, elle avait vérifié. Elle se mis à fredonner un air. Cet air. Celui qu'Anwar avait chanté 3 ans auparavant, celui qui s'était incrusté dans son âme, celui dont elle se souviendrait toute sa vie.

Enfin elle chanta. D'abord doucement, la voix un peu tremblante de peur d'être entendue puis avec passion et assurance tout en se levant pour se placer au centre de la scène. Les paroles, elle les connaissait, les accords elle les avait déjà corrigé ce jour là. Lylas se laissa aller et profita du moment. Au final, ce n'était peut-être pas si mal si les escaliers étaient capricieux de temps à autres...

Max était plongé dans ses partitions. Composer n'était pas un exercice facile pour lui, mais nécessaire. Cet art entraînait différentes compétences musicales, aussi divers que complètes. Allant de l'harmonie à l'écoute, c'était ce qui lui permettait de garder un niveau de solfège assez élevé. C'était ainsi que le chef de choeur maintenait des automatismes et une certaine oreille musicale.
Il composait, rien de bien complexe, juste comme exercice. D'autant plus que, depuis sa sortie d'école, c'était quelque chose qu'il avait un peu abandonné.
Le fait de retravailler cette palette de compétences lui faisait du bien, tout comme tenter de poser des émotions sur le papier. Certains, à la plume fine et précise, aimaient poser des mots sur leurs pensées, sur leurs sentiments. Cette méthode les aidait à se détacher d'idées et de sentiments négatifs, tout en les faisant réfléchir sur leurs actions passées.
C'était exactement pareil pour Max, au détail près qu'il remplaçait les mots par des notes. Bien plus habile avec elles, il leur trouvait aussi une puissance que jamais il ne retrouvait avec des lettres.
Quand une voix fragile résonna dans la pièce, le chef de choeur sortit de son cocon. Il ne pouvait pas se concentrer, ni écrire de la musique en entendant quelqu'un chanter. Pouvait-on demander à un sorcier d'écrire et de lire en même temps?
Alors l'homme s'extirpa de son fauteuil, après quelques instants de lassitude. Si il ne pouvait pas se concentrer à sa tâche, autant aller voir comment se débrouillait celle qui le dérangeait. Au moins pourrait-il peut-être servir à quelque chose.

Passant de l'autre côté de la table, il ouvrit la porte en face de lui et sortit de son bureau.

Lylas était dans sa bulle. Comme les paroles venaient toutes seules, elle avait fermé les yeux pour se remémorer le jour où elle avait entendu la chanson. Elle avait besoin de mettre plus d'émotion dans sa voix. Sa grand mère le lui avait dit : il faut chanter avec le cœur, transmettre tes émotions à ceux qui t'écoute. Même si personne ne l'écoutait, Lylas devait pratiquer cet exercice. Il fallait que pour sa prochaine leçon de chant avec sa grand mère, elle ai progressé. Auriana devait rester fière d'elle. Elle s'assit sur le rebord de la scène et recommença la chanson du début avec pour seul objectif, pour seul mot clé : l'émotion.

Un bruit. Une porte. La porte du bureau du chef de cœur. Celle qu'elle n'avait pas vérifié. Elle venait de s'ouvrir et un homme apparut. La bulle venait d'exploser. Lylas reconnu immédiatement le chef de cœur et elle put enfin mettre un poste sur le visage de celui qui deux jours plus tôt l'avait indirectement aidé à sortir de la foule d'élèves qui avait rempli le couloir à cause de l'affiche. Peut-être pourrait-elle bientôt associer un nom à ce visage et à ce poste. Mais pour l'heure la question n'était pas comment s’appelait-il, mais plutôt m'avait-t-il entendu chanter ? S'il l'avait entendu, Lylas risquait gros car sa mère avait été très claire à ce sujet...

La gryffone préféra ne pas penser aux choses qui pourraient arriver s'il l'avait entendu. Après tout, il y avait encore une chance pour que son secret ne soit pas découvert. Une chance pour qu'il ne l'ai pas entendu. Juste une petite chance... A ce moment Lylas pensa aux paroles de sa grand-mère : keep hope. Garde espoir. C'est exactement ce que la Gryffondor faisait, garder espoir qu'il ne l'ai pas entendu. Garder espoir à tout prix.

Elle leva la tête et observa le chef de cœur. Elle guettait un signe dans son comportement. N'importe quel signe...

Lorsque le chef de chœur franchit le seuil de son bureau, la jeune chanteuse arrêta immédiatement ses vocalises. Comme paralysée, elle ne prononça pas un mot, seul un mouvement de la tête à peine discernable prouvait qu'elle était encore consciente.
Pourtant, l'interprétation qu'elle avait de cette chanson était loin d'être horrible. Elle pouvait être fière d'elle, même si, en réalité, Max ne connaissait pas l'oeuvre originale. De ce fait, il lui était impossible d'être parfaitement objectif sur la qualité de ce qui avait été chanté par rapport à ce qui était écrit. Mais, objectivement, plusieurs aspects réellement positifs tiraient l'avis que Max avait de ce que la jeune fille avait chanté vers le haut. D'abord, les émotions qui transparaissaient, disparaissaient et s'installaient dans l'esprit de l'auditeur. Le musicien ne savait pas qu'elle était la part, dans tout ça, de maîtrisé, mais, il en était certain, c'était fait exprès. Cela démontrait d'une volonté de la chanteuse de faire passer un message, tout autant qu'elle était en capacité, grâce à quelques modulations et variations dans son volume et sa voix, de maîtriser ce que ressentait le public. Quelque chose de nécessaire pour tout chanteur.
Ensuite, la technique vocale n'avait pas paru trop mal à Max, lorsqu'il l'avait entendue. Évidemment, elle s'était tue lorsqu'il avait ouvert la porte, et il ne pouvait donc pas être totalement certain de son analyse sans observer ce qu'elle faisait de son corps.
En parlant de corps, la jeune Gryffondor – il connaissait désormais la maison de la chanteuse grâce à la tenue qu'elle portait – ne paraissait pas en grande forme. Comme si elle était sous le choc de l'arrivée de Max.

- Mademoiselle, vous allez bien? Asseyez-vous un instant.

L'observation. Lylas détestait se faire observer, à contrario elle adorait observer le comportement des gens. Elle n'avait pas baissé le regard, inconsciemment elle s'était mise à trembler, consciente que ce moment ravivait les souvenirs des inspections de sa mère. Le signe qu'elle attendait ne tarda pas à arriver. Il se matérialisa sous la forme de parole.

- Mademoiselle, vous allez bien? Asseyez-vous un instant.

Ce signe la sorti de l'état de transe dans lequel elle s'était plongée. Un violent sursaut la secoua et elle retrouva peu à peu ses esprits. Suite à quoi, Lylas obéit presque immédiatement : en quelques secondes, elle s'était assise par terre au milieu de la scène. Ses tremblements cessèrent petit à petit. Une seule et unique idée tournait en boucle dans sa tête : il n'avait pas prononcé le mot chant. La gryffone se dit alors qu'il y avait encore une petite chance qu'il ne l'ai pas entendu.
Elle se remit à attendre. Cette situation la gênait, elle ne savait ni quoi faire ni quoi dire. Elle se sentait prise en faute, comme si elle avait fait la pire erreur de sa vie. Le silence devenait trop pesant la gryffone et elle ne comprenait pas l'effet que ce dernier avait sur elle à cet instant. Habituellement, elle appréciait le silence, il lui apportait la sérénité et la paix dont elle avait besoin. Mais à présent, ici, dans cette pièce, il était devenu insupportable. Pour remédier à cela Lylas dit instinctivement :

" Je... Je suis désolée. Veuillez m'excuser. "

C'était les premiers mais également les seuls mots qui voulaient bien sortir de sa bouche. Dès qu'elle eu finit de prononcer ces mots, Lylas baissa les yeux. Elle ne savait même pas pourquoi elle s'était excusée. Mais maintenant que c'était fait, cela n'avait plus d'importance.

Toujours aussi immobile, la jeune fille inquiétait Max. Son état ne semblait pas réellement s'améliorer, c'était comme si elle avait été prise d'une crise de panique lors de l'arrivée du chef de chœur dans la salle. Certes, petit à petit ses tremblements se calmaient, mais elle n'avait prononcé qu'une petite phrase, et son regard semblait toujours aussi perdu. Ce silence, qui se perpétuait dans une salle pourtant normalement si bruyante, en était presque effrayant.
Max réfléchit donc quelques instants à ce qu'il devait faire. La jeune fille devant lui venait d'avoir soudainement tous les symptômes d'une crise de panique, alors qu'il y a quelques instants à peine elle paraissait en pleine forme, chantant de tout son cœur. C'était donc sûrement l'arrivée du musicien le déclencheur. Maintenant, restait à savoir pourquoi il avait provoqué de tels symptômes. Mais cela n'était pas de son ressort, ces compétences de chef de chœur ne comprenaient aucune base de psychomagie. Il fallait toutefois trouver une solution, Max ne pouvait pas décemment laisser la jeune fille s'en aller comme ça. Elle s'était presque effondrée devant le chef de chœur, il lui était impossible d'imaginer même la laisser dans cet état. La seule solution était donc de l'emmener voir quelqu'un de qualifié.

-Vous n'avez pas à vous excuser. En revanche, je ne peux pas vous laisser partir comme ça. Voulez-vous que je vous accompagne jusqu'à l'infirmerie ou le bureau de psychomagie ?

Elle savait qu'elle s'était excusée pour rien mais au moment où elle avait ouvert la bouche ces mots étaient les seuls qui avaient bien voulu sortir. Lylas avait envie de s'arracher les cheveux, elle s'en voulait de ne pas avoir vérifié cette porte, d'avoir eu la naïveté de penser que si elle était fermée il n'y avait personne. Oui, la gryffone s'en voulait de s'être mise dans une telle situation...

La laisser partir ? Comment ça il souhaitait qu'elle parte ? Elle n'allait pas partir, ça non. Du moins pas avant de savoir si le chef de cœur l'avait entendu chanter. Cette information était cruciale pour Lylas. Alors même s'il était vrai qu'elle mourrait d'envie de partir en courant le plus loin possible pour échapper à cette délicate situation, elle allait rester et trouver un moyen de savoir à quel point elle avait merdé. Et quand bien même elle aurait voulu partir, son corps ne lui permettait pas pour le moment. Encore une raison de rester. Comment allait-elle procéder pour avoir la réponse. Lylas ne voyait que deux solutions : soit elle jouait la carte de la franchise et lui demandait ouvertement, soit elle attendait de voir s'il lui donnait un indice lui permettant de résoudre son problème... Tic, tac, tic, tac...

La fin de la phrase du chef de cœur résonna dans l'esprit de Lylas. Infirmerie, bureau de psychomagie... Son cœur accéléra, ses mains ainsi que ses jambes se remirent à trembler. Elle espéra que l'adulte ne le remarque pas, mais elle savait que c'était peine perdu. Sur une pulsion, elle décida de tenter le tout pour le tout et demanda dans un souffle :

" M'avez-vous entendu ? "

Après avoir posé sa question, la gryffone se concentra dans le but de calmer ses tremblements mais surtout pour éviter de penser aux conséquences que pourrait avoir la réponse du chef de cœur.