Une salle de cours inutilisée, c'est un endroit parfait pour être tranquille, et ma tranquillité est parmi ce qu'il y a de plus important pour moi. Dans ces concepts et faits divers qui ont une place toute particulière dans mon cœur, on peut aussi placer certains de mes loisirs comme la broderie. Et c'est exactement l'activité à laquelle je m'adonne, dans cet endroit si paisible. J'aimerais que personne ne me dérange, mais c'est une vision idéaliste de la réalité : je finis toujours par avoir une compagnie inopportune. La porte de la salle de classe est ouverte, d'autres personnes aiment la tranquillité, ce sont deux faits indéniables. Mais les autres ne me dérangent plus autant ; on ne dirait pas à mon air fermé, et mon regard plissé et concentré sur mon ouvrage mais je suis plus ouvert qu'avant. Parfois même, j'aime bien les autres, tant qu'ils ne se moquent pas de moi. Malheureusement on se moque souvent de moi, surtout quand je brode.

Mon travail actuel est loin d'être original, mais je suis plutôt perdu dans mes pensées dernièrement et j'ai besoin de pouvoir broder en laissant mes doigts travailler seuls, sans réflexion supplémentaire. L'inconvénient, ce sont les pansements à presque tous mes doigts mais ça m'importe peu tant que ma manucure reste parfaite. Quelques points plus tard, je termine enfin la fleur commencée la veille : un lilas qui m'a demandé un travail absolument épouvantable. Pas parfait, mais passable. Pour n'importe quelle paire d'yeux non experte, cette broderie ne ressemblerait qu'à une composition florale tout à fait banale or si l'on observe attentivement, on reconnaît aisément un motif que l'on retrouve régulièrement sur les dernières collections de la marque de luxe sorcière Wizarmani. Souvent brodé sur des sacs de la marque et diverses pièces de collection, certains supposent même que le motif pourrait peu à peu supplanter le logo de la marque, que d'autres trouvent désuets. Bien sûr, moi je m'en fiche : j'aime juste les lilas. Les lilas, et la tranquillité de cette salle de cours inutilisée. A l'exception de quelques âmes errantes mais comme je l'ai dit, je suis devenu un peu plus sociable après cinq longues années à Poudlard.

Début avril, les vacances démarraient bientôt et, si Ennis les attendait avec impatience, c'était bien parce que le premier week-end annonçait un voyage vers la Suède pour aller voir la course de Kopparberg. Elle ne savait pas qui de ses deux frères allait l'accompagner mais elle supposait que ce serait l'aîné. Domhall préparait son diplôme et avait un stage important. Diamruid lui pouvait obtenir plus facilement des jours de congés en raison du nombre d'élèves drastiquement moins nombreux à l'école. La préfète ne savait pas comment il allait pouvoir s'arranger. A moins que son père qui semblait vouloir s'investir de plus en plus auprès d'elle ne souhaite l'emmener. L'adolescente n'en avait pas très envie, mais il serait bien difficile de s'y opposer. Mais quoi qu'il arrive cela signifiait peut-être croiser sa correspondante de Durmstrang et surtout voir les meilleurs coureurs du monde se disputer la première place. Et c'était sans compter tous les sorciers aventureux qui allaient prendre le départ. Elle avait hâte.

Et comme cet évènement allait prendre certainement deux ou trois jours sur son programme de révision imposée, même si elle séjournerait encore très probablement chez ses frères, alors elle ne voulait qu'une chose; montrer qu'elle prenait ses études au sérieux. C'était déjà ce qu'elle faisait, mais moins sa mère - quand bien même elle était soignée pour des troubles psychologiques - pourrait lui reprocher de chose, mieux ça se passerait. Alors elle cherchait une salle libre pour travailler les sortilèges et maléfices appris en défense contre les forces du mal.

Passant la tête par la tête entrouverte, elle faillit passer son chemin. Il y avait quelqu'un qui semblait concentré, c'était peu compatible avec un entraînement magique. Mais elle eut un temps d'arrêt. L'adolescent installé ne faisait pas une activité commune, ni pour un étudiant à deux mois des examens, ni pour un jeune homme. Il brodait. Ennis fit quelques pas et - ayant du mal à réfréner sa curiosité - observa l'ouvrage du jeune homme, un sixième année à Serdaigle si sa mémoire ne lui jouait pas de tour. Son nom était Noestlinger, son prénom en revanche, lui échappait, comme souvent. "Bonjour. Ça fait longtemps que tu apprends?" Demanda-t-elle avec tranquilité. En reconnaissant le lilas d'une célèbre marque dont elle portait un chemisier ce jour là.

C'est la troisième personne qui se glisse dans la pièce depuis que je m'y suis installé une heure plus tôt. Bien que concentré sur ma broderie, une de mes oreilles est aux aguets de ce bruit nouveau provenant de la porte. J'entends des bruits de pas dans mon dos, puis une petite silhouette apparaît dans mon champ de vision.

«Ennis O'Belt. » réfléchis-je à voix haute. C'est la préfète de Gryffondor, qui ne semble ni vouloir se moquer ni me réprimander pour exercice d'une activité interdite à la gente masculine. Bien que cette dernière hypothèse semble loufoque, je me méfie depuis ma confrontation avec un groupe de troisième année qui s'est achevée par la destruction d'une de mes plus belles broderies. Mais je l'aime bien, O'Belt : je ne lui ai jamais parlé mais elle semble être calme et travailleuse et c'est tout à fait le genre de personne que j'estime.

J'interromps mon ouvrage pour l'observer. Un autre détail attire mon attention : les petites fleurs qui ornent l'une des manches de son chemisier, dont le tissu délicat avait déjà frappé mon regard quelques secondes plus tôt. Ce lilas mêlé à deux roses : caractéristique de la marque Wizarmani et que j'essaie vainement de reproduire depuis hier à partir d'un simple modèle dessiné.

«Relatif, ça dépend de ce que tu appelles longtemps. Trois cent cinquante sept jours aujourd'hui. » réponds-je avec un soudain éclat d'intérêt dans mon regard. Je me retourne et compte rapidement, avant de rendre toute mon attention à la préfète-au-joli-chemisier. «Tu ne me déranges pas si tu as prévu une activité pas trop bruyante. Il y a de toute façon vingt-sept autres chaises libres ici. »

- "C'est exact." Dit Ennis pour confirmer son identité. "Et tu es..." Elle cherchait son prénom depuis qu'elle était entrée dans la pièce. "Coelestin Noestlinger, je crois." Ca devait être ça, il n'avait pas un prénom courant, il se pourrait bien qu'elle l'ait mal prononcé en revanche. Elle n'espérait pas, généralement l'identité des élèves de la quatrième à la cinquième année ne lui échappait pas. Mais le Serdaigle était d'une discrétion rare.

L'adolescent interrompit son travail d'aiguille pour la regarder et considérer sa question. Mais avant, il sembla à la châtain que son œil s'arrêta sur ses poignets. La jeune fille laissa tomber son regard dessus et constate le motif caractéristique qui s'y trouvait. Forcément, il était en train de le reproduire. "Tu es d'une précision incroyable, près d'un an donc." Traduisit la rouge et or en prenant une place non loin du bleu et bronze. Ses plans venaient de changer, finalement elle n'allait pas pratiquer de sort quelque soit la discipline, non, elle allait sortir un cours ou un devoir.

- "Je n'avais pas pris la peine de les compter." Elle jeta un regard circulaire. "Je te fais confiance sur le fait qu'il en reste vingt-six de libres." Ajouta la préfète en sortant de quoi travailler sur le dernier devoir donné par le professeur Featherstone. Comme elle allait potentiellement discuter avec son camarade, prendre de quoi écrire la lettre pour Olya n'était pas une bonne option.

- "Tu t'en sors plutôt bien, pour quelqu'un qui brode depuis une petite année. On reconnaît bien leur lilas." Commenta Ennis qui déroulait son brouillon de composition à rendre pour la semaine suivante.

« C'est facile, ça fera un an dans quelques jours donc la date n'est pas compliquée à retenir. » réponds-je en me justifiant presque. Je ne veux pas qu'elle me trouve étrange à compter ainsi les jours, mais je ne m'inquiète pas plus que cela de son opinion sur le sujet puisque mes joues sont déjà en train de virer au rouge suite à son compliment sur ma broderie.

Désormais assise, la préfète semble être partie sur une activité d'écriture, ce qui me rassure un peu puisque le grattement d'une plume sur papier est un son qui m'est agréable. Sa compagnie ne devrait pas me déconcentrer de mon propre travail.

« Merci » murmuré-je après un léger silence. Je ne sais jamais comment réagir suite à un compliment, donc je détourne mon attention vers mon ouvrage pour ne pas ressentir davantage d'embarrassement. Elle n'est pas très exigeante, O'Belt, pour trouver ma broderie réussie. Depuis que j'ai commencé, je ne vois quasiment que les défauts de tissage et les mauvais raccords de couleurs. Je glisse un regard hésitant vers elle et notamment vers son poignet. Les plis du tissu ne me permettent pas d'observer le motif dans sa totalité mais j'en devine les formes. L'original est toujours mieux qu'un modèle ; je ne travaillais jusqu'ici qu'à partir d'un dessin que j'avais reproduit de tête.

« Ca ne te dérange pas... ?» m'enquis-je alors que mon regard se fait un peu insistant. Réalisant qu'elle ne voit peut-être pas de quoi je parle, je précise : « que je regarde ton vêtement de temps en temps, pendant que tu es là et que je brode. Je me base juste sur un dessin, mais maintenant que je l'ai sous les yeux là, tu vois, je m'aperçois que j'avais même oublié une petite feuille... » expliqué-je avec embarras.

Coelestin, ça devait bien être ca puisqu'il n'e l'avait pas corrigé, voulu se justifier de connaître le nombre exact de jours d'expérience de broderie. C'était en effet assez rare que le sens soient aussi sur d'eux quant à la durée de leur apprentissage. Elle même aurait dit 'bientôt un an' à sa place. C'était amusant et cela ne tira qu'un très léger sourire à l'irlandaise, absolument pas moqueur.

Après avoir complimenté le garçon de la maison de Rowena sur sa technique acquise très certainement seul, Ennis s'était mise à l'œuvre et rajoutait des éléments sur son devoir déjà bien avancé alors qu'elle relisait le livre qu'elle avait emprunté à la bibliothèque. La Gryffondor ne prenait pas plus que cela attention au sixième année qui pourtant jetait régulièrement un coup d'œil sur sa personne, sur son poignet droit pour être précise. Il était particulièrement rare que ce genre d'observation ne la dérange pas. La différence entre ladolescent et la plupart des autres étudiants, c'était qu'il ne s'agissait pas d'un regard curieux ou insistant, elle sentait bien que ses yeux étaient attirés par le motif de la marque sorcière, celui là même qu'il essayait de reproduire.

Alors qu'elle rajoutait une information sur les sortilèges de croissance et decroissance florale, le bleu et bronze lui posa une question. L'irlandaise se permit de terminer sa prise de note pour lever les yeux de son travail et proposer: "Tu peux t'approcher si tu veux, pour mieux apprécier les détails que tu souhaites ajouter ou reprendre." Et pendant qu'elle disait cela, sa main gauche vint replacer le tissu pour que la broderie de son chemisier soit le plus à plat possible, sans pli dans le coton égyptien qui avait servi à sa confection. "Tu ne vas pas rester aussi loin, c'est absurde."

« Merci » réponds-je avec soulagement. A en juger par la réaction de la préfète, je n'ai pas été indélicat, ce qui me rassure beaucoup. En réponse à sa proposition, je prends toutes mes affaires et m'assois à côté d'elle, non sans une petite gêne. J'installe mon petit plan de travail à l'identique : mes fils, ma paire de ciseaux, mon modèle et mon ouvrage en cours retrouvant leurs exactes mêmes places habituelles. Tout aligné, les couleurs rangées par thème et surtout, pas un fil qui dépasse sur le territoire de la Gryffondor dont je partage désormais la table.

Bien qu'occupée sur ce qui semble être un devoir, ma camarade semble veiller à ce que le motif de son vêtement reste parfaitement visible. C'est une attention qui me touche beaucoup alors je profite de cette opportunité pour effectuer les premières retouches, plus rapides, à l'aide d'un crayon sur mon modèle dessiné. Je repose ensuite mon crayon et reprends mon travail d'aiguille afin de commencer à broder la petite feuille manquante.

« J'ai un chemisier très similaire, en fait. D'une précédente collection, celle de printemps 2045. J'ai hâte de voir ce qu'ils vont faire cette année. » commencé-je, hésitant. « Je n'ai juste pas pu l'emmener à Poudlard, parce que c'est un vêtement pour femme. Ma mère a voulu que je le retire de ma valise... heureusement qu'elle n'a pas vérifié le double-fond, c'est là qu'il y avait mon matériel de broderie.» J'ai l'impression d'en dire trop, alors j'essaie d'en venir au fait, ayant toujours et perpétuellement l'impression que je dois me justifier de tout. « C'est juste pour dire que je tenais vraiment à reproduire ce motif, mais du coup j'ai tout refait de tête. Donc, merci. » Je reprends timidement mon travail, glissant à travers le tissu mon aiguille dotée d'un fil vert, avant de grommeler sans réfléchir : « C'est juste un bout de tissu, je ne comprends pas pourquoi ça devrait être pour femme ou pour homme. On devrait pouvoir porter ce qu'on veut. » puis, craignant un éventuel faux pas : « Pas.. pas n'importe quel morceau de tissu. C'est un très beau vêtement, je l'adore. C'est juste que... désolé» Je perds soudain mes mots. J'ai l'impression de m'enfoncer dans mes explications bancales et inutiles. « Je parle trop et tu es occupée, je te dérange. Et je dis n'importe quoi. Désolé » Je grimace un peu et m'agite sur ma chaise. « Désolé, je ne devrais peut-être pas m'excuser ? Mais désolé. Mais merci. Mais désolé. Pardon. Désolé. Pardon. »

Le Serdaigle la remercia dans un souffle et Ennis ne le regarda pas vraiment déplacer tout son matériel. Elle constata juste du coin de l’œil qu'il semblait particulièrement méticuleux dans la manière de s'organiser, aussi précis dans le placement de chaque objet que dans sa manière de décompter le temps ou les places disponibles. Ainsi installés, les deux adolescents vaquaient chacun à leur occupation, la jeune Gryffondor faisait juste attention à la position de son poignet droit et donc de sa manche et à ne pas déplacer d'affaire sur les différent outils du garçon, notamment son croquis de référence qu'il venait de corriger après un regard qui semblait expert à son vêtement. Expert à son niveau, plus expert que le sien. Elle n'avait pas grand talent pour le dessin ou les ouvrages au grand damne de sa mère, ni broderie, ni instrument de musique, pas plus de peinture...

La voix du sixième année s'éleva, il était particulièrement bavard d'un coup. Mais certainement pas inintéressant. Il parlait du fait qu'il avait un chemisier de cette marque, de 2045, celui qu'elle portait était de la saison passée. Et elle aussi attendait avec ferveur la prochaine. Il n'était pas dit qu'elle acquiert une pièce mais... se la faire offrir, pourquoi pas. Vêtement pour femme, en effet la coupe des chemisiers était plus adapté aux corps féminins. Mais ils avaient un rayon homme, avec beaucoup moins de motifs floraux cependant. Domhall devait avoir une de leur chemise, elle parierait quelques chocogrenouilles là dessus. Regardant son camarade, Ennis ne savait pas trop comment réagir, elle comprenait bien ce qu'il voulait dire et en même temps, comment en parler? S'il aimait ce genre de vêtement, pourquoi pas. Un homme avec une chemise aussi cintrée et avec autant de motif de fleur pouvait surprendre... Mais pas plus que de surprendre son grand-frère avec un homme? Si?

- "Arrête de t'excuser." Dit finalement et en toute simplicité, la châtain après un énième merci, à moins que cela ne soit un désolé ou un pardon. "Tu as le droit d'aimer ce chemisier même s'il a été conçu pour être porté par une femme." Elle fit une pause, réfléchissant à a manière de dire la suite. "Si c'est avoir un vêtement de Wizarmani qui te plaît, ils ont des collections pour homme. Il n'y a juste pas cette broderie florale qui revient. Je crois qu'ils utilisent un rameau, de l'olivier si je ne dis pas de bêtise." Elle avait légèrement froncé son sourcil, cherchant dans sa mémoire ce qui se trouvait sur la chemise de son frère. "Ça pourrait aider tes parents à accepter au fur et à mesure d'autres vêtements qui te plaisent plus." C'était une hypothèse, mais ça se tentait non?

- "Et pour ce qui est destiné aux hommes ou aux femmes... Ma mère ne supporte pas que je fasse autant de sport, surtout sur balai. Elle aurait préféré que je brode, ou dessine... J'ai besoin de bouger et ce n'est pas ce qu'on attend d'une demoiselle de bonne famille." Elle n'avait pas pu s'empêcher de prendre un ton qui singeait la voix maternelle. Ça avait été plus fort qu'elle. Mais sa mère, si elle pouvait juste de détacher de quelques préceptes arriérés... Ils étaient devenus sang-purs certes, mais même ceux qui avaient les idées les plus arrêtées sur les qualités sanguines des sorciers laissaient plus de libertés à leurs enfants dans leurs choix personnels.

Je me tais aussitôt, comme si la sommation de cesser de m'excuser avait soudainement scellé mes lèvres entre elles. Il y a quelque chose qui me dérange dans les propos de la préfète mais je peine à identifier ce dont il s'agit. C'est comme si un je-ne-sais-quoi sonnait faux ou du moins pas parfaitement adapté à ma situation. Je tâche de ne pas me focaliser dessus et me concentre plutôt sur le reste de la conversation, désormais orientée vers sa famille. Ce que j'entends résonne un peu en moi, me reconnaissant dans ces diverses contraintes familiales.

« Je comprends, c'est un peu pareil pour moi... » dis-je avec un soupir. Heureusement, tout le monde a abandonné l'idée de me mettre sur un balai volant : les quelques tentatives se sont soldées par des échecs ponctués de bonus à base d'ecchymoses et de fractures, et il en est ainsi pour tout sport. La pression que je ressens n'est pas celle de devoir agir en futur homme, pour peu que cela veut dire, car de ce que j'ai toujours observé, ce sont envers les femmes qu'il y a constamment les plus grandes attentes. Non, pour moi le problème réside dans le fait qu'on me refuse systématiquement le moindre signe de féminité, allant jusqu'à me demander si je ne suis pas en réalité moi-même une fille alors que je ne me suis jamais questionné sur le sujet, ne désirant que ma tranquillité et la liberté de vivre comme je l'entends.

« Vivement l'âge adulte, pour qu'on puisse faire ce que l'on veut. » soupiré-je à nouveau. Mais. Je suis adulte, en fait : j'ai dix-sept ans, c'est la majorité sorcière. J'ai cependant pas l'impression d'en être un, et j'ai encore moins le sentiment que je pourrai sous peu me soustraire à l'autorité parentale. C'est comme pour mes vêtements : tant que je serai sous leur toit, je vivrai sous le règne de mes parents, sans pouvoir faire ou porter ce que je veux. Je repense avec amertume à ma chemise Wizarmany qui sommeille dans mon armoire à Rothbury, bien loin d'ici. « Je ne veux pas d'un vêtement de la collection pour homme, les tissus ne sont pas les mêmes et c'est inconfortable, » expliqué-je, « pour les chemises destinées à leur clientèle masculine, ils utilisent des tissus plus rêches et épais. Je n'aime pas : ça gratte, ça me démange et c'est désagréable. Je préfère les tissus de leurs chemises pour femme, ils sont plus doux et légers, j'ai moins chaud avec. Et, les lilas sont bien plus beaux que des oliviers. »

L'âge adulte... Quelques mois et elle serait majeure. Mais est-ce que cela sonnerait la fin des exigences parentales? Elle en doutait fortement. Elle aurait beau pouvoir être indépendante vis à vis de la loi, elle savait - par l'expérience de ses frères - que cela ne signerait pas la liberté. Pas tant qu'elle serait dépendante financièrement de ses parents. Même si elle avait l'avantage d'avoir Diarmuid et Domhall - lui même accompagné d'Owen - qui ne la laisseraient pas tomber.

Ennis eut un hochement de tête lent. Il avait raison, les tissus des collections masculines étaient un peu plus épais, et fatalement moins doux au toucher, tout simplement car les tombers les plus fluides convenaient rarement à la carrure des hommes. Quand au fait de tenir chaud... Elle n'en avait jamais porté pour être capable de dire si oui ou non c'était le cas. Et elle n'allait certainement pas fouiller dans les armoires de ses aînés pour faire le test, il faisait respectivement près de vingts et pas loin de trente centimètres de plus qu'elle... Autant dire qu'elle pourrait faire une course de balai dedans.

- "Et tu n'as jamais songé à passer une commande à distance pour te faire livrer ici? A Poudlard, tes parents ne peuvent pas savoir ce que tu portes, et sous un pull d'uniforme, personne ne remarquera rien." Elle en savait quelque chose, il n'était pas rare qu'elle troque la chemise somme toute très classique de l'école pour l'une des siennes, plus ajustée et plus confortable, et aucun adulte du château n'avait jamais rien remarqué.