Un masque sous la main, je traverse d'un pas modéré les couloirs tout en essayant de chasser de mon esprit ma dernière leçon plus qu'ennuyante d'Histoire de la Magie. Je déteste cette matière. La pièce, les objets, et même les leçons... tout dans cette matière n'inspire que vieillesse et antiquités inutiles. Je compte bien lâcher ce cours l'année prochaine grâce au choix de ma filière, qu'importe laquelle cela sera. Cependant, l'instant présent n'est pas dédié à la réflexion du choix de ma prochaine filière, mais bel et bien à la manière dont je devrais mettre en œuvre ma blague incroyable. Enfin techniquement, il me suffit simplement de me cacher et de sortir en trombe de mon coin, mais j'aime à penser que les blagues sont un art savant que seule l'élite maîtrise.

Un sourire malicieux sur les lèvres, j'aperçois alors l'endroit parfait pour me dissimuler à la vue des élèves, qui affluent certainement pour se rendre dans la grande salle ou je ne sais où. De mon côté, je sais très bien que je ne déjeunerais pas avant un petit moment. En effet, le temps que je me cache, revête mon masque tout beau — fabriqué il y a peu avec un parchemin et une ficelle ! — puis fasse peur à un élève qui passe... J'espère seulement que mon ventre ne me trahira pas au pire instant. J'aurais l'air malin, si au milieu de ma blague un gros grondement affamé retentissait !

Enfin bref, me voilà maintenant bien dissimulé dans un renfoncement du couloir, près d'une statue qui me cache de manière convenable selon moi. Et puis de toute façon, vu les têtes ennuyantes des élèves qui se pressent dans ce couloir, je doute qu'ils me remarquent. Qu'est-ce que Poudlard peut être un endroit ennuyant, ça alors... Heureusement que je suis là pour sauver la réputation de l'école ! Enfin, trêve de bavardages. J'enfile finalement mon masque, et grimace alors que je m'aperçois que les orifices censés me laisser distinguer quelque chose se trouvent décalés par rapport à mes yeux, me donnant par conséquent une piètre visibilité de la situation. Génial. Je retiens une grimace de dépit pour finalement me lancer dans mon expédition. Masque parfait ou non, peu m'importe, j'effrayerais ma victime bien au-delà de ce qu'elle a connu dans l'entièreté de sa vie !

Je surgis alors de ma cachette, avise la personne repérée quelques secondes plus tôt — un grand blond, je crois. Enfin je ne suis pas sûr, à cause de ces fichus trous mal placés ! — et pousse un cri strident tandis que je pose simultanément mes mains sur son dos.

– BOUUH... AAAAAH... JE SUIS UN GRAND MÉCHANT !

J'avoue avoir hésité entre le "bouh" et le "ah", puis paniqué à la dernière seconde, prononçant alors les deux... Mais cela n'enlève rien à ma crédibilité, j'en suis certain ! Certes, j'aurais bien aimé disposer de quelques bombabouses pour rendre ma farce davantage crédible... Mais malheureusement, je n'en ai pas à ma disposition, donc je fais sans.

Le cours de Sortilèges du jour était absolument passionnant. Centré sur des aspects théoriques, nous avons surtout rempli une multitude de parchemins. Au premier rang comme d'habitude, mon regard est resté accroché au visage de la professeure, buvant chacune de ses paroles délivrant un savoir nouveau, émerveillé bien que fatigué par toutes les connaissances qu'il me reste à acquérir avant de passer mes BUSEs. La douleur dans mon poignet me rappelle les heures intensives à rédiger mais aussi la joie que j'éprouverai ce soir quand sera venu le moment de relire l'intégralité de mes notes du jour pour les mettre au propre et mieux m'en imprégner. Devrais-je utiliser des repères colorés pour classer chacun de mes cours afin de mieux m'y retrouver ? Ou peut-être relier magiquement les parchemins entre eux pour faciliter leur lecture ? Il y a tant de pistes pour rendre les études encore plus divertissantes ! Heureusement que mon corps réclame désespérément repos durant les vacances d'été sinon, elles me paraîtraient bien longues.

Après plusieurs escaliers, j'arrive enfin au premier étage et m'engage dans un long couloir dans l'objectif de prendre un raccourci menant à un dernier escalier donnant sur le rez-de-chaussée et plus loin, la Grande Salle où un repas chaud m'attend. Je dois faire le plein d'énergie avant le cours d'Astronomie : en journée, il est plus que probable que de la rédaction soit encore attendue. Plongé dans le doux et frais souvenir du cours du jour, c'est à peine si je prête attention à mon environnement -enfin, jusqu'à ce que je sente une pression sur mon dos accompagnée d'une voix criarde qui me glace le sang. Je reste une demi-seconde figé de surprise puis m'exclame, tout en me retournant avec colère :

« Toi ! Petit saligaud, canaille ! Blaze Rosenberg, tête de cornichon, je vais t'arracher tes poils de nez et te les faire manger ! Cra... »
Mes mots restent un moment suspendus dans l'air alors que tout m'indique dans la voix, la posture et les vêtements aux couleurs de Gryffondor que le garçon qui me fait face n'est pas Blaze Rosenberg. D'un coup de baguette magique et un Wingardium Leviosa murmuré, je fais léviter le parchemin qui encombre le visage de l'enfant -aurait-il trébuché sur ses cours ? pour mieux l'observer, mais rien dans ce que je vois ne m'est familier, si ce n'est un air parfaitement stupide similaire à celui de mon cousin. Ce garçon semble être fait du même bois que le jeune Blaze : probable qu'il soit expert dans l'art de façonner des crottes de nez mais que sa tête sonne creux.

Je recule d'un pas, secoué par le contact physique qui me paraît encore douloureusement accroché à mon corps, et à la fois surpris et indigné par ce geste. Mes yeux clignent plusieurs fois de stupeur tandis que ma main vient frotter mon dos comme pour effacer ce contact indésirable, mais en vain puisqu'une gêne résiduelle persiste.
Même Blaze sait que je ne supporte pas les contacts physiques.
« Mais t'es qui, toi ? »

J'ai à peine le temps de me délecter du soudain arrêt de ma victime, que je me retrouve envahi d'un torrent de paroles à la consonance parfaitement agacée. Finalement, je n'avais pas besoin de bombabouses pour réussir mon coup ! Mon regard se perd sur la silhouette du garçon, enfin autant qu'il le peut vu le peu de visibilité que mon masque me laisse, et je souris. Je ne m'attendais pas à ce que ma blague fasse tant d'effet que cela ! Néanmoins, mon sourire laisse rapidement place à une expression emprunte d'une parfaite perplexité, tandis que je tente de décrypter les paroles que je perçois. Blaze... Rosen-quoi ? Il va m'arracher les poils de nez ? Aussitôt, je recule d'un pas pour... Hé ! Mon masque !

Je fronce les sourcils alors que j'aperçois le grand faire léviter mon œuvre d'art avec sa baguette. Non, mais pour qui il se prend, à détruire tout le plaisir que j'avais à lui faire peur ?

– Mais rend-moi mon masque ! D'accord, j'avoue il est pas très pratique, je n'arrive même pas à voir correctement quand je le mets... Mais c'est le mien ! T'as pas le droit de me le prendre !

J'esquisse une moue boudeuse, alors que le Serdaigle — maintenant je peux clairement distinguer son uniforme bleu et bronze — recule. Puis, il pose une question qui me ferait presque tomber mes yeux par terre, si c'était possible.

Sérieusement ? Il ne trouve rien de mieux à me demander d'autre que mon identité ? Parmi toutes les questions qui pourraient s'égarer dans sa tête, il ne lui vient même pas à l'idée de me demander comment j'ai pu être si ingénieux ? Je croise les bras. C'est un Serdaigle, de toute façon, à mon avis il est aussi borné que sa maison, c'est tout.

– Nolan. Et tu disais quoi avant ? Pourquoi Blaze... Roseau...werg ?

Je fronce les sourcils. Cela doit réellement être une des aventures les plus insolites qui me soit arrivée jusqu'ici. Normalement, les gens sursautent, ont peur... Enfin bref, il ont une réaction de base quand quelqu'un arrive par surprise ! Mais ici, rien de tout cela. Il s'est simplement contenté de me crier dessus avant de me questionner sur ma personne. Ça n'a aucun sens ! À la rigueur, qu'il ne trouve pas ça drôle je peux comprendre — quoique... — mais cette réaction... Je crois qu'elle m'agace. Et c'est donc pour cette raison que je ne peux m'empêcher de bougonner, passablement frustré.

– T'es bizarre, toi. Pourquoi t'as pas eu peur à ma blague, d'abord ?

D'un coup de baguette, je fais retomber le masque dans la main de l'enfant, mettant ainsi fin à mon sortilège de lévitation. Voilà maintenant que non satisfait de sa blague, le garçon me reproche ma réaction. Pourtant j'ai bel et bien été surpris -en témoigne le vif pincement ressenti dans ma poitrine qui peine à se calmer tandis que mon rythme cardiaque lui continue de s'affoler. C'est surtout le contact physique qui est à l'origine de mon malaise, je n'ai pas l'habitude de ce type d'intrusion dans mon espace vital. Même s'il est fréquent pour la personne maladroite que je suis de bousculer par inadvertance d'autres élèves dans le couloir, le contact ici était franc et direct, et surtout volontaire.

« Blaze Rosenberg. C'est un gamin qui te ressemble. » Et qui a à peu près son âge par ailleurs. Le Gryffondor n'a pas l'air d'être un première année. N'a-t-il pas déjà eu le temps de se lasser de ce type de plaisanterie douteuse ? Quoi que s'il ressemble autant à mon cousin que me l'indique ma première impression, il se pourrait bien que son cas s'aggrave en vieillissant. Pas rassurant, mais je suis content de ne pas avoir celui-là dans ma salle commune.

Après un bref calcul mental, je reprends mes explications.
« Je n'ai pas eu peur, Nolan, parce que c'est la treizième fois qu'on me fait cette blague... » Et comme pour enfoncer le clou, j'ajoute : « ... depuis le début de l'année scolaire. » Parce que oui, le cadet de la famille Rosenberg n'est pas du genre à se lasser de ce type de plaisanterie qu'il répète inlassablement sur ses cibles préférées -incluant moi pour une raison obscure mais au moins, on dirait que j'y suis désormais à peu près immunisé, si ce n'est argh, cette sensation de fourmillement dans mon dos qui ne veut pas partir. Je hais les contacts physiques.

« En revanche ceci, » continué-je en pointant avec ma baguette le masque, si toutefois on pouvait donner cette appellation à ce malheureux parchemin torturé, « C'est déjà plus original, même s'il y a clairement des progrès à faire. Tes trous n'étaient même pas en face de tes yeux, Nolan. »

Un gamin ? Mais je ne suis pas un gamin, moi ! Par conséquent, je ne peux pas ressembler à son Blaze, c'est techniquement impossible. Ou alors, il me considère autant comme un gamin que cet élève — puisque j'imagine qu'il doit être élève quelque part si c'est un gamin — ? Mais puisque je ne suis pas un gamin, alors ce Blaze non plus n'en est pas un ? Ou bien, lui est un gamin mais pas moi ? Cependant, dans ce cas-là pourquoi ce grand dirait que Blaze me ressemble... ? Argh, je crois que je réfléchis vraiment trop, je ne parviens pas à m'y retrouver.

Néanmoins, je n'ai pas réellement le temps de pousser plus loin la réflexion, puisque le grand reprend la parole, et je reste la bouche ouverte alors qu'il m'avoue avoir été victime une douzaine de fois de la même farce. C'est vraiment possible ? Mais comment ça se fait ? Il n'est pas en train de me mentir simplement pour avoir l'air cool... ? Méfiant, je hausse un sourcil. Je ne vois pas pourquoi lui serait victime treize fois de blagues comme les miennes, alors que ce n'est arrivé à personne que j'ai croisé jusqu'à maintenant.

– Vraiment ? Mais dans ce cas-là tu pourrais les éviter.

Je ne comprends pas. S'il a été victime plein de fois, toujours et encore de la même farce, il n'a qu'à se prendre en charge et l'éviter, il n'est pas doué. Ou alors c'est moi qui suis juste beaucoup trop intelligent, et le garçon n'a pas réussi à m'éviter. C'est fortement possible. À cette idée, je me sens subitement très fier.

Pourtant, la mention du Serdaigle sur les trous de mon masque me revient en mémoire, et je grimace. Déjà, comment a-t-il réussi à remarquer que les trous ne sont pas en face des yeux, alors que je ne m'en suis rendu compte qu'une fois après avoir revêtu l'objet ?

– Oui et bien ce n'est pas facile à faire, je voudrais bien t'y voir ! C'est très bien, ce que j'ai créé. D'ailleurs, t'as même pas essayé ce masque, peut-être que les trous sont bien en face des yeux.

Il est possible que je fasse preuve d'un peu de mauvaise foi, je veux bien l'admettre. Mais un peu, seulement.

Finalement, une réflexion me vient en tête, et je tente de faire fonctionner mes neurones. Si ce grand a été victime autant de fois de blagues, il doit bien conserver au fond de sa mémoire quelques idées, non ? Il critique, et bien il n'a qu'à me proposer une meilleure solution.

– T'as une liste des meilleures blagues ?

Il me vient à l'idée qu'il pourrait croire que je m'inspire de lui, et je manque d'en bégayer. Il ne faudrait pas qu'il aille penser cela, sinon je ne m'en remettrais pas ! Il est absolument nécessaire de clarifier cette situation.

– Pas que je pense que tu sois utile hein, pas du tout. Mais tu dois commencer à t'y connaître au bout d'un moment... Enfin, quoique, tu n'as quand même pas l'air doué.

Ne pas réussir à éviter la même farce treize fois... Franchement !

Ce garçon est vraiment étrange. Il n'y a rien de logique dans son comportement ni dans ses réflexions, qui s'enchaînent chacune toutes plus étonnantes les unes que les autres par leur stupidité. Réfléchit-il au moins à ce qu'il dit ? Il a l'air borné -je ne sais pas si cela vaut le coup que je dépense mon énergie à tenter de lui faire comprendre l'illogicité de ses propos, je suis presque certain qu'il s'en vexerait sans même prendre le temps de réfléchir à mes remarques. En somme, exactement comme Blaze Rosenberg, le garçon avec qui je l'ai confondu initialement.

Et voilà qu'à l'instar de ce dernier, son manque d'imagination se fait ressentir puisqu'il vient en quête de nouvelles plaisanteries -mais cette fois il vise juste en estimant que je ne suis pas doué pour ce genre de choses. Voilà un bon point pour lui et peut-être sa seule analyse correcte jusque-là : effectivement je suis bien l'une des pires personnes à qui demander inspiration pour faire des blagues.

Il y a quand même quelque chose qui m'intrigue avec ce genre de spécimen. Leurs motivations. Leur fonctionnement. Quelles pensées et quels processus de réflexion permettent d'arriver à la conclusion qu'il est pertinent, drôle et intéressant de surprendre quelqu'un dans un couloir ? En tire-t-il satisfaction ? Si oui, en quoi ? Visiblement, il est vexé parce que je n'ai pas eu l'air d'avoir peur, donc il aurait préféré peut-être que je sursaute de manière plus visible -est-ce que ceci aurait provoqué de la joie chez lui ?

Je m'approche du garçon et me penche légèrement pour atteindre un peu sa hauteur, et plonge un regard inquisiteur dans le sien, comme si ses yeux pouvaient m'en révéler davantage.
J'aimerais bien comprendre ce garçon. Il est si différent de moi qu'il y a peut-être quelque chose d'intéressant à en tirer. Davantage qu'avec le cadet Rosenberg, j'ose espérer.

« Nolan. Qu'est ce qui n'est pas un steak ? » J'attends une seconde, mon regard toujours plongé dans le sien pour jauger sa réaction, avant de donner la réponse. « Une pastèque. » Celle-ci me venant tout droit de mon cousin et n'étant à mon sens absolument pas drôle, j'espère qu'elle plaira à ce garçon qui semble avoir tant en commun avec lui. Est-ce hilarant, enfant ? Est-ce que les commissures de tes lèvres viennent former un sourire ?

« Il y a quelque chose que j'aimerais comprendre. Pourquoi as-tu fait ça ? Et pourquoi moi ? » Point de jugement là-dedans ni de reproche : je veux seulement connaître ses motivations.

Il ne répond pas à mes questions. Pourquoi ? Peut-être un problème d'ouïe ? Ou bien il juge le sujet indigne d'intérêt ? Je ne peux m'empêcher de froncer les sourcils. Si j'ai posé des questions, c'est que j'attends des réponses. Rien de moins, rien de plus. Ce n'est tout de même pas bien compliqué, si ?

Pourtant, alors que l'injonction de répondre à mes questions me brûle les lèvres, un mouvement de ce grand me fait perdre le fil de mes pensées. Il s'approche. Peu à l'aise, je me tortille sur place, alors que je me retiens à nouveau de reculer pour m'éloigner de cette taille imposante. Pire ! Car voilà que ce Serdaigle ne pouvait pas se contenter de se rapprocher, non, il en rajoute une couche en se penchant au-dessus de moi ! Je déglutis. Allez Nolan, tu es le sorcier le plus génial de Poudlard, tu ne peux quand même pas finir effrayé par un imbécile qui s'est fait prendre au piège treize fois par la même blague !

Ce blond me regarde un peu trop instamment à mon goût, et une nouvelle fois, je suis forcé de me rappeler avoir une dignité pour réussir à faire face à cet étrange élève. Cet échange devient un peu trop... insolite, à mon goût.

L'élève articule quelques mots, une interrogation plus précisément, et je cligne des yeux. Un... Steak ? Qu'est-ce qui n'est pas un steak... ? L'air si sérieux avec lequel le Serdaigle prononce la question me déboussole, alors que mon cerveau peine pour suivre. J'ai d'ailleurs à peine le temps de m'interroger sur le but de la question, que le grand m'offre la réponse sur un plateau d'argent.

– Pastèque ?

Que diable vient faire le fruit là-dedans ? Et pourquoi donc cette question incongrue ? Je ne comprends pas.

– Pas un... Pas... Aaah !

Un sourire s'étire sur mes lèvres, alors qu'un éclat de rire m'envahit. C'est malin ! Il fallait y penser, ça alors ! L'estime bien basse que j'avais pour l'individu qui se tient en face de moi remonte soudainement. Je n'irais pas jusqu'à prétendre qu'il me plaît, mais s'il dispose d'un vaste répertoire de jeux de mots comme celui-ci... Pourquoi pas ? Peut-être que je pourrais le comprendre.

Et pourtant. À peine l'idée formulée dans mon esprit que je me vois forcé d'admettre que de nouveau, je ne suis plus du tout la logique du Serdaigle. Un coup il me sort une blague, l'autre me confond avec quelqu'un... Et voilà qu'à présent, il me pose des questions sur une action qui est déjà passée à la trappe depuis longtemps à mes yeux. C'est du passé, ça, il fallait me poser la question dès le début. Pas maintenant, alors que je suis depuis longtemps ailleurs grâce à sa blague ! Déconcerté, je remue donc les yeux, cherchant autour de moi si quelque chose d'extérieur serait à l'origine de cette question. Aurait-il un complice pour... Pour... Me ridiculiser ? Je soupire. Peut-être pas, mais en tout cas, quelque chose ne tourne pas rond. C'est certain.

Néanmoins, comme je ne trouve aucune preuve d'une quelconque implication tierce pour me déstabiliser, je hausse finalement les épaules dans une réponse :

– Pourquoi le ciel est bleu ? Pourquoi toi ? Va savoir, tu passais par là, et à vrai dire je te distinguais à peine lorsque je t'ai surpris. Enfin, lorsque j'ai tenté de te surprendre.

Quant à savoir pourquoi exactement... Quel drôle de garçon. La réponse me paraît pourtant évidente.

– Tu n'as franchement pas d'imagination. Pourquoi je ferais ça si ce n'est pour m'amuser ?

Je laisse finalement mon regard se balader autre part, songeant que pour une fois, réaliser une plaisanterie m'a tout sauf amusé. Cela aurait pu être drôle, si ce grand avait au moins réagit de manière visible. Là, il s'est simplement contenté de se retourner pour me crier dessus. Sympa.

La réaction du garçon confirme ma théorie : il est bien stupide. Et bizarre. Je ne lui demande pas ce qu'il y a de drôle avec cette blague de pastèque et de steak : j'y ai réfléchi pendant des jours après l'avoir entendue pour la première fois sans comprendre l'aspect désopilant de la chose. Bien sûr, le jeu de mot est évident, mais ça ne le rend pas drôle pour autant. Mais lui, il trouve ça marrant : il a éclaté de rire, c'est bien le signe que la plaisanterie fonctionne sur lui ? Il est donc confirmé qu'il s'agit du même type d'individu que le cadet Rosenberg.

Maintenant que j'ai vu ce que je voulais, je recule légèrement pour instaurer une distance d'un bon mètre entre mon jeune interlocuteur et moi. Moi non plus, je n'aime pas quand on empiète sur mon espace personnel : hors de question de faire subir cela à quelqu'un trop longtemps.
Mais si je pensais avoir des éléments de réponse, ses nouvelles questions ne font qu'accroître ma confusion. Que vient faire la couleur du ciel là-dedans ? M'interroge-t-il se disant que par mon statut d'aîné, je peux lui apprendre certaines choses ? Soit je le peux, mais le contexte est étrange pour ce type de question.
« Le ciel est bleu à cause l'atmosphère. Lorsque les rayons du soleil, constitués de nombreuses couleurs, entrent en contact avec les gaz de l'atmosphère, ils sont diffusés dans toutes les directions mais la composition de l'atmosphère fait que les petites longueurs d'onde -donc le bleu, passent plus facilement. » A quelques détails près, mais mes dernières recherches sur le sujet datent un peu.

Fini l'aparté sur la couleur du ciel -revenons à ce qui nous intéresse réellement.
« Si tu ne voyais pas bien, c'est bien qu'il y avait un problème avec la localisation de tes trous. » constaté-je toutefois. J'avais raison, et j'aime avoir raison. J'espère que le garçon admettra son erreur -si j'ai fait léviter son masque c'est bien pour voir quelle paire d'yeux se cachait en-dessous, il est évident que celui-ci était mal fait.

Si j'ai bien compris que j'ai été désigné comme cible par la simple force du hasard, la dernière réponse du garçon n'en est pas vraiment une. C'est évident qu'il cherchait à s'amuser, ce n'était pas ma question. Enfin, la faute est sur moi ; j'aurais pu m'exprimer de manière plus explicite.
« Excuse-moi, je n'ai pas été clair. Je voulais savoir ce qu'il y a d'amusant dans le fait de surprendre quelqu'un. Je ne demande pas ça pour te réprimander ou autre, je m'en fiche de ça, je veux juste comprendre comment tu fonctionnes. »

J'écoute les paroles que me fournit ce garçon avec les yeux écarquillés. Mais qu'est-ce qu'il raconte, encore ? Des petites longueurs d'ondes ? Rayons du soleil constitués de nombreuses couleurs, alors que le soleil est jaune ? En fait, il est complètement stupide ! Cependant, le voilà qui enchaîne rapidement sur un autre sujet, et je tente de discipliner mes pensées.

Donc, récapitulons. Il vient de me dire que le soleil est un arc-en-ciel, alors qu'il est bien évidemment jaune, et cela pour je ne sais quelle raison. Ensuite, il me parle à nouveau des trous, alors qu'encore une fois, j'étais bien évidemment passé à autre chose. Faisant cela, il en profite d'ailleurs pour me contredire à nouveau, ce qui est passablement énervant. Mais finalement, il s'excuse... et j'écarquille les yeux.

Euh... Pourquoi je m'étonne, tiens ?

Je ne sais pas, sur le coup ça m'avait paru logique, parce que je ne voyais pas vraiment un tel être humain s'excuser... Mais après tout, pourquoi il ne le pourrait pas ? Pourquoi ai-je été étonné ? Je ne comprends pas. J'ai l'impression que mon cerveau me sort par les oreilles, et que plus ce grand parle, plus je suis perdu. C'est intolérable ! Me retenant de paniquer — ce qui transparaît peut-être dans mes expressions, d'ailleurs — je ne peux m'empêcher de vouloir ralentir la conversation.

– Attends, attends, attends.

Il m'est déjà arrivé d'être dans un état comme ça, mais en général c'est plutôt en cours, lorsque je tente de suivre et que le professeur semble dire des mots plus Gobelbabil les uns que les autres. Je sais donc que, lorsque je me sens perdu, il ne faut surtout pas que je m'énerve et que je perde mon calme. Je vais poser les faits à plat.

– Pourquoi tu dis que le soleil a plein de couleurs ?

Un point d'abordé. Au niveau des trous, je n'ai pas envie de revenir dessus, et de toute façon, je ne vois pas quoi ajouter puisque l'élève en face a raison. Ce serait m'enfoncer volontairement. Serein, je poursuis par conséquent ma remise à niveau, seul mot qui me vient pour caractériser ce que je suis en train de faire. Soit : place à la question que vient de me poser ce grand, en toute sérénité. Enfin... Presque. Je ne comprends pas pourquoi il a dit qu'il ne voulait pas me réprimander. C'est parce qu'il est proche de l'âge adulte qu'il dit ça ? Il croit savoir mieux que moi ce que j'ai le droit de faire ? Peut-être. Bref, revenons à nos veaudelunes.

– Euh, donc ta question, c'est pourquoi c'est amusant de faire des blagues ? Comment je fonctionne.

C'est bon, j'arrive à suivre maintenant. Mon interlocuteur enchaîne vite, par Merlin ! Enfin bref, je dois répondre à sa question.

– C'est drôle de voir les gens sursauter. Ils ont peur, en général, et ont des réactions complètement disproportionnées. Parfois, cela crée carrément des situations où ils s'affolent, et être derrière tout ça, sans que les victimes ne le sachent forcément... C'est amusant !

Enfin, en général, cela finit toujours par se savoir... Ou encore, rien ne se déroule comme prévu. Mais je préfère ne pas l'évoquer. Passer sous silence les inconvénients du jeu.

Visiblement, j'ai perdu mon interlocuteur en cours de route. Le garçon m'a l'air plutôt perdu -et la confusion que je lis sur son visage s'accroît au fur et à mesure que je développe explications et pose questions. La chose se confirme à ses réponses qui me paraissent quelques peu désordonnées, et me laissent un petit goût de déception tant je m'attendais à mieux et plus réfléchi. Je me doutais bien que l'explication de l'amusement trouvé à surprendre les autres s'annoncerait légère et probablement frivole pour moi, mais je m'attendais tout de même à avoir matière à réflexion et des pistes pour continuer mes recherches. Hors, le garçon ne m'a rien appris. Tant pis, je suppose.

« Blanc. Le soleil paraît blanc, pas jaune. Pour la teinte jaune, même explication que le ciel bleu : c'est en partie à cause de l'atmosphère qu'il nous paraît jaune. Et le blanc, c'est juste une superposition de tout plein de couleurs différentes. » expliqué-je avant d'ajouter comme j'aurais expliqué à un petit cousin de huit ou neuf ans : « Du coup sur tes prochains dessins, tu pourras faire un soleil couleur arc-en-ciel si tu veux. »

Tout de même, si ce gamin s'interrogeait sur la couleur du ciel et du soleil, je ne comprends pas qu'il choisisse de surprendre une personne aléatoire dans un couloir pour ensuite poser ses questions. N'aurait-il pas été plus simple de procéder normalement, c'est-à-dire par des recherches personnelles à la bibliothèque ou en interrogeant poliment un autre élève ou un adulte ? Sans masque, ni de cri provenant de derrière ?

Un jeu associé à des questions pour parfaire sa culture. Au moins, il est un peu plus intéressant que mon turbulent cousin qui se serait contenté de ricaner bêtement avant de repartir en courant. Et de mon côté, ça me fait réfléchir et me rafraîchit un peu la mémoire : il est toujours bon de réviser quelques principes fondamentaux de physique de temps en temps pour ne rien oublier. J'imagine que je peux lui en être reconnaissant pour ça.

« J'ai compris, merci pour tes explications. Tiens, redonne-moi ton masque, je vais t'aider avec tes trous. » proposé-je en sortant à nouveau ma baguette magique, prêt à lancer un sort sitôt l'accord du garçon donné et l'objet tendu.