Inscription
Connexion

19 juin 2022, 06:59
Autoportrait à l'aile cassée
La chute d'Icare
[Co-écrit avec la Plume d'Aristid O'Shaken]


2 octobre 2046
Couloirs — Poudlard
6ème année



La boule dans ma gorge ne veut pas s’en aller. Mes yeux me piquent. La moindre frustration me donne envie de fondre en larmes. Je suis épuisée. Et je suis misérable.

Je me traîne dans les couloirs de l’école, la main solidement accrochée à la lanière de mon sac. Il est lourd. Je trimbale de nombreux ouvrages et je n’ai pas pris le temps de lui lancer un sortilège pour l’alléger. Je ne prends pas le temps pour grand-chose ces derniers temps. Je fais, j’avance ; j’essaie du moins, pour ne pas ressasser mes souvenirs. Mais plus j’essaie moins j’y parviens : c’est logique, faire l’effort de ne pas penser me rappelle pourquoi je ne veux pas penser et alors je m’y revois. Là-bas.

Dans mes souvenirs, le ciel est gris. Il pèse sur nous de toute sa rage, de toute sa force. C’est normal que la grisaille accompagne un moment aussi douloureux. Lorsque j’étais là-bas et que je vivais tout cela comme un présent et non pas comme un souvenir, je n’avais pas aussi mal. Bien sûr, mon corps était douloureux et au bord de la rupture, l’échec était une masse dans mon estomac, mais je n’avais pas mal comme aujourd’hui. J’ai l’impression que la brûlure ne se situe plus sur ma peau mais à l’intérieur d’elle, quelque part dans mon corps, dans mes veines, dans mon sang ; elle court partout dans mes membres. Je me traîne mon échec et mes souvenirs comme une douleur physique alors que ce n’est qu’une impression intérieure. Lorsque j’étais sur ce plateau et que Loewy se tenait tout près de moi, j’ai atteint les sommets dont j’ai toujours rêvé, j’ai touché du doigt la Magie avec un grand M.
Putain, la chute a été douloureuse.

Je ne pense qu’à elle, Loewy. À ce qu’elle m’a montré. À ses mots. À ce que nous avons vécu ensemble. Mon échec. Ses paroles. Ma douleur. Ses larmes — j’ai fini par comprendre que c’était effectivement des larmes et qu’elle avait eu peur, elle aussi. Comme moi. Peur que je me perde, ce qui aurait été une preuve flagrante de son propre échec. C’était il y a à peine plus d’une semaine. J’ai l’impression que jamais je ne pourrais m’en remettre. Depuis ces instants brumeux dans la montagne Écossaise en compagnie de ma Directrice, je suis perdue. Et pire que cela : je me sens faible.

Faible… de m’être évanouie.
Faible… d’avoir échoué.
Faible… d’avoir pleuré.
Faible… de m’être énervée.
Faible… de ne pas en vouloir à Kristen Loewy.
Faible… de ne pas savoir recommencer ce que j’ai échoué.

Les couloirs accueillent trop de monde, aujourd’hui. Les épaules me percutent, les corps me bousculent. J’essaie de les éviter mais je n’essaie vraisemblablement pas assez. À la boule que j’ai dans la gorge, je comprends que l’après-midi va être longue. Je n’ai pas envie de lutter. J’ai envie de m’apitoyer. Je voudrais aller la retrouver dans son bureau mais j’ai trop honte.

Un corps me frappe violemment ; je fais un pas en arrière pour garder mon équilibre. Un râle de douleur m’échappe. Ma main vole pour se plaquer contre mes cotes. Depuis le Plateau, tout mon corps est sensible. Je ferme très fort les paupières le temps que la douleur reflue… Puis j’ouvre les yeux.

Là, sur le sol devant moi, un gamin allongé de tout son long. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Il a dû me percuter. Il a eu moins de chance que moi puisqu’il est par terre et que moi non. Je pense un instant à m’énerver contre lui et abandonne aussitôt l’idée : je n’en ai pas le courage. Et vu comme il s’est ramassé la tronche, il doit être aussi surpris que moi. Mes tourments intérieurs sont trop grands pour que je rejette toute la faute du monde sur lui.

Mais je soupire quand même, agacée que cet obstacle se présente à moi. Je n’ai pas envie de faire des efforts. Pas envie non plus de lutter contre moi-même.

« Tu peux t’rel’ver ? »

Voix pressée, les mots se bousculent dans ma bouche. Je n’ai pas envie de m’étendre sur sa possible douleur, sur sa rancœur ou que sais-je encore. Seules les vieilles valeurs que m’a inculquées ma famille me poussent à parler : je ne peux pas l’abandonner dans un couloir s’il est véritablement blessé.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 04 mai 2023, 12:33, modifié 1 fois.

19 juin 2022, 07:06
Autoportrait à l'aile cassée
Il s'excuse ; j'avais la tête ailleurs, dit-il, et pour une fois j'ai envie d'accepter les choses comme elles sont : oui, il avait la tête ailleurs, il m'a percuté et il est tombé. Et alors ? Rien qui ne vaut la peine que je m'éternise. Il me suffit de hocher la tête et de m'en aller, tout simplement. M'en aller retrouver mon étrange quotidien que j'ai du mal à suivre depuis quelques jours. Je me demande si ma peau restera toujours aussi sensible, si ma magie palpitera pendant encore longtemps. Sans doute le sommeil me permettrait-il de guérir plus rapidement mais je n'arrive pas à bien dormir, la nuit. Je ressasse beaucoup. Et comme je n'aime pas ressasser, j'étudie aussi beaucoup, tard, le matin comme le soir — je n'ai absolument pas eu les heures de sommeil essentielles pour me remettre de ce que j'ai vécu avec Loewy. J’oscille entre différentes envies : celle de retrouver toutes mes capacités rapidement et de laisser tout cela derrière moi et celle de continuer de souffrir, juste pour que mon échec soit bien ancré dans ma peau.

Concentre-toi, Aelle.
Hocher la tête et m'en aller.
Je hoche la tête mais... La vision qui s'offre à moi m'empêche de m'éloigner prestement : le garçon saigne aux coudes, il s'est méchamment raclé la peau contre le sol.

« Euh... Est-ce que t'aurais un mouchoir à me prêter ? »

Une moue me traverse les lèvres. Est-ce qu'il est sorcier, Merlin, ou seulement un vulgaire Moldu ? Je sais déjà comment va se dérouler la suite malgré mon envie de disparaître et de me faire oublier. Je soupire et me tourne en direction de notre public :

« Y'a rien à voir, annoncé-je à la meute d'avides curieux qui se rassemblent autour de nous, allez voir ailleurs. »

Ma hargne en éloigne certains, les autres font quelques pas en arrière en avisant mon regard noir. Cela ne suffit évidemment pas à faire disparaître en totalité les élèves qui nous observent. Leur indiscrétion leur insuffle la vie : ils auront quelque chose à raconter durant le repas, de quoi alimenter certaines rumeurs ou en inventer d'autres. Je crispe les mâchoires, désespérée à l'idée de tous ces futurs messes-basses qu'ils s'échangeront. « Bristyle a attaqué un gamin de Poufsouffle ! », « elle l'a jeté à terre, encore une preuve de sa violence ! ». Mais les gens n'ont absolument aucune idée de la vérité, ils ne savent pas à quel point j'ai soif de violence, oui, mais pas de celle qui me fait pousser un pauvre enfant sur les dalles centenaires du château. Une violence bien plus grande dont j'ai eu un aperçu la semaine der... *N'y pense pas*.

Sans un mot de plus, je m'accroupis auprès du gamin. Son uniforme m'indique qu'il s'agit d'un Poufsouffle mais sa tête ne me dit pas grand chose. Je ne connais pratiquement aucun élève inscrit dans les trois premières années. Je ne m'attarde pas sur son visage, préférant observer les éraflures qui lui abîment les coudes. Le sang fait rougir sa peau claire. Je suis impressionnée, de la part d'un enfant de son âge je me serais attendue à des cris, des pleurs ou la tête qui tourne à cause du liquide carmin. Mais chez lui, rien. Soit il est courageux, soit il a connu pire.

« Tu permets ? » demandé-je en avançant une main vers l'un de ses coudes.

Je demande parce que moi je déteste que l'on me touche et que même si l'on m'avait demandé mon accord, j'aurais envoyé la personne se faire voir. De toute façon, moi je n'ai pas besoin d'aide, contrairement à ce garçon.

Je dégaine ma baguette et la serre entre mes doigts.

« Pas besoin de mouchoir, je peux soigner ça d'un sortilège. »

Je prie Merlin qu'il accepte. Sans cela, je devrais l'emmener à l'infirmerie, mouchoir ou non. Personne n'abandonne un gamin dans un couloir — il n'y a que Kristen Loewy pour abandonner son élève aux portes du château alors que celle-ci tient à peine debout, qu'elle pour transplaner sans état d'âme. Comme quoi, je ne lui ressemble peut-être pas tant que cela. Je ne sais pas si cela me plait ou me désespère. Elle n'aurait pas non plus demandé la permission pour le sortilège, elle l'aurait lancé et tout aurait été réglé en deux en trois mouvements.

04 mai 2023, 12:38
Autoportrait à l'aile cassée
Ma main reste en suspension entre nous le temps qu'il se redresse et qu'il s'installe en tailleur devant moi, à même le sol. Alors je baisse lentement mon bras, n'ayant de toute façon aucune envie de me saisir de son coude ou de forcer un contact que je ne désire pas. Le regard braqué sur lui, je détaille ses traits de petit enfant, impatiente qu'il m'offre une réponse positive afin que s'apaise l'angoisse qui sourde au fond de mon corps : la crainte de devoir me rendre à l'infirmerie alors que je n'ai aucune envie de mettre les pieds là-bas. Lorsqu'enfin il hoche doucement la tête, m'autorisant de ce fait à œuvrer comme je le désire, mes épaules se relâchent imperceptiblement.

Il lève le coude vers moi et silencieusement je l'en remercie ; cela m'évite d'avoir à saisir son bras pour mieux y voir. J'observe les égratignures rougeâtres. La pierre ne pardonne pas, surtout quand on tombe violemment sur elle. Je pense aux morceaux de peau abandonnés sur le sol, quelque part sous le garçon. Puis la pensée passe ; j'approche ma baguette.

« Ça s’apprend comment, ce sortilège ? » me demande-t-il, trop pressé pour attendre que je le lance effectivement, ce sortilège.

Sa question m'empêche de rassembler mes forces. Je lui jette un regard en coin, à ce Poufsouffle trop curieux qui ne sait guère tenir sur ses jambes, et pince les lèvres avant de lui répondre à mi-voix :

« Ça s'apprend comme tous les autres sortilèges, marmonné-je sans faire d'effort pour rendre mon ton agréable. En étudiant et en s'entraînant. Tu l'apprendras pendant ta quatrième année. »

Me concentrer sur le sortilège à venir me permet de ne pas penser à la douleur qui me cingle le corps, à la fatigue qui toque contre mes tempes depuis une semaine et aux souvenirs qui vont avec. Les jours qui ont suivi mon voyage sur le Plateau, j'ai eu du mal à utiliser la magie. Non, pardon, je n'ai pas eu du mal : j'ai été incapable de le faire. Ça m'est revenu que récemment. Je suis trop habituée aux entraînements harassants pour ne pas avoir compris qu'il ne s'agissait que d'un simple épuisement magique. Et contre ça, il n'y a qu'un remède : le repos et l'attente. Je suis certaine de réussir mon sortilège mais je sais que ça va puiser dans mes réserves plus que ça ne l'aurait fait avant le Plateau.

J'approche de nouveau ma baguette magique et murmure la formule adéquate : « Episkey ». Le sortilège agit rapidement, la blessure n'étant pas trop étendue. Je sais qu'il devrait ressentir une drôle de sensation mais moi ce que je vois, ce sont les petites plaies qui se referment et le sang qui retourne à sa place. Au bout de quelques secondes, la peau redevient aussi tendre qu'elle l'a toujours été. Une peau toute pâle, une peau d'enfant.

Je m'appuie sur mes genoux pour me relever. Autour de nous, les élèves curieux se sont un peu éloignés. Sans doute que leur soif de violence et de ragots a été mise à mal par ma proposition de soigner le gosse. « Dommage, elle ne va pas lui mettre une tannée, » ont-ils dû se dire. Ils retournent à leur petite vie emmerdante et désormais, les élèves qui passent près de nous en nous contournant se contentent de nous jeter des petits regards curieux sans chercher à intervenir.

Je baisse la tête sur le Poufsouffle. Je ne lui propose pas ma main. Maintenant qu'il est guéri, il peut se relever tout seul. Je ne vais pas non plus lui épousseter sa cape.

« Et maintenant, tu peux te relever ? »

On peut entendre dans ma voix une légère lassitude. Ce n'est pas de l'agacement ni rien qui pourrait s'en approcher. C'est seulement que je peux difficilement être autre chose que lasse depuis une semaine. Ça s'incruste dans ma peau : la manière brutale dont elle m'a laissée aux portes du château et mon lancinant échec. La lassitude me permet de ne pas exploser. Comme la boule dans ma gorge et mes longues heures d'étude.

16 juil. 2023, 17:03
Autoportrait à l'aile cassée
« Merci, » dit-il en se redressant aussitôt et sans la moindre difficulté.

Après s’être levé, je pensais qu’il allait s’en aller, tout simplement — qui ne serait pas heureux de s’éloigner de mes horizons ? Mais non. Mes yeux passent lentement de son visage au biscuit qu’il me tend. Un biscuit tout rond, plein de pépites de chocolat. Ce que l’on appelle communément un cookie. C’est instinctif : un sourcil perplexe se lève sur mon front, marquant ma surprise et la méfiance que ce geste m’inspire. Mes yeux passent alors du biscuit au visage de l’enfant et du visage au biscuit, et ainsi de suite, avant de s’arrêter sur le sourire que je trouve sur ses lèvres. C’est un sourire tout à fait affable, un sourire qui dit : tu m’as aidé alors je te remercie.

Ce n’est pas déplacé, ce n’est pas méchant. C’est même tout le contraire. Mais je soupire doucement car je n’ai pas de temps à perdre avec ce genre de considération. C’est un gentil petit Poufsouffle, mais c’est tout, ce n’est rien d’autre. Un gentil garçon qui pense devoir me remercier en me nourrissant. Sauf que cela fait des années que je n’ai plus besoin que l’on me nourrisse et que mon estomac n’accepte plus grand chose depuis une bonne semaine. Une semaine, vous vous souvenez ? Lorsque mon noyau magique a été pompé, pompé par mon échec au sommet d’un Plateau.

Je mange le minimum nécessaire, car je sais bien que sans cela je ne retrouverais jamais la forme. Néanmoins, le cœur n’y est pas. J’éprouve autant de difficulté à manger qu’à me lever le matin ou traverser le château pour aller d’un cours à l’autre. Vivre est difficile, ces derniers temps.

Je me focalise sur le visage du garçon. Il est bien loin de ces considérations, lui. Ce n’est qu’un enfant.

« Non, j’ai pas faim. »

C’est un fait. Je n’ai pas faim et je n’ai aucune envie d’accepter ton biscuit qui a dû traîner dans des poches peu recommandables. J’aurais pu ajouter : « mais c’est gentil », sauf qu’ en fait, ça ne l’est pas. Ce n’est pas gentil, c’est agaçant. Il aurait pu se contenter de partir et voilà. Mais rester et perdre du temps à me proposer quelque chose, perdre mon temps et perdre son temps, c’est ennuyant.

Je fais un drôle de geste du menton dans sa direction. Ce n’est ni un remerciement ni une salutation. Je ne sais pas ce que c’est. D’un geste habile, je range ma baguette magique dans ma poche. J’adresse un dernier regard au garçon avant de me détourner vers le reste du couloir et la suite de ma journée. Déjà, mon esprit se détourne de cette affaire pour s’en retourner dans la folie des souvenirs qui me hantent. C’est beaucoup plus facile de me concentrer sur mes douleurs et de déplorer intérieurement tout ce qu’il s’est passé plutôt que de faire l’effort d’essayer de ne plus y penser.

— Fin —