Je l'ai ruminé pendant des jours. Aelle a semblé jouer sa vie en fin de semaine dernière, je sais qu'elle attendait ce jour avec impatience, qu'elle avait des choses à se prouver et à prouver au monde, qu'elle voulait réussir, que dis-je, qu'elle refusait formellement d'échouer, car c'est tout de même d'Aelle Bristyle qu'on parle, échouer, ça ne fait pas partie de son vocabulaire.

Je l'ai observée s'entraîner, écoutée me raconter les manipulations à effectuer, vue stresser, j'ai stressé avec elle, j'ai attendu avec hâte l'annonce des résultats, nous avons patienté un weekend entier, une éternité pour mon petit corps en mouvement perpétuel.

Ce lundi matin, je me réveille un poil plus tôt que d'habitude, je dois arriver dans la Grande Salle en avance si je veux croiser Aelle, toujours en avance, habillée, douchée, cours en main, les sourcils froncés par la concentration. Sildnir dans une main, Chaussette dans l'autre, je m'assois et mange en vitesse mon porridge gluant. Ce truc est vraiment moche mais Merlin que c'est bon !

« C'est aujourd'hui ? »

« Oui ! C'est aujourd'hui qu'on sait ! Tu me dis si tu la vois, hein ? »

Elle hoche la tête, le regard concentré, et scrute l'horizon. De mon côté je jette un coup d'œil sur les sorciers qui peuplent la pièce mais elle est trop bondée pour apercevoir quoi que ce soit. Sildnir, ma petite sœur de cœur, monte sur sa banquette, très investie dans ma tâche de petite amie. Tout à coup, elle saute à pieds joints, atterrit gracieusement sur le sol - chose que je suis bien incapable de faire -, et s'exclame :

« Là-bas, sur la droite de toi, une Poufsouffle jolie qui sourit ! Attention, bâbord, tribord, elle arrive vers les nous deux ! »

Mes lèvres s'écartent, dévoilant des dents joyeuses, à nouveau j'attrape Sildnir et je m'approche d'Aelle. J'ai laissé Chaussette à table, il n'avait pas terminé son assiette de brocolis - ce chat est trop gros, il suit un régime strict en ce moment.

« Alors ? Ton sourire semble dire que tu l'as eu ? Tu transplanes, dis, c'est bon ?»

Lundi 20 mai 2047
Grande Salle — Poudlard
6^ème année


Avant même que je ne la rejoigne, Elowen se lève et vient à ma rencontre. Le bonheur se diffuse à toute allure dans mes veines, si puissant, si exaltant que je ne remarque même pas que la jeune fille traîne Sildnir dans son sillage. Je ne vois que le regard de la rousse posé sur moi et n'entends que les mots qu'elle m'offre. Alors elle attendait, elle aussi ? Elle attendait mes résultats ? C'est possible, ça ? Qu'elle soit intéressée par ma réussite ? Elle me gâche un peu la surprise de tout lui avouer mais ce n'est pas grave. J'ai exactement ce que je veux devant moi : une personne, non, deux personnes a qui montrer ma réussite, ma grande réussite, le début de mon indépendance, le commencement de ma vie libre...

Je brandis mon tout nouveau permis devant le visage d'Elowen, littéralement. Mon visage de papier à quinze centimètres du sien. Elle est en tête à tête avec mon regard déterminé. Quand je baisse le bras, elle aperçoit sans doute l'immense sourire qui m'étire les lèvres d'un bout à l'autre du visage. Impossible de le retenir, impossible de le diminuer ; je n'en ai de toute manière pas l'envie.

« Je l'ai eu ! m'exclamé-je, comme si c'était utile de le préciser. J'ai mon permis de transplanage ! Je peux transplaner ! Je peux aller où je veux ! Enfin non, ajouté-je après un instant de réflexion, pas où je veux parce que tu sais, on ne peut transplaner qu'aux endroits où on a été. Mais j'ai été dans plein d'endroits dans ma vie... »

Je baisse mes yeux brillants de fierté sur ce morceau de parchemin qui, à lui tout seul, cristallise ma réussite et mon talent.

« Alors je vais pouvoir aller dans plein d'endroits ! » soufflé-je d'une voix rêveuse.

Mon coeur trébuche, l'idiot : c'est ce qui arrive lorsque l'on bat trop vite. Je le laisse faire, trop accaparée par toutes les images que j'ai en tête. Défilent dans mon esprit tous les endroits que j'ai visités avec mes parents, au Royaume-Uni et même ailleurs. Des villages sorciers, des monuments, des villes dont je ne me souviens plus le nom mais qui se rappellent à moi à coup d'images et de souvenirs. Les falaises de Llangranog, la longue route sinueuse qui mène à Llansannan, le grand appartement Narym, des images par dizaine qui se suivent, toutes très attirantes... Mais une seule, la plus récente, m'attire réellement. La seule où je souhaite aller aujourd'hui. Très bientôt.

J'accorde de nouveau mon attention à Elowen qui m'observe avec ses grands yeux bleus ravis. Mon sourire se fait plus sincère, moins grand, moins explosif mais plus ouvert.

« J'ai mon permis, Elowen. »

Tout mon soulagement s'échappe par ces quelques mots. Je me dégonfle comme un ballon, j'arrive à peine à croire que c'est vrai, que c'est bon... Toute cette année a angoisser, tout cela parce que j'ai enchaîné deux trois échecs trop douloureux en septembre. Tout ça pour rien : finalement, j'ai réussi, c'est bon, tout va bien.

Je n'essaie pas de comprendre pourquoi Elowen est la première personne à qui j'ai souhaité le dire. Peut-être parce qu'elle est la première que j'ai aperçue dans la Grande Salle ? Parce que Zikomo n'était pas dans les parages ? Parce qu'Aodren n'est plus à Poudlard ? Parce que dans tous les cas, ma famille n'aurait pas été celle à qui j'aurais aimé l'annoncer en premier ? Ou peut-être tout simplement parce que c'est Elowen. Je ne l'ai pas beaucoup vue ces derniers jours, trop occupée que j'étais à exploser d'angoisse ; une boule de nerfs agitée qui gueulait sur la moindre personne qui l'approchait. Maintenant, je me sens sereine et j'ai hâte de me voir couvrir de compliments. Que d'autres que moi me disent à quel point je suis douée et géniale d'avoir réussi à passer mon permis de transplanage qui me rend bien plus fière que toutes les BUSE que j'ai eu l'année dernière.

Merci !

Elle a son permis, comme si c'était utile de le préciser, comme si je ne l'avais pas deviné, comme si son sourire ne la trahissait pas déjà assez. Elle a l'air heureuse et ça me fait chaud au cœur. La voir brandir son fameux permis avec fierté me fait penser que j'ai quand même une petite copine assez incroyable. Si je tendais l'oreille je pourrais certainement entendre un ou deux sanglots qu'on essaie d'étouffer, par honte d'avoir échoué, mais là je ne suis concentrée que sur Aelle et il n'y a que sa bonne humeur que je sois en mesure de percevoir.

« Oui, oui Aelle, tu as ton permis haha ! Tu me le redis encore une fois s'il-te-plaît ? C'est trop chouette de t'entendre contente comme ça ! »

Après ça, je la prends dans mes bras un court instant avant de m'écarter pour laisser un peu de place à Sildnir.

« Bravo, Aelle ! Tu dois être très super contente alors ! Et tu veux aller vers laquelle direction ? »

La réponse m'intéresse beaucoup, évidemment, mais le joli bout de papier plastifié posé dans la main de mon amoureuse m'interpelle tout autant. Je tends le bras pour l'attraper et jette un œil dessus. Drôle de couleur, ce bleu canard, ça fait un peu trop Serdaigle à mon goût. Un papier violet aurait sans nul doute été plus approprié, mais bon, comme personne ne me demande jamais mon avis... Sur sa photo d'identité, Aelle a l'air confiance, droite, sérieuse, dure, mais très mignonne. Très "elle" en toute situation, finalement. On ressent bien sa personnalité à travers cette image.

t'inquiète paupiette

« J’ai mon permis, » répliqué-je d’une voix orgueilleuse pour répondre à la demande d’Elowen.

La phrase m’a échappé. Évidemment que la Serdaigle n’attendait pas de réponse et qu’elle se moquait un peu de mon enthousiasme, mais je suis justement trop enthousiaste pour y faire attention. Si mille personnes me demandaient mille fois de répéter que j’ai eu mon permis de transplanage, je pense que je le répéterais mille fois. Et jamais ma fierté ne diminuera, j’en suis persuadée. Elle est si forte présentement qu’elle m’envahit totalement, elle prend possession de l’intégralité de mon corps, ce qui fait que je ne suis plus que cela, fierté et bonheur, de la tête au pied.

J’ai mal aux joues à force de sourire aussi fort alors j’essaie de retrouver une contenance. Je souris un peu moins, je me redresse ; n’oublions pas que je suis censée être une sorcière mature et raisonnable, majeure et qui a décroché son permis. Mais il suffit de quelques secondes pour que j’oublie mes résolutions et que je retrouve mon bonheur trépignant, ce que n’arrange pas du tout Elowen qui me partage sa joie en m’écrasant contre elle dans un bref câlin qui me fait tourner la tête.

Quand elle s’écarte, je la suis du regard jusqu’à ce que s’impose dans ma vision une jeune fille à la chevelure d’une blondeur incroyable. Ses grands yeux se vrillent aux miens et là, il me suffit de le vouloir pour retrouver mon sérieux et ma réserve sans difficulté. Mon sourire se fait nettement moins brillant face à Sildnir. Elle me félicite dans son anglais approximatif. Je garde le silence quelques instants, ne sachant comment répondre à sa question. La vérité, c’est que je ne sais pas si je veux y répondre. Sildnir, je ne l’aime pas beaucoup. Qaand je la regarde, mon coeur s’agite dans tous les sens, mes sourcils se froncent et parfois, j’ai même envie de la frapper. Quand je la regarde, je me souviens qu’elle partage la totalité de son quotidien avec Elowen et que cela ne me plait pas du tout. Quand je learegarde, éclate dans mon coeur des sentiments trop forts que je ne parviens pas à comprendre.

Je ne l’aime pas beaucoup, Sildnir.

Pourtant aujourd’hui, mon coeur est calfeutré derrière une barrière réconfortante et tiède qui porte tantôt le nom de bonheur tantôt celui de fierté. Alors l’effet négatif que la blonde a sur moi se fait moins fort. Je dresse le menton dans sa direction, auréolée d’une orgueil tout écrasant, et je hausse les épaules.

« Dans quelle direction ou vers quelle destination, mais pas vers laquelle direction, » la corrigé-je d’une voix neutre.

C'est rare que je la corrige de la sorte. C'est rare, à vrai dire, que je lui adresse des phrases aussi longues. D'habitude, je me contente de mots jetés à la va-vite, des réponses plus ou moins sincères pour qu'elle me lâche la grappe.

Je tourne les yeux vers Elowen avant de revenir à Sildnir.

« L’île de Skye. C’est là où l’examinateur m’a amenée pour que je passe mon permis. »

Je dis cela en passant sous silence quand est-ce que je compte le faire et dans quel intérêt je veux le faire. Cela ne les concerne évidemment pas, Sildnir moins encore qu’Elowen.