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11 août 2022, 10:49
Lettres de mon moulin  avec Aelle 
Mardi 25 juin 2047, au matin
Delnabo, Ecosse, maison familiale des Living-Stone
Elo est dans sa 5e année
@Aelle Bristyle




Je suis en panique. Ca fait plusieurs jours que je n'ai pas vu Aelle, elle a tout simplement disparu. Je ne l'ai pas croisée au banquet de fin d'année, pas croisée non plus le dernier matin, pas aperçue à Pré-Au-Lard, et, pire que tout, je ne l'a pas trouvée dans le Poudlard Express, alors que j'ai parcouru chaque wagon un à un, au comble de l'angoisse. J'ai demandé à chaque personne que j'ai vue passer, mais personne n'en savait rien. A présent, j'en suis certaine, Aelle a été enlevée.

Deux jours après être rentrée à la maison et sous les conseils avisés de mes parents, qui n'en pouvaient plus de me voir pleurer et péter des câbles, j'ai décidé d'envoyer une lettre à mon amoureuse, pour être certaine qu'elle ait bien disparu, avant de contacter le Conseil des Sorciers. C'est horrible, mais ça me semble possible qu'elle se soit fait enlever. Elle est très douée comme sorcière, des gens mal intentionnés pourraient vouloir l'utiliser.

Sur une enveloppe bien soignée, j'écris la chose suivante, qui ne laisse absolument pas paraître mon trouble : "Aelle Bristyle la sorcière, [adresse], 17 ans, ou bien ces parents, Arya et Zile Bristyle si jamais Aelle a disparue et quelle n'ai pas chez vous".

Cher Aelle, ou bien Chers ses parents,

Je suis inquiète. Ai-ce que tu va bien? Ai-ce que tu es vivente? Tu as disparue sans donné de nouvelle à Poudlard, et depuis j'ai super peur, j'ai peur qu'on t'est enlever, ou alors que tu sois coincé quelque part dans le château, ou bien que tu sois repartie vite car Erza t'a appelé et tu as du partir parce que tu veux la revoir, ou bien juste que tu sois morte en t'étouffant avec une aile de poulet, parce que le poulet qu'on a manger y'a quelques jours il été bizarre, alors s'il te plait répond moi, je veux des nouvelle. Comment tu va? Qu'ai se qui se passe?

Ma chouette va rester si tu lui donne a manger, sinon elle va partir et rentrer chez nous. Si jamais tu veux répondre vite pour quelle me ramène ta lettre tout de suite. Et, les parent d'Aelle, pitier, dite moi que votre fille va bien! Avez vous de ses nouvelle? Il se passe quoi? S'il vous plait, je suis son amoureuse, et je suis très inquiète. Pui je vous aidé a la trouver?

- Elo (et Chaussette et Litchi, eu aussi ils on peur)

Hops, aussitôt écrite, aussitôt postée. Je trépigne d'impatience, j'espère tellement une réponse rassurante et cohérente. Une explication qui saura me calmer et me faire dire que tout va bien. Qu'elle a disparu pour une raison acceptable.

Et au fin fond de moi résonne une idée très très sombre. Un soupçon de soulagement. Un vent de liberté. Un minuscule poids en moins. Quelque part, je sais que, si elle vient à ne plus m'entourer, sur le long terme je ne m'en porterai pas plus mal. A condition évidemment de la savoir vivante, en bonne santé et heureuse, évidemment.

7e année RP - #8C6A8E
JE NE SUIS PAS UN HIBOU UNE PLUME

12 août 2022, 16:38
Lettres de mon moulin  avec Aelle 
Mercredi 26 juin 2047
Worcestershire — Angleterre
Vacances d'été entre la 6ème et la 7ème année



Je me réveille, éblouie par un rayon de soleil vivace qui me tombe directement dans les yeux. Je me redresse faiblement sur un coude, les cheveux dans le visage et la bouche pâteuse de la nuit trop courte que je viens de passer. Je me tords la nuque pour apercevoir ma fenêtre soulagée de son rideau ; celui-ci repose à terre et je me souviens brutalement que je l’ai arraché la veille dans un excès de fatigue entremêlé de désespoir. Je soupire doucement, attrape ma baguette magique et répare le tout en un geste. Je retombe en arrière, le coeur affolé par ces quelques mouvements. Ma faiblesse est une preuve évidente de ma fatigue. Je sais d’ores et déjà que la journée sera longue.

Je prends le temps de me lever, d’enfiler un habit décent, d’arranger mes draps sur mon lit et de ranger les traces de mon insomnie de la veille : les livres grands ouverts sur le sol, les plumes et les pots d’encre qui traînent, Calmar le calmar avec ses tentacules emmêlées, mon précieux petit carnet noir. La magie me permettrait de ranger tout cela très rapidement mais je prends pourtant le temps de le faire à la main, lentement, pour occuper mes pensées.

Le ciel est d’un bleu limpide et un air chaud s'engouffre par la fenêtre ouverte. L’été s’est installé sur l’Angleterre. Au loin, j’aperçois le dos feuillu des arbres et avant ça, l’immense champ qui me rappelle les courses et les jeux de mon enfance. J’irai peut-être me promener, plus tard. En attendant, il est temps de descendre rejoindre ma famille avant que mon père ne vienne m’arracher du lit par la peau du cou. Je ne comprends pas pourquoi il n’aime pas que je me lève tard. Il est seulement onze heures et ce que je vais faire de ma journée ne le concerne de toute manière pas. Ce n’est pas parce qu’il a pris plusieurs semaines de vacances pour passer du temps avec nous que je dois passer du temps avec lui, n’est-ce pas ?

Ce n’est qu’en descendant la petite échelle qui mène au second étage de la maison que je prends conscience de l’absence de Zikomo. Je ne m’inquiète pas : il doit être en train de chasser, ce qu’il fait en général le matin. Il s’enfuit dans les champs et la forêt et ne revient pas avant le début d’après-midi, parfois plus tard, le ventre gonflé de nourriture et le regard satisfait. Parfois, je me demande comment une créature aussi intelligente peut être gouvernée par de tels instincts de chasseur. Ce n’est pas faute de lui proposer de partager ma nourriture avec lui mais Zikomo me dit toujours : « Chasser est un besoin et un plaisir, Aelle. Je peux me nourrir sans ton aide. » Ma foi, c’est son problème s’il veut se retrouver le museau barbouillé de sang. Heureusement qu’il est capable de faire sa propre toilette.

Papa est installé à la table de la salle à manger, un livre ouvert devant lui, une tasse de thé dans une main et une plume dans l’autre. Je profite qu’il ne m’ait pas vue pour observer son profil. Il a les traits doux, papa, mais ces derniers temps son regard est sombre. Surtout quand il me regarde. Parfois, je culpabilise de me comporter comme une enfant. Puis je me souviens que je souffre et j’oublie toutes ces conneries.

« Salut. »

Papa déteste que je lui parle de cette façon. Je le sais très bien. Et je sais très bien ce qu’il va me répondre. Une petite partie de moi se réjouit de l’agacement qui froisse ses traits si doux.

« Bonjour papa, c’est mieux, non ? » Il m’offre un regard sévère qui s’apaise aussitôt que nos yeux se croisent. « Bonjour ma puce, tu vas bien ?
Mh.
Tu as bien dormi ?
Ouais, mens-je en piochant une brioche dans la panière toujours présente sur la bar qui sépare la cuisine de la salle à manger.
Moi aussi, merci, » répond joyeusement papa.

Je me poste devant la fenêtre de la cuisine, dos au reste de la pièce et face à la grande fenêtre qui trône au-dessus de l'évier dans lequel dansent au rythme des brosses à récurer les casseroles et les poêles au milieu d’un océan de mousse, vestige de notre repas de la veille. J’ignore purement et simplement l’homme que je sens remuer derrière moi. Je suis agacée par sa seule présence et je ne sais même pas pourquoi. J’ai envie de remonter dans ma chambre. J’en ai autant envie que de rester ici pour ne surtout pas être seule.

« Tu as reçu du courrier, » me dit soudainement papa.

Je me retourne vivement vers lui, le coeur arraché de son socle. Une brioche dans la main, la bouche ouverte de stupeur, je regarde la lettre qu’il me tend par dessus le bar. Une lettre, pour moi ? Mais de qui ? Se pourrait-il que… ? J’arrache le courrier des mains de mon père en faisant fi de sa grimace. Mon excitation disparaît aussitôt que mes yeux tombent sur le petit mot écrit sur l’enveloppe. Elowen, évidemment. Je reconnais son écriture, sa façon de s’exprimer et surtout ses fautes d’orthographe. Un grognement indistinct résonne dans ma gorge : si jamais Aelle a disparu et qu’elle n’est pas chez vous, c’est quoi ces conneries ?! Je me souviens avec un temps de retard que si je n’ai pas prévenu mes parents lorsque j’ai directement transplané ici au lieu de prendre le Poudlard Express, je n’ai pas non plus tenu au courant Elowen de mes petits projets. Et ça me retombe sur le coin du nez, c’est moi maintenant qui vais devoir gérer sa panique… Ou pas, si je décide tout simplement de ne pas répondre, idée qui me trotte dans la tête.

Elowen…
Le grand sourire joyeux et tordu de la rousse s’affiche dans mon esprit. Ses jolis yeux bleus brillants, sa voix surexcitée, ses danses sous la pluie, son flot de parole intarissable à propos de Chaussettes et et de toutes ces choses dont je me fiche éperdument. Son visage quand elle court vers moi dans les couloirs. Mes lèvres qui s’étirent quand elle parvient à me faire rire sans même que je ne m’en rende compte. La simplicité de sa vie et de ses préoccupations. Cette bouffée d’air frais dans les couloirs studieux de Poudlard.
Elowen.
Je me rends compte dans mon silence troublé que j’aurais aimé qu’elle ne m’écrive pas, qu’elle fasse comme si je n’existais pas. J’avais besoin qu’elle le fasse mais elle ne l'a pas compris. Et me voilà avec ses mots sous les yeux et ce coeur qui bat doucement, trop doucement, beaucoup plus vivant qu’il ne l’a été ces derniers jours. Sincèrement, je ne suis pas certaine d’aimer cela. Je sens mon âme s’agiter sous les remous de mes émotions.

Je déglutis péniblement et m’apprête à quitter la cuisine pour aller lire ses mots au calme. Sans compter papa qui, hissé sur une chaise haute et accoudé au bar, me regarde un peu de travers. Je lui lance un regard interrogateur et finis par murmurer un « merci », présumant qu’il attendait de moi que je sois la fille polie qu’il pense avoir éduquée. Mais je me trompais tout à fait :

« Aelle…, commence-t-il de sa voix qui hésite, celle qu’il prend toujours quand il va dire quelque chose de déplaisant, est-ce que tu as dit au revoir à Elowen avant de partir de Poudlard ? »

C’est quoi cette question à la con ? Mes mâchoires se crispent.

« Elle a l’air plutôt inquiète, » continue-t-il en désignant la lettre d’un geste du menton, lettre dont il a évidemment lu l’en-tête pour s’assurer qu’elle ne lui était pas destiné, comme certainement maman et Aodren et Natanaël avant lui. *Putain*. « Elle a l’air de croire que tu t’es faite enlever.
Elle exagère, soufflé-je en haussant les épaules et je le pense sincèrement.
Peut-être… Mais elle n’exagérerait pas si tu n’avais pas disparu sans ne rien dire.
C’est bon, papa, râlé-je sur le ton impertinent qui est le mien depuis que je suis rentrée, c’est mon problème ! »

Qu’est-ce que ça peut bien lui foutre la façon dont je gère ma relation avec Elowen, hein ?

Papa ne dit rien. C’est perturbant. Il me suit silencieusement du regard tandis que je traverse la pièce pour me jeter dans le canapé, à l’opposé de la cuisine. Je pensais être tranquille mais il me rejoint et passe la tête par dessus le dossier pour m’observer. Je lui rend son regard, le mien étant plus furibond que le sien.

« Qu’est-ce qu’il passe, Ely ? »

Il le dit si doucement, si lentement et si tendrement que ma gorge se noue. Je prends une courte inspiration et détourne le regard pour ne pas me mettre à chialer comme une gamine. Papa a toujours été comme ça. D’un regard, d’un mot il nous dit : je vois que tu n’es pas bien, je suis là pour toi. Sauf que moi, je n’ai pas besoin que l’on soit là pour moi. Je ne veux pas que l’on soit là pour moi.

« Je vois bien que c’est difficile depuis ton retour. Il s’est passé quelque chose à Poudlard ? »

Je laisse filer les secondes, priant silencieusement Merlin d'écourter cette torture.

« Je me doute que tu n’as pas envie d’en parler mais si un jour tu changes d’avis, je suis là, d’accord ? »

Putain, lâche-moi.

« Il s’est rien passé. » Les mots dégringolent hors de ma bouche et sont plus douloureux à prononcer que je le pensais. « C’est bon, je veux juste être tranquille. »

Il me lance ce regard-là. Celui qui dit qu’il ne me croit pas mais qu’il me pardonne mon mensonge. Il se redresse, un sourire étrange sur les lèvres. Je suis perturbée de trouver une teinte attristée à ce sourire. Mais qu’importe ? Il a ses problèmes et j’ai les miens.

« D’accord, Aelle. Tu devrais rapidement rassurer Elowen. Tu sais… »

Il hésite. Mon regard s’accroche au sien.

« N’oublie pas de prendre soin de ceux que tu aimes. Personne n’a envie de rester avec quelqu’un qui ne les considère pas. »

Son silence est aussi percutant que ses mots. Je me le prends en pleine tronche, mes entrailles protestent violemment de la peur glaciale qui les enserre soudainement. Puis il m’achève :

« Ne sabote pas tes relations, ma chérie. »

Il semble si triste en disant cela que ses sourcils s’incurvent vers le haut, comme s’il allait pleurer. Son regard d’ébène me fige sur place avant qu’il ne se détourne et ne disparaisse par la baie de la véranda en direction du jardin. Je reste seule sur le canapé, le coeur tremblant des vérités qu’il vient de m’asséner comme s’il savait. Comme s’il savait ce que j’avais tout au fond de l’esprit. Et ses mots, ses mots… Il en existe un reflet terrible qui résonne dans ma tête. Foutus souvenirs.

De toute façon, c’est quoi son problème ?! C’est quoi ces paroles nébuleuses ? Je ne sabote rien du tout, ce sont les autres qui se sabotent. Parce que je ne suis pas une personne que l’on aime fréquenter, parce que les autres en attendent toujours trop.

Je vacille quelques secondes dans un océan de désespoir qui me grignote le coeur et qui m’envahit tout à fait. Il me faut faire preuve d’une force sans nom pour revenir à l’instant présent et ouvrir la lettre d’Elowen.

Ses mots ont au moins l’utilité de me faire redescendre sur Terre. Son ton est si… Et des fautes à tous les mots, bordel, tellement que je dois relire plusieurs fois pour être certaine de bien comprendre. La lettre n’est qu’une descente dans l’angoisse et l’effroi… Comment une Serdaigle peut être si naïve et à si peu douée de réflexion ? Seul un rictus traverse mes traits lorsque je tombe sur la phrase « morte en t’étouffant avec une aile de poulet ». Je découvre le reste de la lettre plutôt stoïquement, à la fois satisfaite et agacée qu’elle se soit inquiétée alors que j’ai juste décidé de vivre ma vie sans rendre de compte à personne. Parce que je ne dois rendre de compte à personne, je suis bien libre, non ? Libre de partir si j’en ai envie, libre de ne prévenir personne, libre de vivre !

Dans un soupir, je laisse tomber mon bras hors du canapé, ma main accrochée à la lettre, et je ferme les yeux pour me soustraire au monde. Une grande fatigue recouvre mon esprit. Je n’ai ni la force ni l’envie de répondre maintenant. J’ai envie de dormir pendant très très longtemps. Envie de faire comme si je n’avais pas l’obligation de répondre à Elowen, l’obligation d’expliquer, de devoir rendre des comptes. Je suis fatiguée, bordel.

*


Le surlendemain


Sa chouette étant évidemment repartie puisque je l’ai forcée à le faire, je demande à papa l’autorisation d’utiliser le hibou de la famille, Bézo. Il accepte sans me poser de questions. Il a deviné à qui était destiné ma lettre, bien sûr. J’ai confié cette dernière au vieux hibou à qui j’ai murmuré l’adresse d’Elowen. Aussitôt l’oiseau disparu au milieu des nuages qui assombrissent le ciel, je repars dans ma chambre, bien décidée à oublier cet événement et les vagues qu'il a fait s'échouer dans mon coeur.

Je lui ai écrit une lettre succincte. Je n’avais nulle envie de m’expliquer ou de lui rendre des comptes. Je ne voulais pas m’excuser non plus — après tout, j’ai le droit de prendre des décisions sans en référer à la moindre personne qui m’entoure, n’est-ce pas ? Je suis une sorcière majeure, nom de Merlin, majeure et libre ! Totalement libre. N’est-ce pas ?

Worcestershire, 28 juin 2047


Elowen,

Tu exagères, c’est fatiguant.
Je ne me suis évidemment pas faite enlever. Je n’ai évidemment pas perdu la vie en ingérant une aile de poulet. Je suis rentrée chez moi en transplanant. J’ai mon permis maintenant, tu te souviens ? Ça ne servait à rien de prendre le train.

Ne t’inquiète pas.

Passe de bonnes vacances,

Aelle

Une partie de moi espère ne pas avoir de réponse tandis que l’autre en attend une ardemment.
Si elle m’écrit encore c’est qu’elle m’aime vraiment.
Mais si elle ne le fait pas, cela voudra dire qu’elle est comme tous les autres, qu’elle abandonne dès le premier obstacle rencontré. Alors je pourrais lui en vouloir et être en colère, ce qui ne sera pas bien différent de mon humeur actuelle, et tout sera plus simple, n’est-ce pas ? Alors que si elle m’écrit… Si elle m’écrit, je devrais lui répondre, et elle m’écrira encore, et je répondrais, et qui sait ce qui arrivera ? Qu’arrivera-t-il lorsqu’elle se rendra compte qu’elle et moi, c’est une grosse connerie ? Qu’arrivera-t-il quand elle fera comme les autres avant elle, quand elle comprendra que la vie faut mieux d’être vécue loin de moi ? Il arrivera que ça fera mal et que je ne veux pas avoir encore plus mal. De toute façon, c’est des conneries tout ça, des conneries. Elowen m’aime, elle me l’a déjà dit, elle m’aime et elle comprendra, elle m’aime et elle m’excusera. Elle me répondra, je lui répondrai peut-être ou peut-être pas, et tout continuera comme avant. Ou pas. Je ne sais pas bien ce que je veux.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 12 août 2022, 20:18, modifié 1 fois.

12 août 2022, 19:23
Lettres de mon moulin  avec Aelle 
Dans la logique des choses, Maïwenn devrait arriver chez Aelle demain, dans la matinée, après tout nous n'habitons pas si loin l'une de l'autre que ça. Si mes savants calculs sont exacts, et si je considère qu'elle va mettre au maximum hum, vingt-sept minutes à répondre à mon courrier, ou alors que ses parents mettront à peine cinq minutes de plus, alors je peux affirmer sans trop de crainte que Maïwenn devrait être de retour avec une réponse de mon amoureuse d'ici demain, dix-huit heures douze ou dix-huit heures dix-sept.

Le lendemain, toute ma famille est alertée, dès dix-huit heures et dix minutes il faudra faire silence dans la maison et me laisser postée à la fenêtre, dans le calme, au cas où la chouette ait un peu d'avance. Gwen me regarde avec un sourire amusé mais peu confiant, Célia, de retour pour les vacances, me juge du regard, Gwenaël de son côté m'ébouriffe les cheveux et me souhaite bien du courage car "l'amour c'est pas d'la tarte", et Cléia et Ethan suivant avec une attention déconcertante mes péripéties relationnelles.

Quand enfin vient l'heure tant attendue, je suis bien incapable de les déloger de mes genoux. Mes deux petits frère et sœur refusent tout simplement de bouger, ils veulent voir le hibou arriver en même temps que moi, et après, promis, ils me laisseront tranquille pour lire la réponse d'Aelle. Mouais, j'y crois pas des masses.

Le silence est tombé dans la petite chaumière exigüe des Living-Stone. Seul les tic-tacs de la pendule résonnent, je les utilise pour compter les secondes. Nous attendons ainsi une bonne vingtaine de minutes jusqu'à ce que je lise dans les yeux de mes frangins qu'ils s'ennuient. Je les congédie avec grand plaisir et retourne à mon poste d'observation, les yeux toujours emplis d'espoir. Peu à peu, la vie reprend dans la maison, mais je n'y fais pas attention. A peine trois heures plus tard, M'man ose s'approcher de moi pour me proposer un bol de soupe, que je refuse - il ne faudrait pas que je sois déconcentrée quand la fameuse missive arrivera. Ma mère revient à la charge un peu plus tard, pour me demander de laisser tomber, pour me dire que je recevrai sûrement une réponse demain, que Maïwenn n'est pas encore revenue ce qui signifie que la famille d'Aelle la garde et que donc tout va bien. A nouveau, je refuse.

C'est aux alentours de vingt-trois heures que j'entends un hululement lointain. J'écarquille les yeux, hurle, secoue les bras, appelle toute ma famille et réveille les plus mous d'entre eux pour leur dire que la chouette est de retour. Agacés, ils se joignent quand même à moi en soutien pour l'attendre. P'pa me regarde avec un sourire doux, il est à la fois attendri et désespéré par ma personne, et ça me rend très fière. Quand Maïwenn atterrit, elle se casse à moitié la gueule. Et à ses pattes, il n'y a rien d'accroché. Je l'interroge du regard : "Ils ne t'ont rien donné ?" La chouette secoue sa gueule. Apparemment, elle a été nourrie. Quand je désigne ses pattes, elle baisse la tête. Mince, aucun courrier en retour... C'est mauvais signe.

M'man me prend dans ses bras alors que je baisse la tête, comme l'a fait Maïwenn un instant plus tôt. Je suis déconfite. Elle me porte jusqu'à mon lit, non sans peine, et me dépose dans mes draps en me chantant une petite chanson. Je sanglote à chaudes larmes, et ses mots pour me rassurer ne font pas effet. Je ne sais pas quoi faire... Finalement, les caresses dans mes cheveux auront eu raison de ma détermination, je m'enfonce dans un sommeil profond, à une heure plus que déraisonnable pour la gamine que je suis.

_____________________


Le surlendemain, en début d'après-midi, je termine de rédiger une longue lettre pour le Conseil des Sorciers. Je m'apprête à sortir de ma chambre pour la faire relire à mes parents quand je me fais percuter par une Deirdre, l'air complice, qui me tend une missive sans rien dire, me prend dans ses bras, puis disparaît pour me laisser un peu d'intimité.

Je plonge la tête la première sur le tapis et déchire l'enveloppe sans minutie. J'ai reconnu l'écriture d'Aelle au niveau de mon adresse, elle est vivante, son écriture est habituelle, elle ne tremble pas, elle va bien ! Ma joie et mon soulagement sont immenses, j'en ai les larmes aux yeux. Et mes larmes, eh bien au fur et à mesure de ma lecture, elles se mettent à couler.

J'EXAGERE ???????

Elle se moque du monde ? Je suis paniquée, je pense à elle, et tout ce qu'elle trouve à me dire c'est que je suis dans l'exagération ? Et qu'en plus, je la fatigue ? Alors que pour elle je dors mal, je me ronge le sang, je suis à deux doigts d'écrire au Conseil des Sorciers pour la retrouver alors même qu'elle sait très bien qu'ils me font très peur ? J'hallucine.

Le fait de savoir qu'elle va bien ne me fait finalement ni chaud ni froid. J'aurais préféré ne rien avoir de sa part, au moins je n'aurais pas connu autant de déception. Sous le coup de la colère et de la peine, j'attrape une plume et écris au dos de son parchemin.

Aelle,

Vas te faire dévoré par un hypogriffe enragé.

- Elowen.

Je ne prends pas le temps de ranger la lettre dans une enveloppe, ni même de la relire, je la rends à Bézo et le chasse sans même lui avoir donné de friandise. Qu'elle aille se faire aspirer par le Calmar Géant, sérieux. Elle est mauvaise. Et je ne veux plus rien avoir à faire avec elle.

7e année RP - #8C6A8E
JE NE SUIS PAS UN HIBOU UNE PLUME

13 août 2022, 12:23
Lettres de mon moulin  avec Aelle 
30 juin 2047
Worcestershire — Angleterre
Vacances d'été entre la 6ème et la 7ème année



D’un simple sortilège de lévitation, j’ai fait venir de la maison la grande toile qui sert normalement à nous prémunir du soleil lorsque nous prenons notre repas sur la table en bois extérieure. Elle ne manquera à personne : papa est plongé dans la lecture d’un roman qui a l’air ennuyant à souhait, Aodren est sorti traîner avec des copains de fac, et Natanaël et maman sont, sans aucune surprise, à la Nouvelle Sainte-Mangouste pour laisser libre court à leur passion — qui est également leur travail, du moins pour maman. Je fais magiquement léviter la toile au-dessus du plateau d’échec que j’ai installé au milieu du champ qui borde l’arrière de la demeure, au plus proche de la barrière magique et au plus loin du salon dans lequel papa est installé. Un filin de magie me relie à la toile en lévitation et je me force à rester concentrée pour ne point la voir chuter — c’est un exercice magique comme un autre : la partie d'échecs ayant commencé depuis quelques minutes, je considère que je ne suis pas mauvaise puisque se concentrer sur la stratégie en même que sur son sortilège, c’est faire preuve de talent.

Face à moi, Zikomo. Allongé dans l’herbe, certains brins verts trônant bien loin au-dessus de sa minuscule tête, le Mngwi réfléchit à son prochain coup autant que j’y songe moi-même. Si je n’ai pas l’ambition de le battre aujourd’hui, ce trait de caractère étant au plus bas niveau depuis plusieurs jours, j’aimerais tout de même compliquer sa victoire. Le vent souffle calmement autour de nous et soulève mes cheveux. Parfois, mon regard se perd sur la maison, j’observe ses façades crèmes et ses multiples fenêtre, je la compare à Poudlard et à ses immenses murs de pierres qui sont plus sombres que la nuit. L’école ne me manque pas ; je ne pense pas à elle.

Je n’ai pas encore vu Nyakane, ce matin. Je ne sais pas si c’est le fait de sa condition d’esprit mais l’ancien Messager des rêves passe bien moins de temps avec que son compatriote Mngwi. Il vit sa vie de son côté et je le soupçonne parfois de partir beaucoup plus loin que quelques miles pour aller visiter les terres africaines. Ou peu importe l’endroit dont il peut rêver. Je ne suis pas liée à Nyakane par une relation viscérale. Il est mon professeur et j’en suis venue à l’apprécier mais après ? Après, Nyakane reste souvent cet oiseau insupportable qui me fait des reproches et qui manque de tact. Depuis que je suis revenue à la maison, il me fuit encore plus. Je sais très bien pourquoi : mon comportement l’agace. Peu importe.

Je focalise sur Zikomo et soupire :

« Bon, tu joues ou qu… »

Un bruit d’aile m’interrompt. Je me tords la nuque vers le ciel, penchée dans l’herbe pour voir au-delà de la toile. Persuadée de tomber sur Nyakane, ma bouche m’en tombe lorsque je reconnais Bézo. Il bat laborieusement des ailes, comme s’il ne savait pas où aller. D’un sifflement, je l’appelle à moi. J’en oublie totalement le jeu d’échecs mais mon attention se maintient encore sur le filet magique qui me lie à la toile. Je ne m’attendais pas à avoir de réponse de la fille ; mon coeur s’abat violemment contre ma cage thoracique. Et si mes entrailles s’agitent de la sorte, c’est sans aucun doute à cause de l’angoisse que je ressens soudainement : raison pour laquelle je souhaitais qu’elle ne réponde pas, d’ailleurs, pour m’éviter ces douleurs.

Je retrouve ma position initiale, les jambes croisées sous moi. Le hibou bondit près de moi et me tends sa patte.

« Qu’est-ce que tu as pour moi, mon beau ? murmuré-je en détachant la lettre. Je n’ai pas de friandises mais… »

Ce n’est pas une lettre habituelle que je tiens entre les mains. Elle est froissée et… En la retournant, je découvre ma propre écriture et les mots rédigés il y a quelques jours. Je fronce les sourcils et jette une œillade suspecte au hibou. Ses grands yeux ronds restent de marbre. Il trépigne d’impatience.

« Va te reposer, Bézo, lui dis-je calmement, je viendrai te voir plus tard. »

Il claque le bec dans ma direction et prend son envol.

« C’est Elowen ?
Ouais, réponds-je à Zikomo. Elle a même pas pris le temps de prendre un autre parchemin, sérieux… Elle est toujours trop press… »

Mes mots se font avaler par le coup de poignard qui s’enfonce dans mon corps, quelque part entre les cotes. Mes yeux parcourent avidement l’unique phrase rédigée sur le parchemin. Elle n’était pas pressée, non. Elle a juste attrapé la première plume qu’elle a trouvée pour écrire sa petite insulte sur le dos de ma lettre — ce qui constitue une double insulte dans le jargon épistolaire. Mes doigts se crispent sur le parchemin et... Soudainement, l’obscurité me recouvre. Je pousse un cri d’effroi avant de comprendre que la toile est retombée sur nos têtes. Je me débats avec le tissu, mes gestes se font de plus en plus rageurs jusqu’à ce que je parvienne à me dégager. Je roule en boule la chose et l’envois au loin. Je lâche enfin ma baguette magique dans l’herbe, un juron au bord des lèvres.

Zikomo est tout recroquevillé, je vois bien qu’il meurt d’envie de me poser des questions mais qu’il se retient parce qu’il sait que je déteste ça. Je l’observe un instant, un seul instant puis la colère s’infiltre dans mes veines et met le feu à mes membres. J’écrabouille la lettre entre mes doigts et pousse un nouveau juron, plus vulgaire que le précédent. Je balance le parchemin dans l’herbe et plonge la tête dans mes mains.

« Elle abuse clairement, chuchoté-je furieusement, elle abuse elle abuse elle abuse… Me dire d’aller me faire foutre !? Elle… »

Oui, elle quoi ?
Mon souffle s’emmêle.
Elle, je n’en sais rien, mais moi je suis en colère et triste, lourde de tout un tas d’émotions qui vont finir par devenir de vieilles amies tant je les ressens souvent depuis deux semaines. Je n’en peux plus de cette boule dans ma gorge et de ces yeux qui piquent. De ce sentiment de faiblesse et pire, de manque de contrôle avec lequel je vis en ce moment. Je n’en peux plus que tout m’échappe.

La grande tempête souffle ses rafales dans ma tête et fait s’envoler la moindre de mes pensées, elle joue avec mes nerfs et souffle toujours plus fort. Puis tout à coup elle s’apaise. Elle diminue, encore et encore, et me laisse totalement vide. Vide.

*Voilà*, songé-je, *c’est mieux quand c’est vide*.

« Sérieux, finis-je par articuler difficilement à moi-même, elle est insupportable à jamais être contente. »

Les mots résonnent autour de nous, à la fois vides de sens et lourds d’une vérité, ma vérité : je pense sincèrement qu’Elowen a dépassé les bornes et pourquoi ? Parce qu’elle veut me contrôler mais qu’elle n’y arrive pas. Et je déteste ça. Je dois cependant avouer que je suis surprise : je ne la pensais pas capable de la moindre rébellion. Et surtout d’une telle grossièreté. Au final, je récupère la boule de parchemin et la défroisse pour me persuader que tout cela n’est pas une grosse blague.

« Tu ne connais pas le dicton moldu ? »

J’arrache laborieusement mes yeux des mots vulgaires d’Elowen pour observer Zikomo par-dessus notre jeu d’échecs. Il se tient très droit. Mes doigts se crispent nerveusement : je le connais suffisamment pour reconnaître la désapprobation dans l’angle de ses oreilles. Si je suis incapable de comprendre ce sentiment, je peux néanmoins reconnaître ce qu’il se passe dans mon propre coeur : la même tristesse que je ressens à chaque fois que le Mngwi est en désaccord avec ma façon d’être ou de faire.

« Quel dicton ? demandé-je prudemment.
On récolte ce que l’on sème. »

Ses mots me percutent. Je l’observe silencieusement pendant quelques secondes, incapable de savoir quoi faire de la colère qui s’élève de nouveau dans mon corps. Puis finalement, les mots sortent comme ils le souhaitent et je ne les retiens pas :

« T’es sérieux, là, Zik ?
Je le suis, dit-il durement. Je sais très bien ce que tu as écrit à Elowen.
Ah ouais, tu sais ?! m’emporté-je en haussant le ton. Puisque t’es si intelligent, dis-moi !
Elle s’est beaucoup inquiétée pour toi. Et toi est-ce que tu l’as rassuré ? T'es-tu seulement excusée ?
J’ai aucune excuse à lui faire ! »

Ma gorge est autant nouée que mes poings sont serrés. Je me retiens très fort d’envoyer valdinguer le plateau de jeu et d’enfoncer une pièce d’échec (la Reine, tiens) tout au fond du gosier de cet insupportable Mngwi. N’est-il pas mon plus proche compagnon ? Quelque chose comme mon meilleur ami ? Non ? Pourquoi n’est-il pas de mon côté, alors ? Pourquoi ne me défend-il pas ? Plus que ses paroles, c’est ça qui me blesse le plus. Qu’il désapprouve mon comportement comme l’a fait papa la dernière fois. Comme si j’étais réellement en tort. Comme si, surtout, personne ne comprenait ce que je suis en train de vivre. Ma tempête intérieure n’est-elle donc visible que de moi ? Parfois, je me figure que tout le monde est capable de la sentir, comme moi. Ils devraient me préserver, faire attention.

« Arrête, soupire le Mngwi. Tu sais bien que tu as mal agi… Ce que je veux te dire… » Il détourne le regard vers la maison et prend le temps de réfléchir avant de continuer. « Ce que je veux dire c’est que tu ne peux pas t’attendre à ce qu’elle réagisse bien si tu la…
Si je la considère pas, craché-je en me souvenant des paroles de papa. Ouais, je sais, on me l’a déjà faite celle-là. »

Le silence s’installe entre nous, désagréable compagnon qui m’angoisse et qui fait frémir les oreilles de Zikomo. De mes doigts, j’arrache rageusement des brins d’herbe. Je tente, en vain, de digérer les paroles d’Elowen. Sa colère est si palpable dans ses mots… Là où un simple “va te faire foutre” peut faire des ravages dans la bouche de certaines personnes, un “va te faire dévorer par un hippogriffe enragé” revêt la même force dans celle d’Elowen. Et jamais, jamais elle n’a été aussi vulgaire avec moi. Jamais. Je l’ai déjà vu énervée, énervée par ma faute, elle m’a déjà lancée des regards incendiaires et des paroles pleines d’une colère qui me paraissait enfantine. Mais ça ? Jamais. Et je ne sais pas quoi en faire.

Je lui en veux d’être aussi dure avec moi. Alors d’accord, je ne l’ai pas tenue au courant de mes projets de transplaner… Déjà, je n’étais moi-même pas au courant avant de le faire et puis même si ça avait été le cas, je n’étais pas obligé de lui dire ! Et ça, elle ne veut pas l’accepter. Va-t-elle me faire la tête longtemps ? En relisant sa lettre pour la énième fois, je me dis que oui, cela durera longtemps. Mais une petite voix pertinente me souffle au creux de l’oreille : elle revient toujours, elle finira là aussi par revenir.

« Pourquoi tu ne lui dis pas ? »

J’avais oublié Zikomo.
Je coule un regard suspicieux dans sa direction.

« Quoi ?
Raconte-lui ce qui se passe.
Il se passe rien. »

Mon ton froid est sans appel.

« Tu devrais lui en parler, elle ne peut pas comprendre sinon.
Putain mais j’ai rien à lui dire ! m’exclamé-je soudainement en lui jetant un regard noir.
Qui est-ce que tu essaies de convaincre ? Toi ou moi ? »

Bataille de regard, or contre onyx. Je perds, évidemment. Ses yeux me font flipper. Zikomo est le seul à pouvoir me parler comme ça.

« Lâche-moi, grogné-je.
J’en ai connu des gamines, rétorque Zikomo en se dressant sur ses quatre pattes, la colère transperçant dans sa voix, mais des aussi butées que toi, j’en ai rarement vu ! Erza était agaçante parfois mais elle a toujours pris soin d’écouter mes conseils.
Erza, Erza, Erza, crié-je en me levant à mon tour, la tempête grondant dans ma tête, elle avait l’air bien plus agréable à vivre, oui ! Pourquoi tu r’tournes pas à Uagadou si c’est c’que tu veux ? »

Ma voix se brise sur le dernier mot : je me déteste.
Zikomo plonge son regard dans le mien et m’accroche avec l’éclat qui vit là, comme il sait si bien le faire. Un calme intérieur grandit dans ce regard, un calme acquis avec les siècles. C’est à ce moment-là que je me souviens qu’il est très vieux et qu’il a été aux cotés des plus grands mages que le monde sorcier africain ait connu.

« Tu fais déjà fuir Elowen, ne fais pas la même chose avec moi. » Il secoue les oreilles. Je pensais entendre son ton durcir mais c’est tout le contraire qui arrive et il me dit d’une voix bien plus douce : « Ça ne marchera pas, quoi que tu fasses pour parvenir à tes fins. »

Je me détourne, les sourcils froncés. D’un coup de baguette je range le plateau d’échec. Je suis trop perturbée pour que mon sortilège soit parfait et j’entends les petites pièces en bois m’insulter en s’entrechoquant violemment au fond de leur boite.

« Ça c’est ce que tu dis maintenant, aimerais-le lui dire, mais tu verras qu’à un moment tu en auras marre et tu m’abandonneras toi aussi. »

À la place, je préfère hausser les épaules pour conclure la discussion. Je ramasse la lettre d’Elowen que j’ai laissé échapper.

« On rentre ? »

Zikomo acquiesce et bondit dans le champ en direction de la maison. Il ne me dit pas « Tu n’arriveras pas à me rattraper ! » pour m’encourager à la course poursuite, pas plus qu’il ne monte sur mes épaules pour se blottir dans ma nuque. Il prend de la distance et disparaît dans la maison. Je ne fais rien pour le rattraper. Je suis obnubilée par la lettre d’Elowen et surtout par le vide qui prédomine dans ma tête : je n’ai rien à lui répondre, rien à lui dire. Rien à excuser, rien à expliquer. Quelque part, ça doit être mieux comme ça. De toute façon, que pourrais-je dire ?

Pardon Elowen, j’ai juste l’impression que ma vie m’échappe et je n’arrive pas à me concentrer sur autre chose.
Pardon Elowen, je n’avais pas envie de te devoir des comptes et ça n’a pas changé, ça me prend la tête de devoir tout expliquer. Parfois, j’ai l’impression d’être emprisonnée ; encore sous le joug de mes parents mais aussi sous celui de ma petite amie et de tous les devoirs qui m’entravent.
Pardon Elowen mais je ne m’en veux pas.
Pardon Elowen mais j’ai besoin de respirer et de ne penser qu’à moi, ne comprends-tu pas le brusque virage que vient de prendre ma vie ?
Pardon Elowen, pourquoi ne veux-tu pas juste me pardonner, comme tu le fais toujours ? Viens on oublie et on continue ?

Non, je ne peux rien lui dire. Je suis de toute façon trop en colère pour le faire. Qu’elle soit coupable m’aide à avancer.
Et c’est mieux comme ça.
Que ce soit aujourd’hui ou dans trois mois, ça aurait fini par arriver. Qu’elle se tire en m’abandonnant. Comme ça arrive toujours. Mieux vaut vivre deux abandons en même temps plutôt qu’un aujourd’hui et un autre dans quelques mois, non ?