Mercredi 24 avril 2047, début d'après-midi.

Mercredi, permanences, papiers, mises à jour, corrections,... fatigue. Sarah était lasse. Elle avait l'impression de ne faire que des choses inutiles mais pourtant nécessaires, obligatoires. Elle se sentait noyée, emportée dans un flot continu d'obligations, de devoirs, de... à quoi servait-elle dans le fond ? Rafael avait bien essayé de la réconforter, de la rassurer sur ses compétences et son efficacité mais la sorcière était peut-être un peu trop épuisée et submergée pour accepter son point de vue. Elle aurait voulu se rendre utile ou du moins plus utile.

Elle remercia le bibliothécaire d'un sourire en récupérant un ouvrage qu'elle cala sous son avant-bras et quitta le sanctuaire du savoir de Poudlard en direction de sa salle de classe où elle devait tenir sa permanence. Les escaliers ne lui disaient rien, du moins, pas tout de suite. Sarah secoua la tête en songeant qu'elle était vraiment dans un état pitoyable pour en arriver à fuir l'ascension d'un simple escalier. Elle prit malgré tout la direction de la petite cour sans faire l'effort de se secouer outre mesure. Prendre l'air ne lui ferait pas de mal.

Traversant les arcades, elle entreprit de couper par la fontaine. Un élève qu'elle reconnu rapidement se tenait là. Il semblait dessiner. Le tableau fit naître une profonde mélancolie chez la Galloise. Elle s'arrêta sans même s'en rendre compte à quelques pas du Serpentard. Et si elle dessinait elle aussi. Juste un instant. Autrefois, ça lui faisait du bien.

@Aliosus Nerrah

Depuis les événements du Poudlard Express trois jours auparavant, Aliosus était plongé dans un maelstrom de pensées diverses. Il avait l'impression que ça rendait sa rupture avec Irisia dérisoire, et en même temps, la perdre restait une blessure douloureuse à laquelle il pensait chaque jour, pratiquement chaque heure même, tant elle faisait partie de sa vie et que désormais il devait la fréquenter sans la complicité qui caractérisait leur relation depuis leur première rencontre. Et bien sur, l'attaque du train remettait sur le tapis son sentiment d'impuissance chronique. Il s'était acharné à vouloir faire quelque chose pour aider ses camarades de wagon à s'enfuir plutôt que de rester piégé, et il n'avait fait que se ridiculiser en tapant sur la vitre avec un chaudron de poche. Quelle humiliation. Deux ans à essayer de surmonter le traumatisme de l'attaque d'Halloween, et voilà qu'une vitre incassable et une porte close l'avaient renvoyés à ses pires angoisses.

Il avait bien essayé de retrouver du temps pour s'entrainer encore et encore, il s'était épuisé à courir dans le parc et à manier son épée d'entrainement, dans le but de se vider la tête, mais rien à faire. Aujourd'hui, il avait eu envie d'essayer autre chose. Créer. Prendre un temps de calme, essayer d'apaiser la tempête de son esprit et avoir la satisfaction d'obtenir un résultat concret, même un simple dessin, comme preuve tangible de ses efforts.

Le crayon parcourait son carnet, suivant tant bien que mal les lignes architecturales de la cour et esquissant derrière un paysage flou. C'était un début.

Quelqu'un s'approcha. Il ne l'avait pas entendu à cause du bruit blanc de l'eau de la fontaine. C'était sa professeure de Sortilège et directrice de la Maison Serpentard, miss Priddy. Il ferma son carnet et se leva.
«Bonjour miss, je peux faire quelque chose pour vous ?»

Le bruit de l'eau formait une sorte de fond sonore. Un roucoulement aquatique qui empêchaient à d'autres bruits parasites de venir s'installer dans le crâne de la sorcière. Debout dans la petite allée, elle restait là à réfléchir en silence, à repousser doucement la fatigue, la lassitude et la colère les yeux rivés sur le crayon du Serpentard. Dans le fond oui, elle était en colère. Contre elle-même et contre tout ces gens qui, pour une raison qu'elle ne comprenait pas, tentaient de toute évidence de pourrir la vie de ces gamins. Pourquoi ne pouvait-on pas les laisser vivre et grandir sans les pousser à coup de tensions, de coups, de maléfices, de privation et de frayeurs ? Leur laisser juste le temps. Sarah sentait la fatigue accumulée ces derniers jours s'emparer d'elle et songea à fermer les yeux un tout petit instant au moment ou l'adolescent se levait.

Elle sursauta presque quand le jeune Nerrah se mit à parler. Elle était tellement perdue dans ses pensées que, comme les chats, elle aurait pu se croire invisible sous prétexte que ses paupières étaient closes.

" Non, merci, c'est gentil. Continuez tranquillement ce que vous étiez en train de faire. Après un sourire, elle reprit son chemin et dépassa le garçon avant de s'arrêter soudain. Et pourquoi pas dans le fond ? Elle fit soudain volte-face. Quoique. Peut-être pourriez-vous me prêter un crayon et du papier. Voilà une éternité que je n'ai pas dessiné et vous voir à l'œuvre me fait terriblement envie. J'aimais dessiner pour me changer les idées ou pour arrêter de trop penser quand j'étais élève à Poudlard. "

Aliosus était sur le point de se rasseoir, laissant miss Priddy à ses pensées, quand finalement elle sauta le pas de lui demander de quoi dessiner.
«Oh, oui bien sûr attendez...»
Il fouilla ses affaires à la recherche du matériel demandé, il récupéra deux crayons, les compara rapidement à celui qu'il utilisait, décida de lui prêter ce dernier et de se contenter d'un des autres un peu moins agréable d'utilisation. Quant au papier, il se trouva bien embêté, partagé entre le plaisir de répondre à cette demande si inopinée de sa directrice de maison et son horreur à devoir déchirer des pages de son carnet afin de les lui donner. Il surmonta son principe en se disant qu'il ne s'agissait pas d'un livre à proprement parler mais bel et bien d'un carnet de croquis qui était destiné à être bien malmené dans les mains de quelque artiste du dimanche. Il saisit trois pages et tira un coup sec en tenant le carnet de son autre main avant de tendre le tout à sa professeure.

«Vous voulez de quoi les soutenir ? J'ai mon manuel de potion si vous avez besoin.»
Il avait beau être pleinement conscient que les adultes de l'écoles n'étaient pas des créatures entièrement dédiées à l'enseignement, les interactions révélant la nature privée des professeurs étaient toujours un des instants particuliers pour lui.
«C'est exactement pour ça que je dessine aussi, une fois concentré là dessus, je ne pense plus au reste.»

Une légère grimace naquit sur le visage de la sorcière en voyant l'adolescent arracher une page de son carnet. Elle détestait faire ça. Elle allait lui dire qu'il n'aurait pas du mais décida de s'abstenir. C'est bien elle qui lui avait demandé du papier. Elle lui adressa donc un sourire de remerciement au moment où il lui tendit les feuilles.

" Merci beaucoup. Son regard se posa sur l'ouvrage qu'elle tenait toujours sous son bras. Non ça ira. Je vous ai déjà dépouillé d'une partie d'un carnet, je ne vais pas aussi vous voler votre manuel de potions. Ma collègue m'en voudrait. Ce livre fera très bien l'affaire. "

Elle s'assit sur la margelle de la fontaine et posa son regard sur les alentours. Alors dessiner oui, mais dessiner quoi ? Elle n'allait pas dessiner son élève, elle n'avait jamais su le faire et la scène pourrait sembler un peu étrange de surcroit. La cour était calme et le clapotis de l'eau lui fit tourner la tête. Derrière les miroitements renvoyés par les petites vaguelettes qui irisaient la surface de l'eau, elle aperçut un poisson, immobile. Un léger sourire apparut sur son visage. Elle n'avait jamais remarqué que le bassin comptait des habitants. Mais il fallait bien avouer que les créatures en général n'avais jamais été son sujet de prédilection. La jeune femme se perdit un instant sur la contemplation du fretin. Ses mouvements étaient doux, tellement fluides. Les poissons nageaient comme les oiseaux volaient, aucune limite dans leurs mouvements. Ils pouvaient occuper tout l'espace autour d'eux, dans toutes les directions. Sarah les enviaient parfois. Son crayon se posa sur la papier et se mit à tracer doucement une forme. Elle aurait bien dessiné en silence mais les derniers mots du Serpentard lui restaient en tête et son devoir d'adulte était d'y répondre.

" Ainsi donc, vous êtes vous aussi tracassé ? "

«De rien miss.»
Il souriait doucement mais sincèrement, il était content de rendre service à sa directrice, de partager un petit instant qui n'avait rien à voir avec les cours, les devoirs à rendre, les parchemins à écrire ou les examens à préparer. Il se reporta à son croquis. Les lignes fines et précises dessinaient les arches, les reliefs, d'autres, non pas plus brouillonnes mais plus anarchiques essayaient de rendre justice à la complexité de la forme des végétaux qui poussaient ça et là dans la cour. Enfin, quelques points, traits et autres petites formes étranges qu'on aurait pu prendre pour des ratures ou des erreurs donnaient petit à petit la texture, le relief, la vie en somme, à l'ensemble.

Il n'osa pas tout de suite regarder ce que miss Priddy dessinait, il avait trop peur d'être remarqué pour ça, mais lorsqu'elle lui posa sa question, il en profita pour observer les lignes organiques qui étaient apparus sur la feuille.

«Bien sûr, son esprit songea à toute allure qu'il lui fallait vite compléter s'il ne voulait pas être totalement irrespectueux, je veux dire... Après ce qu'il s'est passé dans le train, c'est difficile de revenir au quotidien, à jouer à comme si parce que c'était fini, tout était revenu à la normale...»

Il faisait mine d'observer un détail de la cour, son regard allant du vide à sa feuille, comme s'il essayait de réfléchir à comment coucher sur le papier quelque chose, en réalité, il n'avait l'esprit qu'à ces tremblements du train quelque jours plus tôt.
«Enfin, je ne sais pas ce que vous en pensez...»

Son crayon, doucement, dansait sur le papier, faisant naître peu à peu une forme reconnaissable. Elle n'était pas experte en dessin et ne voyait pas trop comment rendre honneur aux minuscules vaguelettes qui transformait la fontaine en cet immense damier transparent et changeant. Elle décida donc de changer légèrement de point de vue pour ajouter quelques plantes ondulantes. Elles complèteraient le dessin en cachant les probables futures imperfections écailleuses à venir.

Le geste de l'adulte ne s'arrêta pas tout de suite quand son élève prit la parole. Elle l'écoutait mais peut-être préférait-il ne pas recevoir un excès d'attention ; ou pas. La psychologie n'avait jamais été le point fort de la sorcière. Elle hocha cependant la tête à ses propos et cessa totalement son activité pour poser son regard sur le Serpentard. Elle savait le père du jeune Nerrah très engagé politiquement mais lui.

" Je vais vous dire ce que j'en pense. Je pense qu'on ne peut malheureusement pas reprendre la vie comme si de rien n'était parce qu'il y a des choses qui marquent à jamais et c'est plus que regrettable. Elle fit une pause, réfléchissant aux mots qu'elle pouvait utiliser ou non avec un élève, avec cet élève. Ce qui me tracasse le plus, n'est pas ce qui s'est passé ou ce qui aurait pu se passer si nous avions agit différemment mais plutôt le fait que vous et vos camarades ayez été mêlés à tout ça. Non pas que je vous considère trop jeune pour prendre une décision ou même vous défendre mais vous n'avez pas eu le choix et chacun devrait l'avoir. Choisir un camp ou non ne devrait pas être une obligation mais une décision mûrement refléchie et volontaire surtout pour des sorciers de votre âge. On peut et on a le droit de vouloir vivre loin des conflits, simplement pour soi. Je regrette vraiment que des enfants ne le puissent pas alors que nous sommes sensés vivre dans un monde civilisé. "

Après tout, elle même, n'avait pas signé pour ça. Il n'était écrit nul part sur son contrat d'enseignante qu'elle devait savoir lutter contre des lages noirs legilimens. Alors ces gosses...

Aliosus su qu'une discussion sérieuse et adulte était sur le point de commencer lorsque Miss Priddy cessa de dessiner et posa son crayon. Il n'était plus question de petites considérations sur leur loisir commun, bien qu'Aliosus était ravi d'avoir découvert cette nouvelle facette de la personnalité de sa directrice de Maison, mais des événements dramatiques qu'ils avaient vécus, chacun de leur côté.

Elle insistait sur le choix, mais, lorsqu'elle voulait parler du choix de s'engager ou non pour ses idées, ses opinions, ou bien de rester de côté, de ne pas mettre son corps au bout de ses idées et face aux baguettes des autres, Aliosus pensa au choix qui leur avait été refusé a priori. Car quand bien même n'importe quel élève aurait voulu agir concrètement ce jour là, ils en avaient été empêché par le désarmement obligatoire qu'avait imposé le Conseil sur les élèves de Poudlard en période de vacances.

«Je me revois... commença-t-il dans une confession qui le prit lui même par surprise. Dans ce wagon, sans baguette, juste avec ce chaudron que je tiens dans ma main, à essayer de briser la vitre pour qu'on puisse sortir. Encore, encore, et je me réveille au matin avec la même douleur dans le bras que ce jour là...»
Il n'alla pas plus loin. Le sentiment d'impuissance était le pire qu'il puisse connaître, depuis le bal funeste d'Halloween et le visage d'Alice lacéré entre ses mains il avait tout mis en œuvre pour ne plus jamais se retrouver dans une situation de pareil désarroi, et c'était pourtant arrivé une fois de plus. Il baissa les yeux en silence, son dessin lui paraissait bien dérisoire comme façon de changer ses pensées à présent.

«Je suis désolé pour vous aussi, j'ai cru comprendre que ça n'avait pas été facile pour les professeurs non plus.»

"Sans baguette." L'amertume de l'adolescent était claire et compréhensible. Sarah n'avait jamais compris ce décret. Il était en place avant son retour et découvrir cette information dans la gazette l'avait laissée sans voix. Elle se revoyait encore au chaudron baveur, découvrant ce fonctionnement aberrant à ses yeux. Comment aurait-elle réagi à leur âge ? Mal. Probablement avec dédain et colère. Elle offrit au Serpentard un regard compatissant suite à son aveu. C'était courageux de raconter cet instant peu enviable. Elle n'eut cependant pas le temps de prendre la parole car il détourna l'attention de sa propre personne en parlant non plus de lui mais des évènements qui s'étaient déroulés dans le wagon de tête. Ce nom ne collait d'ailleurs plus réellement avec les faits. Aujourd'hui, ce morceau de tôle n'était clairement plus un wagon. Un cours instant, le regard de l'adulte se perdit et son sourire se durcit mais la sorcière retrouva rapidement ses esprits et son sourire bienveillant.

" Effectivement. On pourrait même dire que cela a été un peu compliqué. Le problème des professeurs, c'est que, tout compétent qu'ils soient, ils restent des professeurs pas des soldats entrainés. Chacun son métier. Mais ceci est un autre problème qui ne doit pas être vôtre. Vous avez bien assez à faire et à penser. "

Elle prit un inspiration avant de revenir au soucis du garçon.

" Je suis vraiment désolée que vous vous soyez retrouvé dans cette situation, dans ce wagon. Et je ne peux que comprendre votre colère ou du moins votre amertume face à l'absence de votre baguette magique à cet instant. Même si je doute que vous soyez arrivés à sortir de ce train par vos propres moyens, avoir son catalyseur est une force physique autant que psychologique. Vous auriez du l'avoir avec vous. Elle en savait quelque chose. Ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait sans sa baguette dans une situation délicate mais, une chose était sûre, ce serait la dernière. Plus jamais, elle ne se retrouverait impuissante de la sorte. Dépendre d'une baguette était trop incertain. Je vais vous avouer ne jamais avoir réellement compris ce décret. J'étais à l'étranger quant il a été mis en application mais... arracher son catalyseur à un sorcier quel qu'il soit n'est pas une bonne chose à mes yeux. "

Cependant tout ceci restait des mots. Sarah se sentait assez inutile à cet instant. Parler avec son élève était un premier pas mais ça ne changerait rien si le problème venait à se répéter. Elle, allait travailler de son côté car elle pouvait essayer de résoudre son problème mais eux, que pouvaient-ils faire si ce n'est subir encore et encore ce stupide décret ? Ils restaient des gamins sous le pouvoir d'adultes autoritaires et, comme nous l'avait montré cet épisode, parfois un tantinet violents et irrationnels.

" J'aimerais pouvoir vous aider à surmonter cet évènement et vous assurez que ce genre de situation n'arrivera plus mais ce serait un simple mensonge, nous le savons tous les deux. Elle fit cependant une pause soudaine. Il y a peut-être une chose qu'elle pouvait faire. Cependant... je vais essayer de faire avancer ce problème de baguette. "

La sorcière se leva, prise d'une soudaine détermination, presque rassurée d'avoir une tâche précise à accomplir. Elle allait se rendre un minimum utile ou du moins, essayer. Après un regard plein de regret vers le bassin, elle tendit son crayon au jeune Nerrah.

" Merci pour ce petit moment de calme. Ces instants, même s'ils peuvent paraître futiles, font toujours du bien dans la tempête. N'hésitez pas à venir me voir si vous en ressentez le besoin. Moi ou quelqu'un d'autre d'ailleurs. Parfois dire les choses soulage beaucoup. "

Je crois que c'est une fin sauf si Aliosus lui donne une raison de répondre autre chose. Merci beaucoup pour cet échange et désolée encore pour les délais de réponse.