Je ne parviens pas à tenir en place. Encore plus que davantage, et cela a certainement le don de m'énerver, ce qui évidemment me fait encore moins tenir en place, ce qui m'agace et... Bref. Ma respiration se fait hachée, alors que je sens une espèce de frénésie s'emparer de moi. Je déglutis. Bon sang, cela doit faire deux bonnes heures que je tourne en rond dans le parc, essayant parfois de dessiner pour me calmer ! Et pourtant, rien à faire. Depuis mon réveil, vers 7h30, mon cerveau semble vouloir n'en faire que des siennes.

Ah, j'ai bien essayé d'oublier cette lettre*, j'ai songé que mettre en œuvre des farces me rendrait ma bonne humeur ! La bonne blague — et c'est le cas de le dire — ! La vérité, c'est qu'un profond ressentiment en moi bout contre mes parents, depuis que j'ai appris ce déménagement soudain. Ils n'auraient pas pu m'en parler lors des dernières vacances, non ? C'est trop leur demander ?! Me l'annoncer comme cela, sans aucun état d'âme... D'ailleurs, le pire reste qu'au fond, je ne sais même pas pourquoi je suis autant en colère. Après tout, un déménagement ne changera pas ma vie, puisque je passe les trois-quarts de mon temps à Poudlard. J'aurais une nouvelle chambre, et la ville où l'on emménage est côtière... Bref, comme dit dans la lettre, je devrais m'y plaire. Et pourtant. J'aurais voulu être informé plus tôt, est-ce donc trop demander ? Je suppose que oui.

Et puis... C'est mon anniversaire, aujourd'hui. Je baisse les yeux. J'ai quatorze ans maintenant, ce n'est pas rien. Néanmoins, pas la moindre mention de cet événement dans la lettre. Je grimace. Puis soudainement, je relève la tête, pris d'un sentiment de dédain. Et après tout, qu'est-ce que j'en ai à faire ? C'est mon anniversaire, et alors ? Je ne dois rien m'attendre de la part de ma famille, et je le sais ! D'ailleurs si j'ai un peu de chance, ce soir quand j'irai regarder mon courrier dans un dernier espoir, j'y trouverais une lettre de mon grand-père. C'est largement suffisant.

À force de marcher sans but, me voilà plus éloigné du parc, puisque mes pieds foulent à présent des pavés. Tiens, je me suis donc rendu jusqu'ici ? J'observe les alentours, et je constate que je ne suis pas seul. Je soupire. Cela fait deux heures que je tente de penser à autre chose, et trouver une idée de blague. Cependant, mon cerveau ne semble pas vouloir coopérer. Pourtant, ce n'est pas comme si je ne désirais pas ardemment tourner la page ! Mes yeux vagabondent sans réel but, et se posent finalement sur deux silhouettes contrastées. L'une grande, aux cheveux blonds, et l'autre beaucoup moins, à la chevelure brune. Je plisse les yeux. La plus grande... Ne serait-ce pas... Comment s'appelait-il, déjà ? J'ai plutôt une bonne mémoire des prénoms, cela devrait me revenir. Lake... Non, Lest ? Oui, il m'avait aidé avec mon masque. Un drôle de personnage d'ailleurs, il disait plein de phrases étranges en m'appelant bizarrement.

La seule chose qui pourrait freiner l'idée qui vient de germer dans mon esprit, c'est cette fille. Et, je m'aperçois rapidement que je n'en ai rien à faire. Au contraire, elle sera peut-être utile, qui sait. Sans plus attendre, je me dirige donc vers ces deux personnes, m'exclamant au passage d'une voix retentissante pour être certain de me faire entendre :

– Eeh, Lest ! C'est bien toi, non ?

J'arrive à leur hauteur, et je leur adresse un grand sourire. Je ne me sens pas autant enthousiaste que d'habitude — pour cause ce fichu courrier ! — mais, leur adresser la parole me fait vraiment plaisir. Je me demande pourquoi je n'y ai pas songé plus tôt durant ces deux dernières heures. Bref, je tente de m'expliquer :

– Tu te souviens, l'année dernière tu m'avais aidé, avec mon masque !

Je ne sais plus vraiment ce que j'en ai fait, d'ailleurs. Il doit traîner à Soham Cor-... Mince. Ne plus penser à ça. Mon sourire s'étant légèrement évanoui sous le rappel de ce déménagement impromptu, je tente de me reprendre pour continuer :

– Bref, j'avoue que ce matin, je suis un peu... Un peu...

Je baisse le regard. Non mais ça ne va pas du tout ! Qu'est-ce que je dis, bon sang ?!

– ...Pas dans ma meilleure forme. Et je n'arrive pas à trouver d'idée de blague. Enfin tu vois, une farce qui me change les idées, et qui soit amusante ! Tu... pourrais m'aider ? Je me disais, vu que tu m'as aidé la dernière fois...

J'ai les yeux à présent levés vers son visage, plein d'espoir, et oubliant légèrement sa camarade. Ça me ferait tellement plaisir de trouver une bonne blague, où la personne en face ne comprend rien à ce qui lui arrive. Oui, simplement rire un bon coup, comme j'en ai l'habitude !

__________
*Si ça vous intéresse, c'est ici.

Depuis notre discussion trois semaines auparavant dans l'intimité de notre salle commune, il m'arrive en quelques occasions d'être en compagnie de la petite Elya Carli dans les couloirs de l'école. Si ces épisodes tendent à être plus fréquents quand l'occasion en question se nomme Amelia Noestlinger, j'apprécie toutefois cette présence aussi inhabituelle qu'amicale à mes côtés. Aujourd'hui est justement l'un de ces jours. Nous remontons le long de la cour après un moment dans le parc avec ma petite-sœur, échangeant quelques dernières banalités avant de nous séparer. Moi, pour la bibliothèque et Elya... je l'ignore tant qu'elle garde ses distances : aussi mignonne soit-elle, j'ai eu assez de compagnie enfantine et espiègle pour la journée.

Mais bien sûr, Poudlard ne serait pas Poudlard sans imprévu : cette sortie sous le soleil chaud du mois de mai ne pouvait se conclure avec le calme et la fraîcheur de la bibliothèque et plusieurs parchemins vierges n'attendant que ma plume.

L'imprévu a un visage familier mais le nom m'est inconnu : si je l'ai su, alors il a été oublié. La créature fait une ou deux têtes de moins que moi, présente une mine à mi-chemin entre la détresse et la malice machiavélique propre aux individus de son espèce, et ne semble pas avoir croisé le chemin d'un peigne depuis au moins trois lunes.

« Je t'avais oublié... mais maintenant que je te vois, je me souviens de toi. » La rencontre ayant été peu significative pour moi et rapidement mise de côté, je n'ai jamais cherché à démêler ce que j'avais ressenti ce jour-là et en somme, si le garçon me fait bonne impression ou pas. Si son comportement reste pour moi un parfait mystère, j'ai toutefois l'impression qu'il n'est pas bien méchant : au pire, il est simplement stupide, ce qui ne fait pas de lui une mauvaise personne.

L'indifférence initiale laisse place à une pointe d'inquiétude quand celui-ci nous informe de son mal-être. Aussi sociable puisse-t-il être, il ne doit vraiment pas se sentir bien pour faire appel à des inconnus au lieu de parler à des amis ou à la psychomage. S'il est malade, peut-être pourrais-je l'accompagner voir Diarmuid ? Il est rare que j'aie l'occasion de voir l'infirmier en dehors de mes propres maux ainsi, celui-ci me voit rarement dans mon meilleur élément. La dernière fois, mes cheveux n'étaient pas correctement peignés et mes larges cernes auraient fait pâlir un mort.

Mes pensées toutes pleines de Diarmuid, je prête peu attention au reste des propos du garçon. C'est quand il termine sa tirade que mon cerveau reconstitue rapidement le tout, ce qui m'arrache un « Ah » tant de déception que d'agacement. Je ne peux décemment pas l'emmener voir le bel infirmier si la seule cause de son mal est un manque de blagues.

« Si tu ne te sens pas bien et que tu n'as pas d'idées de plaisanteries, pourquoi ne vas-tu pas à la bibliothèque pour te ressourcer avec un bon livre ? »

Je suis aux anges, je viens de passer un petit moment avec la jolie Amelia dans le parc, et son étrange mais appréciable grand frère. Par contre, étonnamment, plus je passe du temps avec Amelia, et moins je me sens intriguée par elle. Apparemment, dès qu'on obtient quelque chose, on ne le convoite plus... On est en train de devenir de bonnes amies, et ce n'est pas gênant. Je ne veux rien de plus je crois. Et puis, elle est toujours avec son amoureuse...

J'ai prévu d'étudier un peu à la bibliothèque après notre escapade champêtre, mais force est de constater que Lest a peut-être choisi la même occupation puisqu'on marche dans la même direction. C'est un peu gênant, on n'a plus grand chose à se dire, sûrement tous deux fatigués après cet après-midi au soleil.

Alors que je m'apprête à demander à mon camarade s'il va au même endroit que moi, avant que cela ne devienne TROP bizarre, un jeune sorcier un poil plus âgé que moi nous apostrophe. Il a des cheveux blonds qui contrastent fortement avec les miens, et de beaux yeux verts qui me fascinent. La fascination ne va que dans un sens, de toute évidence. Il ne s'intéresse absolument pas à moi. Il n'a d'yeux et de mots que pour Coelestin...

J'écoute cependant sa requête : il ne semble pas en très grande forme, le pauvre, et cherche à se divertir avec une bonne blague. Ah bah tiens, la blague, c'est bien la réponse de mon camarade de Serdaigle !

Je ris un peu trop fort (peut-être pour enfin me faire remarquer par le blondinet ?) et je m'exclame :

"Mais Lest, comment veux-tu qu'il trouve un remède à son problème dans un livre de la bibliothèque ? Tu crois vraiment qu'il y a l'ouvrage "Blagues pour sorciers facétieux" ? Écrit par les Weasley quand ils étaient à Poudlard, peut-être ? J'en doute vraiment !"

Je me sens un peu moqueuse et j'ai un peu peur d'avoir offusqué mon ami. Mais mon but actuellement, c'est que le petit blondinet cesse de m'ignorer. Je m'adresse ainsi à ce dernier.

"Bon, on va tenter de t'aider. Déjà, si tu pouvais nous dire ce qui te met dans cet état de fébrilité, on pourrait peut-être te donner un meilleur conseil que d'aller lire ! Quant à te faire rire... Je crois que Lest y arrive un peu malgré lui, non ?"

Encore une fois, je crains d'être trop méchante. C'est fou, à trois, cela se passe toujours ainsi : on enfonce la tierce personne pour mieux briller devant celle qui nous intéresse... Je n'aime pas cet aspect de ma personnalité mais je ne peux pas m'en empêcher.

Je le regarde comme s'il venait de manger sous mes yeux un veracrasse bien dodu, tout espoir envolé. Qu'il m'oublie, cela peut encore passer, mais me proposer de me “ressourcer avec un bon livre” ? Et le pire, c'est qu'il semble déçu de ma demande pourtant légitime ! Qu'est-ce que ça lui fait, que je veuille me changer les idées avec une blague ou un roman, non mais franchement ? Je ne vais pas le juger quand il passe ses journées à se ressourcer-avec-un-bon-livre, moi ! Bien décidé à lui faire part de mes sentiments, j'ai pourtant à peine le temps d'ouvrir la bouche, que l'autre fille me devance d'un rire éclatant.

Ah, elle est encore là ? J'avoue avoir noté sa présence, mais je pensais qu'elle se contenterait de partir, en bonne Serdaigle. Visiblement, son caractère s'avère plus trempé que celui de Lest, puisqu'elle n'en a rien fait. Et, ce n'est pas pour me déplaire. D'autant plus que ses paroles sont remplies de bon sens, et je me surprends à hocher la tête d'un air approbateur au fil de sa tirade.

– N'empêche, ce serait vachement bien si les Weasley avaient écrit un tel livre... Je devrais peut-être faire un tour chez Fleury et Bott, à l'occasion. On dit qu'ils ont tout !

Je souris lorsque j'entends la fille affirmer qu'ils m'aideront. À défaut d'être intéressant lui-même, ce Serdaigle sait au moins s'entourer des bonnes personnes ! Peut-être que cela révèle sa vraie personnalité, finalement ? Envisageant la possibilité, je me mets à me frotter le nez, examinant le visage sévère qui se tient en face de moi. Rien à faire, je n'arrive pas à trouver la moindre trace d'originalité à travers ces cernes trop foncés.

Je tourne de nouveau la tête en direction de mon interlocutrice, et fronce légèrement les sourcils. Si je veux bien admettre que son invitation à dévoiler ce qui m'a plombé le moral m'embarrasse, c'est bien la perplexité face au prétendu divertissement que représenterait le blond qui prend pourtant le pas. Elle le trouve drôle, vraiment ? Voilà peut-être la raison pour laquelle ces deux-là traînent ensemble...

– Non, je ne crois pas que Lest me fasse rire.

Je réfléchis quelques secondes. Est-ce qu'il m'a déjà fait rire ? Je ne crois pas. Même lors de notre dernière rencontre, il m'a semblé sérieux et rabat-joie. Même s'il a vraiment été sympa de m'aider, c'est vrai !

– En fait, j'en suis même certain.

Enfin bref, il faut que j'avance sur cette histoire de blague, et s'ils sont d'accord pour m'aider, le reste ne revêt pas vraiment d'importance à mes yeux. Ce qui m'embête en revanche un peu plus, c'est de devoir leur révéler mon déménagement, et tout ça... Si je veux trouver une idée de blague, c'est justement pour m'amuser, pas pour remuer le couteau dans la plaie ! À ces pensées, mon visage s'assombrit légèrement, et je me demande bien quoi répondre. Je ne voudrais pas mentir, j'ai horreur de ça !

– Disons que... Je n'ai pas reçu la lettre que j'espérais.

C'est un peu vrai, non ? Je pensais recevoir un parchemin parsemé de l'écriture de mon frère, et voilà que je me suis retrouvé avec un déménagement sur les bras. En plus que mes parents oublient mon anniversaire, évidemment.

Bien sûr que je suis hilarant. Je peux même faire rire les professeurs quand je le souhaite : ce n'est qu'une question de volonté. Mais ils me mettent le doute tous les deux : je fais apparemment rire Elya pour des raisons douteuses quant au petit Gryffondor, il nie toute possibilité de rire en ma présence. Pourtant, c'est à moi qu'il est initialement venu demander de l'aide pour ses histoires de blague... c'est qu'il pense sincèrement que je dois pouvoir l'aider.

Ma fierté piquée à vif, je croise les bras et soupire bruyamment. Pourquoi le garçon serait venu me demander spécifiquement de l'aide à moi si je ne le fais absolument pas rire ? Il doit y avoir une autre raison. Je ne fais pas rire, mais je suis bon candidat pour l'aider à dénicher une bonne blague.

Un petit Lumos s'allume dans ma tête.

« Je n'ai pas besoin d'être drôle puisque je suis intelligent. » La réplique est aussi cinglante que je suis vexé. Si mes mots visent davantage Elya que le jeune garçon, je réalise qu'il risque de se sentir concerné.

« Je proposais qu'il se détende avec un bon livre de fiction -une histoire passionnante dans laquelle se plonger pour oublier tous ses tracas, Elya Carli. » répliqué-je, cinglant. Pourquoi est-elle soudainement si désagréable alors que l'après-midi avec Amelia s'est bien passé ? J'ai envie de partir et de laisser ces deux-là à leurs occupations ; après tout on dirait qu'ils ont un bon potentiel pour s'entendre. Mais mon ego réclame réparation pour l'affront qui lui a été fait. C'est fragile la fierté d'un adolescent, vous savez ? Alors je reste planté à côté de ces deux-là, bras croisés et moue boudeuse.

Et puis, le garçon ne semble pas au sommet de sa forme non plus. J'ignore de quelle lettre il parle, mais ça semble véritablement important pour lui. Puisque j'ai une fierté à réparer et qu'une personne a besoin de se changer les idées, je décide de leur venir en aide. C'est le moment de montrer qu'effectivement, je suis bien intelligent et que je n'ai pas besoin d'être drôle pour trouver des plaisanteries, je peux juste faire appel à mon cerveau. C'est certainement pourquoi l'adolescent est venu à moi : il sait que je peux trouver de bonnes idées qu'il n'aura plus qu'à exécuter.

« Nous allons trouver la meilleure plaisanterie pour toi, garçon de Gryffondor, » déclaré-je avec le plus grand des sérieux. Le défi le plus important sera de dénicher une blague qui respecte en tout point le règlement de l'école : je refuse de me faire complice d'un acte qui viendrait à l'encontre des règles. « Mh... tu peux peut-être faire une déclaration d'amour publique au saule cogneur ? Les témoins ne comprendront pas ton geste, ce sera donc hilarant » supposé-je.

Nolan ne semble vraiment pas dans son assiette, et ça me perturbe. De plus, au lieu de défendre le pauvre Lest que je viens de peut-être trop embêter, il s'acharne sur lui, n'hésitant pas à dire de mon camarade de Serdaigle qu'il n'est absolument pas drôle. Outch, ce petit Gryffon sait y faire pour remuer l'épée de Gryffondor dans la plaie !

En réponse, Lest commence à pavaner devant nous. Intelligent ? Oui, bon, comme tous les Serdaigle en soi. Pas besoin de le crier haut et fort. Et voulait-il dire "plus" intelligent que nous ? Si oui, ce n'est pas très aimable...

Un peu vexée, je continue de l'écouter marmonner...
« ... pour oublier tous ses tracas, Elya Carli. ». Argh, il prononce mon nom de famille. Ce n'est pas bon signe. J'ai vraiment dû le froisser, et il n'a pas apprécié. C'est tout moi ça : faire ou dire des bêtises. Je regrette déjà mes mots un peu durs, mais je ne possède toujours pas de Retourneur de Temps. J'en ai marre de ne penser qu'à cet objet, sans arrêt ! Si seulement je pouvais arrêter de faire des erreurs ! C'est décidé, je cesse de parler. Moins je parle, moins je risque de me tromper. Je ne vais donc pas relever que Lest expose son intelligence en nous rabaissant, et je ne répondrai pas non plus à leurs idées de blagues.

Il y a néanmoins une faille à mon projet... "On ne peut pas ne pas communiquer" disait un célèbre psychomage moldu (je crois qu'on dit "psychologue" dans ce cas, mais je ne suis pas sûre. Psychiatre ? Psychanalyste ?... Quelles sont les différences, déjà ?...). Donc même si je ne dis rien, ils vont interpréter mon mutisme et je ne suis pas sûre que cela soit en ma faveur.

Je décide ainsi d'écouter mon ami (l'est-il toujours ?) de Serdaigle, sans trop montrer mon mal-être que j'espère passager.

Une déclaration d'amour au saule cogneur ? J'avoue, cela me semble plutôt rigolo. J'ai hâte d'entendre la réaction de Nolan... Mais je doute qu'il accepte de se rendre ridicule !

Sortant ainsi de ma torpeur, je tente d'appuyer Coelestin avec entrain :
« Oh oui, ce serait vraiment amusant que tu fasses ça ! Je propose même qu'à la fin de la déclaration d'amour, tu t'agenouilles et tu le demandes en mariage !»

Les yeux grands ouverts, je regarde le Serdaigle. Les bras croisés, soupir bruyant, tout indique qu'il a l'air en colère, ou du moins vexé. Est-ce de ma faute ? Je lui ai simplement fait part de mon impossibilité à rire en sa présence, tout simplement parce qu'il n'est pas drôle. Il ne va tout de même pas me faire croire qu'il n'en est pas conscient, et se trouve amusant ? Je plisse les yeux. Il considère l'intelligence supérieure à l'humour. Donc au final, il est vexé que je ne le trouve pas drôle, ou il ne veut pas l'être ? Par Merlin, je ne comprends rien à son charabia !

Finalement, j'abandonne l'idée de comprendre, et recule même d'un pas à l'entente de ses mots à l'adresse de... Elya. Elya Carli. Le point positif est que j'ai appris son prénom, le négatif est que je me sens vraiment mal à l'aise parmi cette joute verbale. J'observe du coin de l'œil la Serdaigle. Elle ne répond pas ? Pourtant à sa place, j'en aurais des tas de choses, à répondre. Cependant, Lest ne s'adresse justement pas à moi, et je ne vois rien à répondre à ses propos. Si ce n'est qu'il n'a pas totalement tort. J'aime bien la science-fiction, même si j'en lis rarement. À tout dire, je préfère tout de même les livres avec des super-héros, et des sorciers connus. C'est plus amusant que de lire les histoires de parfaits inconnus.

Je ne sais pas quoi faire. J'hésite à répondre, et la brune semble décidée à ne piper mot. Finalement, je hausse les épaules pour moi-même. Je n'ai rien fait, je ne me sens pas en tort, et je ne vois donc pas pourquoi je ne pourrais répondre.

– Je ne suis pas certain de chercher ce type de divertissement, de toute façon. Je n'arriverais pas à me concentrer sur les mots.

Ce que j'énonce est tout à fait vrai. Déjà que j'ai dû mal à me concentrer sur les livres que je lis en temps normal, alors je n'ose imaginer ce que ce serait à l'instant, tandis que je tente de repousser ma colère contre mes parents au fond de moi.

Le Serdaigle reprend... Et annonce qu'il m'aidera. Un grand sourire au lèvres, mes yeux scintillant de nouveau, et je m'exclame :

– Génial ! Et tu peux m'appeler Nolan, tu sais.

Cependant, je crois bien avoir pris sa déclaration un peu trop à cœur, puisque je me retrouve vite à croiser les bras. Une déclaration d'amour publique au saule cogneur ? Ce serait hilarant ? Et voilà qu'Elya en rajoute même, suggérant une demande en mariage. Des soucoupes à la place des yeux, je les regarde tous les deux, l'un après l'autre. Ils sont vraiment sérieux ? Ils trouvent ça drôle ? Je ne vois pas en quoi déclarer un prétendu amour à un bout de tronc à moitié mort-vivant, et plus que grognon, est amusant. De plus, ça n'implique que moi, et au final je me retrouverais victime de ma propre "blague". Où repose l'intérêt d'une telle occupation ? Vraiment, je n'arrive pas à concevoir comment Lest a pu me suggérer une telle idée. Il était censé détenir la solution à tout !

– Non, je ne vois aucune blague là-dedans. Je crois que vous n'avez pas bien compris.

Tandis que je prononce ces mots, je secoue la tête de gauche à droite. Je me tourne ensuite vers Lest.

– Une blague, c'est lorsque tu surprends quelqu'un, et que tu peux en rire. Que c'est drôle ! Là... Je ne vois rien d'amusant à l'idée de d'avouer à un végétal irritable un amour fictif !

Je ne comprends vraiment pas comment ceci a pu lui venir en tête. Je suis curieux.

– Si tu faisais ça, tu trouverais vraiment l'activité hilarante ?

Je suis soulagé que Carli ne renchérisse pas sur ma remarque. Aïe, j'ai l'impression de me prendre un coup de poing fantôme dans les côtes. La petite voix intérieure de ma sœur qui me suit partout m'indique que j'ai peut-être été un peu dure avec la fillette -qu'en tant qu'aîné, je dois me montrer plus sage et bienveillant. Mais elle l'a cherché aussi, à se moquer de moi et en rire aussi fort. J'ai décidé que je ne me laisserais plus jamais faire -et à cet instant précis, la petite Carli avait eu exactement le même visage que les élèves de première année qui me harcelaient quand j'avais onze ans. J'ai grandi depuis, et c'est hors de question que ça se reproduise, d'autant plus avec des gosses.

La Serdaigle approuve mon idée, ce qui achève de m'adoucir et effacer toute rancune. J'adresse donc un sourire timide au prénommé Nolan, en attente de son jugement.

Nul. Non seulement il ne trouve pas l'idée intéressante, mais nous reprend même sur la définition d'une plaisanterie.

« Ca me semble un peu réducteur de définir les plaisanteries par le simple fait de surprendre quelqu'un, Nolan. C'est peut-être pour ça que tu n'as pas d'idées, tu as du déjà totalement épuisé ce concept si tu n'as rien trouvé d'autres à faire depuis l'année dernière. »

Concernant la déclaration au saule cogneur, il n'a pas tout à fait tort : effectivement à mes yeux, ça n'a strictement rien de drôle. Mais ce que j'ai appris au cours de ma scolarité en côtoyant des individus de son acabit, c'est qu'on a pas tous la même définition de ce qui est amusant ou non. Et tout comme lors de notre première rencontre, je ne comprends pas ce garçon. Je ne parviens à expliquer son fonctionnement et ce qui le motive à agir ainsi -et je serais censé malgré cela parvenir à déterminer ce qui le ferait rire ou non ? C'est déjà trop, quand je ne comprends déjà même pas le choix de sa coupe de cheveux.

« Le problème avec le fait de surprendre quelqu'un, c'est que la personne n'est pas forcément consentante pour ça. En quelque sorte donc, c'est comme enfreindre le règlement puisqu'on est pas censé porter préjudice aux autres. »

Et ce point me pose justement problème. Je refuse d'aider quelqu'un qui enfreindra le règlement. Il doit cependant y avoir moyen d'apporter soutien à Nolan si on trouve un compromis -il faudrait encore pour cela qu'il revoit sa définition de blague.


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Blablablabla désolé je fais de mon mieux pour rendre Lest coopératif mais c'est Lest

Nolan n'apprécie pas du tout la proposition de Lest et moi. Et pourtant, on aurait passé un moment que j'imagine fort amusant si le Gryffon avait accepté de jouer le jeu. J'aurais adoré assister à une déclaration d'amour hors du commun, et ça aurait fait un petit spectacle pour tous les élèves. On en a tous besoin je crois. Un peu de fraîcheur et de légèreté dans ce château, à quelques semaines des examens...

Je suis déçue qu'il refuse. Et il se permet ensuite de nous donner la définition de ce qu'est une blague. J'écoute la réponse un peu sage de Lest, puis je tente d'expliquer moi-même en quoi notre idée est tout à fait conforme à l'idée que Nolan se fait d'une blague.

- Nolan... Tu dis qu'une blague doit surprendre quelqu'un, et être drôle. C'est exactement ce qu'on te propose ! Si tu fais ta déclaration d'amour au saule-cogneur, tu surprendras tous les autres élèves. Et finir par une demande en mariage... Ce sera très amusant, je te parie qu'on entendra rigoler à 100 mètres à la ronde ! Je suis persuadée que cette petite mésaventure que tu pourrais vivre te changerait un peu les idées.

Je réfléchis un instant, et soudain je comprends où est le problème. Une idée surgit alors...

Mais peut-être que tu préfères ne pas être le centre de la blague ? Est-ce que ça te ferait un peu marrer au moins que... Lest lui-même déclare sa flamme au saule cogneur, en finissant à genoux et la bouche en cœur avec une demande en mariage très théâtrale ?

Je me rends bien compte que ce que je viens de dire est délicat : j'ai de la peine à imaginer Lest se mettre en scène. Mais si cela peut redonner le sourire à Nolan, pourquoi ne pas tenter ?...

Ma définition des plaisanteries, réductrice ? N'importe quoi. Comment pourrait-il le savoir puisque que lui n'en a jamais pratiqué de sa vie, de toute façon ? Si sa phrase me laisse incertain quelques secondes, je ne me fait pas prendre au piège et me ressaisis rapidement. Je me renfrogne. J'aurais dû me douter qu'il ne pourrait rien m'apporter de constructif. Ce n'est pas comme si trouer correctement un bout de papier était signe d'un quelconque humour, après tout. Et puis, le voilà qui enchaîne sur le règlement. Je lève les yeux au ciel.

Alors là, il ne sait pas dans quelle tanière il met le pied. Certainement pas celle des Poufsouffle beaucoup trop gentils, en tout cas ! Selon moi, tout ses arguments sont caduques. Cependant, voilà que je n'ai pas le temps d'en placer une, qu'Elya intervient ! Mieux : elle tente de me convaincre. Je paraît donc si crédule que cela ? J'ai dit que cette blague ne me convenait pas, elle ne me convient pas. Un point c'est tout. Elle ne rentre même pas dans ma définition d'une blague, de toute manière.

« Est-ce que ça te ferait un peu marrer au moins que... Lest lui-même déclare sa flamme au saule cogneur »

Je cligne des yeux. Quoi ? Lest, faire ça ? Cette Serdaigle est allée faire un tour à la Tête de Sanglier récemment ou comment ça se passe... ?

– Je ne comprends pas où tu veux en venir. De toute façon, même si ça m'amusait, Lest ne ferait jamais une telle action.

J'ai beau tenter d'imaginer ce grand blond agenouillé devant le saule cogneur, je ne trouve même pas cela si drôle, à vrai dire. Peut-être un peu, j'admets, mais loin de ce que l'on pourrait appeler un franc amusement. Dans une vraie blague, il y a quelque chose d'éclatant, qui surprend, qui fait sursauter ! Je me tourne d'ailleurs vers le Serdaigle, revenant sur un point m'ayant interpellé quelques instants plus tôt :

– Je m'en fiche, du règlement. Et ma définition des blagues est très bien.

Qu'ils n'aillent pas croire que je me plie bien gentiment à des règles stupides fixées par des adultes tout autant incapables ! De même, je ne laisserai personne critiquer ma vision des farces.

– Je suis bien libre de faire ce que je veux, et je ne vois pas pourquoi je devrais restreindre mes blagues pour le précieux confort d'individus qui n'en ont strictement rien à faire de ma personne.

Au moins, le ton est donné. Si je dois commencer à composer avec chacun, je ne vais plus vivre ! Et puis au fond, je ne fais rien de mal, je m'amuse juste un peu.