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04 sept. 2022, 12:27
Entre deux tons  Solo 
6ème année
Après le plateau rocheux



Longtemps sa peau resta sensible. Porter des vêtements lui était désagréable, tout comme essuyer les larmes d'effroi qui lui venaient lors des cauchemars qui avaient fait suite à l'escapade sur le plateau rocheux. Aucune trace ne persistait sur son corps. La chose se situait au-delà, sous la couche d'épiderme : c'était une sensation diffuse et persistante, désagréable, fantomatique. Aelle avait parfois l'impression de la rêver quand elle s'observait dans le miroir et que ses yeux ne trouvaient rien sur sa peau. Elle pensait perdre la tête, devenir folle.

Folle, elle avait l'impression de le devenir, oui, quand elle se confrontait à toutes ses pensées qui ne la quittaient pas depuis son retour à Poudlard. Un terme venait trop facilement lorsqu'elle pensait à l'événement qu'elle avait vécu la semaine passée : lamentable, ou tout autre substitut tel que : incapable, idiote, faible. Plus que la sensibilité qui persistait, c'était le sentiment d'échec qu'elle avait du mal et qu'elle ne voulait pas accepter. C'était ce qui l'empêchait de s'endormir le soir et qui la faisait se réveiller en haletant, le corps perclus de douleurs fantômes et un vide de plus en plus gros qui se creusait dans son cœur. Dans ces moments-là, elle avait l'impression que ses cellules gardaient des souvenirs qu'elle-même avait oublié. Elle en venait à croire qu'elle aurait mieux fait de rester là-bas, ou plutôt là-dedans. Dans le tourbillon de vie que l'on nommait parfois magie.

Il lui fallut un temps infini pour ravaler son échec, sa honte, sa colère, et en globalité tout ce qu'elle ressentait pour accepter qu'elle avait besoin de se confier à quelqu'un à propos de ce qu'elle vivait. Quelqu'un qui la comprendrait et à qui elle n'aurait pas besoin d'expliquer toute l'histoire. Une seule personne convenait : sa directrice. Mais Kristen Loewy avait beau être sa directrice, elle n'en était pas moins indisponible. Alors la Poufsouffle garda tout pour elle, si bien qu'elle finit par enterrer tout cela sous une bonne couche de déni, comme elle avait l'habitude de le faire. Les questionnements sur la sensibilité de son corps et les douleurs fantômes qu'elle ressentait, stigmates du surplus de magie qui avait abîmé sa peau lorsqu'elle s'était essayée à l'exercice de manipuler sa magie dans sa forme la plus brute, sa perte de confiance en elle et en sa magie... Enfouit tout à l'intérieur de son esprit.

Elle voulu agir autrement et s'y essaya même... En vain.

Loewy l'avait abandonné devant les portes du château sans autre forme de procès, ne l'oublions pas. Une fois ce fait digéré, et cela prit un certain temps, Aelle voulu lui rendre visite. Elle ne le savait pas mais Kristen Loewy était à ce moment-là dans un état qui n'acceptait aucune rencontre, et moins encore avec cette élève qu'elle tentait de protéger d'elle-même. Peut-être aperçut-elle Aelle via l'Œil magique qui surveillait l'entrée de son bureau ou peut-être pas : l'adolescente repartit dans tous les cas bredouille, la rancœur alourdissant son corps. La directrice pouvait bien lui affirmer, et elle l'avait fait à plusieurs reprises, qu'Aelle n'était pas n'importe qui, et lui dire plus ou moins clairement qu'elle n'allait pas l'abandonner à son sort, la Poufsouffle avait toujours du mal à le croire, d'autant plus qu'elle n'avait que peu de preuves pouvant la rassurer. C'était une jeune personne qui avait besoin que l'on lui répète plusieurs fois la même chose. Cela n'avait rien à voir avec un manque quelconque d'intelligence : il lui fallait seulement du temps pour accepter et croire que oui, cette personne-là l'appréciait pour ce qu'elle était, que cela ne changerait pas dans le futur. Dommage que la directrice de Poudlard fût une femme avare en mots et en paroles rassurantes.

La première note arriva quelques semaines après l'échec d'Aelle sur le plateau rocheux, après les larmes de Kristen, leurs cris lancés à l'horizon et les promesses formulées à demi-mots. C'était un morceau de parchemin très simple sur lequel était griffonné le titre d'un livre se trouvant à la bibliothèque. C'était signé "KL". Et c'était tout. Le grimoire donna à Aelle quelques pistes de recherches à propos de l'Élixir de Longue-vie. Lorsqu'arriva la deuxième note, trois semaines plus tard, cette fois-ci accompagnée d'un ouvrage dont la provenance était floue, l'étudiante compris que cela se passerait ainsi, désormais : par des mots rapidement écrits sur un coin de parchemin.

Elle se convainquit que cela ne lui faisait rien et se mit à son tour à rédiger des petites notes studieuses pour tenir au courant Loewy de l'avancée de ses recherches qui n'avançaient d'ailleurs que peu. Elle joignait parfois le résumé de ses lectures ou le titre de livres qu'elle avait trouvé dans des bibliographies mais qui ne se trouvaient pas à la bibliothèque.

Les semaines passèrent, toutes très remplies, que ce soit par le travail ou par les petits plaisirs et déplaisirs quotidiens de la vie d'une jeune personne de dix-sept ans. Les notes s'enchaînaient elles aussi et bien qu'Aelle mette un point d'honneur à ne pas s'en rendre compte, il était évident que le ton sur lequel elles étaient rédigées changeait peu à peu. Subtilement mais sûrement. Il y eut la fois où, comme une vengeance personnelle de la solitude qu'elle ressentait, elle ne signa pas la note pas plus qu'elle ne salua sa directrice d'un "bonjour" ou d'un "Madame". Une autre fois, elle l'appela Kristen. C'était certes autorisé mais c'était une première. En écrivant ce prénom, Aelle se sentit puissante. Ce qui ne dura pas puisque ladite Kristen ne donna pas suite à la note — qui n'en attendait d'ailleurs pas mais l'espoir avait la peau dure.

Après les vacances de Noël, le ton se fit plus dur encore. Certaines notes devinrent insolentes, d'autres carrément impolies. Comme par hasard, s'en suivait un silence long de quelques jours, ce qui ne faisait qu'accentuer la colère d'Aelle qui ne se doutait pas qu'elle avait vexée la femme et que celle-ci se vengeait à sa manière. Ainsi, les "vous serez sans doute trop occupée pour le lire, mais voici un ouvrage intéressant..." n'obtenaient aucun résultat, pas plus que les "puisque vous n'êtes jamais dans votre bureau, je vous écris pour...".

"Vous ne voulez pas me voir", affirma-t-elle une fois. Certes, c'était ce quelle ressentait mais jamais Aelle n'avait clairement proposé de rendez-vous à Kristen Loewy. Jamais elle ne lui avait dit qu'elle souhaitait la rencontrer dans son bureau, ou ailleurs, pour discuter de vive-voix. Elle se contentait de subtilités, de messages cachés, de sous-entendus. Elle estimait que Kristen devait deviner son envie. Elle ne comprenait pas que ce genre de choses ne fonctionnaient que rarement, surtout lorsque l'on avait en face de nous la Directrice de Poudlard, soit une créature solitaire et sauvage, en plus d'être bourrée de fierté, de principes et surtout de la peur de faire du mal à Aelle comme elle avait fait du mal à son fils.

Les choses auraient pu être plus simples si elles s'étaient toutes les deux montrées sincères :

« Je vous en veux pour votre silence, aurait pu dire Aelle, et j'ai du mal à croire que vous tenez sincèrement à moi.
— J'aimerais discuter avec toi, Aelle, aurait répondu Kristen, mais je suis dépassée par la situation et je peine à retrouver mon fils. Laisse-moi du temps. »

Après cela, peut-être Kristen aurait-elle glissé dans ses notes quelques paroles réconfortantes qui auraient pu apaiser sa relation chaotique avec Aelle. Peut-être, mais ce n'est de toute façon pas ce qui arriva.

Aelle s'ancra dans sa rancœur peinée et Kristen se concentra sur ses affaires.

Actions de Kristen vus et validés par sa plume.