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05 sept. 2022, 22:34
Monsieur Narym  OS 

Narym Bristyle
33 ans
(frère d'Aelle)


Juin 2047
Mochdinam, Pays de Galles



« Monsieur Narym, j’ai fini ma carte des villages sorciers à travers l’histoire, tu peux venir voir ? »

Narym arrache son regard du mur et accorde son attention au petit Liebel. L’enfant a quitté son pupitre pour s’approcher de lui, une grande feuille de parchemin dans les mains et de l’encre plein les doigts. L’homme se penche sur son travail, les sourcils froncés par la concentration mais le coeur toujours perdu dans les pensées qui l’ont arraché à la surveillance de sa classe.

Narym. Nar. Frangin. Mec. Monsieur Narym.

Tant de manière de l’appeler, toutes différentes en fonction de qui s’adresse à lui de sa famille, de ses amis, de ses frères, de ses élèves, de ses professeurs de l’époque, de ses ex, des inconnus et des un peu moins connus. Une dizaine de surnoms qu’il reconnait instantanément. Il se traîne certains depuis plus de trente ans, d’autres depuis quelques années tout juste. Il y en a qui ne reviendront jamais, qui ne résonneront plus à ses oreilles.

Amour. Bristyle. Nanar. Mon garçon. Monsieur Bristyle.

Comme s’il était composé d’une multitude de facettes. Le conjoint attentionné, l’amant, le gentil élève, le professeur aimable et empathique, le frère agréable, l’inconnu souriant, l’homme encore enfant, le trentenaire attirant, le fils sérieux. Au final, Narym ne sait plus exactement qui il est. C’est à peine s’il sait qui il doit être. Les jours passent, filent, se ressemblent. Il est tantôt instructeur, tantôt fils, tantôt frère. Souvent un inconnu au milieu d’une foule. Mais qui est-il vraiment ? Peut-être que la vie serait plus facile s’il était capable de répondre à cette question.

Cela fait deux ans qu’il a pointé sa baguette entre les jolis yeux de Gaëlle et qu’il a prononcé la formule du sortilège d’oubli. Deux longues années depuis le mois de janvier 2045, pourtant il se rappelle comme d’hier de tout ce qu’il a ressenti les jours qui ont suivit cette date, la douleur lancinante et le vide qui se creusait dans son corps. Est-ce depuis ce jour-là que l’homme a perdu son identité ? Depuis qu’il a repoussé loin de lui la femme dont il était amoureux sans espoir de la retrouver ? Le vide ne s’est jamais rempli, son coeur n’a jamais réappris à aimer et dans ses cauchemars il voit encore son regard se faire vague au fur et à mesure que disparaissaient leurs souvenirs.

Son trouble est peut-être plus récent, peut-être provient-il de cette dernière journée, il y a quelques mois, qu’il a passé avec ses élèves à Londres, la dernière fois qu’il a vu l’appartement dans lequel il vivait depuis longtemps. Quand il a transplané pour la dernière fois de la Capitale moldue pour rejoindre sa région natale. Il lui a fallut des mois pour retrouver ses esprits et savoir ce qu’il voulait faire de sa vie, cesser de vivre au crochet de ses parents à trente ans pour avancer et retrouver un semblant d’équilibre.

Il a fini par trouver mais le vide, lui, ne s’en est pas allé. Il s’est encore creusé lorsque Narym s’est dégoté un appartement en bordure du tout nouveau village sorcier du Pays de Galles, Mochdinam. Oh, sa demeure est belle et peu chère, au sommet d’un joli bâtiment, avec de très grandes pièces à vivre et plusieurs chambres. Beaucoup trop grande pour lui mais presque trop étroite pour le projet qui lui tenait à coeur et qui redonnait, bien que faiblement, un peu de force à son coeur refroidi. Il a transformé la plupart des pièces pour y installer des petits bureaux, des poufs et des canapés. Il a accroché des cartes aux murs, des portraits, des tableaux noirs ; il a magiquement modifié l’une des chambres pour en faire un terrain de jeu avec des petits balais pour enfant, des fauteuils confortables et des bibliothèques fournies. Un parfait repaire pour petits sorciers.

Et c’est ce que c’est devenu au fil des mois, lorsque Narym a pu faire ses preuves. À la rentrée 2046 il s’occupait d’une dizaine d’enfants de familles sorcières des environs. Ils venaient tous les jours chez lui pour recevoir ses leçons d’histoire, de géographie, de magie théorique mais aussi de mathématique, d’anglais et d’histoire moldue. Un enseignement hétéroclite que revendique Narym sans la moindre honte et qui, s’il lui ferme de nombreuses portes, lui en ouvre d’autres bien plus jolies, même si elles sont moins nombreuses.

Une vie parfaite, semble-t-il.
Proche de chez ses parents qu’il va voir une fois par semaine comme un gentil fils, même si cela lui pèse parfois. Non loin également de Zakary qui vit désormais dans sa maison de banlieue et qui fait semblant d’être heureux dans sa vie de couple rangée. Narym lui rend visite régulièrement, ou plutôt ils s’échappent tous deux boire des bièraubeurres dans des échoppes de Mochdinam parfois dans des bars moldus où ils se contentent de leurs bières savoureuses, quoi que moins sucrées que celles que proposent le monde sorcier.

Narym avance laborieusement dans la vie comme il l’a toujours fait, en souriant et en prenant soin des autres pour ne pas avoir trop à songer à lui-même.

Finalement, peut-être le vide vient-il de plus loin encore et peut-être n’est-ce pas tout à fait un vide. Ou alors un vide palpable, un peu trop lourd, trop alourdit des mille sensations et émotions qu’il ressent tous les jours, toutes les heures, à chaque instant de sa vie. Des petits riens, des bouffées qui le rendent euphorique ou triste, qui le font se torturer à propos du grand but de la vie, de sa vie à lui. Narym ressent la vie comme s’il la tenait au creux de sa main, il a parfois l’impression que le monde entier est lié à lui et qu’il est connecté à tout et à tout le monde. Il est conscient de la chance qu’il a de pouvoir d’un coup d’oeil comprendre les autres, leurs peines, leurs bonheurs, leurs problèmes, de pouvoir les aider sans difficulté, les soutenir sans indiscrétions ; un soutien invisible pour la plupart des gens. Mais s’il en a conscience, il sait également que tout serait plus simple s’il cessait de penser aux autres et s’il pouvait arrêter, seulement une heure, une toute petite heure, de ressentir la moindre de ses émotions comme une montagne régnant sur son coeur.

La plupart du temps, Narym finit par s'arracher à ces pensées dérangeantes. Il cligne des paupières et atterrit. Arrête de te lamenter ! se fustige-t-il comme s’il n’avait pas le droit, lui aussi, d'éprouver des difficultés à vivre. Alors il se secoue, s’habille du sourire qui le caractérise et repart à sa vie. Ce sourire est loin d’être factice. C’est un sourire doux et sincère, « qui fait briller tes yeux », lui répète souvent son père, un sourire qui réchauffe les cœurs, le sien en premier. Narym a toujours été considéré par les autres comme le gentil et le réconfortant, l’homme de la situation, celui qui reste calme en toute circonstance, qui rassure, qui soutient, sur lequel on peut compter pour garder les secrets — ce n’est pas pour rien que c’est vers lui que se tournaient et que se tournent encore ses frères et sa sœur quand ils en ont besoin. Mais parfois, Narym aimerait bien qu’ils devinent qu’il est une éponge et qu’il absorbe le monde entier. Que cela, loin de remplir son vide palpable, ne fait que le creuser davantage jusqu’à ce qu’il en vienne à se demander qui il est de Narym, Nar, Frangin, Mec, Monsieur Narym, Amour, Bristyle, Nanar, Mon garçon ou Monsieur Bristyle.

« Alors Monsieur Narym, c’est bon, dis ?
Oui, Liebel, dit l’homme en clignant des paupières et en souriant au petit garçon, c’est bon. »

L’enfant enroule vivement sa carte, un sourire fier sur le visage. Narym l’observe et une bouffée de reconnaissance explose dans son coeur. Heureusement qu’il a les enfants. Leur joie de vivre est contagieuse.

« Alors je peux aller faire du balai ?
Attends un peu que tes camarades aient terminé, d’accord ?
Oh… »

Sa moue triste n’émeut pas l’homme qui, d’un geste du menton, l’encourage à aller retrouver son pupitre. Très vite, l’enfant trouve à s’occuper et sa tristesse est bien rapidement oubliée, comme l’avait escompté Narym.

Être Monsieur Narym pour ces petits sorciers lui convient bien. Il les aide à avancer dans la vie, à trouver leur voie et à apprivoiser, doucement mais sûrement, la magie encore sauvage qui sommeille en eux. Cela le réconforte de se dire que dans quelques années ils rejoindront Poudlard en étant plus sûrs d’eux et de la vie qui les attendent. Parfois, Narym aimerait en avoir un à lui, juste pour lui. Qu’il pourrait éduquer du matin au soir, pas seulement grâce à ses leçons mais en le guidant sur le long chemin de la vie, en vivant des choses simples et profondes avec lui, en lui donnant le goût des autres et de la lecture, en lui apprenant à sourire et à apprivoiser ses émotions comme l'a fait son père avant lui. Il aimerait bien, Narym, avoir son enfant à lui. Puis il se rappelle qu’il a oublietté la seule femme qu’il ait réellement aimé et il songe qu’il a bien mérité de n’être que cela, un précepteur pour les enfants des autres.