Deryn s'était réveillée un peu confuse dans un lit inconnu dont l'odeur lui plaisait pourtant beaucoup. Des rayons de soleil prometteurs filtraient à travers la fenêtre toute proche dont les rideaux gisaient étrangement au sol. L'irlandaise s'était remémorée la soirée de la veille, remettant ses pensées en ordre. Une fois les choses remises en place dans son esprit brumeux, elle avait entrouvert la porte pour écouter les bruits de la maison. Il y avait apparemment de l'activité dans la cuisine. Avant de sortir de la pièce, Deryn avait ouvert la fenêtre et posé son pantalon dont le bas restait humide au soleil.

Tout indiquait qu'elle s'était levée trop tard pour saluer ses parents s'ils avaient, comme prévu, pris le premier bateau pour le continent. Elle avait d'ailleurs également du louper le premier tour pour les touristes. Est ce que grand-père y était allé avec la vieille jument ? Pas certain. Deryn, tout en observant dehors, écoutait les bruits apaisants de son quotidien sur l'île, les oiseaux marins, les voix qui montaient par moment et le bruit des vagues en fond,. Elle réfléchissait au scénario ce qu'elle préférerait. Trouver grand-père à la maison en train de l'attendre mais faisant mine du contraire ou trouver la maison vide pour pouvoir explorer seule les secrets de grand-mère. Elle décida que les deux options lui convenaient parfaitement tant que ses parents restaient loin de l'équation. Eux, elle ne voulait pas les voir ce matin. Espérons qu'ils n'aient pas changé leurs plans. Deryn glissa délicatement Tim dans la poche de son jogging pour éviter qu'il ne démonte la penderie en son absence, avant de partir à la recherche de Chems. Sa première mission était de le réveiller, comme promis.

Elle quitta la chambre de son ami et ouvrit doucement la porte de la pièce voisine. N'y apercevant aucune trace de l'irlandais, elle fit une petite moue. Elle avait dormi si tard que ça ? Deryn prit, un poil déçue la direction du rez-de-chaussée, se préparant à saluer poliment les adultes de la maison. Une fois dans le salon, son sourire reapparut en découvrant ce qui ressemblait à une grosse chenille sur le canapé. Il n'était peut-être pas si tard que ça finalement.

Elle se dirigea sur la pointe des pieds jusqu'à l'amas de couverture, espérant qu'il s'agissait bien là de son ami et pas de son frère rentré dans la nuit. Elle se pencha et, un sourire malicieux aux lèvres, se mit à parler assez fort pour que le dormeur puisse l'entendre sans trop se faire remarquer de la cuisine toute proche.

"Monsieur Daley. Poudlard ouvre un camp de vacances pour sorcier. Vous êtes le premier sélectionné. Les cours de potions commencent dans cinq minutes. Il serait plus que regrettable de ne pas être à l'heure."

460 mots

L'annonce se faufila à l'intérieur du cocon fait de drap, faisant geindre et se recroqueviller davantage son occupant. « Sans moi... » articula à peine la bouche pâteuse de la larve se trouvant sous la fine couverture. Refusant d'abord de refaire surface dans le monde tangible, Chems se raccrocha au fin tissu comme s’il aurait pu l'aider à replonger dans les profondeurs de l'inconscience. Toutefois l'irlandais s’était endormi avec l'esprit trop encombré par le souci qu'il se faisait pour son amie et pour son frère. Aussi, même à moitié dans les vapes, la voix de Deryn déclencha chez l'adolescent un effet domino, faisant remonter les sons puis les images de leur soirée précédente jusqu'à le rendre complètement alerte en très peu de temps finalement.

Les premières minutes de son véritable éveil, Chems ne chercha pas à se mouvoir, gardant ses yeux fermés et son visage fermement plaqué contre le pli entre le dossier et l'assise du canapé. Il lui fallait toujours un temps d'adaptation et de conditionnement mental avant de trouver la foi d'activer son cerveau et, par la même, toutes ses fonctions motrices. Durant cette phase cruciale d'émergence, il lui arrivait parfois de se rendormir lorsqu'il n'avait pas envie d'affronter une journée particulière - ce qui n'était pas exactement le cas d'aujourd'hui pour ainsi dire.

Enfin, il se tourna, tombant nez à nez avec une Deryn toujours aussi flottante dans ses vêtements. « B'jour... » Ramassant mollement ses membres l'un après l'autre, il lui créa une place sur le canapé, lui ouvrant même un pan du drap qu'il avait encore sur les épaules pour qu'elle puisse s'enrouler dedans si elle le souhaitait car il sentait une petite fraîcheur laissée par la pluie d'hier. Au bruit de ressorts grinçants, on aurait pu constater que le pauvre fauteuil avait fait son temps - comme pour la moitié des fournitures qui constituait cette maison d'ailleurs. Mais bien qu'il ait tout à envier aux canapés de la salle commune de poufsouffle, l'objet n'en était pas pour autant inconfortable. Après tout, l'adolescent y avait très bien dormi.

Soudain, Chems entendit des clinquements de verre venant de la cuisine.

Un peu surprit sur le moment alors qu'il s'était cru seul avec sa camarade, l'irlandais s'imagina vite que ce devait être son père. Après tout, l'adulte avait fait une proposition à son amie de la raccompagner pour dire au revoir à ses parents pas plus tard qu'hier. Sa présence dans la pièce d'à côté ne pouvait que signifier qu'il s'était préparé à honorer sa parole. Néanmoins... Chems plissa ses yeux embrumés de sommeil sur une des fenêtres du salon d'où s'infiltrait la lumière extérieure. « Il est pas trop tard pour... — un bâillement sonore interrompit brièvement le cours de sa demande — tes parents ? » Il aurait parié sur le fait que Deryn n'avait pas particulièrement envie de les voir hier. S'il avait eu un quelconque mot à dire sur ce fait, c'est que sa camarade aurait été tout à fait justifiée dans ce choix. Après ses découvertes autour de sa grand-mère, elle avait besoin de tout le soutien que son entourage soit en mesure de lui fournir. Malheureusement, elle ne semblait pas pouvoir en attendre si peu de ses parents aveuglés par la peur.

Cependant, il existait aussi une autre vérité. Celle où Deryn aurait bien aimé les voir aujourd'hui. Chems était inconscient des conseils que la nuit avait apporté à son amie.

« Ça ira ? »

L'adolescente accepta avec gratitude la place qu'on lui offrait et se glissa sous le drap, profitant de cet instant de calme avant la tempête dans cette bulle de chaleur partagée tout en douceur avec son ami. Elle se mordillât la joue avant de répondre dans un murmure à la question tandis que Tim pointait le bout de ses brindilles.

"S'ils ont pris le premier bateau oui, c'est trop tard. On verra en arrivant."

À la dernière question de Chems, elle ne répondit pas, ne sachant pas vraiment quoi dire. Les heures à venir donneraient la réponse et en attendant, il fallait affronter la cuisine familiale de l'irlandais.


Devant la porte de la maison, Deryn avait hésité et après une grande inspiration et un coup d'œil vers Chems qu'elle savait tout près, posé la main sur la poignée au moment où la porte s'ouvrait. Le vieil Edern apparut et un grand sourire illumina le visage du vieux malgré une évidente fatigue. Il attrapa sa petite fille, la serrant dans une étreinte vigoureuse tout en la réprimant vaguement en gaélique puis se redressa, saluant enfin les accompagnateurs.

"Heureusement qu'il reste des Daley sur l'île. Je sais que ma petite Deryn a un enfroit où se cacher quand l'orage gronde. Il reporta son attention sur l'adolescente. Il faudra qu'on discute tous les deux mais sache une chose importante, je ne t'ai JAMAIS menti. Il fit une pause regardant les deux adolescents. Je serais dans la grange. Tu viens me trouver si tu as besoin. Je suppose que tu dois aller voir tout ça de plus près et je suppose que tu enfin, vous comprendrez mieux que moi toute cette histoire. Tiens, moi, je n'ai pas réussi. Tes parents reviennent demain soir. Ça nous laisse un peu de temps pour réfléchir à tout ce... tout ça."

Il posa dans la main de la jeune fille le vieux couteau de serrurier qu'ils utilisaient quand la porte de la crèche coinçait et, dans un sourire, fit mine de s'éloigner. Deryn, après une seconde d'hésitation, les larmes aux yeux, le rattrapa pour une nouvelle étreinte silencieuse avant de se retourner vers la maison familiale, laissant le vieil îlien s'éloigner tandis qu'elle même se rapprochait de Chems.

"Du coup... tu veux bien venir avec moi ? L'armoire et la porte du bureau sont au premier étage."

Le vieux Murphy s’était définitivement fait un sang d’encre. Il n’y avait qu’à voir la manière qu’il avait d'envelopper sa petite fille dans ses bras sans même penser à lui reprocher sa fugue. Le soulagement sur son visage fatigué était immesurable. Face à la scène, Chems rangea ses mains dans ses poches et jeta un regard circonspect à son père tandis que Fehin, quant à lui, offrait un sourire chaleureux et un hochement de tête à Edern suite à sa remarque. S’il avait existé un doute minuscule dans l’esprit du garçon que monsieur Murphy ait cautionné la conduite des parents de Deryn, celui-ci était en train de mourir.

En voyant le couteau changer de main, Chems réalisa avec combien de facilité toutes les portes s’ouvraient à eux. Comme si le destin lui-même les poussait dans la direction de ce bureau et de ces secrets. Hier soir, en discutant sous la faible lueur de l’ampoule de la cuisine, il en aurait pensé autrement.

« Ça ne t’embête pas si je t'accompagne ? s'immisça Fehin dans un irlandais bien maîtrisé après la deuxième étreinte initiée par Deryn, prenant la suite d’Edern vers la grange. J’ai besoin de quelques conseils. »

Ne faisant aucun mouvement pour emboîter le pas de son père, Chems suivit juste les deux adultes des yeux, fixant plus particulièrement le dos du vieil homme pendant qu’il s'éloignait. Venait-il d’abaisser toutes ses défenses ? Capitulant à un problème dont il n’était pas parvenu à venir à bout ; laissant à sa petite-fille l’espace de décrypter quelque chose que lui-même n’avait pas réussi à découvrir depuis des années sur sa propre épouse. L’adolescent ne put s’empêcher d’avoir de la peine pour lui. « Il ne savait vraiment pas je crois… » observa-t-il d'une petite voix. Rien de vicieux ne se dégageait de ce grand-père aimant. La raison la plus plausible à sa “cachotterie” devait être que sa propre ignorance l'ait fait mentir. En revanche, concernant le retour précipité des parents de Deryn, il ne savait que penser.

Chems détourna le regard des deux adultes pour le poser sur son amie. Il se demanda d’abord combien elle devait redouter leur retour, cependant, les préoccupations de la jeune fille ne semblaient pas être centrées sur eux alors qu’elle manifestait la volonté de commencer son inspection. « Allons-y » acquiesça-t-il avec un léger sourire qui traduisait sa résolution. Si Deryn le voulait présent pour ça, il ne la laisserait pas seule.

« Direction l'armoire en premier ? »

Franchir le seuil du domicile des Murphy avait une saveur particulière aujourd’hui. Pourtant, Chems l’avait déjà fait de nombreuses fois par le passé, mais jamais avec l’intention de s’aventurer dans une pièce qui avait été protégée des habitants de la maison elle-même néanmoins. Il déglutit. À l'entrée de la demeure, le silence leur souhaita la bienvenue. Au moins avec ça, ils avaient l'assurance qu'ils ne se précipitaient pas dans une espèce de guet-apens orchestré par les O'Connors.

Non. Il ne savait pas. Ou alors il ne savait plus. Peut-être que comme Deryn autre fois, il avait vu des choses et cru à des rêves car, quand tout le monde vous dit que la magie n'existe pas, vous finissez par y croire. Deryn offrit un sourire de remerciement et un hochement de tête pour valider ses propos à son camarade avant de l'entrainer vers la maison laissant les adultes vaquer à leurs occupations d'adultes. Oui, il fallait commencer par l'armoire avant toutes choses.

La chambre vide ou presque lui fit un drôle d'effet. Les quelques chapeaux et robes de sorciers qu'elle avait lancés au sol la veille au soir avaient été ramassés et rassemblés sur une chaise, proprement. Deryn y posa le couteau avant de se diriger vers leur premier objectif.

"C'est dans cette armoire que j'ai trouvé mes billes luminescentes l'année dernière. Dire que j'avais peur que grand-père remarque leur disparition alors qu'en fait, il ne connaissait probablement même pas leur existence."

Elle ouvrit en grand les montants du meuble qui ne semblait servir que de penderie comme toute armoire qui se respecte. Une odeur de lavande monta à ses narines. C'était l'odeur de grand-mère. Une fouille méthodique apprit aux deux visiteurs que Brenna Murphy, s'habillait tous les jours comme tout le monde malgré un pan entier réservé aux robes et chapeaux de sorcière. Les doigts de Deryn caressaient doucement les tissus sombres mais ils ne semblaient pas avoir grand chose à révéler. Elle enfila un chapeau vieux d'un siècle.

"Parfait pour le prochain bal d'Halloween regarde. Je pourrais me déguiser en ancêtre du moine gras vu l'âge présumé de ce chapeau. Je me demande dans quelle maison était ma grand-mère. Elle a forcément été à Poudlard non ? Ta mère... elle n'était pas à Poudlard ?"

La Poufsouffle, toujours chapotée, se tourna ensuite vers la fameuse porte du bureau et tourna la poignée. Evidement, rien ne se passa. Qu'à cela ne tienne. Elle récupéra le couteau et tenta de reproduire à plusieurs reprises les gestes qu'elle avait appris sur la porte de la grange sans grand succès. Elle se pencha pour observer par la serrure mais ne put distinguer grand chose.

"Tu veux essayer ?"

À peu de chose près, Chems se déplaçait en levant les talons pour marcher moins fort si cela était possible. Deryn lui avait souvent parlé du déménagement de la chambre et des raisons de cette initiative, il ne s’étonna donc pas de trouver la pièce vide en s’avançant vers la responsable de l’incident qui avait eu lieu juste hier. Voici donc la fameuse armoire. Il ne put s’empêcher d’effleurer sa surface en détaillant son aspect. La morosité grignota une part de sa conscience lorsque ses doigts trouvèrent la surface bel et bien tangible du meuble. Rien qu’un peu de confiance, les parents de Deryn auraient pu lui accorder rien qu’une once de confiance… Chems appuya le reste de sa paume sur l’armoire. Si seulement il pouvait tirer la mémoire de ce à quoi avait assisté ce bois de ce seul contact ; si seulement il pouvait lui faire voir de quels mots acérés les parents avaient tailladés leur enfant rien que pour se complaire de leur confort.

L’adolescent retira abruptement sa main comme si le meuble lui était soudain brûlant, croisa ses deux bras et baissa sa mine renfrognée sur le sol tout en reculant pour laisser la place à Deryn.

Pendant que celle-ci se chargeait d’ouvrir l’armoire, lui avait son attention accaparé par la chaise tenant les vêtements qui avaient dû être jetés à terre durant l’accès de colère de son amie hier. L’hypothèse énoncée par l’irlandaise disant qu’un sortilège était responsable de l’aveuglement de son grand-père et du reste de sa famille lui revint vite en mémoire. Ainsi, c'était vrai ? Quelqu’un avait ramassé le linge donc la magie devait uniquement délimiter l’armoire. Son contenu n’était plus protégé dès lors qu’il sortait du meuble.

Resté à une petite distance derrière la brune tandis que cette dernière redécouvrait les possessions de sa grand-mère, Chems sourit en entendant l’idée farfelue qui sortit de la bouche de la jeune fille.

« Oui. Et il y a plein de moyens de retrouver cette info sur place en plus. » Et, secouant sa tête, nia le reste de sa question : « C’est pas le cas de ma mère, elle n’a pas grandi ici ».

Alors, ils en vinrent à la porte du bureau. Inconsciemment, l’irlandais retint un petit peu son souffle comme s'il s’agissait du secret de sa propre grand-mère. La poignée leur refusant, sans surprise, l’accès, Deryn menaça la serrure du couteau.

« Attends ! Attends ! » s’écria Chems avant de la laisser à ses tentatives. Défaisant rapidement ses lacets d’un côté, il sauta un peu à cloche pied pour retirer son pied droit puis arma sa godasse. « C’est bon, tu peux y aller » hocha-t-il la tête après ça. En absence de baguette, il fallait faire avec les moyens du bord. Déjà à l'affût lorsque la lame commençait à racler son passage pour forcer l’ouverture de la porte, il se décrispa progressivement en constatant que Deryn avait un peu de mal et récupéra le couteau dès qu’il le lui fut tendu. Un peu hésitant, d’autant que sa camarade avait le bon geste, il cala sa chaussure sous son autre bras et glissa la pointe de l'ustensile dans l'entrebâillure jusqu’à sentir le mécanisme du loquet. Une fois calé, il s’accroupit, épaule contre porte pour pouvoir appliquer une pression constante sur celle-ci pendant ses manipulations.

À force de persistance, le déclic arriva —bien évidemment, sans prévenir, que Chems dû laisser sa chaussure tomber pour se rattraper d’une main au sol pour ne pas s’étaler de tout son long par terre.

Se reprenant vite, il récupéra le soulier, bien que rien ne semblait suggérer qu’il avait besoin de le balancer pour l’instant et se rangea à côté de Deryn. « Nous y voilà... » Sur le seuil d’une pièce qui n’avait pas respiré depuis des années. Des faisceaux lumineux provenant de quelques interstices de fenêtre éclairaient la pellicule de poussière que Chems avait soulevée en ouvrant la porte, et des ombres immobiles occupaient les coins de l’espace, probablement le mobilier du bureau.

Leur seul ennemi se révélait être le manque de lumière.

Deryn avait mis quelques instants à comprendre pourquoi Chems tenait à se mettre soudainement en chaussette. Quand se fut chose faite, non, à priori, il n'avait pas mal au pied, elle hésita un instant alors que son ami venait de prendre le relais, appuyant bien plus fortement qu'elle contre la vieille porte en bois. Il avait raison dans le fond. Il y avait peut-être tout un tas de trucs dangereux derrière cette porte verrouillée depuis des années. Elle n'eut cependant pas le temps d'arrêter l'irlandais, déjà la porte cédait sous la pression conjuguée du couteau et de l'épaule, faisant monter au nez des deux adolescents une odeur bien particulière, celle de la poussière mais aussi... autre chose. Un mélange de lavande et d'herbe séché. De coquillage et de bord de mer. Le parfum se répandit doucement dans la mémoire de la Poufsouffle, faisant remonter un tas de souvenir plus ou moins embrouillés. Elle n'eut cependant pas le temps de s'appesantir car des petits craquements sonores mais à priori joyeux résonnaient dans la pièce en provenance de la petite brindille qui s'agitait sur le sol. Tim semblait pointer du "doigt" les deux adolescents, mort de rire. Deryn le poussa doucement du bout du pied.

"Hey Tim. Si tu te crois si malin, tu n'avais qu'à la déverrouiller la porte au lieu de nous laisser faire."

Un poil vexé, la petite bestiole s'élança donc à toute allure dans le nouvelle pièce qui venait de s'ouvrir devant lui. Deryn un peu inquiète de le voir disparaître ainsi vers l'inconnu, prit sa suite, passant le seuil mystérieux de la pièce.

Elle n'était pas bien grande, plutôt clair si on ne tenait pas compte des toiles d'araignées et du manque d'éclairage. La porte se trouvait dans le coin. On voyait le mur en face à deux mètre au plus et sur la gauche, elle s'étirait sur le double environ. Au fond, une fenêtre aux vitres recouvertes de poussière et mystérieusement invisible de l'extérieur en y réfléchissant bien, surplombait un petit bureau très simple. Tous les murs de ce qui semblait être un atelier était recouvert ou presque de dessins, de croquis, de cartes ou d'étagères accueillant pêle-mêle boîtes, de flacons, bocaux, livres, paniers, coffret, parchemins ainsi que des objets plus hétéroclites comme un chapeau, une étrange poupée, un... truc de planètes, une lanterne, des jeux de cartes, des photos... Parmi tout ce bazar, Deryn repéra un lapin en peluche, assis au bord d'une des étagère et stoppa net son avancée. Sans rien dire, elle l'attrapa, le secoua pour faire s'envoler la poussière et le serra doucement contre elle. Elle n'allait pas se mettre bêtement à pleurer devant Chems pour un doudou perdu tout de même.

Elle repéra le botruc qui, perché sur le bureau commençait à ouvrir méthodiquement un tas de petit tiroir, comme pour prouver ses compétences en ouverture de petites boîtes et serrures.

"Attention Tim. On ne sait pas ce qu'il peut y avoir dans ces trucs."

L'adolescente s'approcha rapidement pour contempler ce que le botruc sortait encore et toujours. Elle n'aurait clairement pas pu identifier le quart des objets présents ici. Mais le doute n'était plus permis. Seule une sorcière pouvait avoir autant de trucs bizarres dans son bureau. Deryn n'osait pas trop toucher à toutes ses choses inconnues. Elle attrapa doucement Tim pour le poser sur son épaule avant de se tourner vers Chems.

"Tu as vu tout ce bazar ?"

Sur le bureau, un livre de botanique, encore ouvert à une page consacrée aux algues marines attira l'œil de la Poufsouffle.

"Regarde ! Elle souffla sur la page pour en faire voler la poussière. Cette chose ne te rappelle rien ?"

Chems lança un sourire insolent au botruc, envoyant volé un bisou irrévérencieux dans sa direction alors que le concerné se pressait pour échapper à la réprimande de la jeune fille. Après l’épisode des rideaux d’hier soir, l’entendre se faire sommer apaisait son âme.

Devant toute la richesse du contenu de la pièce, Chems siffla, subjugué. « C’est plutôt impressionnant. » Il ne se laissa pas aller aussi loin que Deryn et Tim d'entrée, s'arrêtant sur les éléments les plus proches de la porte. Sa prospection des papiers jaunis par le temps tapissant les murs l'amena éventuellement jusqu'à un meuble - une sorte de petite pharmacie sans portière faite de bois brut. Enchevêtrés dans une épaisse toile d'araignée, des bocaux en verre y étaient rangés, renfermant tout un tas de ce qui ressemblait à de l’herbe sèche. Les récipients étaient étiquetés et, inscrits d’une écriture fine trempée par une encre verte, s'enchaînaient les glyphes de l’alphabet gaélique.

"Crúba préacháin. Ròp an duine mhairbh. Clach-chlach purpaidh. Gráinneog Farraige…"

Chems fronça les sourcils après s’être laissé tenter par la traduction de certaines étiquettes, confus de trouver des hérissons et des corbeaux dans les intitulés.

Il resta un temps à fixé suspicieusement le contenu des bocaux jusqu'à l'appel de Deryn. Concluant finalement qu'il avait dû se tromper dans la traduction, l'adolescent se détourna du meuble d’entreposage. Il coula un regard sur la peluche dans les bras de la brune en s'approchant du bureau avant de s'intéresser au livre poussiéreux.

Ses yeux s’écarquillèrent devant le sujet principal de la page que son amie lui présenta. L’exemple mis en avant par l’ouvrage était terriblement réminiscent. Bien sûr, le corps de texte était en irlandais (mais ce n'était pas comme si le schéma qui accompagnait le descriptif n'était pas suffisamment parlant). Chems ne s'aventura pas à tout lire vu ses bases de la langue, apparement très peu fiable compte tenu de ses déchiffrages précédent. Il se contenta néanmoins du titre. Ceilp.

« C’est du kelp... »

Le dire une fois à voix haute lui fit réaliser de l'ampleur de la chose.

« Par la barbe de Merlin, c’est du kelp ! »

Si Chems était aussi estomaqué, c'était parce que cette algue avait été au centre d’une intrigue qu’il avait laissée avec Deryn dans la salle sur demande depuis à peu près un an maintenant. Trouver des traces de leur petite enquête jusqu'ici était une coïncidence ridiculement colossale.

La surprise qu'elle lut sur le visage de son ami, la rassura et la fit sourire dans le même temps. Elle n'était pas la seule à trouver ça énorme. Elle resserra un instant le lapin contre elle.

"La salle sur demande sait vraiment tout. C'est... étrange. Presqu'un peu effrayant. Elle toussota ensuite avant de montrer le lapin en peluche à son ami. Je te présente Nanac'h. Mes parents m'ont toujours dit que je l'avais perdu sur la plage. J'avais raison en disant que je l'avais posé sur le bureau de grand-mère. Pauvre doudou abandonné depuis toutes ces années."

Elle pouffa et commença soudain à rire. Tant de choses qui prenaient sens tout à coup. Son petit rire nerveux alternait cependant avec des toussotements. Il faut dire qu'il y avait un paquet de poussière autour d'eux. Depuis quand cette pièce n'avait elle pas respiré. La Poufsouffle posa livre et peluche sur le petit bureau et se pencha pour ouvrir la fenêtre qui le surplombait. Celle-ci semblait néanmoins refuser d'obéir malgré les efforts de l'adolescente. Le regard de Deryn se posa soudain sur Tim qui avait repris une vide en règle de tout ce qu'il trouvait.

"Tiens, au lieu de mettre la pagaille partout, essaye plutôt d'ouvrir cette fenêtre petit diable."

N'étant jamais sûre de se faire comprendre elle attrapa la petite créature et tira de nouveau sur la poignée de la fenêtre avant de le déposer sur le rebord de cette dernière. Le botruc craqueta avant de glisser ses longues brindilles entre les pans de bois. Un instant plus tard, un déclic se fit et de l'air frais se glissa à l'intérieur, soulevant encore un peu de poussière au passage. La Poufsouffle se remit à tousser de plus belle avant de se tourner vers Chems.

"On devrait peut-être laisser la pièce s'aérer un peu non ?"

Chems fronça les sourcils.

« Mais ça ne colle pas. La salle sur demande sait tout de ceux qui la trépassent, mais toi tu ne savais pas que ta grand-mère s'intéressait à ces algues-là au moment où on y est allé, » rétorqua-t-il. Et toi bien sûr, tu ne peux pas nous dire ce que tu as vu ici, il s'imagina demander au dénommer Nanac'h en piquant du doigt un des boutons qui lui servait d'yeux.

« À moins qu'elle ait réussi à voir des souvenirs que tu crois avoir oubliés alors qu'en vrai c'est pas trop le cas même si toi-même tu ne le sais pas. »

Et ça y est, voilà que son raisonnement commençait à devenir inconsistant.

Se frottant distraitement la tempe, Chems continua à bredouiller dans sa barbe, insoucieux de savoir si ses mots faisaient sens tant qu'il ne trouvait pas une logique aux connexions qui se créaient entre leur expédition et l'histoire de madame Murphy. Il se pencha une nouvelle fois sur l'ouvrage, tournant les pages précédentes et suivantes à celle où était mentionnée le kelp mais n'y trouvant rien d'intéressant, revint assez rapidement à l'analyse du texte. Des mots étaient encerclés, et des bouts de texte entier accolés à des notes encore et toujours écrites en irlandais. Chems claqua sa langue sur son palais. Il pouvait presque entendre son père lui dire "Je t'avais prévenu qu'il est toujours bon de savoir le comprendre."

Il ne se proposa pas pour prêter main forte à Deryn lorsque celle-ci essaya d'ouvrir la fenêtre, vérifiant à la place le contenu des pages auxquels renvoyaient plusieurs coins cornés du livre en courbant un peu plus le dos au-dessus du bureau, tombant sur d'autres algues, des paragraphes manuscrits entiers, un glossaire... Un éternuement secoua et arracha brièvement l'irlandais du bouquin tandis que la fenêtre s'ouvrait. Il se remit automatiquement à la page du kelp pour ne pas la perdre puis leva les yeux vers le paysage derrière la fenêtre.

« Ah regarde ! On voit... » Chems voulut dire "ton grand-père", mais un autre sujet le coupa dans son élan. Il plissa des yeux et rapprocha un peu son nez vers l'extérieur. « Qui c'est ça ? »

Le bureau avait une vue directe sur la grange. Au milieu du sentier qui menait là-bas se tenait une silhouette parfaitement immobile. Chems savait que monsieur Murphy offrait des services de guide, aussi, il pensa immédiatement qu'il s'agissait là d'un client. Cependant, quelque chose chez cette personne était perturbant. Déjà, elle n'avait pas du tout le maniérisme nerveux d'un touriste en quête d'assistance - pour ne pas dire qu'elle n'en avait strictement aucun - et puis surtout... Elle fixait droit vers eux.