Inscription
Connexion

18 janv. 2023, 13:25
Toi, moi et le silence  Solo 
DU 16 DÉCEMBRE 2047 AU 29 DÉCEMBRE 2047



16 décembre 2047
Jour de l'arrivée de Milya



C'est lorsque j'arrive devant elle que je prends conscience je n'ai absolument aucune idée de la marche à suivre pour démarrer une relation : que dire ? dois-je parler de moi ou d'elle ? me présenter alors qu'elle sait déjà qui je suis ? faire référence à ses hiboux ? lui demander comment s'est déroulé son voyage alors que cela ne me questionne pas ? Nos présentations sont brèves. Un sourire effleure ses lèvres mais je le trouve mensonger ; je me contente d'un hochement de tête et elle se détourne si vite que je devine que cela ne lui a pas plu.

Je comprends rapidement que Milya Araya Bogale a un avis très mitigé de moi... Autant que le mien l'est à son propos. Que dire à une totale étrangère ? Les conditions ne sont pas réunies pour que nous parlions magie, que je la questionne à propos d'Eqqo, l'esprit avec lequel elle a lié contrat, ou que je lui présente Zikomo, timidement caché sous ma cape. Il y a des gens, du bruit et de la gêne dans mon corps. Je n'ai aucune idée de ce que je dois dire et aucune envie de faire des efforts : je ne veux que la connaissance, le reste est bien trop compliqué.

Les premières minutes, une fois nos places trouvées à la table de Poufsouffle, sont terribles et cela n'a rien avoir avec son niveau en anglais — elle se débrouille plutôt bien, à vrai dire, sait construire des phrases même si elle hésite parfois et qu'il lui arrive de se tromper de mot. J'ai la patience nécessaire pour la laisser parler, voilà peut-être la seule chose qui fonctionnera par la suite entre nous nous deux.

Du coin de l’œil, perdue entre Kernac'h, Peers, Sorrow et tous les autres qui semblent si heureux, je l'observe sourire aux gens qui l'entourent. Sans être exubérante, elle n'est pas fermée à la discussion. Excepté avec moi. Des dizaines de personnes nous entourent. Des élèves que je connais et qui me sont familiers. Pourtant le silence qui existe entre elle et moi prend toute la place. Elle a les mains sagement posées sur ses genoux et, mais ça je ne le vois pas, les doigts nerveusement crispés. Moi je regarde mon assiette car le malaise me cloue sur place. Et je ne trouve rien à dire, pas même un « tu as fait bon voyage ? » car j'ai douloureusement conscience que je n'en ai rien à faire de son voyage.

Puis une petite voix me souffle dans l'oreille et des moustaches me chatouillent le cou. Zikomo se fait discret, il devine que je n'ai pas envie de le présenter maintenant, mais me donne néanmoins des instructions quant à la marche à suivre.

« Dis-lui que tu es heureuse de la voir. Puis demande-lui à observer ses tatouages ou montre lui ta baguette. Allez, Aelle ! »

L'appréhension me tord l'estomac. Depuis quand suis-je timide ? Je me tourne vers Araya, minuscule sur mon banc, coincée entre moi et Sorrow.

« Tu, tu es... »

Son regard me perfore sur place. Elle les a sombres et profonds. Une soudaine envie de lui montrer que je ne mérite rien d'autre que son admiration me donne la force nécessaire de continuer.

« Je suis heureuse que tu sois là.
Je suis contente aussi. »

Ni elle ni moi ne brillons d'une joie explosive. Mais je devine que chez elle ce n'est pas habituel, contrairement à moi. Elle me regarde avec méfiance et je me souviens tout à coup de nos échanges épistolaires qui n'ont jamais laissé la place à ne serait-ce qu'un "je suis contente" d'exister. Je déglutis péniblement ; pourquoi essayé-je d'être ce que je ne suis pas ?

« Je peux voir tes tatouages ? J'ai pu observer ceux de deux mages africains avant toi : un de la cohorte de l'eau, une autre de la cohorte de la terre. Jamais l'air. »

Toujours ce regard étrange, cette crispation sur ses traits. Puis elle semble se détendre légèrement, l'ombre d'un sourire passe même sur ses traits ; l'ai-je rêvé ? Et la voilà qui me tend son bras et qui m'explique la signification des lignes, des courbes et du symbole au centre de ce joli paysage.

« J'ai pas souvent vu de baguette..., » dit-elle ensuite, m'invitant de ce fait à sortir ma moitié.

Comme Erza Nyakane des années avant elle, elle ne cherche pas à l'attraper mais elle la regarde avec un grand intérêt.

Et voilà, c'est fait, me dis-je. La glace est brisée. Réellement ? Non. Après ces quelques échanges le voilà qui revient, notre vieil ami le silence. Et il perdure toute la soirée, seulement entrecoupé par les interventions de quelques autres qui s'intéressent à ma correspondante alors qu'ils ne se sont jamais intéressés à moi auparavant et de nos laborieux, douloureux et rares échanges.

La présence d'Araya bouleverse jusqu'au moindre petit moment intime de mon univers. Alors que j'ai l'habitude depuis six ans de rentrer seule dans le dortoir une fois le dîner terminé, ce soir-là je suis bien forcée de lui montrer le chemin jusqu'à son lit. Au moins la découverte de la Salle Commune est-elle l'occasion d'avoir une conversation : en quelques mots brefs mais précis je lui explique les valeurs de Poufsouffle, sans oublier d'ajouter un mot à propos de sa fondatrice dont le tableau trône dans le petit salon. Au regard dubitatif que la jeune fille me lance, je me demande si elle ne remet pas à question mon appartenance à cette Maison ; elle a eu un expression étrange lorsque je lui ai dit que nos valeurs étaient la tolérance et je suis persuadée de l'avoir vu sourire lorsque j'ai parlé de loyauté.

Il s'avère que le lit d'Araya se trouve, sans surprise, dans ma propre chambre. À notre arrivée, s'en suit une discussion avec les autres habitantes, évidemment, mais je les laisse faire sans m'en préoccuper, n'hésitant pas à abandonner l'africaine pour m'occuper de mes affaires. C'est lorsque j'ai dû lui montrer le chemin de la salle de bain la plus proche, et donc l'y accompagner pour me brosser les dents, que j'ai compris à quel point mon intimité serait bafouée ces prochains jours.

27 janv. 2023, 11:30
Toi, moi et le silence  Solo 
17 décembre 2047
Deuxième jour



En me réveillant le lendemain matin, le sentiment étrange qui m'a empêché de trouver le sommeil est encore présent. Il s'agit d'une boule d'angoisse formée dans mon ventre, elle est à la fois coupable des soubresauts de mon coeur et des crampes douloureuses de mes entrailles. À elle seule elle résume bien la situation dans laquelle je me trouve : impatiente de retrouver une sorcière étrangère dont les coutumes et la magie ne restent qu'à être découverts mais follement angoissée à l'idée d'agir à l'encontre de tout ce que je suis, c'est à dire d'aller discuter, faire connaissance et briser une glace que je suis trop souvent heureuse de dresser entre moi et les autres.

L'ambiance demeure tendue et peu naturelle. Je n'ai jamais ressenti une frustration aussi grande : vouloir tout savoir de la connaissance d'une personne mais être incapable de trouver la façon de le faire.

Je récupère un peu de force et de courage à chaque moment que je peux passer seule, entièrement seule. Pendant les cours lors de ce premier jour, alors qu'Araya visite le château avec les autres correspondants. Je me gorge de ces instants sans pression, ces moments que je connais par coeur, qui me sont familiers et qui m'apaisent : les heures de cours, longues et monotones, deviennent des écrins de paix. J'en profite car cela ne durera pas : dès demain, la jeune africaine m'accompagnera même en classe.

Ce n'est que le deuxième soir que j'ai un aperçu de la vraie Milya Bogale Araya. Après le dîner composé de plats jordaniens qui ont agressé mon palais. Incapable de retourner au dortoir et de me confronter à notre silence, je lui propose de passer un temps à la bibliothèque. Le bonheur qui passe sur ses traits à cette idée me rassure : elle partage l'amour du savoir, finalement nous ne sommes peut-être pas si différentes.

La bibliothèque, c'est mon antre, lui expliqué-je. J'y passe un nombre d'heure incalculable. Je lui montre les différents rayons et elle m'écoute sérieusement même si elle a déjà visité l'endroit dans la journée. Quand un livre l'intéresse, elle le prend avec elle. Parfois, je lui désigne du doigt un ouvrage. « Celui-ci a un titre qui donne envie mais le contenu.. Arf, lis pas si tu veux pas perdre ton temps », alors elle hoche la tête et n'y touche pas.

Nous nous installons à une table et nous plongeons dans notre lecture. Parfois, je la regarde par-dessus mon livre. J'observe sa peau sombre, sa chevelure plus noire que la nuit qui lui retombe sur les épaules et qu'elle noue d'une façon qui ne m'est pas familière. Je regarde ses longs cils fins et son petit nez qu'elle fronce quand un détail dans sa lecture lui saute aux yeux. Même ainsi assise, elle est minuscule. C'est un tout petit morceau de femme, étroite et de constitution frêle. Seuls ses tatouages qui ressortent magnifiquement sur sa peau me rappellent qu'elle est une mage de l'air et qu'elle n'est pas aussi faible qu'elle le parait.

Un mouvement à l'orée de mon regard m'arrache à mon observation consciencieuse. Zikomo arrive vers nous en trottinant. Il s'est fait discret depuis la veille, comprenant mon besoin excessif de profiter de mes instants de calme lorsque j'en avais ; et peut-être a-t-il souhaité aussi me laisser la possibilité de discuter avec la jeune africaine, sans deviner que présent ou pas cela n'allait pas arriver. Araya l'a aperçu sans réellement le voir. Il est temps de faire les présentations. À cette idée, la boule dans mon ventre grossit : il y a plus de chance qu'elle le connaisse que le contraire et cela me dérange.

« Je dois te présenter quelqu'un, » annoncé-je brutalement.

Elle me lance un regard curieux. Quand elle oublie de se montrer véhémente avec moi et qu'elle me regarde naturellement, elle a l'air d'une fille tout à fait agréable et charmante.

Zikomo saute sur la table. Araya se recule soudainement, les yeux écarquillés par la surprise. Avant même que je ne dise quoi que ce soit elle s'exclame de sa voix bourrée d'accent :

« Zikomo ! »

La boule dans mon ventre se dilue totalement. À l'intérieur, elle est faite de poison et celui-ci se répand aussitôt dans mes veines.

« Je t'ai parlé de lui dans mon dernier courrier, prononcé-je d'une voix pleine de reproches. C'est bien ce que je pensais : tu le connais. »

Elle m'ignore pour se pencher vers le Mngwi. Elle se présente à lui, plus naturellement que ne le feront jamais les britanniques qui font toujours une grimace étonnée lorsqu'ils comprennent que Zikomo est douée de parole. Ils échangent quelques mots joyeux desquels je suis exclue.

« Je ne l'ai jamais rencontré avant ça, explique-t-elle lentement en me regardant de biais. Mais Zikomo est une personnalité connue de l'école, tu sais.
Je sais, répliqué-je aussitôt, piquée qu'elle puisse croire que je le connais moins qu'elle.
Je t'ai vu une ou deux fois en compagnie d'Issa Sidiki, avoue-t-elle au Mngwi, lorsque j'étais encore une jeune élève. »

Le regard qu'elle lève sur moi brille d'une telle sorte que pendant un moment, j'ai l'impression qu'elle m'admire pour je ne sais quelle raison. Mais l'éclat disparaît rapidement et elle retrouve son visage habituel : celui d'une jeune femme que je n'arrive pas à décrypter.

« Je ne comprends pas... Comment il peut être ici, avec toi ? Zikomo est... Était un esprit très ancien.
J'ai été confié à Aelle lorsqu'elle avait treize ans, » intervient le Mngwi, fier comme un paon.

Araya plonge son regard d'obsidienne dans le mien. Je comprends à son air dubitatif qu'elle se demande qui a bien pu avoir l'idée de refourguer à une impertinente anglaise un esprit qui constitue littéralement la mémoire vivante d'Uagadou — il est un trésor, une relique.

« Zikomo m'a été envoyé pour de très bonnes raisons, lui jeté-je, piquée au vif par son regard. Et s'il reste avec moi, c'est parce qu'il en a envie ! »

Quel effet cela lui fait-il de savoir que j'ai en ma possession les savoirs les plus secrets de l'école africaine ? Que j'en sais davantage qu'elle, c'est une certitude, alors que je n'ai jamais mis les pieds dans cette école ? Si elle était détentrice d'une chose ou d'une créature profondément liée à Poudlard et que moi non, nul doute que je me sentirais vexée et lésée. Cela me donne un sentiment d'importance étouffant : je suis persuadée d'être bien plus importante qu'elle.

Ses lèvres se pincent, son regard s'assombrit. Cela ne fait pas longtemps qu'elle est ici mais j'ai compris qu'elle n'aimait guère que je lui cherche des ennuis.

« À trop vouloir te justifier je vais finir par penser que toi-même tu n'y crois pas, » rétorque-t-elle hargneusement. Elle prend une grande inspiration, puis : « Les esprits... » Elle lance un regard d'excuse à Zikomo. « Enfin, vous n'êtes plus un esprit, vous... Les esprits, reprend-elle en me jetant un regard tranchant, ne s'attachent qu'aux personnes qui le méritent réellement. Je suis plutôt impressionnée que tu aies une telle compagnie, à vrai dire. »

Elle me regarde fixement et c'est comme si j'avais rêvé la méchante pique qu'elle m'a jetée il y a quelques secondes.

« Tu dois être très particulière. »

27 janv. 2023, 19:08
Toi, moi et le silence  Solo 
Une voix grave et profonde me revient en mémoire, sortie tout droit d'anciens souvenirs. J'avais quinze ans lorsque j'ai rencontré Zuhri à Pré-au-Lard, pourtant je me rappelle de toutes les choses qu'il m'a dites ce jour-là. « Un Messager des rêves entre rarement au service d’un sorcier étranger, mais toujours pour une bonne raison. ». De fait, j'ai toujours eu plus ou moins conscience que Zikomo n'était pas près de moi par hasard mais je n'ai jamais réellement pu y croire.

« Et je ne suis pas le seul, sourit Zikomo en levant le museau vers moi.
Pas maintenant, Zik, grimacé-je.
Zik ? »

J'ignore Araya qui semble choquée que l'on puisse donner un surnom à un esprit Ô combien important dans son école pour lancer un regard d'avertissement à Zikomo qui veut, sans transition aucune, parler de Nyakane à l'africaine alors même que—

« Quel est le Messager des rêves qui est venu te rendre visite avant ton entrée à Uagadou ? » Il écoute la réponse de la jeune fille puis continue sans se soucier de moi. « Connais-tu un Messager du nom de Nyakane ?
Nyakane, comme notre directrice ! Je savais que sa famille avait des Messagers des rêves à leur service mais je n'en connais aucun.
Aelle peut t'en présenter un, insiste le Mngwi qui j'insulterais vertement s'il n'avait pas cette fierté discernable dans la voix.
Vraiment ? s'étonne Araya. Un deuxième Messager des rêves... Ici ? »

Je devine son sourire éberlué sans le voir. Je lève les yeux au ciel, comme pour dire : ça va, c'est rien de fou non plus. Zikomo me met dans une mauvaise position. Oh, non pas que je sois gênée à l'idée de lui présenter Nyakane et de voir son visage briller d'admiration pour moi, au contraire même ; je me sens à la fois follement privilégiée et drôlement importante, cela me fait un bien fou. Mais je n'ai jamais été habituée à parler de mes compagnons. L'avantage à Poudlard c'est que les benêts qui me servent de camarades ne savent rien à propos des Messagers et d'Uagadou ; leurs questions n'en sont que plus débiles mais au moins ne peuvent-ils pas fourrer leur nez dans mes affaires qu'ils ne comprennent pas.

Avec Araya, c'est différent. Elle est née dans cette culture dont me parle Zikomo depuis des années. Tous ces couloirs qu'il me décrit, cette ambiance majestueuse qui règne dans l'école, les entraînements des cohortes, les esprits, l'Histoire qu'il m'a racontée et qu'Araya étudie depuis son plus jeune âge... Peut-être que je connais des secrets dont elle n'aura jamais connaissance mais moi je ne pourrai jamais appréhender son école comme elle le fait. Il n'y a pas meilleure muselière pour mon arrogance.

« Nyakane est mon instructeur, dis-je du bout des lèves sans lever les yeux. Il... m'accompagne également.
Mais... »

C'est la première fois que je la vois bafouiller.

« Je ne comprends pas... Pourquoi toi ? »

Mes lèvres sont tellement pincées qu'elles en deviennent invisibles. J'aurais aimé ne pas avoir cette conversation le deuxième jour, à vrai dire, même s'il était évident que nous allions finir par y arriver. Je suis réticente à l'idée de me confier et je ressens cette réticence physiquement : il y a comme une barrière dans mon corps qui m'empêche de parler. Je n'ai jamais, jamais parlé d'Erza à quiconque. Excepté mes parents, mais c'est différent, à l'époque ils avaient encore le droit d'exiger de savoir qui était proche de leur fille, surtout s'il s'agissait d'une femme adulte, recherchée par un groupuscule dangereux, et en fuite loin de son pays. Aujourd'hui, Erza n'est plus que la directrice de l'école africaine, rien que ça.

À vrai dire, c'est comme si j'avais dit à n'importe quel anglais que je buvais le thé avec l'ancienne directrice : les regards auraient été étonnés, peut-être dubitatifs voire ahuris. Le fait étant que se voir envoyer un Messager des rêves par une personnalité aussi connue, c'est peu commun. Je serais ravie d'inspirer de l'admiration à Araya mais mes secrets me sont trop précieux pour qu'un soupçon d'orgueil me pousse à les avouer.

« J'ai de bons contacts, » finis-je par dire avec un sourire intentionnellement impertinent.

Elle n'en saura pas davantage aujourd'hui mais je sais que ce n'est que partie remise.

Plus tard ce soir-là, Araya fait la connaissance de Nyakane. L'oiseau serpentaire est ravi de lui donner des nouvelles de ce fameux Messager des rêves qui lui a rendu visite dans son sommeil à ses neuf ans et qui a laissé derrière lui une pierre de la montagne de la Lune qui lui a permis d'entrer à Uagadou. Ils discutent tous les trois de l'école et de son histoire. Je vois bien que la jeune fille est époustouflée par Nyakane et Zikomo, pas parce qu'ils ne lui sont pas familiers comme les élèves de Poudlard, mais justement parce qu'elle les connait et qu'elle sait ce qu'ils représentent. C'est peut-être pour cela que je ne me sens pas exclue de leur petit conciliabule, parce qu'elle est respectueuse à la fois des deux créatures mais également de moi-même.

Pour la première fois depuis qu'elle est arrivée, le silence déserte tout à fait nos conversations. À ma plus grande surprise, je découvre une Araya passionnée, sociable et un brin amusante. Si la plupart du temps elle prend garde à avoir un comportement exemplaire (j'imagine qu'on ne s'exprime pas devant des êtres comme Nyakane et Zikomo comme on le ferait avec ses amis), il lui arrive parfois de hausser le ton et de parler comme n'importe quelle adolescente de son âge : avec une verve et une excitation que je ne partage que rarement.

Elle ne m'adresse la parole que pour m'expliquer certaines choses à propos de l'école, comme le contenu de ses cours ou la personnalité de l'un de ses professeurs. Je vois bien qu'elle a plus de retenue quand elle me parle et que son ton est exempt de la politesse pleine de révérence avec lequel elle s'adresse aux deux Messagers. Si je ne comprends pas la raison d'un tel comportement, je n'en éprouve cependant aucun malaise car j'ai l'habitude que l'on agisse ainsi avec moi.

Ce soir-là, plus de vingt-quatre heures après son arrivée, je me réjouis enfin qu'elle soit là. Le sentiment ne dure pas, il s'enfuit au moment même où Zikomo part chasser et que Nyakane traverse les murs pour vivre à sa guise. Mais au moins puis-je m'endormir moins angoissée que la veille.

02 févr. 2023, 15:58
Toi, moi et le silence  Solo 
18 et 19 décembre 2047
Troisième et quatrième jour



Aujourd'hui, c'est moi qui tiens les rênes. C'est moi qui décide, moi qui la guide à travers le château ; on assiste à mes cours, elle partage mon quotidien. C'est un jour banal malgré sa présence : rien n'est laissé au hasard, je sais exactement où je dois aller et ce que je dois faire. La seule différence c'est qu'elle est près de moi et qu'elle me suit, qu'elle me pose des questions à propos des comportements typiquement anglais qu'elle ne comprend pas et des cours que nous suivons. Les professeurs se chargeront de parler pour nous, ils nous donneront des sujets de conversation, occuperont notre temps.

Le mercredi matin, la plupart des élèves de septième année ont cours de Vol.

« Tu peux aller avec eux si tu veux essayer, dis-je à Araya en lui désignant par une fenêtre le terrain de Quidditch que l'on voit au loin. Je présume que t'as jamais volé sur un balai ? »

Sa grimace est à la fois surprenante et amusante. Se pourrait-elle qu'elle déteste cela autant que moi ?

« Je n'aime pas trop les enseignements physiques, avoue-t-elle du bout des lèvres.
Ah bon ? m'étonné-je. Ça fait pourtant partie des entraînements des cohortes, non ? Vous devez pas... » Je fais un geste vague de la main. « Façonner votre esprit et votre corps pour une meilleure maîtrise de la magie ?
C'est davantage pour la forme physique et la rigueur, précise la jeune africaine. Mais je n'ai jamais... »

Elle paraît mal à l'aise. Je m'adosse à la fenêtre sans la quitter du regard, résistant à l'envie de la presser. Elle désigne son corps et détourne les yeux.

« Je crois que ça se voit que je n'ai jamais aimé les efforts physiques. Ce n'est pas mon domaine. »

Une moue sur mes lèvres, un signe de la tête ; elle doit prendre mon silence pour une attaque car elle lève aussi tôt ses grands yeux sombres vers moi. Son air revêche me fait lever les sourcils.

« Je suis une érudite, affirme-t-elle. Je peux aider ma cohorte en tant que tel. »

Un petit sourire suffisant m'étire les lèvres.

« À trop vouloir te justifier, lui lancé-je en reprenant mot pour mot ce qu'elle m'a dit hier, je vais finir par penser que toi-même tu n'y crois pas. »

Elle se renferme, non sans m'avoir lancé un regard énervé qui ne me fait ni chaud ni froid. Nous poursuivons notre chemin jusqu'au réfectoire dans un silence agacé pour elle et fier pour moi. Il nous faut bien le temps du déjeuner pour parvenir à briser la glace qui s'est de nouveau formée entre nous.

« Tu as pensé à ce que je t'ai dit dans ma dernière lettre ? » me demande-t-elle enfin en terminant son verre de jus de citrouille — elle a découvert la boisson hier et depuis ne sait plus s'en passer.

Ce qu'elle m'a dit ? Je devine aussitôt qu'elle parle du clan de centaures. J'espérais qu'elle oublie le sujet, du moins durant les premiers jours.

« J'ai aucun contrôle sur eux, dis-je sans prendre de gants.
Je sais, mais est-ce que tu peux...
Non. »

Nous nous jaugeons du regard.

« C'est toi qui m'a dit que tu voulais lier contrat avec moi, Aelle. Pourquoi tu ne remplis pas ta part du marché ? réplique-t-elle en fronçant ses sourcils.
Encore faut-il que cette part soit réalisable, Araya.
Milya, insiste-t-elle pour la millième fois depuis qu'elle est arrivée.
Araya.
Milya. »

Merlin ! Je repose ma tasse de thé un peu trop brusquement. Elle est sérieuse ? Elle me regarde d'un air effronté que je qualifierais volontiers d'immature si je n'avais pas le même sur le visage. Je ferme brièvement les yeux et inspire profondément. Pourquoi est-ce si difficile de m'entendre avec une personne qui m'intéresse pourtant énormément ?

« Je suis aller voir la garde chasse de l'école. Elle s'occupe du domaine, si tu veux, lui expliqué-je en voyant son air perdu. Je lui ai parlé de ta... Demande. »

En quelques mots je lui résume ma conversation avec Fleming et sa conclusion plutôt évidente : personne ne peut approcher le clan sans une très, très bonne raison. Ce sont des centaures, pas des Veaudelune dans un parc pour touristes. Ça, je ne lui dis évidemment pas.

« C'est pas la seule chose qui t'intéressait à Poudlard, non ? reprends-je sur un ton blasé. Demain matin, j'ai... On a cours de Divination. »

Elle retrouve aussitôt son air curieux ; l'intérêt fait briller son regard, je la trouverais presque jolie.

« Tu pourras certainement parler avec la prof et moi je pourrais te montrer plus en détails tout ce que je sais de cette matière. Enfin, en plus des notes que je t'avais envoyées.
D'accord..., m'accorde-t-elle sur un ton prudent.
Je te présenterai aussi quelques fantômes. »

Là, je sens que j'ai réellement attiré son attention.

« Tu en as déjà vu quelques uns mais tu pourras discuter avec eux. Ils t'intéressaient, non ? »

Même si je ne comprends pas ce qu'ils peuvent avoir de réellement intéressant. Oh, je ne doute pas qu'ils ont tous plus ou moins quelque chose de prenant à raconter mais ce ne sont que des morceaux d'histoire. Dans mon esprit je fais la liste des fantômes que j'ai le plus côtoyés durant ma scolarité. La liste est très courte mais il y en a certains que j'ai croisé plus que d'autres et qui seront certainement ouverts à la discussion.

« On fait comme ça, alors, » admet Araya en jouant avec sa fourchette. Elle lève les yeux vers moi : « Et toi ? Tu ne fais pas ça juste pour me faire plaisir. »

À son ton, on pourrait croire qu'elle est déçue que je ne fasse effectivement pas cela juste pour lui plaire. Regrette-t-elle de ne pas avoir pour partenaire une personne plus affable ?

« C'est vrai. Je ne veux pas grand chose, lui confessé-je. Juste apprendre ta magie.
Tu ne peux pas apprendre ma magie, dit-elle sur un ton sans appel, comme si elle parlait à une gamine de cinq ans.
C'est pas ce que j'ai voulu dire, rétorqué-je méchamment. Je veux juste l'observer, si tu préfères. La comprendre, l'étudier. Je veux voir Eqqo aussi.
Non.
Non ?
Tu ne peux concrètement pas le voir, soupire-t-elle en secouant la tête. Tu crois que je peux l'invoquer comme ça, pour qu'il discute avec toi ?
Arrête de faire comme si tu comprenais rien à ce que je demande, sifflé-je en durcissant le ton. Invoque-le et lis mon avenir.
Tu comprends rien, Aelle.
T'en est pas capable ?
Si mais..., hésite-t-elle.
Quoi ? » la pressé-je.

Elle soupire et me lance un regard agacé. Tout à coup, elle a l'air beaucoup plus âgée que ce qu'elle paraît être habituellement.

« Pourquoi tu veux connaître ton avenir ? demande-t-elle contre toute attente.
J'en ai pas envie, réponds-je après un temps de réflexion. Je m'en fiche de mon avenir, rien n'est écrit de toute façon. »

Ses sourcils se lèvent gracieusement sur son front, comme si elle disait : tu sembles si sûre de toi, Aelle, sur un ton particulièrement moqueur.

« Je veux seulement voir te voir à l'oeuvre.
Nous verrons. »

Nous verrons.
C'est la seule chose que je réussi à avoir d'elle ce matin.

La vérité, c'est que je veux voir Eqqo à l'oeuvre. Je veux comprendre comment fonctionne le Chamanisme, comment elle tord la magie pour parvenir à invoquer des esprits dont je ne comprends même pas exactement la nature. L'idée qu'il puisse prédire quoi que ce soit de mon avenir me laisse dubitative, même si je sais qu'il en est capable. J'éprouve une certaine excitation à l'idée de savoir ce qu'il dira de moi, une excitation à la hauteur de ma crainte. C'est cette ambivalence qui me fera insister tout le long du séjour d'Araya pour qu'elle me montre ce dont elle est capable.

Sa décision semble irrévocable : elle refuse que nous continuions de parler d'Eqqo. Elle préfère que je lui montre quelques techniques divinatoires. Mais moi, ce sujet m'ennuie plus que tout le reste.

« J'ai d'autres plans pour ce matin, » lui annoncé-je à la fois parce que j'en ai envie et parce que j'ai le pouvoir de décider de ce que nous faisons et de quand nous le faisons.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 08 févr. 2023, 11:42, modifié 1 fois.

02 févr. 2023, 17:29
Toi, moi et le silence  Solo 
*


« Passe trois fois devant ce mur, lui ordonné-je en désignant l'entrée camouflée de la Salle sur demande, en pensant très fort à l'endroit que tu préfères à Uagadou. »

Elle doute un peu de l'intérêt de la chose et semble même se demander si je ne suis pas idiote, mais elle s'exécute sans ne rien dire car contrairement à moi, Milya Bogale Araya est respectueuse et fais confiance aux autres, même à ceux qu'elle ne supporte pas trop.

J'ai l'immense plaisir de voir l'étonnement recouvrir son visage lorsqu'une arche faite de pierres claires apparaît sur le mur. Je lui explique en quelques mots le principe de la Salle sur demande. Je ressens une pointe de fierté face à l'étonnement qui s'inscrit sur ses traits ; elle a l'air sincèrement impressionnée par ce dont est capable notre magie et je devine que je ressentirai plus ou moins la même chose lorsque je découvrirai son école.

__
La description de la pièce serait écrite plus tard, lorsque j'en saurai davantage sur Uagadou et les endroits que Milya pourrait préférer.
__

Nous nous faisons face dans la grande pièce. Si Araya s'est d'abord montrée dubitative lorsque je lui ai proposé que nous fassions pour l'autre une démonstration de notre talent magique, l'idée de pouvoir voir de quoi je suis capable avec ma baguette magique a fait taire ses questions. La voilà prête à m'observer à l'oeuvre ; et moi, à l'impressionner à l'aide de quelques sortilèges.

Sous le regard de ma correspondante, j'extirpe un livre de mon sac et le dépose sur le sol, entre nous deux. Je m'éloigne de quelques pas et lève ma baguette. Je ne me précipite pas, je ferme les yeux pour une meilleure visualisation et me concentre avant de prononcer sur un ton calme le sortilège adéquat, qui n'est pas sans me rappeler une certaine Gryffondor qui l'aurait certainement réussi avec bien plus de naturel que moi.

« Avifors. »

Le livre se transforme peu à peu sous la pression de ma magie. Un très long cou apparaît, bientôt suivi d'une ribambelle de plumes blanches et d'autres noires au niveau des ailes. Son étrange corps surplombe de très longues pattes. Sur sa tête, une jolie tache rouge qui m'est familière. Il claque du bec en direction de l'africaine qui recule précipitamment en arrière. Son air ébahit me fait sourire. Je prends son silence pour un ravissement qui me rend fière.

« C'est une grue du japon, dis-je alors doucement en contournant l'oiseau pour mieux l'observer. J'en ai rencontrée une, un jour.
C-comment tu peux faire ça ? »

Je hausse les épaules. Pour Araya c'est peut-être fantastique mais pour moi ce n'est que de la magie. J'ai lancé des dizaines de sortilèges de Métamorphose dans ma vie et celui-ci n'est pas le plus impressionnant, même si je dois avouer qu'il est plutôt réussi.

« Il suffit de visualiser. Entre autre. C'est plus facile quand on a déjà vu un exemplaire de l'oiseau qu'on veut faire apparaître. C'est une métamorphose plutôt basique, tu sais, soufflé-je à Araya non sans dresser le menton dans un mouvement purement orgueilleux.
Pour toi peut-être... Moi je ne serai jamais capable de faire ça. Qu'est-ce que tu peux faire d'autre ? »

Je lui lance un regard amusé. Son excitation accentue la mienne, je laisse même un sourire m'étirer les lèvres, ce qui n'est arrivé que rarement depuis qu'elle est là. Je fais disparaître la grue.

« Oh je ne sais pas, tu veux que je fasse apparaître de l'eau, de la neige ? Du feu ? De la lumière ? Que je fasse s'effondrer le sol ? Que je fasse pousser une plante ? continué-je sur un ton insolent. Que je fasse voler les objets dans la salle ou au contraire que je les...
Impertinente Aelle, riposte Araya avec son éternel accent, non sans me décrocher au passage un regard noir dans lequel je devine aisément son admiration. Fais quelque chose. »

Puisqu'elle insiste.

Je demande un peu d'aide à la Salle sur demande qui fait apparaître ce dont j'ai besoin. J'observe le gros rocher qui est très banal, mais de bonne taille néanmoins. Cette fois-ci je ne me perds pas en réflexions inutiles. Je prends juste le temps de dire à l'africaine de se reculer avant de lancer mon sortilège avec une aisance incroyable ; il fait comme partie de moi, désormais, je le connais par coeur, je pourrais même le lancer en dormant.

« Repulso. »

Un simple mot. Un fuseau bleu. Je puise dans cette petite chose qui brûle toujours au fond de mon ventre, cette envie de brutalité qui parfois m'empêche de respirer tant elle me démange. Le rocher frémit à peine avant d'être réduit en une nuée en poussière. C'est instantanée, d'une violence inouïe et plus rapide qu'un clignement de paupière. J'ai à peine eu conscience du cri d'Araya. Ce n'est qu'en me retournant vers elle que je comprends qu'elle ne s'attendait pas du tout à un tel résultat.

« C'est... Brutal. »

Je me contente d'un sourire.
Si elle savait à quel point ce sortilège me fait du bien, elle paraîtrait peut-être plus effrayée qu'admirative.

« À toi maintenant, ordonné-je en rangeant ma baguette à sa place. Impressionne-moi. »

Elle s'éclaircit la gorge et s'avance dans la pièce à petit pas, un air buté sur le visage. Je n'ai aucune idée de ce à quoi elle pense mais j'aime l'idée qu'elle soit décidée à faire d'aussi belles choses que ce que je viens de faire. Je me recule jusque dans un coin de la pièce, on ne sait jamais, et je ne quitte pas la jeune africaine du regard. Petite au centre de la grande pièce, elle n'est pas impressionnante avec son mètre quarante. Mais elle a quelque chose en elle qui attire l'attention, c'est certain. Une sorte de force intérieure que je n'arrive à percevoir que lorsque je l'observe de loin comme aujourd'hui et que sont reléguées au second plan toutes mes obligations d’hôtes.

Mon souffle se bloque dans ma gorge lorsqu'elle bouge les bras et qu'elle se met à signer. Ses tatouages prennent vie et s'illuminent. La dernière fois que j'ai vu un mage africain à l'oeuvre remonte à un moment mais je suis toujours impressionnée par cette utilisation de la magie. Je n'ai pas le temps de cligner des yeux qu'un puissant vent se met à souffler dans la salle. Je lève mes bras pour me protéger des rafales ; les pans de ma cape fouettent mes jambes. À travers mes doigts je parviens à voir l'africaine et les mouvements de ses doigts. Le vent semble aussitôt changer de direction, il souffle de plus en plus fort. Il est totalement sous le contrôle de la jeune mage.

Peu à peu, la force du vent diminue et je peux de nouveau lever la tête. Araya a baissé les bras mais ses tatouages sont encore illuminés. J'attends quelques secondes qu'ils retrouvent leur forme originelle avant de prendre le risque de m'avancer dans la pièce.

« Tu pourrais le faire souffler encore plus fort ? m'exclamé-je sans pouvoir cacher mon émerveillement.
Je pourrais oui mais...
Et qu'est-ce que tu peux faire d'autre ?! »

Elle hausse des épaules et baisse les manches de sa cape qu'elle avait relevé.

« Différentes choses. Modifier la météo si on avait été à l'extérieur. Vous avez des sortilèges pour ça vous aussi.
Oui, admis-je simplement, même si je doute que nous puissions parvenir au même résultat que des mages de l'air.
Mon domaine, c'est le Chamanisme. Je ne suis pas une combattante. »

Une moue lui tord les lèvres vers le bas. Je l'observe silencieusement dans l'espoir qu'elle continue mais elle en reste là. Ce n'est pas ses états intérieurs qui m'intéressent, moi, alors je n'insiste pas.

« Montre moi, dans ce cas. Le Chamanisme.
Ça demande de la préparation.
Nous avons tout le temps nécessaire.
Je t'ai dit pas aujourd'hui, Aelle. »

Je me retiens de lui dire tout ce que je pense de sa fichue retenue. Ce n'est pas mon intérêt de la braquer. Elle peut encore refuser de me montrer en quoi consiste exactement l'invocation d'Eqqo.

J'embraye aussitôt sur un autre sujet. Ce matin-là, ni elle ni moi n'allons à la bibliothèque : nous restons dans la Salle sur demande à discuter de la magie. J'ai du mal à l'accepter mais je découvre derrière la jeune fille qui n'hésite pas à me remballer dès que je l'agace trop une personne tout à fait ouverte à la discussion et aux échanges. Et si je n'oublie pas que la plupart du temps agir avec elle m'est aussi peu naturel que de sourire à un inconnu, j'apprécie néanmoins pouvoir échanger mes points de vue sur certains pans de la magie avec une étrangère qui a grandit dans une culture et un cadre de vie complètement différent du mien.

Cela ne l'empêche pas de hausser le ton lorsqu'elle me trouve trop impertinente.
Et moi de lui répondre méchamment lorsqu'elle m'agace à se montrer prétentieuse.
Et le silence de nous opposer l'une à l'autre lorsque nous nous y attendons le moins.

Cette difficulté que nous avons à totalement briser la glace ne m'étonne pas. Il n'y a qu'une seule personne dans ce château avec laquelle je pouvais passer des heures et des heures sans ressentir la tension monter ou la gêne s'installer, et ce n'est pas Araya. Voilà pourquoi arrive un moment où même les sujets de conversation passionnants s'épuisent.

La dernière heure avant le déjeuner, nous la passons donc chacune de notre côté dans la pièce, ensemble sans l'être réellement.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 12 avr. 2023, 15:18, modifié 1 fois.

08 févr. 2023, 12:18
Toi, moi et le silence  Solo 
Aller en cours avec Araya n'est pas aussi terrible que ce que j'avais crains. Elle se montre très sérieuse et discrète, ne parlant que si on lui demande de le faire ; que ce soit moi, les professeurs ou mes camarades qui ne peuvent s'empêcher de la regarder avec de gros yeux curieux. Elle prend des notes de sa belle écriture et si elle a des questions, elle attend la fin de l'heure pour me les poser. Elle a l'air d'être dans son élément, mais je me demande si elle est comme ça également dans son école, aussi solitaire et sérieuse que moi, ou si ce n'est qu'une façade.

En Soin au créatures magiques en compagnie de Dawson, elle m'avoue n'avoir jamais entendu parler de la plupart des créatures dont il fait référence. Cela me réjouit et je m'empresse de lui faire un résumé détaillé de ce qu'est un Rougarou exactement. Elle enchaîne aussitôt en me parlant de quelques créatures typiques de son continent d'origine.

Pendant le cours de Divination, impossible de ne serait-ce que la détourner de la professeure qu'elle dévore du regard. Elle est donc belle et bien passionnée par la matière. Moi qui avais eu des doutes, je ne peux désormais plus faire semblant d'ignorer sa passion lorsqu'elle presse la professeure de questions qui me paraissent tout à fait inutiles. Araya voit la Divination avec les mêmes yeux avec lesquels j'observe la magie pure et dure, celle qui sort des baguettes ou de ses tatouages. J'ai encore du mal à comprendre pourquoi. Je crois que je la méprise pour cette passion qui me parait si peu propice à la puissance.

Ses réactions et la passion avec laquelle elle suit certains cours sont une preuve irréfutable qu'à Uagadou, les choses se passent très différemment. Je la questionne sur le sujet, je la presse de questions, si bien qu'elle finit par me rétorquer plutôt sèchement que j'en saurais davantage lorsque je viendrai dans son école.

« De toute façon, c'est bien que pour ça que tu participes à ce programme, tu voulais voir une mage des cohortes à l'oeuvre et avoir l'occasion de venir dans mon école. »

Je ne comprends pas pourquoi sa voix est si amer, ni pourquoi ses traits se crispent nerveusement à cette phrase. Elle parait se rembrunir lorsque je réponds simplement :

« Évidemment que c'est pour ça, pour quoi tu voudrais que ce soit d'autre ?
Laisse tomber, Aelle, » me répond-elle de sa voix chantante.

Son comportement me vexe, si bien que je me fais le choix de ne plus lui adresser la parole jusqu'à la fin de la journée ; elle ne cherche pas plus à revenir vers moi de son côté, ce qui ne fait qu'accentuer la rancœur que je ressens déjà. Je finis par me dire qu'elle est égoïste et aussi agaçante que les autres personnages de son âge : je lui en veux d'être si banale, parfois.

Je pensais qu'Araya se contentait, comme moi, de notre étrange quotidien et de notre oscillation permanente entre un silence boudeur et froid et des discussions sérieuses à propos d'un pan de la magie ou de nos cultures différentes. Je ne m'attendais donc pas à ce qu'elle me pose des questions plus personnelles, ce qu'elle fait pourtant le jeudi après-midi, alors que nous sortons du cours de Métamorphose pendant lequel j'ai adoré sentir sur moi son regard ébahi et curieux lors de mes démonstrations magiques.

« Je pensais... Tu ne veux pas me présenter tes amis ? »

Elle me lance un regard de travers, l'air de dire : bah oui, quoi, tu n'es pas forcée de rester loin d'eux ! Je lui répond avec un air tout aussi tordu.

« Je t'ai présenté Zikomo et Nyakane, non ?
Oui, mais... C'est pas parce que je suis là que tu dois t'empêcher de rester avec tes amis. »

Elle garde la tête bien droite en prononçant ces mots et je devine que quelque part, elle doit être consciente du caractère un peu trop intime de sa question. Elle ose à peine me regarder. Et vu comme mon coeur s'abat avec force contre ma cage thoracique, je la comprends. C'est très rare que l'on me questionne sur mes amis, quels qu'ils soient. Les dernières questions en date doivent provenir de mes parents. Je ne m'en souviens même plus. Le fait est que je n'aime pas tellement parler de ce sujet-là.

Je hausse les épaules comme si le sujet ne m'intéressait pas plus que cela.

« Je me prive de rien, Araya, réponds-je sur un ton cassant. Je t'ai présenté ceux que je voulais te présenter.
Mais tu dois bien...
Quoi ? » soupiré-je pour l'encourager en terminer sa phrase.

Elle a l'air frustré.

« Je ne sais pas, hésite-t-elle, tu restes avec qui en temps normal ? Quand on sera à Uagadou, tu pourras rencontrer mes am...
Je reste avec personne, Araya, la coupé-je en fronçant les sourcils.
C'est impossible, soupire-t-elle.
Pardon ? »

Je m'immobilise au milieu du couloir pour la regarder plus franchement. Son sourire qui m'a paru tout à fait moqueur lorsque nous marchions semble désormais un peu nerveux.

« Il doit bien y avoir des personnes que tu apprécies ? »

Cela a vraiment l'air de la perturber que la réponse puisse être non. Quant à moi, je suis soumise aux caprices de mon esprit qui invoquent des images mentales que je n'ai pas demandé à voir : aussi aperçois-je brièvement le visage marqué par l'âge et l'expérience d'une femme à laquelle je n'ai pas envie de songer et qui s'accorde très mal avec le mot "ami" ; les boucles rousses et les rondeurs du visage d'Elowen qui sourit de toutes ses dents, aussitôt suivit par une Elowen hors d'elle qui me lance son poing au visage ; je vois brièvement le visage de Gabryel, puis ceux d'autres camarades que je ne côtoie pas franchement. Thompson, Macbeth, Nerrah, même Peers apparaît brièvement. Delphillia aussi, à ma plus grande colère. Et d'autres visages sur lesquels je n'ai pas la force de mettre de nom.

J'enfonce mes mains dans mes poches et reprends le chemin du dortoir.

« Non, il n'y en a pas. »

Araya court derrière moi jusqu'à se mettre à ma hauteur. Je vois bien que ma réponse ne lui convient pas mais je n'en ai rien à faire. Je fais un effort pour garder un visage exempt d'émotions mais à l'intérieur de mon corps, elles bouillonnent. Mon coeur bat trop rapidement. Je ne sais pas pourquoi je me sens si mal à cause de ses questions. J'ai seulement envie d'oublier tout cela et d'effacer ces visages de ma tête, surtout le premier. Ma correspondante, elle, n'a pas envie de lâcher l'affaire.

« Ça existe pas les gens sans attache, Aelle.
Si, moi.
C'est parce que tu les fais tous f... »

Nous arrivons en vue de la Salle Commune. Je m'immobilise pour la seconde fois et lorsque je me tourne vers Araya, c'est pour planter mes yeux brûlant de colère dans les siens.

« Écoute-moi bien, susurré-je à travers mes mâchoires serrées, lâche l'affaire, c'est clair ? Si je te dis que je n'ai personne, c'est que je n'ai personne. Alors va faire chier quelqu'un d'autre ! »

Je me retourne dans un ample mouvement de cape. Direction l'extérieur du château. Et sans Araya.

« On discute juste, Aelle ! » m'appelle-t-elle vainement.

Je ne lui dis pas que je n'ai pas envie de discuter, qu'elle est là seulement pour apaiser mon insatiable curiosité, que je ne veux d'elle que son savoir et rien d'autre ; que son amitié, elle peut se la garder. Je ne lui répète pas que je ne veux pas discuter de ma vie personnelle avec elle. Je ne la menace pas de sévir si elle ose ne serait-ce qu'une fois de plus m'interroger à propos de quelque chose qui ne la concerne pas. Je ne dis rien de tout cela car je n'ai pas besoin de le faire : elle a très bien conscience de toutes ces choses.

C'est sans doute pour cela qu'elle ne cherche pas à me parler la soirée et qu'elle reste en compagnie d'autres personnes si possible plutôt qu'être avec moi. Je ne vais pas la chercher et elle ne cherche pas non plus à venir me voir. Je capte néanmoins certains de ses regards posés sur moi, tout comme elle doit sentir les miens sur elle. Ce soir-là je me pose une question que je ne me suis pas réellement posée depuis ma première année : que doivent penser les autres dans la Salle Commune à nous voir ainsi dans la même pièce mais loin l'une de l'autre ?

08 févr. 2023, 12:30
Toi, moi et le silence  Solo 
20 décembre 2047
Cinquième jour



Rien n'est indéfectible. À commencer par la colère d'Araya qui a disparu en même temps que la lune s'est couchée. Quand elle se réveille le lendemain elle me parle comme si de rien n'était ; pas comme à une amie mais comme à une correspondante qu'elle n'intéresse pas tellement : elle me questionne sur nos cours de la journée et d'une voix plate je lui raconte en quoi consiste les cours théoriques d'Astronomie. Je regrette sincèrement ne pas pouvoir l'emmener en cours de Sortilèges.

« Il y a un cours d'Étude des moldus en début d'après-midi, lui dis-je une fois que nous sommes installées à la table des jaunes. Si tu veux y participer. »

Du bout de sa fourchette, elle joue avec la nourriture qui est dans son assiette.

« Tu n'y vas pas, toi ?
J'ai arrêté cette année. C'était une matière optionnelle.
Pourquoi tu as fait ça ? »

Ça lui parait terriblement déconcertant. Je lève un sourcil dans sa direction.

« Parce que je me fiche des moldus, annoncé-je sans frémir. Et que cette matière m'a appris tout ce que je voulais savoir. »

Elle ouvre la bouche et la referme.

« Ma mère n'a pas de pouvoir.
Ah. »

Ce n'est qu'après quelques secondes de battement que je comprends le cheminement que prend certainement ses pensées.

« Je n'ai rien contre les moldus, si c'est ce que tu veux savoir, affirmé-je avec un sourire ironique. Ni même contre les né-moldus. C'est seulement que j'ai des choses bien plus intéressantes à apprendre dans mon monde, je veux pas perdre de temps avec une matière comme celle-là.
Très bien... »

Au final, Araya prend la décision de ne pas non plus aller en cours d'Étude des moldus, à la condition que nous allions nous promener dans le parc et que je lui fasse découvrir les abords du château. J'ai hésité à la rembarrer : « tu peux y aller toute seule » voulais-je lui dire. Mais j'ai compris à son regard que si je voulais apprendre des choses d'elle ou ne serait-ce qu'espérer qu'elle me fasse une démonstration chamanique, mieux valait pour moi que je me montre envieuse de passer des moments avec elle.

Nous voilà donc en fin d'après-midi à parcourir le parc. Le soleil est bas dans le ciel et un vent glacial souffle des montagnes. Araya est emmitouflée dans une cape épaisse mais elle a malgré tout l'air de souffrir du froid. Elle me parle de l'Éthiopie, comme si évoquer le climat de son pays pouvait la réchauffer. Elle me parle de la chaleur tropicale, me décrit les paysages de cet endroit du monde dont je ne connais pas grand chose. Je n'ai jamais vu la moindre image de ce pays, aussi ai-je du mal à m'imaginer les vallées dont elle me parle, les forêts ou les villes bien différentes de ce que l'on trouve en Angleterre. Elle m'avoue être énormément dépaysée par Poudlard et nos coutumes, si bien que je me demande si c'est ce que je ressentirai lorsque je serai à Uagadou.

Elle en vient à évoquer la visite d'Issa Sidiki en 2044. Comment pourrait-elle ne pas le faire ? Elle aussi a eu vent de la catastrophe que nous avons vécu cette année-là. Moi, je me souviens surtout de ma rencontre avec le grand manitou que je garde secrète, je me souviens de son aura magique étouffante, de ses pouvoirs, de ce qu'il m'a raconté à propos de sa petite-fille et de l'une des Merveilles de la magie. Je tais la goutte d'Élixir de Longue-Vie qui a donné un corps à Zikomo. Je me contente de répondre aux questions qu'elle me pose : est-ce vrai qu'avant Poudlard n'était pas une île ? qu'il y avait un lac ? que tous les élèves et professeurs ont participé à la protection du château ?

Je lui explique donc ce qu'il s'est passé ce jour-là, les sortilèges que l'on a dû lancer. Nous faisons un tour près des deux arbres qui s'élèvent dans le ciel et je lui raconte qu'il y a un grand oiseau tous là haut qui y vit. Elle peine à me croire et insiste que nous restions de longues minutes affalées dans la neige pour avoir une chance de l'apercevoir.

« Poudlard a participé à un tournoi avec une autre école magique, non ? me demande-t-elle lorsqu'enfin j'ai réussi à l'arracher à sa contemplation des deux troncs d'arbre entortillés pour rentrer au chaud.
Le tournoi des Trois Sorciers ? La dernière fois c'était en 2041. J'y ai pas assisté, c'était un an avant que j'arrive.
Non, je veux dire... Avec l'école chinoise ? À l'époque on en parlait pas mal, même à Uagadou. Mais impossible de savoir comment ça s'est passé. Comme toutes les écoles magiques, Poudlard a ses secrets, j'imagine. »

Mon coeur manque de s'arracher de son socle. Les chinois, évidemment. Il fallait qu'elle ait entendu parler de ça. L'histoire de ma bévue a-t-elle passée les frontières, elle aussi ? Ai-je fait la une des journaux magiques dans le monde entier ? Y a-t-il des journalistes qui ont perdu du temps à raconter que j'ai insulté un invité diplomatique ? Non, songé-je en observant attentivement la jeune africaine. Elle n'a pas l'air d'être au courant de quoi que ce soit. Elle a seulement entendu parler de la visite des trois représentants de l'école magique chinoise.

« On en parlera plus tard, » dis-je précipitamment.

Je n'ai aucune envie de parler de ça. D'une part parce que je n'ai pas envie d'expliquer que j'ai été renvoyée six mois du château et d'autre part car évoquer ce sujet me forcera à parler de l'une des participantes ; je préfère crever que de parler d'elle.

« L'heure du dîner approche, rajouté-je pour couper court à toute tentative de questionnement. On va pouvoir attendre que la Grande Salle ouvre ses portes. »

Sa curiosité m'est désagréable. Je compte tout faire pour éviter le sujet ces prochains jours, même si pour ça je dois me forcer à parler d'autres choses, évoquer d'autres moments importants qui ont marqué ma scolarité à Poudlard. Comme l'attaque du Poudlard Express, l'épisode du bal, ou encore l'arrivée de Dai Hong Dao... Tant de malheurs et de traumatismes. Elle n'a aucune idée de ce à quoi j'ai été confrontée toutes ces années.

Demain, nous sortirons faire un tour à Pré-au-Lard. Je désespère déjà de devoir supporter toute une après-midi durant les silences qui nous opposent. Je me sens épuisée de devoir parler ou répondre à ses questions. Contrairement à moi, Araya n'est pas du genre à garder le silence pendant des heures. Il y a toujours un moment où elle se sent forcée de dire quelque chose ou de me parler de ce qui nous entoure. Pas pour combler le silence mais parce qu'elle est emplie d'une curiosité qui semble insatiable. J'aime bien ce côté chez elle... Mais pas lorsque ça la force à me parler.

Je n'ai jamais été habituée à côtoyer une personne aussi souvent. Il n'y a que Thalia avec laquelle je passais des journées et des journées entière. Mais avec Thalia, les silences n'ont jamais existé. Il y a eu Elowen aussi, mais en général elle faisait la discussion toute seule, je n'avais qu'à hocher la tête ou poser une question de temps en temps pour faire acte de présence. Quant aux autres moments passés en compagnie... Ils étaient si éphémères. Même les après-midi passées avec Gabryel au Petit Chalet. Ils étaient doux, ne demandaient aucun effort... Ce n'est pas comme avec Araya. Le programme nous force à passer tout notre temps ensemble mais pour la première fois de ma vie je regrette qu'il n'y ait pas de tierce personne pour remplir les blancs. C'est pour cela que Zikomo nous accompagne souvent et que je l'empêche parfois de vaquer à ses occupations. Reste avec nous, le supplié-je parfois, je n'ai pas la force de parler. Alors il reste et fait la discussion. C'est bien plus facile d'écouter l'africaine parler de son pays et de son école quand ce n'est pas moi qui pose les questions

Peut-être que demain, je tenterai de nous rapprocher des groupes qui parcourront également le village... Après tout, il y a plusieurs binômes participant au programme AMICO qui restent régulièrement ensemble. Ce sera l'occasion pour moi d'observer les autres correspondants et pour Araya de poser ses questions à d'autres personnes.

Je n'ai guère envie de songer à demain ce soir. Demain, il y a un bal. Je ne suis pas sûre de beaucoup apprécier les bals. La musique, la danse, les discussions forcées, les belles tenues. Tant de choses qui ne m'inspirent pas grand intérêt. Quel ennui de devoir m'y rendre et pire, devoir ouvrir le bal en dansant. J'ai aperçu la tenue que je vais devoir porter, une tenue traditionnelle éthiopienne qui me changera beaucoup de mes robes de sorcière sobres.

Cinq jours que les correspondants sont arrivés et la fatigue se fait déjà ressentir. Plus que le lendemain, je crains la semaine à venir. Une semaine sans cours pour nous occuper. Qu'allons-nous bien pouvoir faire ? Merlin, et la visite sur le Chemin de traverse à laquelle mes parents se sont invités dans l'espoir de passer un moment avec moi et de rencontrer Araya... Mon ventre se tord d'angoisse à cette idée. Les revoir me fiche une trouille incroyable.

Le mieux, c'est de ne pas y songer. Je passe la soirée à me concentrer sur le livre que j'ai emprunté à la bibliothèque et Araya fait de même de son côté. Je profite de ce moment de calme avant que le lendemain n'arrive.

12 avr. 2023, 15:41
Toi, moi et le silence  Solo 
21 décembre 2047
Sixième jour



La sortie à Pré-au-Lard.
Le bal : la piste - les tables.

oOo


23 décembre 2047
Chemin de Traverse — Londres
Huitième jour



J’ai prêté une écharpe à Araya. Elle disparaît presque entièrement sous le tissu aux couleurs de Poufsouffle et sa grande cape. Elle aurait pu paraître ridicule mais de mon point de vue elle est seulement frigorifiée. Ce n’est pas faute de l’avoir prévenue qu’un 23 décembre à Londres en extérieur n’allait pas être agréable. Pourtant, elle ne se plaint pas. Elle regarde autour d’elle avec une grande curiosité, si bien que j’en viens à me demander à quoi ressemble leurs villages sorciers en Éthiopie, si tant est qu’ils existent — tout doit être si différent d'ici. De ce que m’a raconté Zikomo à propos d’Uagadou, je ne pouvais que m’attendre à ce qu’Araya soit surprise de découvrir l’école, Pré-au-Lard ou même le Chemin de Traverse, comme aujourd’hui — tout cela est bien différent de l’école austère dans laquelle elle a grandi ces dernières années.

Le Chemin est décoré de toute une panoplie de guirlandes, de boules colorées, de fanions volants et autres bougies flottantes qui brillent vaguement dans la lumière du jour. Noël à Londres, je sais ce que c’est, aussi ne me réjouis-je pas de toute l’agitation qui pousse pourtant Araya à regarder autour d’elle avec de grands yeux fascinés. Je me doute que les fêtes de fin d’année ne ressemblent pas tout à fait à cela par chez elle. Elle m’en a décrit certains moments, m’a parlé de sa tante et de ses parents sans aller dans les détails mais a pris le temps de me raconter comment se déroulaient les fêtes chez elle. C’était l’un de nos rares moments où la discussion ne concernait pas Poudlard, Uagadou ou la magie sous toutes ses formes.

Si je ne me réjouis pas de l’ambiance qui règne sur le marché de Noël, c’est parce que j’ai les tripes affreusement nouées. Papa a été très clair dans le dernier courrier qu’il m’a envoyé : nous devons nous retrouver près du stand à boissons, au croisement qui mène à l’Allée des Embrumes. Lui a plutôt précisé par : « près de Gringotts », comme s’il voulait éviter d’évoquer la sombre allée avec moi.

La dernière fois que je les ai vus, c’était le jour de la rentrée. Je les ai quittés avec cette impression bizarre que papa ne se comportait pas naturellement avec moi et que tous les autres m’en voulaient à mort… Sans pour autant que le second point me dérange outre mesure. Les mois ont passé, avec eux des échanges plutôt infructueux de lettres. Aucune nouvelle de Natanaël en dehors de la lettre reçue pour mon anniversaire et je ne lui ai rien envoyé non plus. Aodren a fini par m’écrire et nos échanges sont restés brefs, nous n’avons fait qu’évoquer Poudlard et son quotidien de jeune travailleur. Quant à Zakary, il ne m’a pas snobé, oh non. Au contraire, il m’a répété et répété combien il avait été déçu de mon comportement. Nos mots ont parfois été durs, les siens surtout. Et même si je ne répondais pas, il continuait d’écrire. Je n’ai pas envie de revoir ce grand homme en colère qui se complait dans sa rancœur. Et que dire de maman et de papa ? Le second m’a deux fois moins écrit que les années précédentes et ses courriers étaient si ternes… Je ne sais pas comment expliquer cela. Il était là sans être là. Je ne sais pas bien ce que j’attendais de plus. Au moins ne m’a-t-il pas fait la morale. Et maman… Bah, maman ne m’a pas écrit de lettre personnelle, s’est contentée de rajouter quelques lignes au bout des parchemins que papa m’envoyait. Cela vaut mieux. Je sais qu’elle sera encore en colère après mon comportement de cet été.

Je n’ai pas envie de les revoir. C’est flagrant. Cette journée me dérange, être ici avec Araya me dérange. Devoir la leur présenter me dérange. Toutes les questions qu’elle me pose à leur propos me dérangent. Elle veut connaître leur prénom à tous, savoir ce qu’ils font dans la vie, quel âge ils ont, se demande quelle marque de respect elle doit présenter à mes parents, tique quand je lui dis de se contenter d’un “bonjour” et d’un sourire. Cette journée n’en finit plus et elle vient tout juste de commencer.

Bon gré mal gré, j’accepte que nous nous arrêtions à un stand quelconque à la demande de ma correspondante. Elle insiste pour acheter à ma famille un petit quelque chose.

« Qu’est-ce qui pourrait leur plaire ?
Pas la moindre idée. »

Ma morne réponse ne lui plait évidemment pas mais ce n’est pas un mensonge : je ne sais pas quel objet fade et inutile elle pourrait leur offrir. Elle se débrouille donc sans moi, achète des assortiments de friandises tout en se plaignant de ne pas pouvoir faire plus, de ne pas avoir pu prévoir.

« Je leur aurais ramené du buna. Osoo karoorfattee..., » marmonne-t-elle pour elle-même, d’abord en anglais puis le reste en Oromo, langue aux sonorités étranges dont je ne comprends pas la moindre chose.

Elle ne m’explique pas ce que c’est et je ne lui pose pas la question. Je rumine, je ressasse. Au loin, les grands piliers tordus de la banque sorcière sont de plus en plus visibles. L’heure approche et avec elle les retrouvailles avec ma famille. Je me sens mal, mon cœur rate des battements et mon ventre me fait souffrir. Je déteste tout ce qui m’entoure, je fais une tête de trois pieds de long et je n’ai aucune envie de défroisser les sourcils ou d’écouter les babillements d’Araya. Je vis un grand moment de détresse, moi ! Ma vie est si éprouvante : je vais revoir ma famille. Je souffre avec une grande honnêteté. Cette journée me semble insurmontable, si bien que j’en oublie qu’il y a des choses tellement plus importantes dans la vie, comme toutes les recherches personnelles que je mène ou mes grandes questions à propos de la magie. Ma famille prend toute la place. Et mon envie de dégobiller aussi.

12 avr. 2023, 16:44
Toi, moi et le silence  Solo 
Inexorablement le temps s’écoule et le moment arrive. Après nous être extirpées de la foule, nous parvenons enfin en vue du stand de boissons pris d’assaut par les clients. Certaines têtes me sont bien familières et je dois lutter pour ne pas répondre à mon envie de m’enfuir sans un mot de plus. Mon cœur dégringole lorsque je pose mes yeux sur eux.

« Ils sont là. »

Araya suit mon regard et découvre sans un mot ma famille nombreuse. Elle paraît étonnée et je m’imagine que c’est à cause du grand sourire d’Aodren qui s’agite dans tous les sens et du grand geste que fait mon père dans notre direction. Elle ne voit que leur bonheur et doit être surprise de les découvrir si différents de moi. Elle ne voit pas que le sourire de papa est crispé et que Zakary est tout sombre, en retrait. Elle ne voit pas le regard désapprobateur que lui lance Narym ni les gestes nerveux de Natanaël. Elle ne voit pas que si maman a l’air dans la lune, ce n’est pas parce qu’elle est émue mais bien parce qu’elle doit songer à son travail qui la passionne plus que tout le reste.

« Ils ont l’air gentils ! »

Oui, me dis-je en l’entraînant dans mon sillage, elle ne voit rien de toutes ces choses.

Tout à coup ils sont tous autour de nous. Mes entrailles ne se relâchent pas, au contraire. La douleur dans mon ventre s’accentue. L’étau se referme. Comme cet été, mes poumons semblent se rétrécir, mes épaules se crispent. Je suis mal à l’aise. Les entendre me rappelle l’été dernier et l’été dernier me rappelle combien j’ai souffert d’un certain départ. Ma famille est composée de mauvais souvenirs.

Je me sens perdue au milieu de tout ce bruit.

« Aelle, enfin ! Je suis content de te voir !
Tu as grandi, non ?
Tu es Milya ? C’est trop bien que tu sois là ! Moi c’est Aodren et je…
Laisse-la respirer, abruti ! »

Il faut que papa intervienne pour que tout le monde se taise et qu’Araya puisse effectivement respirer. Elle rigole, ne semble pas gênée pour un sou, tend des mains impérieuses en direction de tout ce joli monde. Au regard que me lance Narym, je sens que je dois intervenir ; un silence ne fera qu'aggraver le malaise que je ressens déjà.

« Je vous présente Ara… Milya Araya Bogale, dis-je d’une voix très académique en évitant le regard de tout le monde. Ma correspondante. Araya, voici ma famille. »

Je les présente un à un. Tous ont un petit mot gentil pour elle, le courant passe bien, ils échangent des sourires, la discussion n’a pas besoin de moi pour avancer. Araya leur tend le petit paquet qu’elle leur a acheté. Papa a une mimique gênée, il se répand en remerciements. Ça ne l’empêche pas de sortir à son tour un paquet en disant :

« Ici, la tradition est de les ouvrir le 25 au matin. Aelle, tu auras les tiens tout à l’heure. »

Un sourire crispé m’étire les lèvres et je baragouine une phrase pour ne pas révéler la raison de ma gêne soudaine : leurs cadeaux, je les ai oubliés à Poudlard, complètement oubliés. Pourquoi me fatiguer à les amener puisque je peux les envoyer par hibou ? Ça m'est sorti de la tête. Personne ne dit rien mais je suis persuadée d’avoir vu Zakary lever les yeux au ciel.

Il est facile pour moi de me mettre en retrait. Araya échange avec un naturel déconcertant avec mes frères et ma mère, je n’arrive même pas à suivre leur conversation. Je ne vois que les regards en biais que me lance Zakary. Son regard n’est pas adouci par les doux sourires de Narym que je capte régulièrement. La présence de mon grand frère n’est pas suffisante non plus pour que je ne remarque pas les regards piquants que me lance maman, pour que je ne fasse pas attention à la ligne étroite de ses lèvres pincées en une grimace mécontente. Quoi, que veut-elle ? Qu’attend-elle de moi ?

12 avr. 2023, 16:53
Toi, moi et le silence  Solo 
« Ça va, Aelle ? »

Je sursaute et tourne la tête vers papa. Il s’est éloigné des autres et me sourit gentiment. J’évite son regard et hausse les épaules.

« Ça va, ouais. »

C’est la toute première fois que je sens m’envahir le malaise familier que je ressens toujours face aux autres avec lui. Cela ne m’était jamais arrivé en compagnie de papa. Pourquoi ça l’aurait fait ? Il est mon père, il sait toujours quoi dire, a toujours un mot rassurant, même quand on en veut pas, il sait écouter et faire la conversation au besoin. Mais là, le silence s’impose. Le même que je subis depuis sept jours. Quelques secondes douloureuses passent avant qu’il n’intervienne de nouveau.

« Comment se passent les premiers jours avec Milya ?
Très bien.
Elle m’a l’air d'être une jeune fille très intéressante. »

Pourquoi dis-tu ça, papa ? Parce qu’elle parle mieux que moi, sait faire la conversation, sourit sans le moindre effort ? Je me renfrogne et hausse les épaules.

« Elle t’apprend des choses qui t’intéressent ?
Oui. »

Je sens son regard sur moi. Son doux regard surmonté de ses cils épais. Je me grime un vague sourire sur les lèvres et me force à donner davantage de détails pour ne pas rendre la situation plus horrible encore.

« Elle m’a fait une démonstration de magie. Les mages africains sont passionnants. Le regard qu’elle pose sur la magie est très différent du nôtre.
Elle doit être tout aussi passionnée par ta magie que toi par la sienne, non ? Te connaissant, tu n’as pas manqué de lui faire des démonstrations tout aussi impressionnantes.
C’est vrai. »

Premier vrai sourire de la journée. Il est minuscule, quasi invisible mais au vu de celui de papa qui s’allonge, je ne doute pas qu’il l’ait aperçu.

La discussion s’arrête là : mes frères veulent visiter les stands. La configuration des groupes change. Araya se retrouve en compagnie de ma mère et de Zakary, derrière viennent Aodren et Natanaël qui s'immiscent dans leur conversation. Je reste avec papa et Narym. Coincée entre les deux grands hommes, je me sens minuscule. Le sentiment me dérange. Il me rappelle qu’ils me connaissent tous les deux depuis que je suis née et qu’ils savent trop de choses à mon propos. Des choses qui me donnent l’impression d’être faible.

Narym me questionne à propos de l’école. Je lui suis reconnaissante de ne pas évoquer nos échanges de courriers devant papa ou de ne pas parler des sujets dont nous discutons dans nos hiboux. Il reste bref mais s’assure que les choses aillent bien pour moi. Je fais mine que tout est parfait sans pour autant exagérer. Mes réponses sont courtes, je laisse papa et Narym faire la conversation.

« Tu as pensé à un cadeau pour ta correspondante ? » me demande tout à coup mon père.

Je lève les yeux au ciel et ramène mon regard sur le stand devant lequel nous nous trouvons. Il a sa voix de parent. Il va détester ma réponse.

« Non, papa, rétorqué-je en soufflant. Ça sert à quoi de faire un cadeau à quelqu’un qu’on connaît pas ? Pour Noël en plus ? Elle recevra sûrement des trucs de sa famille. »

Papa fait de gros yeux. Narym grimace. Et moi, je soupire une nouvelle fois. Aurais-je dû mentir ?

« Aelle ! » s’offusque papa

J’ai l’impression pour la première fois depuis des mois de retrouver mon père, mon vrai père, celui qui me fait la morale quand je ne respecte pas l’une des valeurs qu’il a voulu m’inculquer. En l'occurrence m’assurer que mon invitée ne se retrouve pas sans rien à Noël. Mais elle ne se retrouvera pas sans rien : ma famille lui a offert quelque chose, non ?

« Tu dois lui offrir un cadeau ! murmure-t-il en nous tirant à part pour éviter que le reste du groupe ne nous entende.
T’es sérieux, là ? m’agacé-je en dégageant brusquement mon bras. Tu vas me faire la leçon ? J’ai dix-huit ans, je sais exactement ce que je…
Je sais, » m’interrompt-il tout à coup.

Il prend une longue inspiration. Je sais qu’il va abandonner. Depuis quand abandonne-t-il ? Il n’agissait jamais ainsi, avant. Je ne comprends pas. Je croise le regard de Narym qui hausse les épaules mais je sais qu’il comprend davantage de choses que moi.

Papa grimace un sourire dans ma direction avant de reprendre joyeusement, ou de feindre de reprendre joyeusement, le cours de la conversation. Je supporte son flux de parole sans réussir à cacher mon trouble. Je profite d’un moment où notre père pose des questions à un vendeur pour me pencher vers Narym :

« C’est quoi son problème, sérieux, il est bizarre, non ? »

Son regard exaspéré me blesse. Narym n’est-il pas censé être de mon côté ? Mais un sourire rassurant efface vite mes doutes.

« Il ne veut pas… Enfin, tu vois, quoi. Il ne sait pas sur quel pied danser. » Il fait des gestes devant lui, comme si ça devait m’aider à comprendre ce qu’il essaie de me dire ; il se confronte à mon regard absent et se résigne donc à m’expliquer : « Il ne veut pas t’imposer quoi que ce soit.
Ah bon, me moqué-je avec un rire mensonger, parce que j’ai plutôt l’impression que c’est ce qu’il veut faire, au contraire.
Si c’était le cas, il aurait insisté. Et il aurait eu raison, m’enfonce Narym, parce que ce n’est pas très attentif de ta part de ne pas avoir pensé à un cadeau pour elle. »

Elle, c’est Araya, et vu comme elle paraît à l’aise avec ma famille, à rire de tout ce que raconte Aodren et à discuter sans la moindre difficulté avec Natanaël, je me demande si je devrais pas lui proposer de prendre ma place, comme ça tout le monde serait content.

« Allez, viens, poursuit Narym en me souriant doucement, on va les rejoindre. »