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08 févr. 2023, 11:10
 Worcestershire  Rancœur et faux-semblant  Solo 
Il soupire et se frotte les yeux avec les doigts. Je me demande ce que ça fait d’apprendre que sa fille détruit des portes d’entrée. A-t-il rugit de colère quand il a lu la lettre ? Non, pas lui… Maman a dû être d’humeur exécrable pendant des jours après ça… Et papa s’est sans doute morfondu que sa fille ait dérangé une famille en brisant leur porte. Combien lui a-t-il donné pour rembourser les dégâts ? Je n’ai aucune conscience de la somme que cela peut représenter. C’est bien, songé-je, la question est réglée, les Livingstone ont retrouvé une nouvelle porte, ils doivent être contents. Ce n’est qu’après coup que la légèreté de ma réflexion me saute aux yeux : ils se fichent de leur nouvelle porte, ils s’en fichent puisque la mère d’Elowen a été témoin de ma folie destructrice ! En a-t-elle parlé à Elowen ? Merlin… L’idée qu’elle ait pu le faire me rend plus misérable que tout le reste.

« Évidemment, nous avons pris sur ton argent pour les rembourser.
Oui…, marmonné-je car je n’ai pas la force de dire quoi que ce soit d’autre ni même de m’insurger que mon argent, mes économies pour mes voyages aient été dilapidés sans mon accord.
Est-ce que tu comptes t’excuser, Aelle ?
Excuse-moi, papa, grimacé-je en secouant la tête. Je… Je sais que j’aurais pas dû… Détruire leur… Porte.
Non, pas à moi, » s’afflige-t-il en se laissant aller contre le dossier du fauteuil. Ses yeux sont fermés et un trait lui barre le front dans la longueur. Il semble épuisé. « Je voulais dire aux Livingstone. Est-ce que tu vas t’excuser ?
Ce n’était pas dans mes… »

projets

« Enfin, je veux dire, je ne crois pas que… Tu sais, c’est plutôt… »

délicat, inutile ?

« Ne cherche pas à te justifier, Aelle. Tu n’as plus l’âge que je te force à écrire des lettres d’excuses. »

Mon cœur hurle de douleur au souvenir de la dernière lettre d’excuse que j’ai écrite.

Je pensais qu’il allait partir maintenant que la conversation est terminée, que j’allais pouvoir me rouler en boule sur le fauteuil comme je rêve de le faire pour me gorger des souvenirs qui veulent me hanter. J’aurais pu m’abreuver à l’image mentale d’Elowen avant de tout repousser en bloc en maudissant ma mémoire et mon cœur de me noyer de douleur. Mais non, papa ne s’en va pas. Il s’installe plus confortablement, se laisse aller en arrière et ferme les yeux comme il le fait parfois quand il est dans le salon : il ne dort pas, il se contente de réfléchir je crois, de penser à des choses et d’autres dans le silence le plus complet. J’aurais trouvé ça flippant si je ne m’étais pas surprise plusieurs fois à faire la même chose.

Je ne m’offusque pas de sa présence. Dès demain je serai de retour au château, loin de son regard scrutateur. Je peux bien le supporter un dernier soir, non ?

En le surveillant du coin de l'œil, j’attrape la lettre de la mère d’Elowen et la glisse dans un livre. Celle-là, je sens qu’elle va rejoindre la boîte des mauvais souvenirs qui est tout au fond de mon armoire, celle à laquelle je ne pense jamais car son contenu est plus terrifiant que les bas-fonds de la pensine d’un mage noir.

J’allais entamer la relecture de mon long et morose devoir de Métamorphose lorsque papa revient à la vie.

« Tu vas entamer ta dernière année… »

Cette remarque a si peu de pertinence que je ne prends pas la peine d’y répondre ou de regarder celui qui l’a prononcée. Je relis le second paragraphe du papier sans y trouver la moindre erreur qui puisse sous-entendre que je ne suis pas d’une intelligence brillante et stupéfia-

« Tu as des plans pour le futur ?
Hein ? fais-je brillamment en levant le nez vers papa. On va parler avenir, là ?
C’est seulement une question, Aelle. On ne va pas se revoir pendant des mois.
Non mais c’est juste que c’était… Soudain. »

Je ne lui laisse pas l’occasion de me dire qu’il a eu mille occasions de m’en parler cet été mais que j’ai refusé d’accorder le moindre crédit à ses paroles durant la première partie de l’été ; et que j’étais absente pendant la seconde. Je ne veux pas qu’il me fasse de reproche alors je poursuis rapidement :

« J’ai quelques plans, ouais. »

Il hoche la tête en silence. Je lui lance un regard de travers. C’est quoi son problème, Merlin ? Elles sont où toutes ses questions harassantes et étouffantes ? Son insistance de père inquiet pour son enfant, ses regards inquisiteurs, sa voix douce qui invite aux confidences ? Le silence perdure. Il va réellement se taire, là ? Ne rien dire du tout ? Il se fiche réellement de mon avenir ?

« Je vais postuler dans des universités, tu sais.
Oui, je m’y attendais.
J’hésite encore avec la GEAD et l’AESM… »

Cela semble si loin. Il me reste encore un an avant de me décider. J’ai bien le temps d’y penser.

Papa hoche la tête, un fin sourire lui étirant les lèvres. S’il ne semble pas surpris par mes choix c’est parce qu’il me connaît plus que je ne veux le voir.

« Ce sont de très bonnes écoles. Je suis sûre que tu y seras admise. Tu as encore le temps de réfléchir à celle qui te convient le mieux. »

Je n’ajoute rien de plus car il n’y a rien à répondre à une phrase aussi banale. Mais papa n’attend rien de moi. Après un dernier hochement de tête satisfait (de quoi est-il satisfait ?), il prend appui sur ses genoux et se lève.

« Si tu as… Si tu as besoin d’aide pour rédiger tes lettres de motivation, tu… Enfin, tu sais que tu peux m’écrire.
Ouais papa, je sais, dis-je du bout des lèvres en lui accordant un regard en coin. T’inquiète. »

Il reste planté là quelques secondes, si bien que je suis persuadée qu’il va rajouter quelque chose mais non, il fait demi-tour et part en me souhaitant une bonne fin de soirée. Encore une fois il retient des mots mais ce n'est pas mon problème. Je suis heureuse qu'il ne parte pas dans le sentimentalisme comme il le fait habituellement à chaque veille de rentrée. Cette année, je n'aurais pas pu supporter ces "je t'aime", "prends bien soin de toi" ou toutes les autres conneries qu'il pourrait inventer. J'ai juste envie de quitter cette maison étouffante.

Impossible pour moi de trouver le sommeil cette nuit-là. Il n’y a que quelques heures et un trajet dans le Poudlard Express qui me séparent de Poudlard et du vide énorme que j’y trouverai. Je me prends ma rancoeur de plein fouet. Pour faire passer les heures, je ressors la lettre qu’elle m’a écrite pour m’annoncer qu’elle ne reviendrait pas au château en septembre. Je la relis de long en large et plus je la lis, plus je sens ma colère s’affirmer.

Je pensais que je serais réticente à l’idée de retourner à l’école et quelque part c’est le cas, mais le sentiment qui domine c’est une folle impatience. Je ne veux plus de ce quotidien, de ces couloirs remplis de souvenirs. Je n’ai rien contre le château en lui-même, son ambiance majestueuse et ses grands espaces me manqueront, mais je veux m’éloigner des dizaines et des dizaines de mauvais moments que j’y ai passés.

Chaque couloir garde une trace de moi, c’est difficile à la longue de continuer de les parcourir. Dans celui-ci j’ai un jour crié de colère à cause d’une jeune Gryffondor, dans celui-là j’ai rencontré une Poufsouffle qui s’amusait à marcher les yeux fermés, là j’ai embrassé Elowen, ici attendu en vain de recevoir une réponse à mes incessantes sollicitations auprès de la direction ; que dire de ces salles de classes où j’ai côtoyé des camarades dont les visages ne se sont pas inscrits dans ma mémoire ? de ces quelques agréables moments que j’ai passé en compagnie d’inconnus qui n’importent pas, ou ces regards sombres que l’on me lançait car j’étais victime de méchantes rumeurs ? La Grande Salle a été le théâtre d’un bon nombre de catastrophes, tout comme la salle de bal et même le grand hall. La bibliothèque aussi en a vu des belles. J’ai laissé une part de moi dans chacun de ces endroits, dans les souterrains, dans la tour d’astronomie… La Salle Commune, n’en parlons même pas. Et les dortoirs ? Des heures à me retourner encore et encore en quête d’un sommeil qui me fuyait, des larmes, de la colère, de la tristesse.

J’en ai assez de ce lieu qui gardera enfermés pour toujours les souvenirs de mon adolescence. M’en éloigner marquera le début d’une vie nouvelle, d’une vie adulte beaucoup plus libre. Une vie qui ne laissera pas de place aux grandes émotions, car les adultes ne sont pas en proie à de si grands bouleversements, n’est-ce pas ?

Dans un an. Encore une année et je pourrai oublier toutes ces mauvais moments et ces douloureux souvenirs qui s’échinent à me faire souffrir depuis ma première année.

— Fin —