Narcisse était bien embarrassé en cet instant. Klee avait de nouveau fait des siennes, s'étant contenté de voler de la nourriture à répétition dans son assiette, comme un jeu. Le garçon s'en amusait, et jouait avec elle, jusqu'à la faire léviter à quelques centimètres de la table. Cette dernière poussait de joyeux couinements, roulant dans l'air, étant devenue aussi agile dans les airs que sur terre. Fort heureusement, elle n'avait rien pour se déplacer à volonté, sinon elle serait devenue le pire fléau que Poudlard ait jamais connu, laissez-moi vous le dire. Le problème ne venait pas de là.

Alors que Narcisse s'apprêtait à rengainer sa baguette, sa gaine artisanale se décrocha, tombant sur la table dans une bruit métallique et de cuir. Il demeura figé un petit instant avant de soupire, sa baguette en main qu'il déposa à côté de lui pour se pencher sur son œuvre, tandis que Klee continuait de tourner sur place, telle un petit satellite autour de la tête de Narcisse. Ce dernier se concentra profondément, se coupant du monde et même de sa nourriture, cherchant le problème. Une sangle avait cédé, par manque d'entretien et à cause d'une mauvaise attache, les points dans le cuir n'avaient pas tenu. Il le vit, mais ne comprit pas exactement le problème. Il tentait vainement de rattacher le mousqueton à la lanière de cuir principale, mais sans succès évidemment.

Il s'étira, se penchant en arrière, se disant qu'il en aurait probablement pour un moment... Cette journée avait pourtant si bien commencé, mais il lui en fallait davantage pour se décourager.

Ah, les déjeuners à Poudlard ! Ces rosbeefs accompagnés de pommes de terres, ces délicieux potages, sans oublier ces fameuses farandoles de légumes qui font saliver même les plus féroces carnivores ! Orla, qui n'a jamais été une grosse mangeuse, ne peut s'empêcher de savourer chacune des bouchées qu'elle ingurgite depuis son entrée à Poudlard. Elle n'a certes pas été mal nourrie pendant son séjour chez les Brando – loin de là ! –, mais quand même, elle doit bien reconnaître que les copieux menus du château lui ont un peu manqué. C'est donc avec entrain qu'elle se ressert un deuxième ration de gratin et – mais qu'est-ce que c'est que ça ?

Orla laisse tomber bruyamment la spatule dans le plat. Que… Elle voit Narcisse – en parlant du Sinistros, on en voit la queue –, en plein jeu avec Klee, mais ce n'est pas de ce ça dont parle Orla, même si elle est encore dubitative quant au charme de la bestiole. Non… elle parle de ça, là, ce pitoyable morceau de cuir qu'elle a déjà entendu Narcisse appeler une « gaine », et qui est en fait loin d'en être une. Il n'y a qu'à voir comment ça vient de tomber lamentablement sur la table. Narcisse, penché sur son ouvrage, ou plutôt, sa « gaine », cherche à trouver le problème. « Passe-moi ça. », dit Orla, avec un ton autoritaire qu'on ne lui connaît pas. Sans même un regard pour le première année, elle lui prend la gaine des mains et se plonge dans une observation minutieuse. « Tu appelles ça une gaine ? C'est à peine un bracelet qu'on achèterait dans une brocante. » Elle croise le regard de Narcisse et soupèse le cuir pour montrer à quel point l'objet est de piètre qualité.

Réalisant cependant que sa passion a pu prendre les devants sur les bienséances, elle se racle la gorge avant de reporter son attention sur la gaine. « Dis-moi comment tu t'y es pris, ça m'aidera peut-être à comprendre le problème… », marmonne-t-elle tout bas. Primo, l'attache métallique est à l'envers, mais elle sent que c'est un détail à côté de la mauvaise exécution générale.

Je suis désolée, je ne l'imaginais pas aussi véhémente moi-même !

Trop concentré sur son ouvrage, Narcisse n'entendit pas l'injonction de son amie. Et le temps que l'information remonte jusqu'au cerveau et qu'il soit tiré de sa transe, sa gaine avait disparue ! Il écarquilla grand les yeux et la bouche, perdant au passage la concentration du sort, et rattrapa Klee de justesse. Elle se plaignit en lui tirant la langue, avant d'aller machinalement grignoter le contenu de son assiette. Narcisse se remit de ses émotions : voix, à qui appartenait la voix ? Il tourna la tête, et eut un grand sourire en voyant Orla. Sourire rapidement remplacé par une expression dubitative en la voyant si sérieuse et sévère.

Les mots sont durs, les termes sont dit, et même si Narcisse a amplement conscience qu'elle a raison, il ne peut s'empêcher de gonfler les joues en faisant un moue retenue. Il lève les yeux en rougissant légèrement, hochant la tête en constatant la piètre qualité de son travail.

- C'est... fonctionnel...

Puis il tira le bout de la langue avant de doucement pouffer de rire. Il écarta ensuite Klee de son assiette, qui commençais à beaucoup trop manger pour la taille de son petit corps. Elle avait de l'œuf partout sur ses petites moustaches, mais n'avait pas l'air prête à renoncer à son repas durement gagné ! Et hop, un petit voyage dans la poche. Son attention se redirigea ensuite sur son amie. Elle avait l'air véritablement concentré, et il croisa ses bras sur la table avant de poser son visage dessus, orienté vers elle, pour mieux l'observer.

- Euh... J'sais plus trop. J'ai utilisé un mélange de Diffindo et d'ciseaux. J'utilisais la salle sur demande. Mais euh... J'sais qu'le plus dur c'étaient les coutures, genre là... et là.

Il pointa avec attention deux endroits où il se souvenait avoir particulièrement galéré, l'un d'eux était l'endroit où les points avaient cédés, laissant le mousqueton libre comme l'air. Narcisse ne remarqua pas le moins du monde la mauvais sens de l'attache métallique. Pour lui, c'était normal d'avoir des difficultés à attacher la sangle. Peut-être qu'il pourrait s'acheter un objet similaire au Chemin de Traverse à la première occasion ? Mais cet objet, c'était lui qui l'avait fabriqué, et même s'il n'était pas très matérialiste, il en était fier. Il avait trouvé la solution au rangement de baguette : jamais dans les poches pour ne pas la casser, ni dans le sac pour pouvoir la dégainer rapidement.

Il se frotta ensuite le sommet du crâne, fronçant les sourcils sous la réflexion. Les mouvements d'Orla allaient beaucoup trop vite pour qu'il puisse les suivre, et encore moins les comprendre. Narcisse savait qu'elle était douée pour fabriquer des choses, la preuve en voulait de sa petite maison qui trônait désormais dans l'armoire à trophée de son salon, mais là elle avait l'air prise d'une passion obsessionnelle comme il pouvait en avoir régulièrement. Au moins, il n'avait pas de souci à se faire pour sa gaine... Enfin, pas pour l'instant.

Orla pouffe en voyant la tête que tire Narcisse. Le première année semble piquée au vif par son constat sans appel. Elle s'est peut-être montrée un petit peu trop véhémente… La Poufsouffle accorde à peine un regard à la boursouflette qui s'est transformée en morfale près d'elle. À peine un haussement de sourcils un peu hautain, pour la forme. Ce qu'elle veut, c'est comprendre comment l'attache à cédé, et surtout… Elle ressent un besoin impérieux d'y remédier. Le bout de ses doigts la démange, elle sent une pulsation à fleur de peau comparable à ce qu'elle a pu sentir dans l'atelier de sa tante. Mais cette fois-ci, c'est plus profond, plus… Viscéral, si tant est que ce mot faisait partie de son vocabulaire. Est-ce donc cela, le lien magique ?

Orla secoue la tête. Ce n'est pas le moment de se perdre dans des considérations philosophiques, son ami a besoin d'elle ! Elle l'observe du coin de l'œil, amusée, alors que Narcisse se vautre lentement sur la table en bois. Son regard oscille entre le visage du première année et… Non, décidément, elle ne peut toujours pas se résoudre à appeler ça une gaine. Tout au plus un bijou fantaisie. Mais même cassé, un objet reste un objet. Elle doit donc s'en occuper avec le plus grand soin. Et pour un premier essai, ce n'est plutôt pas mal. Mais Orla s'amuse à faire comme si l'objet était le plus grand affront qu'elle ait vu de toute sa carrière, alors elle se garde bien de formuler cette remarque positive à voix haute.

Orla passe son pouce sur les endroits que Narcisse porte à son attention. « Tu as utilisé Diffindo pour quoi, et les ciseaux pour quoi… ? » Orla fronce les sourcils et, tout en parlant, elle soulève la gaine pour observer les coutures invisibles. Ce n'est clairement pas le même style de découpe, selon qu'on utilise le sortilège ou bien la méthode moldue. « L'un permet de faire des coupes plus incisives, plus directes. D'où l'utilité du sort sur le bois, par exemple. Les ciseaux, c'est pour travailler en délicatesse, pour fignoler les derniers détails, tu vois ? » Elle regarde Narcisse pour savoir s'il suit toujours. « Pense à, je sais pas… Un sculpteur. Quand tu sculptes quelque chose, tu commences par un bloc, et tu dois tailler de gros morceaux pour avoir la forme d'un visage. Et ensuite, tu utilises d'autres outils pour les motifs. Eh ben, c'est pareil pour travailler le cuir, ou toute autre matière. »

Après avoir examiné minutieusement la gaine, Orla la dépose à nouveau sur la table, en chassant du plat de la main les éventuelles miettes. Il ne s'agirait pas d'abîmer encore plus le mousqueton. « Bon… Je crois que d'abord, il faut essayer de recoller le mousqueton en place, au moins temporairement. Ensuite, je repasserai avec de la couture. Tu veux te charger du sortilège ? » Orla ne sait pas d'où lui vient ce soudain instinct pédagogue : de sa passion pour la fabrication, ou bien du fait qu'elle sait que les sortilèges ne sont en général pas sa tasse de thé...

Les sourcils de Narcisse se froncèrent intensément sous l'effort de sa réflexion, creusant les rides de son front. Il fixa avec grande intensité les endroits sous le pouce d'Orla, tentant vainement de se souvenir ce qu'il avait utilisé, ou pas utilisé. Il se frotta le sommet de la tête, avant de faire glisser sa main sur le bas de son visage, pour venir frotter son menton avec le pouce.

- Mmmmmh... Euh...

Il n'eut même pas le temps de répondre à la première question qu'elle se lança déjà dans ses explications. Il hochait la tête à répétition, ne dissimulant en aucune manière sa perplexité et la difficulté qu'il avait à la suivre. Voilà quelque chose qui ne coulait pas de source pour lui. Ses yeux se plissèrent au fur et à mesure qu'elle avançait dans les détails, hochant toujours la tête, ses doigts frottant toujours doucement son menton pour rythmer ses "mhm" d'approbation.

Il observa plusieurs longues secondes de silence, les lèvres pincées, avant de pointer un endroit de son objet où il pensait se souvenir avoir utilisé les ciseaux, et un autre où il pensait avoir utilisé Diffindo. Il avait très clairement inversés les utilisations recommandées par Orla.

- Euh... là j'ai fait aux ciseaux, et là à Diffindo... euh, j'crois...

Il ramena lentement sa main jusqu'à son menton, hochant la tête en tentant de reconstituer ses pensées. Puis il lança un regard légèrement paniqué vers Orla, avant de pointer le mousqueton de l'index.

- Mais, mais... c'est pas en troisième année le sort de glue ?

Il tourna son regard jusqu'au mousqueton, avant de sortir sa baguette, pour ensuite placer le mousqueton contre l'endroit où il aurait dû être. Il prit une grande inspiration en tentant de se souvenir de la formule.

- Euh, glutinanent ! Non, gluti... Non, glut... Euh...

Il tapotait de sa baguette le mousqueton, sa concentration était au maximum, mais évidemment, rien ne se produisit.

Plus de doute possible, Orla a bel et bien perdu Narcisse dans les rameaux de ses explications fouillées, mais surtout touffues. Si le débit de parole de la deuxième année est déjà rapide en temps normal, il l'est d'autant plus lorsqu'elle parle d'un sujet qui la passionne et l'anime. Quand Orla s'arrête brièvement de parler, Narcisse reste silencieux avant de lui montrer où il a utilisé une paire de ciseaux et où il a préféré utiliser le sortilège de Découpe. Orla suit attentivement ses mouvements, faisant légèrement claquer sa langue contre son palais à répétition, ne se rendant pas compte qu'elle imite en cela un toc de sa tante Lydia lorsque cette dernière doit repriser un vêtement qui a été particulièrement mal entretenu. Elle sourit brièvement en croisant le regard de Narcisse, où l'on peut voir toute sa volonté de bien faire. « Je vois. Je crois que je m'en serais douté. Là, les coutures ont lâché parce que les morceaux de cuir étaient trop épais… »

Mais quand le première année lui rappelle que le sortilège de Glu ne s'apprend qu'en troisième année, le sourire confiant d'Orla s'affaisse sur les commissures. Zut, c'est ça quand on ne réfléchit pas avant de parler. Peut-elle se permettre de dire à Narcisse qu'elle s'est en fait déjà entraînée en secret sur ce sortilège, qu'il lui semblait logique d'être enseigné en même temps que le sortilège de Découpe ? Peut-être… Orla pèse le pour et le contre en voyant Narcisse s'exécuter malgré sa réserve, et, sans réelle surprise, c'est un échec. « Glutinamentum. », dit Orla sans réfléchir, avant de relever les yeux vers Narcisse. « C'est Glutinamentum, le sort. J'ai déjà essayé, quelques fois, mais j'ai pas mieux réussi que toi. » Orla soupire en s'étirant, apparemment plus détendue. Même si elle sait très bien que l'échec de Narcisse a moins à voir avec son niveau en sortilèges qu'avec son année d'études, elle ne peut s'empêcher d'être rassurée de constater que Narcisse n'est pas surdoué à ce point.

Les bras toujours étirés derrière sa tête, Orla ajoute : « Si tu as utilisé tes ciseaux à la place de Diffindo et Diffindo à la place des ciseaux, je crois qu'il faudra que je coupe les coutures pour les refaire. Et bien sûr, j'ai besoin de ma colle, puisqu'on peut pas lancer le sort. Tu devras me passer ta gaine… » Orla tourne à nouveau la tête vers Narcisse. « À moins que tu veuilles être là pendant le pimpage de ta gaine ? » Elle sourit, ravie de ce petit clin d'œil à la vieille émission moldue Pimp My Ride.

300 réfs à la minute challenge.

Narcisse se frotta le menton en se penchant sur l'endroit qu'Orla lui désignait. Alors comme ça, le cuir était trop épais ?.. Mais, s'il ne l'était pas assez, il risquait de se briser non ? Quand il l'avait fabriqué, nombre de ses échecs furent causés par le fait que la matière cédait trop facilement. Mais du coup, effectivement, si le cuir était trop épais, les coutures ne pouvaient pas tenir. Ses yeux se plissèrent sous son intense concentration. Puis, il se redressa pour observer les efforts d'Orla, plein d'espoir et une grande admiration au fond de ses yeux. Il en profita pour noter la formule exacte dans sa tête, puis hocha la tête lorsqu'elle confirma. Un grand sourire se dessina sur ses lèvres et il lui tapa gentiment l'épaule du poing.

- Ça s'voit ! Ta gestuelle avait l'air super précise ! T'es pas loin d'y arriver j'pense, c'est évident !

Il fit rouler ses épaules avant de poser sa joue contre le bois en soupirant longuement. Décidément, l'artisanat, ce n'était pas son truc, mais il était particulièrement heureux de voir Orla s'épanouir dans un élément qui avait l'air d'être le sien. Il hochait distraitement la tête en fronçant les sourcils pour réfléchir, avant de grimacer de confusion en redressant le visage. Il arqua un sourcil.

- Euh... le... pimpage ?

Il éclata de rire, avant de s'essuyer une larme qui avait commencé à rouler le long de sa joue.

- Haha... ouh... Qu'est-c'tu vas faire à ma gaine ? Mais sinon, oui bien sûr, j'te fais confiance ! Et puis, aussi, j'avais une idée, j'aimerais bien créer un p'tit système qui permet d'attacher ma baguette avec une réserve de ficelle ! Tu penses qu'on pourrait ajouter ça à ma gaine ??

Un espoir brillant s'était allumé au fond de ses yeux, ainsi qu'une excitation sans borne.