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16 juin 2023, 20:01
 os   ++  “Le jour est court et l'ouvrage est long.”
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10 mais 2048
À l'aube.

PNJ validée

Les hauts talons d'Ilana résonnent à travers le long couloir. Elle marche avec assurance, digne comme devrait l'être une matriarche de cette famille. Hadrey, l'elfe de maison, suit docilement sa maîtresse d'un pas fier, bienheureux de se tenir à ses côtés. Il n'y a pas plus loyal qu'elle. La matriarche s'arrête face à une porte que son elfe s'empresse d'ouvrir d'un claquement de doigts.

— Merci, Hadrey.

Dans un silence partagé, elles pénètrent à l'intérieur d'une pièce de taille moyenne, bien qu'elle paraissait plus grande encore dans les souvenirs d'Iliana. Cette dernière observe les lieux d'un œil critique. Les quelques meubles restants sont recouverts par un drap blanc. Le miroir qui trône au-dessus d'une cheminée reflète avec laideur le visage de la sorcière tant il est sale. Il y avait également un piano qui a connu de jours meilleurs et la poussière flotte en suspens, signe que ce lieu est abandonné depuis des années. Hadrey observe les environs avec nostalgie. Elle se souvient du temps passé ici à servir la Douairière Cohn. La petite elfe soupire doucement :

— Je me souviens que votre grand-mère aimait venir ici... elle y recevait tant de monde, des dames distinguées telles que vous êtes devenue. Cela me remplit d'une tristesse profonde de voir cette pièce dans cet état, aussi vide...
— C'est du passé, répond Iliana en caressant tendrement la petite tête chauve de son elfe. Bientôt, tu ne seras plus triste et cette pièce retrouvera sa vie d'autant.
— Alors, c'est vrai ? Madame va faire revivre le club ?
— Oui, il est grand temps...

Sur ses mots à peine murmuré, Iliana observe la pièce avec attention. Le papier peint démodé témoigne du passage des années, marqué par des déchirures ici et là, tout comme le parquet usée et grinçant. En relevant la tête, Iliana peut noter que le plafond porte les stigmates d'une ancienne fuite d'eau, laissant apparaître quelques défauts.

— Beaucoup de travail nous attend, Madame, note Hadrey.
— Dieu n'a pas créé notre monde en deux jours, affirme Iliana avec détermination. Le Talmud dit : "Le jour est court et l'ouvrage est long", mais chaque instant que nous consacrons à ce projet est en notre faveur.

— Vous avez raison, Madame. Il est grand temps que les choses changent, n'est-ce pas ?
— En effet, il est temps que les choses changent... Bien, mettons-nous au travail. Commençons par déplacer les meubles restants.

D'un geste habile de sa baguette et d'un claquement de doigts pour Hadrey, les quelques meubles présents lévitent dans les airs avant de flotter gracieusement jusqu'au couloir où ils trouveront un refuge provisoire. Pendant que l'elfe arrache les vieux rideaux sous l'instruction de sa maîtresse, Iliana s'affaire à retirer la tapisserie d'un vert olive qui a mal tourné. Durant cette besogne, elle se souvient qu'enfant, cette pièce avait toujours suscité en elle une certaine angoisse sans qu'elle ne puisse réellement expliquer pourquoi. Est-ce à cause des nombreux miroirs brisés accrochés aux murs ? Du grand portrait figé de Vered Cohn dont le visage semblait changer selon l'angle sous lequel on le regardait, révélant une autre matriarche ? Ou peut-être est-ce lié aux souvenirs qui y sont attachés ? Elle ferme les yeux, ressasse et croit sentir de nouveau l'effluve envoûtant des encens mêlé aux parfums, la voix grandiloquente de sa grand-mère proclamant ses idéaux ou encore toutes ces femmes étrangères à la maison qui l'observaient en silence lorsque la jeune Iliana osait les déranger. "Sors d'ici ma fille", avait grondé un jour Déborah Cohn. "Tu n'es pas encore en âge d'être ici."

C'est dans cette pièce que se déroulaient d'étranges réunions qui duraient parfois jusqu'au petit matin. Sa mère, Abigail, avait refusé de lui révéler les tenants et aboutissants de ces rencontres. Même en grandissante, Iliana n'eut jamais de réponse. D'une part car les réunions ont cessé dès que Déborah avait cédé son rôle de matriarche et de l'autre, Iliana était passé à autre chose Ce n'est que récemment, plusieurs mois auparavant, qu'elle avait enfin obtenu des réponses à ses interrogations d'adolescente quand, autour d'une tasse de thé, elle avait interrogé sa vieille mère à ce propos. La sorcière découvrit alors que dans cette pièce, des femmes menaient un mouvement pour accorder à leurs consœurs d'aujourd'hui et de demain davantage de droits. Bien qu'aucun résultat tangible n'ait émergé de ces réunions, si ce n'est de belles paroles, Iliana était désormais déterminée à agir pour provoquer le changement, car l'avenir de sa famille était en jeu.

— Madame réfléchit, fait remarquer Hadrey.
— En effet, c'est le cas...
— Vous avez encore des doutes ? ose demander l'elfe de maison.
— Constamment. Est-ce une bonne idée ? Oui, c'est certain : pour nous, mes filles et les filles d'autres familles. Les hommes ont eu le pouvoir pendant trop longtemps, il est grand temps que cela change, que le nom transmis par nos mères ait autant de légitimité que celui de nos pères.

Les regards d'Iliana et Hadrey se croisent sans que la fidèle elfe ne se sente intimidée d'une quelconque manière. La créature n'est pas simplement assujettie à sa maîtresse, elle fait partie de la famille, cette même famille qui lui a toujours témoigné un profond respect envers elle et ses propres droits, si bien qu'elle touchait un salaire et pouvait s'habiller comme elle le souhaitait. Hadrey était une elfe libre, comme ses prédécesseurs avant elle, et chacune est restée fidèle au Cohn. Et aujourd'hui, Hadrey est résolue à ce que sa maîtresse et sa famille puissent également jouir pleinement de leurs droits.

— J'aurai une liste de choses à te donner, d'éléments à acheter pour redonner vie à cette pièce et la rendre accueillante pour nos futures invitées.
— Oui, Madame.
— Et une fois que nous aurons fini avec cela, nous commencerons à inviter quelques sorcières de confiance à rejoindre notre petit cercle.

Iliana regarde autour d'elle, les yeux brillants d'espoir.

— Bientôt, cette famille sera reconnue à sa juste valeur.

"Les fleurs sécher sur le tombeau
La peur gagner, une fois de trop"
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