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06 sept. 2023, 21:17
 Pas de Trois  Embras{s}er le Carcan
Reducio
Sergei Prokofiev, 11.1945 a écrit :« Je le [Cendrillon, opus 87] composai dans les traditions du vieux ballet classique. »

National Botanic Gardens, Été 2048
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Ces émotions ont-elles un nom
Celles dont nous drapent les Saisons ?

Il avait plu, et de ses cheveux encore humides dégouttaient de petites perles d’eau qui roulaient sur son visage. Sur les fleurs ruisselaient également les vestiges de l’averse. Sur la rose son regard argenté s’était fixé. À la surface des pétales les pointes des cordes célestes s’étaient accumulées, billes en équilibre, comme elles l’auraient été sur un lotus. Immobile, sa mémoire se noyait dans autant de miroirs. Ce n’était pourtant pas souvent qu’une plante ainsi habillée se présentait à sa vue. Elle lui rappelait un conte dont la suite lui était inconnu. Sans doute pas le seul. Cette silhouette pouvait être animée, son imagination se le figurait sans la moindre peine. Elle brillait joliment, éblouie par les rayons qui avaient chassé les nuages, dont l’origine, Soleil, lui firent penser à sa fille dans l’histoire des quatre saisons, tombée sous le charme de chacun des seigneurs et de leurs royaumes. Elle n’avait pas seulement apprécié les descriptions transcrites par Vivaldi, la princesse avait été séduite. Une pluie d’été, une variation pour les génies de l’eau et de la lumière… Iris ? sa tête dodelina en signe de négation, étouffant au passage une vieille impression. Plusieurs… éléments se superposaient, en même temps que des airs estivaux. Au prince du conte se substituait la Fée de Prokofiev, forgée dans la douceur, occultant l’orage, comme pour être capable de nous prendre la main. La magie, tout comme la musique, sont d’émotion. Les saisons devaient l’être, dans la composition. Cette rose, incarnant l’une de leurs facettes, pourrait être la source d’un élégant charme. Qui sait ce que sa baguette dessinerait d’un tel ressenti… À quelques pas se dressait son adelphe-de-cœur, de l’étoffe d’une Fée de l’Hiver, jaugerait Phœbe qui s’interrogeait.

« Ces roses te sont-elles de sensation ou d’émotion »


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Les ressentis humés d’un Parfum
Me sont-ils perceptibles ou défunts ?

Non loin, une rose aux pétales légèrement plus ouverts avait alpagué non point ses Perles-de-Nótt mais son odorat. L’eau permettait aux notes florales de se développer selon une autre intensité. Elle changeait aussi l’empreinte des personnes ; la pluie pouvait autant laver que révéler, transportait en tout cas. Tout coule, ainsi qu’il se disait il y a fort longtemps. La roseraie dégageait de puissantes fragrances qui se mélangeaient densément. Phœbe en contemplation ne lui échappait guère et son menton s’était déjà relevé en sentant son approche. Un discret acquiescement signifia que la question était entendue et une prudente réserve sur la réponse spontanée. La seule voix qu’avaient ces roses était leurs parfums, une carte de visite s’imposant avec plus ou moins de force. La promesse qu’elles étaient réelles, saisissables. Elles étaient encore vives, et Hjúki ne doutait pas que leurs pétales aient le potentiel de diffuser de saisissants profils alors que les enseignements d’Anaël sur l’art de l’infusion pour influencer l’expression des arômes résonnèrent à son esprit. En lui révélant la méthode de préparation du ‘gong fu cha’ connue par ses origines taïwanaises, Hjúki avait pu constater une évolution très concrète des saveurs, nul n’était besoin d’un fin palais pour sentir le goût diffracté en palette. Une expérience essentielle pour mieux comprendre l’instillation du pouvoir dans les potions. Comme les feuilles de thé, les fleurs s’infusaient. Les roses. L’hibiscus. Les pensées… le jasmin. Il arrivait encore qu’éveiller le souvenir de cette dernière signature florale suffise à lui provoquer le haut-le-cœur, comme si le temps s’affairait à la dégradation de cette odeur, la rendant rance. C’était une sensation n’est-ce pas ? Pas uniquement. Physique et de sensation était l’émotion.

« Tu le sais, mais elles ne s’y confineront pas éternellement, je crois. »
ImageRose d’Été fut charmée
Roses d’Hiver infusèrent
Rose de Printemps liant
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La dernière Fée en ce jardin devait être celle du Printemps, née à son équinoxe, qui s’était stationnée sous une composition accolant trois roses sombres dont l’orientation vers le bas rendait le passage de la pluie plus discret. Ce n’étaient pas tant les pétales qui attiraient son attention que la structure grimpante leur ayant conféré assez hauteur pour dépasser sa tête. Bardée d’épines qui contrastaient avec la douceur de l’ornement pourpre. Croyant en la puissance d’éléments combinés et issus d’une même source, Anaël percevait la plante de la racine aux pistils en passant par les défenses entourant ses tiges. Un écrivain conseillé par Hjúki avait prêté en particulier à l’huile de rose des propriétés absolument stupéfiantes, tant qu’après deux imposants volumes, le mystère planait encore sur l’étendue de son empire, et ses réflexions en avaient été fortement intriguées. Le bois était l’une des matières les plus grisantes à travailler et sa présentation des nuances de l’infusion avait si bien imprégné son élève que la proposition de transmettre par d’autres moyens que l’eau ou l’huile – la capacité du gras à extraire les parfums en huile essentielle ne leur été inconnue – le pouvoir d’un ingrédient avait été émise. Bien que certains instruments fussent constitués d’un équilibre de multiples essences de bois, l’idée de l’unité s’était manifestée dans un projet personnel taillé à partir du bois de rosier nourri avec sa propre huile et protégé d’un vernis de rose. Dans sa mise en forme, les mécanismes étaient encore à fignoler, et Anaël espérait terminer un jour un instrument dont les vibrations dessineront aussi bien les émotions que susciteront les sensations dont Phœbe et Hjúki devisaient.