Ma propre humeur me surprenait, ce matin. Elle était d'une rare légèreté, de celle que l'on savoure le plus longtemps possible avant de reprendre le cours normal de la vie. Huit heures tapantes selon l'horloge de mon dortoir et me voilà déjà cinq étages plus bas, à m'assoir sur la margelle de la fontaine, le centre de tous les regards.
Le dimanche se trouve être le jour parfait pour m'entraîner à mes sortilèges. À la vérité, chaque jour peut s'incarner en jour idéal pour cela ; ou bien est-ce la pratique des sortilèges qui rend ma journée un peu plus parfaite ? Toujours est-il que la Cour dans laquelle je me trouve s'est enlisée dans un calme imperturbable, une sorte de répit général bien mérité après les relâchements qui sont toujours de mise un samedi soir. Seul l'écoulement lent et régulier de l'eau de la fontaine vient rythmer le temps que l'on ne verrait pas passer, autrement, faisant presque respirer ce lieu si paisible. Et je compte bien mettre à profit ces instants suspendus pour m'améliorer autant que possible avant que mes cours ne reprennent.

Une irrésistible envie de nouveauté, teintée d'hardiesse, me pousse à sortir de ma zone de confort pour ce qui est de mes sorts, aujourd'hui. Ainsi campée près de l'eau, respirant l'odeur si caractéristique de la fraîcheur matinale, je me sens automatiquement inspirée par la magie naturelle. Ses sortilèges sont pourtant bien loin de mon domaine de prédilection : moi, je préfère les maléfices et autres tours que je peux jouer à qui s'y laissera prendre. Mais ce matin, c'est la métamorphose qui a ma faveur. Rien qu'à l'idée des possibilités qu'elle offre, je pourrais tressaillir d'impatience.
De ma sacoche posée à mes pieds, je tire un petit bocal qui n'en est pas à sa première utilisation. L'expérience m'a appris qu'il faut toujours avoir un bocal avec soi, on ne sait jamais quand on pourrait s'en servir. D'un geste, je le plonge dans le bassin de la fontaine avec précaution, l'eau glacée venant me piquer la peau et réveiller mes doigts, avant de l'en extraire. Satisfaite, je fais tourbillonner le précieux liquide avant d'extirper ma baguette des plis de ma robe. La hâte me bouscule le cœur, et je tourne mon imagination et mes pensées vers mon seul objectif, celui de voir ma métamorphose réussir, tandis que je formule résolument « Solidus Fieri ».

Je ne suis pas peu fière de sentir l'eau refroidir, au contact du verre de mon petit récipient, et d'assister à sa solidification progressive. Pour autant, les exigences scolaires me poussent à voir que mon sort pourrait être plus réussi, plus fulgurant et plus net encore ; mais n'ai-je pas tout le temps du monde pour y remédier ?

Quelle belle journée qu'aujourd'hui ! En plus, c'était un dimanche. Et enfin, Narcisse en avait terminé avec son repos ! Enfin, pas tout à fait. Et puis, personne n'avait décidé qu'il en avait eu assez, du repos. C'était lui, qui, tout seul, s'était regardé ce matin dans le miroir, avant de se désigner de l'index pour se dire : "Tu t'es assez reposé, allez, au boulot !" Comme un taré qui se parle tout seul... En plus, un petit mois de repos, on pourrait penser que ce n'était pas assez pour lui. Surtout s'il comptait reprendre son rythme d'auparavant ! Quel débile profond celui-là, je vous jure... Il n'avait RIEN retenu du laïus que lui avait fait Adaline. Mais bon, espérons que les vacances arrivant à grands pas lui permettent d'approfondir cette capitale leçon...

Mais en attendant, le voilà prêt à en découdre, habillé de son t-shirt noir de compression, de son jogging, son étui à baguette équipé de son catalyseur, en direction du parc ! Il était déjà en train de s'échauffer les épaules, réfléchissant aux milliards de possibilités qui s'offraient à lui. Peut-être qu'il pourrait reprendre la lévitation de l'eau ? Ou alors, peut-être qu'il pourrait travailler son endurance magique ?

Tandis qu'il réfléchissait, il profitait de la vue offerte par la cour, l'un de ses endroits préférés.

Des élèves qui se reposaient, d'autres qui lisaient, encore d'autres qui semblaient se chamailler, une qui changeait de l'eau en glace, d'autres qui... Oh, hey !

Ses pieds dérapèrent sur le sol, il fit un pas en arrière !

"Hein ?!"

Il ne rêvait pas ! Son index se leva de lui-même en direction du bocal, tandis que son esprit et son cœur fourmillaient de milles idées et de milles pensées. Comment elle faisait ça ?! C'était quoi ce sort ?? Il avait pas bien entendu ! Au diable l'entraînement, sa passion dévorante pour la magie venait de toquer à la porte, à table !

Sans y penser à deux fois, ne serait-ce qu'une seconde, il se précipita vers la Gryffondor, un immense sourire et le haut des joues rouges, une drôle de lueur au fond de ses yeux noirs.

"Yoo ! Euh, purée, c'était quoi ça ?! Comment t'as fait ??"

Ses yeux balayèrent le bocal sous tous les angles, sa folie passionnelle et son manque de rigueur dans la pratique des conventions sociales prenant le dessus. Il essaya de regarder en dessous, son sourire de plus en plus grand, de plus en plus fasciné, incapable de s'arrêter de penser une seule seconde, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer un million de théories !

"C'est Gelo ?! J'croyais qu'ça faisait un bloc de glace ! OOoh, purée !"

Il allait finir par tourner de l’œil celui-là, s'il ne respirait pas un peu...

Tout doucement, un ultime filet d'eau vient se cristalliser sous l'effet de mon sort. Je le fixe intensément, comme s'il pouvait m'apprendre quelque chose qui ne serait pas marqué dans mes cours. Inclinant la tête et le bocal pour étudier de plus près ce que ce dernier renferme, je me dis qu'il faudrait peut-être noter quelques observations pour mieux m'en souvenir plus tard. Dans mon sac, le bocal a traditionnellement pour voisin un petit carnet qui a lui aussi prouvé sa valeur un certain nombre de fois. Mais avant que je n'esquisse ne serait-ce qu'un geste en direction de ma sacoche, une exclamation m'arrête et me fait me tourner vers son propriétaire. Une sorte de tourbillon jaune et noir, qui s'apparente visiblement à un élève, plus jeune que moi. En un clin d'œil, le voilà qui examine mon ouvrage et multiplie les cris de surprise.

Son énergie me laisse sans voix, et tranche crûment avec le calme qui m'avait jusqu'ici enveloppée. Je peine à savoir si je suis davantage ébahie ou amusée par le manège qui se joue devant moi, par toute l'agitation qui enflamme ce gamin et par les mots qu'il me balance. Je me rends compte que ce sont des questions, et que je ferais mieux d'y prêter attention au risque de subir une nouvelle salve de phrases aux intonations aussi singulières que ce garçon.

D'ordinaire, je ne me serais pas gênée pour repousser un tel inconnu. L'intervention sonnait un peu comme une intrusion dans la bulle de concentration que je m'étais soigneusement créée ce matin. Mais face à son enthousiasme déclenché par un de mes propres sorts — c'est-à-dire, quelque chose dont je peux m'enorgueillir —, je décide de ne pas m'en formaliser et d'avoir un peu plus de curiosité à son égard, comme il le fait pour moi.
Je cligne des yeux, deux ou trois fois, laisse échapper un petit rire amusé et me fends d'un sourire sincère.

« Ça, c'était pas Gelo mais Solidus Fieri. J'ai vu ça en début d'année. »

Je me retiens d'ajouter que Gelo n'est pas encore de mon niveau, ou que la métamorphose élémentaire n'est pas à proprement parler mon point fort ; après tout, il ne sert à rien de lister mes lacunes devant lui, dont la fascination emplit encore les yeux.

« Je peux faire l'inverse aussi, et redonner un état liquide à toute cette glace. Ou transformer l'eau en un autre élément ; ‘fin, ça c'est plus dur et je m'y entraîne encore. La mine intriguée, j'ajoute : Tu t'y connais un peu en Métamorphose ? »

S'il n'était qu'un de ces simples dilettantes émerveillés pour un rien, la discussion allait bien vite retomber. Mais s'il était véritablement intéressé par toutes les prouesses que pouvait réaliser cette branche de la magie, c'était une autre affaire.

Le visage de Narcisse se mit à fixer en s'illuminant lorsqu'elle lui expliqua quel sort elle venait d'utiliser. Soit-dit en passant, le garçon s'était bien planté. Il ne voulait pas parler de Gelo, mais de Glacius... Aïe, coup dur pour celui qui espère un jour maîtriser tous les sorts existants. Mais sa fascination ne connaissant pas de limites, le sourire qui éclaira de nouveau son visage traduisit tout son intérêt explicite, et il écarquilla de grands yeux.

"Ooooh ! Solidiu... Solu... Fieri ? Attends !"

Un clignement de paupières, il prit une grande inspiration pour redescendre. Allez, fais un effort, t'es techniquement l'un des meilleurs élèves de ta promotion en sortilèges et en Défense, alors sérieux tu vas pas bafouiller juste sur une pauvre formule ! Un raclement de gorge.

Le temps qu'il réfléchisse, il laissa donc parler son aînée pour lui expliquer en quoi consistait le sort, et son émerveillement ne fit que grandir démesurément. Modifier l'état des matières ?! Wow. Mais purée, c'est complètement ouf ! Il hocha timidement la tête en haussant les épaules.

"Mh, c'est pas ma matière pref, mais Adaline m'aide beaucoup ! Et waaah, purée c'est trop trop cool ce sort ! Genre, tu peux contrôler les éléments ?! Par contre j'comprends pas... Y'a une différence entre Gel... Oh, putain, Glacius, j'voulais dire, pardon, et c'sort ?"

Il plaqua ses mains sur sa bouche, un petit rire embarrassé le secouant alors que le rouge envahissait le haut de ses joues. Son esprit avait encore tendance à lui jouer des tours en pensant bien trop vite pour lui. Et plus particulièrement lorsqu'il s'emballait de cette manière !