La forêt d'un noir presque absolu s'étendait à perte de vue. Quel intérêt d'avoir créé un endroit si attirant s'il nous était impossible de seulement y poser le pied ? Pourquoi l'avoir laissé à la tentation du regard, si ce n'était pour pousser les élèves à succomber à celle de la visiter, au moins une fois ?

Klee poussa un couinement intrigué, avant de se retourner vers son humain de compagnie, hésitante à faire un pas supplémentaire vers la rive. Narcisse s'était assis sur la berge, les genoux soutenant le poids de son menton, ses bras entourant ses jambes. Il contemplait la forêt interdite dans un silence assez rare chez lui, et une fascination qu'il ne saurait pas expliquer. Pourtant, cet endroit était dangereux, mortel même, et surtout, parfaitement interdit, comme son nom l'indiquait. Mais... Au contraire, tous ces éléments n'avaient l'air que de contribuer à faire mourir d'envie Narcisse d'y aller.

D'un geste nonchalant, il caressa la tête de Klee qui se frotta à ses doigts avant de s'y accrocher pour escalader jusqu'à son épaule. Elle s'y installa confortablement et rejoignit son humain de compagnie dans sa contemplation silencieuse, d'un air blasé. Il secoua la tête en rigolant.

"En vrai, c'est pas si loin... Genre, un p'tit peu de nage, et hop..."

Il plissa les yeux, sentant un picotement à la base de sa nuque se répandre dans sa poitrine et dans ses jambes. Le fourmillement caractéristique de l'adrénaline. Vraiment, peu importe ce qu'il risquait, ça ne pouvait qu'en valoir le coup !

Cette après-midi, Orlaith était dans le Parc. Bon, en fait, elle était tout le temps dans le Parc... Ou presque, elle y était dès qu'elle pouvait, dès qu'elle avait une minute de répit pour se faire plaisir et aller courir, grimper ou jouer. Le Parc, c'était un peu sa bulle d'air dans Poudlard, le seul espace dans lequel elle se sentait encore un peu à sa place et qui l'empêchait de passer ses journées à ruminer des pensées noires.
Cette fois-ci, elle était toute seule et elle marchait calmement. Le soleil était masqué par quelques nuages mais il faisait plutôt beau, et elle profitait de la douceur pour réfléchir un peu. Avec la fin d'année et les examens qui approchaient, son entourage s'était considérablement réduit. Beaucoup de ses amis étaient déjà enfermés à la bibliothèque dès que possible pour potasser leurs révisions, rien de très enchantant...

Alors comme souvent, dès qu'elle apercevait l'étendue d'arbres si sombre au lointain, elle n'avait qu'une envie : s'échapper. Prendre son sac à dos, y fourrer quelques vêtements, enrouler Telio autour de ses épaules et partir. Découvrir la si fantasmée Forêt Interdite, de l'autre côté du Lac. Si elle était interdite, c'est que personne n'y était jamais allé, non ?! Et si personne n'y était allé, c'est que tout était à découvrir... Alors peut-être qu'elle serait la première !
La grande exploratrice, celle qui braverait les dangers de la Forêt pour découvrir ce qui s'y cachait vraiment ! Si proche de Poudlard... C'était quand même bizarre qu'elle soit si inconnue. Une preuve de plus que c'était tous des pleutres, planqués dans leur château aux grandes murailles, bien loin des aventures et des mystères.

Alors, comme guidée par ses pensées, sans même réaliser ses gestes, la fillette avançait. Vers le Lac, vers la Forêt, loin du Château. Comme elle aurait envie de se jeter dans l'eau, de nager le plus loin possible jusqu'à atteindre l'autre rive... Mais ?! Est-ce qu'elle avait pensé à voix haute ?! Une phrase venait de sortir de nulle part, une phrase qui résumait exactement les pensées de la Gryffone.
Alertée, sortie d'un coup de ses pensées, elle se retourna brusquement. Sur sa gauche, rien... Sur sa droite, rien... Elle ne l'avait quand même pas imaginée, cette voix ?! Ce n'était pas vraiment la sienne ?! Elle baissa alors les yeux, cherchant à tout prix qui s'était immiscée dans ses élucubrations. Et là, sur l'herbe, au bord de l'eau, elle découvrit Narcisse. Narcisse...

Mais qu'est-ce qu'il faisait là ?! Et pourquoi est-ce qu'il venait de sortir à voix haute - alors qu'il était tout seul - un parfait résumé des pensées de la rouquine ?! La situation était tellement imprévisible, tellement étonnante qu'elle éclata simplement de rire. Un rire haut et clair, sincère et amusé. Étonnant... En même temps, de la part de Narcisse, pas tant que ça ! Après tout, le Poufsouffle était le premier à faire exactement ce qu'on attendait pas !
Elle se laissa doucement tomber à ses côtés, s'asseyant en tailleur. "Et bah Narcisse, on rêve de s'échapper ?" Son regard dériva à nouveau vers la Forêt Interdite, laissant un cours silence... A moitié dans ses pensées, presqu'en murmurant, elle continua. "On s'y prend comment, tu penses ? On saute dans le Lac et on traverse ? J'espère qu'il fait pas trop froid, là-bas..."

"Ih !
— Scouic !"

Partageant une surprise commune en entendant le brusque éclat de rire d'Orlaith, Narcisse et Klee tressaillirent à l'unisson. Si la petite boule de poils se tourna d'un bond pour faire face à la menace en montrant ses petites quenottes et en se campant sur ses petites pattes, Narcisse se contenta de manquer de basculer en arrière d'effarement. Ses yeux écarquillèrent se posèrent sur son amie, sa main se plaqua sur sa poitrine, sa bouche laissa échapper un petit soupir de soulagement.

"Wah, tu m'as fais peur héhé !"

Son sourire devint plus doux lorsqu'elle s'assit à côté de lui. Imperceptiblement, il abaissa le regard au niveau du sol, ignorant Klee qui frottait ses pattounes sur son épaule, comme prête à charger violemment. Mais Narcisse était trop absorbé par l'instant présent, le frisson partagé. L'écho que ses envies trouvaient chez sa camarade, son impulsivité renouvelée, il ne put que suivre son regard en direction de la forêt sombre et attirante.

À l'écoute du murmure d'Orlaith, il pencha la tête vers elle, son attention captée entièrement, écoutant le moindre de ses mots, suspendu à ses lèvres. Peut-être disait-elle cela pour plaisanter, mais pour Narcisse, les dires de la jeune fille résonnèrent bien trop sérieusement pour son propre bien.

"Mh..."

L'ongle de son pouce trouva le chemin de ses dents. Son regard était rivé sur l'eau calme et noire, fixant l'abîme, qui l'attirait comme un aimant. La pointe de sa baguette glissa pour effleurer la surface du lac, créant un remous s'étendant silencieusement, dans un petit bruit d'eau calme.

"Si on laisse les vêtements ici, on peut traverser et les faires venir à nous, et comme ça on aura des vêtements secs..."

Il ne voulait pas vraiment discuter de cette possibilité, disons qu'il était davantage en train de penser à voix haute que réellement émettre une hypothèse. Sa tête hochait doucement dans le vide, ses doigts frottant le bas de son visage distraitement.