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27 oct. 2023, 11:32
La Scierie  solo 


Samedi 3 octobre 2048
1ère année à l'AESM



Quelle drôle d’idée de faire une réunion étudiante après le repas du soir. Les couloirs sont silencieux, les professeurs ont regagné leur appartement au deuxième étage. Derrière les fenêtres, la lune est haute et le ciel obscur. Je me presse pour rejoindre le hall, lieu du rendez-vous.

En rentrant dans ma chambre un soir, j’ai découvert posé sur mon bureau un parchemin sur lequel était inscrit : « Réunion étudiante le jeudi 28 septembre ! Rendez-vous dans le hall à 20 heures ». Étaient listés à la suite toutes sortes d’informations, dont deux qui ont retenu mon attention. La première disait que les étudiants intéressés par les cours des plus anciens ou par les notes des promotions précédentes avaient tout intérêt à venir — je me suis sentie très concernée. La seconde n’était pas à proprement parler une information, plutôt un élément magique intégré au flyer : dans le coin supérieur droit se trouvait un dessin brouillon ressemblant, on ne pouvait en douter, à un Pitiponk — sa lanterne palpitait comme un coeur blessé et le sourire de la créature était espiègle. Je me suis demandée ce que fichait là un tel dessin mais puisque ce genre de préoccupation ne me passionne pas particulièrement, j’ai remisé ces questions dans un coin de ma tête et j’ai continué ma vie. Jusqu’à ce soir, heure de ladite réunion.

En arrivant dans le hall dans lequel attendent quelques dizaines d’étudiants de toutes filières confondues, je me demande une nouvelle fois qui a eu l’idée d’organiser une telle réunion à cette heure de la journée. Je me faufile entre les élèves et vais m’adosser au mur, légèrement en retrait. La plupart des jeunes gens chuchotent entre eux, un sourire heureux sur les lèvres. J’en reconnais plusieurs. J’ai également l’immense regret d’apercevoir cet abruti de Jones dans la foule et, oh surprise, Ashley Rockfield qui, lorsqu’elle croise mon regard, me fait l’honneur d’interrompre sa passionnante discussion avec ses amis pour m’accorder une œillade incendiaire à laquelle je réponds par un haussement de sourcils. Qui aurait cru qu’elle serait intéressée par une telle réunion ?

L’attente dure une poignée de minutes. Je repère rapidement les élèves en charge de la réunion. Ils sont postés vers les portes et ils transpirent la confiance — tous en seconde année, j’en mettrais ma main à couper. Ils ont la même arrogance naturelle que certains joueurs de Quidditch, à Poudlard. Lorsque le flux d’élèves cesse de s’écouler de l’espace de vie, ils s’avancent vers le troupeau — les étudiants, donc, n’allez pas croire que je me compte avec eux. La plus grande lève la main pour attirer l’attention ; port altier, cascade de cheveux bruns, yeux en amande brillants comme une lune obscure, un sourire éclatant : le silence se fait rapidement.

« Merci d’être venu pour la réunion ! Je suis Alison Adler, seconde année dans la filière enseignement, et c’est moi votre hôte, ce soir. »

Elle contrôle le ton de sa voix, celle-ci coule dans le hall comme du chocolat chaud. Elle fait partie de ce genre de personne qui s’exprime avec une aisance insolente. Ce n’est pas étonnant qu’elle soit en charge de la réunion, même si elle n’a pas le profil de l’élève sérieuse qui s’intéresse au bien-être de ses camarades.

« On va se rendre sur le lieu de la réunion, dit-elle en échangeant un drôle de sourire avec ses camarades. Vous connaissez la chanson : on ne crie pas dans les couloirs, on aura bien le temps de se défouler après. »

Ah bon ? me dis-je en me décollant du mur, se défouler en exigeant de recevoir une copie des fiches des élèves des promotions antérieures ? Décidément, c’est bien différent de Poudlard. Si j’étais un peu dubitative en avisant le comportement des organisateurs, je suis désormais rassurée : ici, les gens sont sérieux, ils sont là par choix, après tout. Ils ont choisi d’étudier, ils ont choisi d’apprendre et de tout faire pour réussir. Je suis la foule qui se masse derrière Adler sans chercher à étouffer le sentiment d’excitation qui me retourne le cœur — un sentiment qui coule dans mes veines et qui ressemble à s’y méprendre à du bonheur. Je ne pensais pas éprouver un plaisir aussi grand d’être étudiante dans cette école.

À mon plus grand étonnement, Adler ne se dirige pas vers l’intérieur de l’école, plutôt vers l’extérieur. Elle pousse les deux grandes portes et disparaît dans la nuit épaisse. Les étudiants la suivent plus ou moins lentement ; si certains n’ont pas l’air inquiets, d’autres se jettent des regards en coin, semblant se demander pourquoi la réunion a lieu dehors en ce début de mois d’octobre alors que la nuit est déjà tombée. Mais personne ne nous laisse le temps de nous questionner. Échelonnés tout le long de la file que nous formons, les organisateurs nous pressent. « Allez, on se bouge, avancez ! ». Toujours à mi-voix, comme s’ils avaient peur de réveiller les fantômes pourtant inexistants du bâtiment. Je me laisse porter par le flot en vérifiant machinalement la présence de mon carnet et de ma plume dans ma poche.

Dehors, le ciel est dégagé. Les étoiles picorent la toile obscure que la Voie Lactée déchire en plein milieu, trace brillante qui attire de nombreux regards, dont le mien. Au loin, derrière les parterres de fleurs et les fontaines, après le long chemin qui mène au portail, derrière les barrières marquant la limite de l’enceinte du domaine se dessinent la silhouette sombre des arbres qui s’agitent sous le vent.

La foule s’entasse sur le chemin. Je m’éloigne des autres élèves, mal à l’aise au milieu de la foule, et attends patiemment qu’il se passe quelque chose. Je présume que nous allons faire le tour du bâtiment, peut-être pour atteindre une salle désaffectée dont je n’ai jamais entendu parler. Nous n’allons pas rester là, non ? Je sens déjà le froid s’infiltrer sous ma robe de sorcière. Je regrette de ne pas avoir pris de cape épaisse, de manteau et d’écharpe. Étonnement, je suis l’une des seules à ne pas y avoir songé. Les autres étudiants ont des bonnets et des capes d’hiver, ils sont bien au chaud et ils sont aussi excités qu’avant un événement sportif. Ce n’est pas à Poudlard que les élèves auraient été ravis d’assister à une simple réunion d’élèves. Je me demande si nous évoquerons les examens. J’ai quelques questions à poser à propos des modalités ; peut-être pourra-t-on aussi m’informer à propos du projet personnel que je dois rendre ? Ce que j'ai appris durant les cours n’a pas suffit à contenter ma curiosité — j’ai envie de commencer à y travailler dès à présent ; il ne sera jamais dit qu’Aelle Bristyle rendra un projet inintéressant !

Je tape des pieds sur le sol pour me réchauffer, les mains cachées sous mes aisselles et le regard braqué sur le sourire d’Alison Adler qui piétine devant un parterre de fleurs comme si Merlin lui-même allait… Au moment même où je formule cette pensée moqueuse, j’ai l’immense surprise de voir le parterre de fleurs tout entier se soulever. Oui, le parterre de fleurs, avec les pensées, les marguerites, les chrysanthèmes et autres asters et bruyères. L’ensemble, fleurs et monceaux de terre, se soulève pour dévoiler une cavité obscure dans le sol. À l'image d’un bon nombre d’étudiants, j’écarquille les yeux. Je ne savais pas que l’Académie avait également ses passages secrets, mais comment aurais-je pu le savoir ? Si je connaissais les secrets de Poudlard, c’était grâce à mes frères. Mais l’AESM… Ce n’est pas Sarah Priddy qui m’aurait dévoilé ses secrets, n’est-ce pas ?

Du trou dans le sol sort un jeune homme, hissé vers la terre ferme pas sa camarade. Il lui chuchote quelque chose à l’oreille et la tapote plusieurs fois sur l’épaule en sautillant, aussi excité qu’un gamin le jour de Noël. Je me tourne vers l’école et ses fenêtres obscures. Pourquoi ne pas avoir fait la réunion là-bas ? Je fronce les sourcils et enfonce les mains dans mes poches en m’efforçant de repousser la soudaine appréhension qui m’envahit.

Le sourire d’Alison Adler se fait mutin lorsqu’elle se tourne vers nous.

« Vous venez ? » fait-elle avant de sauter dans le vide d’un bond gracieux, ses long cheveux comme une vague brune dans son dos.

04 nov. 2023, 10:53
La Scierie  solo 
Les autres premières années hésitent un peu mais il ne leur en faut pas beaucoup plus pour sauter à la suite d’Adler sans retenir leurs gloussements. Je vois Rockfield suivre sans la moindre crainte, comme si elle avait fait ça toute sa vie — non, comme si elle avait attendu ça toute sa vie. Ce n’est pas parce que j’ai peur que je ne m’approche pas du trou, mais parce que je suis suffisamment futée pour comprendre qu’il se passe quelque chose d’étrange ce soir. Une réunion dans un passage secret ? Quoi, les salles de classe ne sont pas assez bien pour la bande populaire de l’AESM, c’est ça ? Les chaises, c’est dépassé, ils préfèrent les souterrains obscurs et glauques ? Si je suis méfiante, ce n’est pas à cause de cette histoire de passage secret — dont la découverte m’a plus réjouie que dérangée. C’est parce que les étudiants à l’origine de cette réunion ne semblent pas bien différents de tous les jeunes gens que j’ai fréquentés jusqu’ici : frivoles et exubérants. Et je sais très bien où peut mener la frivolité et l’exubéran—

« T’es pas au courant, hein ? »

Une grande main se pose sur mon épaule. Je me dégage aussitôt, l’air revêche. Il me faut tordre la nuque pour regarder le garçon dans ses yeux brillants de malice. Son immense sourire amusé est comme une insulte à ma surprise, même si je ne peux nier qu’il n’y a rien de franchement malveillant sur ce visage-là. Il lève aussitôt les deux mains en l’air en marmonnant des excuses. Je me décale de lui d’un mètre en lui lançant un regard noir, tout en continuant d’avancer quand la file me le permet.

« Au courant de quoi ? marmonné-je malgré moi.
La lanterne du Pitiponk, tu ne l’as pas vue ? »

Je lui lance un regard en biais ; il me regarde curieusement, les mains cachées dans les poches de sa lourde cape épaisse qu’il a eu l’idée de prendre, lui. Je dresse le menton dans un mouvement sévère.

« La quoi ?
Le Pitiponk, dans le coin à droite ! C’est le signe. »

C’est la chose la plus idiote que j’ai entendue de la journée et je le lui signifie en arquant très haut les sourcils sur mon front.

« Le signe de quoi ? me moqué-je. Que celui qui a fait ce flyers a vraiment des goûts douteux ?
Eh vous deux, bougez-vous ! »

L’un des organisateurs nous intime de nous presser d’un geste de la main. Le garçon me fait une grimace désolée avant de se précipiter pour sauter dans le trou. Je laisse quelques élèves passer devant moi avant de suivre en ressassant les paroles de l’immense étudiant. Le Pitiponk serait donc un signe. Dans mon monde, ce ne sont que des créatures que l’on a pas envie de croiser en se promenant dehors la nuit ; une créature des marais, d’ailleurs. Il n’y a pas de marais au Pays de Galles, qu’est-ce que je suis censée comprendre de tout ça ?

Ma patience est déjà sérieusement entamée lorsque j'atterris sur le sol en terre battue de ce qui est clairement et sans aucun doute un passage secret dont le boyaux terreux s’enfonce au loin devant moi. La plupart des élèves sont partis, menés par l’un des organisateurs. Le visage d’Adler apparaît dans la pénombre lorsqu’elle lève sa baguette magique pour refermer le passage secret. L’obscurité qui nous entoure disparaît lorsque l’étudiante lance son Lumos ; sa silhouette se découpe en ombres chinoises sur les parois du passage. J’allume également ma baguette en lui jetant un regard en coin ; elle m’encourage d’un signe de tête à avancer. À une dizaine de mètres devant moi, le grand garçon est obligé de se courber pour ne pas se cogner la tête au plafond — il en rigole avec son amie qui le tire par le bras pour le faire accélérer.

Perturbée mais bien forcée de bouger pour ne pas céder à l’envie de faire exploser l’ouverture du passage secret afin de retrouver l’air libre, je m’enfonce dans le boyaux, la baguette vaguement levée devant moi et les sourcils froncés. Mon appréhension s’est transformée en quelque chose de plus vil : maintenant, je sais que quelque chose ne va pas et qu’il n’est absolument pas question d’une réunion sérieuse et studieuse. Mais je ne sais pas de quoi il est question exactement et cela me dérange tellement que j’en viens à douter des bons sentiments d’Adler, que je ne connais ni de Morgane ni de Merlin donc, qui marche derrière moi. Je me décale pour la laisser passer. Elle hausse les sourcils, puis les épaules, et passe devant moi. Mais je vois bien qu’elle me surveille du coin de l'œil, comme si elle s’attendait à ce que je m’enfuis en courant. Je ne compte pas m’enfuir, mais j’ai besoin de l’avoir sous les yeux. On ne sait jamais.

Cinq minutes que nous marchons et le tunnel se poursuit encore devant nous. La silhouette du grand garçon est visible devant, grâce à la lueur de sa baguette magique. Des éclats de rire surexcités me parviennent de loin, preuve que les étudiants qui me précèdent ne se sont pas fait mortellement blesser par quelques ravisseurs. Cela devrait me rassurer, mais c’est loin d’être le cas. Je rumine dans mon coin, incapable d’ouvrir la bouche pour questionner la fille nonchalante qui marche à mes côtés comme si le tunnel lui appartenait — sa confiance m’agace, après tout elle est responsable de ma présence ici en quelque sorte.

08 nov. 2023, 11:16
La Scierie  solo 
C’est elle qui prend la parole en premier, alors que je suis concentrée sur mes pieds pour ne pas trébucher sur une racine. J’étais en train de calculer la distance qui nous éloigne de l’école et de me dire que nous devrions être sous la forêt lorsqu’elle se tourne vers moi, toujours ce sourire mutin aux lèvres qui me rappellent toutes les écervelées que j’ai pu côtoyer à Poudlard et que j’ai détestées. Celle-là cependant ne me rappelle rien — de combien d’années est-elle mon aînée ?

« C’est bien Bristyle, ton nom ? »

Alors celle-là, je ne m’y attendais pas. La surprise doit se voir sur mon visage car elle éclate de rire et hausse les épaules d’un air désinvolte qui me révolte.

« Il n’y a pas beaucoup d’étudiants ici. N’espère pas passer inaperçue alors que tu te promènes avec un renard bleu et un esprit oiseau, » me confie-t-elle en me gourmandant d’un regard complice.

Je ne retiens pas le soupir profond qui traverse mes lèvres. Zikomo, bien sûr. J’ai tendance à oublier que sa présence à mes côtés ne m’aide pas à être discrète. Je regrette d’ailleurs qu’il ne soit pas là ce soir, mais quand j’ai quitté le dortoir il dormait paisiblement et je n’ai pas eu le cœur de le réveiller pour une simple réunion — réunion mon cul, ouais.

« Et c’est mon job de vous connaître plus ou moins, poursuit Adler en passant la main dans ses cheveux.
Ah ton job, marmonné-je sur un ton froid, et c’est ton job aussi de nous emmener dans un tunnel glauque sans nous prévenir ? »

Elle éclate une nouvelle fois de rire, la main plantée sur la hanche, ce qui me fait lever les yeux au ciel.

« Oui, c’est aussi mon job, mais je vous avais prévenu.
Ouais, la lanterne du Pitiponk…, soupiré-je d’une voix amère.
Mais je suppose que tu ne connaissais pas encore le code ? »

Elle pose la question sans vraiment le faire ; elle sait déjà que je n’étais pas au courant et je me sens complètement idiote de ne pas l’avoir été, d’ailleurs.

« On en a tous les ans. Même si la plupart du temps l’information passe plutôt bien. C’est fou comme les étudiants peuvent être au courant de ce genre de choses alors qu’ils sont incapables de connaître leurs cours, hein ? »

Je la trouve particulièrement déplacée de dire une telle chose alors qu’avec un tel comportement cela ne m’étonnerait pas qu’elle soit tout aussi paumée que les autres en cours. Après tout, ce ne sont pas les étudiants les plus vifs qui organisent des événements étranges en les faisant passer pour des réunions d’élèves. Le souvenir de ladite réunion qui, je l’ai compris, n’aura jamais lieu, est aussi douloureux que si je me recevais un coup de poing dans l’estomac : et mes fiches des anciens élèves, alors ! et mes questions à propos du projet personnel ? Bordel, j’étais censée passer une soirée studieuse, qu’est-ce que je fiche ici !

Je ne suis soudainement plus capable de me retenir. Je foudroie Adler du regard, laquelle ne remarque rien, trop occupée à parcourir le tunnel comme si elle traversait le Ministère de la magie lui-même.

« Bon, on va où, là ? C’est quoi tout ce bordel ?
On va à la Scierie, répond Adler sans se formaliser de mon ton. C’est un bâtiment abandonné dans la forêt. On s’en sert pour nos rassemblements. »

Je m’arrête au beau milieu du boyaux terreux. Je ne sais pas à quoi je m’attendais. À vrai dire, je crois que je m’attendais à rien. Et que veut-elle dire par rassemblement ? Rassemblement pour quoi ? Une petite voix me souffle que ce n’est pas pour parler des cours ou se partager des fiches.

Adler soupire ; voilà qu'elle fronce les sourcils en s’arrêtant à quelques pas de moi. Je me sens comme une nouvelle étudiante maladroite qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Oh, Merlin, je suis une nouvelle étudiante maladroite qui ne comprend pas ce qui lui arrive ! Cette image me déplaît particulièrement. Je me tricote un masque ennuyé sur le visage en reprenant ma route, bien déterminée à faire au moins semblant de ne pas être si maladroite que ça.

« C’est pour ça le Pitiponk, précise la seconde année en m’emboîtant le pas.
C’est pour ça quoi ?
C’est un genre symbole utilisé dans les facultés de Grande-Bretagne, peut-être même ailleurs pour ce que j’en sais, pour que les étudiants communiquent entre eux.
Ils peuvent pas utiliser leur langue ? répliqué-je sur un ton agacé.
C’est un code ! ricane Adler. Le but c’est qu’on le remarque pas. C’est comme ça qu’on a prévenu les étudiants de l’AESM que la soirée s’organisait ce soir. Comment tu penses qu’ils l’auraient su, sinon ? Tu crois que les profs nous laisseraient organiser ce genre de choses sur le domaine ? »

M’est avis que si ce qu’ils voulaient organiser n’était pas moralement discutable, ils n’auraient pas besoin de s’en cacher. Je garde cependant cette remarque pour moi, persuadée qu’Alison Adler ne saura pas l’écouter. Elle hâte le pas et je me trouve forcée de la suivre. Une part de moi reste curieuse de découvrir ce qui se trouve au bout du chemin, même si je sens que je vais rapidement regretter le calme et le confort de ma chambre.

« Tu n’as pas à t’en faire, me lance-t-elle en me jetant une œillade par-dessus son épaule. Il se passera rien d’étrange. Juste… » Elle se grime une grimace qui ressemble plus à un sourire moqueur mal retenu. « Si tu vois passer des patacitrouilles… Évite d’en manger.
Je ne m’en fais pas, » marmonné-je en fusillant son dos du regard et en me demandant ce qui cloche avec les patacitrouilles.

Mais déjà elle ne m’écoute plus, et pour cause : nous arrivons au bout du tunnel. Je vois le grand garçon à la tignasse brune et aux yeux brillants franchir un mur de terre et disparaître. Adler me fait signe de le suivre. Je ferme les yeux avant de percuter la surface mais dès que je les rouvre, je me trouve au cœur de la forêt de Cwm Rhaeadr. Je me décale pour laisser passer l’étudiante de seconde année, le regard braqué sur le paysage qui s’offre à moi.

08 nov. 2023, 15:16
La Scierie  solo 
La silhouette des grands arbres envahis de végétation m’apparaît nettement malgré la nuit qui règne : une lumière diffuse s’échappe d’un immense bâtiment que l’on ne s’attendrait pas à trouver dans un tel endroit. Il a tout l’air d’une vieille bâtisse abandonnée. Ses murs sont décrépis, abîmés, fissurés, recouverts de lierre et de mousse qui grimpent à certains endroits jusqu’au toit étroit que je discerne mal dans l’obscurité. Il semble plus long que large, il traverse la forêt comme une fissure. Ses grandes fenêtres aux multiples carreaux sont en verre fumé, si bien que je n’aperçois rien de l’intérieur si ce n’est cette lumière qui clignote de rouge, de bleu, de vert et de jaune. À une dizaine de mètres de la sortie du tunnel se trouve l’entrée : une large porte par laquelle se déversent les étudiants, dans un sens comme dans l’autre. Ils ont tous l’air réjouit ou pire : heureux, survolté, excité. Je reconnais le garçon qui a surgit du parterre de fleurs ; il fait le pied de grue devant la porte et parle aux étudiants. Mais quand il aperçoit Alison Adler, il les abandonne pour l’appeler d’un grand geste du bras. La fille se tourne vers moi — elle retient au dernier moment un mouvement et je me demande si elle avait l’intention de me tapoter l’épaule comme à une vieille amie.

« On y est, fait-elle. Essaie de t’amuser, Bristyle, c’est pas aussi terrible que tu le penses. Mais vraiment, évite les patacitrouilles ! »

Elle me crie ces derniers mots en rejoignant son ami dans une bonne foulée. À croire qu’en me répétant encore et encore cette mise en garde, elle cherche davantage à me donner envie de goûter à ces friandises que de m’empêcher de le faire.

Je me retrouve seule dans mon coin de forêt, encerclée par les arbres et par les bruits de la nature dans mon dos. Quand je me retourne, je ne vois plus aucune trace du passage secret. Le sol est plat et devant moi les ténèbres sont si épaisses que je frissonne. Les troncs des arbres sont à peine discernables.

Je fais quelques pas hésitants en direction du bâtiment. Aucun bruit ne s’échappe de celui-ci. Je n’entends que les discussions en sourdine des étudiants installés par grappe devant la porte, certains une cigarette ou l’une de ces grandes pipes comme peut fumer Zakary coincée entre les lèvres, d’autres un verre à la main et de grands sourires sur le visage. Aucune musique, aucun cri. Je devine que le bâtiment est soumis à toutes sortes de sortilèges. Je ne peux m’empêcher de me questionner : qui les a posés ? quels sortilèges ? Le lieu est-il incartable ? Puis-je transplaner si j’en ai envie ? Je jette un dernier coup d’oeil à la forêt obscure : en tout cas, impossible de repartir par le chemin qui m’a fait arriver ici, je serais incapable d’ouvrir le passage secret toute seule. Je serre les mâchoires. Je me suis vraiment fourrée dans une situation désagréable. Que me reste-t-il d’autre désormais que ce bâtiment bourré d’étudiants ? Je pousse un soupir et m’avance, les mains plongées dans les poches de ma cape et un air revêche sur le visage. J’ai vécu à Poudlard des moments beaucoup plus désagréables que celui-ci.

Je slalome entre les étudiants pour pénétrer dans le bâtiment. La musique explose à mes oreilles au moment où je franchis la porte. Mon souffle se coupe, une chaleur moite m’englobe de la tête au pied. Il fait chaud, ici, et l’air est chargé d’odeurs par milliers qui ne sont pas toutes agréables. Je me débarrasse de ma cape, mon attention alpaguée par l’ambiance générale de l’endroit. Le rock qui tape dans mes oreilles brouille mes pensées. Pendant quelques secondes je me laisse bousculer d’un côté et de l’autre par tous ces étudiants qui s’agitent sous la lumière qui scintille en rythme avec la musique.

C’est une longue et unique pièce divisée en différents espaces. Des tables hautes et basses, des canapés, des sièges contre les murs, le centre libéré pour laisser semble-t-il la place aux danseurs de faire ce qu’ils ont à faire. Pas de thème de décoration, pas d’ordre. C’est un grand et immense bazar de sons, de cris, de danses et de musiques. Les étudiants me passent devant sans faire attention à moi en criant, en sautant, heureux de participer à ce qui me semble être la plus banale et la plus affligeante des soirées étudiantes.

La magie sous toutes ses formes ne me fait pas peur, je peux passer des heures à m’entraîner, à dépasser mes limites, des journées entières le nez plongé dans un livre à étudier les mystères les plus effrayants et les plus sombres du monde sorcier. Pourtant ici, ballottée par les corps moites qui me frôlent, le coeur battant douloureusement à cause du monde et de la musique très forte qui résonne dans mes oreilles, je me sens totalement perdue et désœuvrée, incapable d’avancer ou de reculer. Mon regard se pose tantôt sur cette drôle de scène le long du mur où un étudiant lévite à l’envers en essayant de boire le contenu de son verre sous les hués de ses camarades, tantôt sur le plafond où des ballons flottent au gré d’un quelconque sortilège en explosant régulièrement dans une marre de confettis colorés qui ravissent ceux qui se trouvent en-dessous.

Bordel, qu’est-ce que je fais ici ?

Je repense à Rockfield qui, lorsqu’elle m’a vu avec le flyer à la main la semaine dernière, m’a dit : « Ils l’ont glissé sous la porte, il y en avait deux. Super chiant ce genre de réunion », avant de se laisser tomber sur son lit en ne faisant plus attention à moi. Je repense à Rockfield qui, à ce moment-là, devait déjà connaître la signification du symbole du Pitiponk mais qui ne m’a rien dit. Je serre les mâchoires, essayant en vain de contrôler la vague de colère qui m’assaille. Ah, je comprends mieux le sourire qu’elle m’a envoyé, maintenant ! Elle ne perd pas une occasion de m’emme…

« Tu n’as pas de verre ? s’exclame tout à coup un garçon à la tête ronde qui apparaît devant moi comme s’il avait toujours été là. Attends, tiens !
Non, mais je… »

Je ne suis pas aussi rapide que son Accio qui rameute un verre rempli à ras bord qui perd la moitié de son contenu sur le chemin de la table jusqu'à nous. Le garçon l’attrape et me le fourre entre les doigts.

« Soda de branchiflore et Whisky pur feu ! me dit-il avec un grand sourire. Une tuerie ! »

Il disparaît aussi vite qu’il est apparu, en m’abandonnant là avec mon verre collant à la main et la manche trempée de Whisky. Je grimace en regardant autour de moi. Merlin, doux Merlin, mais qu’est-ce que je fais ici ! Le bonheur de tout à l’heure a totalement disparu, remplacé par un désespoir grisâtre qui est surtout dû à la gêne que je ressens de me retrouver dans un lieu qui n’a rien de familier avec tout ce que je connais. Autour de moi, la fête bat son plein. La musique résonne à mes oreilles, les étudiants se bousculent les uns les autres, certains me rentrent dedans en s’excusant, ou non, les lèvres étirées par des sourires agrandis par l’alcool. Comment peuvent-ils aimer ça ?

08 nov. 2023, 17:50
La Scierie  solo 
Je me souviens de Zakary, durant ses études. Il était parti à l’étranger mais dès qu’il revenait à la maison, même si j’étais encore une gamine à l’époque, il nous racontait ses soirées. Je ne comprenais pas la fièvre qui l’envahissait quand il nous parlait de ça. Il nous contait la musique, l'euphorie et moi j’imaginais ça comme de grandes fêtes toutes propres, avec des fanions au plafond, des chandelles sur les murs et de la musique comme celle que nous faisait écouter papa. Avec des gens assis à table qui parlaient de choses intelligentes, j’imaginais des gens comme maman, grands et impressionnants, leurs longs doigts entourant le pied de leur verre, les yeux brûlant de passion. Je pensais que c’était comme cela que ça se passait, que c’était calme et intelligent, intéressant, passionnant même. En grandissant, j’ai compris d’où lui venait sa fièvre. Zakary n’est pas le genre d’homme à dire non à un verre de branchiflore-Whisky, n’est-ce pas ? Mais je ne pensais pas avoir l’occasion de voir ça de mes propres yeux. À vrai dire, je n’en avais pas la moindre envie. Si je suis à l’Académie, c’est pour le savoir, c’est pour apprendre, avancer ! Pas m’enivrer avec des idiots.

Je ne sais pas quoi faire de mon corps, de mon gobelet, de ma main étroitement serrée autour de celui-ci, de mon bras ballant, de mon regard hagard. Je ne sais pas quoi faire de mon corps sous cette musique qui pulse, entourée par ces corps qui dansent, poussés par une ferveur que je ne pourrais jamais comprendre. Alors je fais la seule chose qui me permet de ne pas exploser en balançant le contenu de mon verre sur le premier venu : j’avance dans la pièce.

Dans un coin où s’entassent fauteuils et canapés, je reconnais le profil amusé d’Alison Adler en compagnie de sa bande de jeunes sorciers bourrés de confiance. Ils disputent une partie de cartes explosives. Ils ont tous un verre à la main ou qui flotte à côté d’eux, ils font du bruit, ils sont joyeux. Je fais un détour pour les éviter. Je reconnais de nombreux étudiants tandis que je traverse la salle, les yeux plissés pour y voir à travers la lumière qui frétille. Des personnes qui sont avec moi en cours ou que j’ai aperçues à Poudlard. La présence d’aucun d’entre eux ne m’intéresse. Le seul fait qu’ils se trouvent ici me prouvent qu’ils ne sont pas intéressants et que je n’ai rien à faire avec eux.

Je m’éloigne du plus gros de la fête. Tout au fond à gauche du bâtiment, après les canapés et l’immense bar derrière lequel des étudiants se prennent pour des barmans, je remarque une porte ouverte sur la forêt par laquelle sortent et entrent des grappes d’étudiants. La fête est moins étouffante ici. Les conversations sont plus calmes. Je retrouve un brin de paix.

C’est dans un geste nonchalant, automatique, presque sans y penser, que je lève mon gobelet pour goûter son contenu du bout des lèvres. Une grimace me froisse le visage lorsque le liquide verdâtre coule dans ma gorge. Bordel, c’est fort ! Je tousse dans ma main sans voir une silhouette s’approcher de moi par le côté. Je sursaute lorsque sa voix résonne à mes oreilles.

« J’aurais dû me douter que t’étais pas trop alcool, Bristyle ! »

Ahsley Rockfield dans toute sa splendeur, gobelet à la main, cheveux blonds éparpillés sur les épaules, son regard moqueur planté sur moi. Je me décale avec une grimace qui n’a plus rien à voir avec mon dégoût, soucieuse de laisser un espace de sécurité entre elle et moi.

« Dégage, » rétorqué-je d'une voix traînante.

C’est alors que mon corps me trahit. Sans prendre le temps de réfléchir à ce que je fais, j’avale une nouvelle gorgée en prenant bien soin de ne pas grimacer lorsque le liquide me brûle l'œsophage. Je ne quitte pas Rockfield du regard, comme si j’avais quelque chose à lui prouver alors que je n’ai rien à lui prouver, n’est-ce pas ? Mais j’aime ses yeux s’ouvrir sous la surprise. J’aime moins quand elle glousse, par contre, et la voilà qui glousse. Elle s’approche encore pour laisser passer un groupe de sorciers qui dansent en riant. Nous nous retrouvons elle et moi isolées sur un côté du bar et cela me déplaît particulièrement. Je m’accroche à mon gobelet en essayant de contrôler mon imagination qui voudrait me faire lever le bras pour balancer le contenu de mon verre sur le visage hilare de ma colocataire.

« J’te préviens si t’es trop bourrée pour rentrer à la chambre c’est pas moi qui t’ramène. »

Quand elle parle, sa voix se traîne avec difficulté. Je pince les lèvres en la regardant de haut en bas puis de bas en haut.

« À en croire ta voix ralentie, tes yeux rouges et ton corps qui tangue, c’est toi qui aura du mal à rentrer. Et j’ai pas non plus l’intention de t’aider.
C’est pour ça que je t’aime pas, rétorque Rockfield en faisant la moue. T’es trop sérieuse comme fille. On peut pas s’amuser avec toi. »

J’arque les sourcils en soutenant le regard brumeux de la fille. Elle doit être bien éméchée pour affirmer ça avec une telle franchise.

« J’ai pas envie de m’amuser avec toi non plus, Rockfield, alors ça tombe très bien. »

J’arrache mon regard froncé de son profil moqueur pour observer la fête qui bat son plein, là-bas. Automatiquement, mon verre trouve de nouveau le chemin jusqu’à mes lèvres. Après la troisième gorgée, le goût est moins désagréable. Je ne sais pas trop pourquoi je continue de boire. Je crois que je n’ai pas envie que cette abrutie pense que je suis moins capable qu’elle de… Enfin, je n’ai pas très envie de penser à tout ça. Je suis agacée d’être ici avec elle. Un mois de colocation avec elle m’a appris qu’elle n’est pas du tout le genre de personne que j’apprécie. Elle parle toujours pour ne rien dire, elle se plaint, elle est flemmarde, elle dit toujours ce qu’elle pense, surtout quand cela n’intéresse personne. Elle est vulgaire et pas seulement dans les mots. Elle a un comportement qui me déplaît, toujours. Néanmoins, et c'est une véritable souffrance d'en prendre conscience, sa présence à un petit quelque chose de réconfortant. Elle est la seule tête que je connais véritablement ici. Et je sais ce dont elle est capable. Je partage mon quotidien avec elle, après tout. Que je le veuille ou non, elle fait partie de ma vie.

Rockfield se dandine lentement, elle bouge la tête en rythme. Sa main libre tapote paisiblement sur sa cuisse, sa jambe danse sans y penser. Si elle n'était pas enivrée, elle serait déjà partie. Lorsque nous sommes à l'Académie, nous ne nous voyons jamais en dehors de la chambre. Quand elle passe à côté de ma table à la bibliothèque, elle m'ignore pour aller s'asseoir plus loin. Quand nous attendons dans le même couloir pour rentrer en classe, elle reste avec ses amis et se contente de regards moqueurs dans ma direction. Lorsque nous passons une porte en même temps, elle se précipite pour passer la première et fuir loin de moi. Et si nous avons le malheur de nous croiser au réfectoire, c'est le drame : elle lève les yeux au ciel, parfois se permet une grimace, plus rarement une pique (« Putain, Bristyle, tu me suis ou quoi ? — On est dans la même école, Rockfield, si t'as pas envie de voir ma tronche, barre-toi »). Nous n'avons jamais eu l'occasion de nous tenir l'une près de l'autre comme c'est le cas ce soir, dans cet environnement étrange et totalement inconnu pour moi. La scène est bizarre, décalée. Désagréable. J'ai l'impression que je vis dans un corps qui n'est pas le mien, une vie qui ne m'appartient pas. Comme si je n'étais qu'une spectatrice. Je louche sur le fond de mon verre — est-ce à cause du Whisky ?

« Pourquoi t’es là ? »

Je tourne vaguement les yeux vers elle. Elle insiste encore ! Elle me regarde avec un rire contenu. Je pince les lèvres en la considérant. Jusqu’ici, je n’avais jamais remarqué qu’elle était plus grande que moi. Pas de beaucoup, quelques centimètres tout au plus.

« Ce genre d’endroit c’est pas trop ton domaine, hein ? Qu’est-ce que tu fais là ?
Non mais tu te fous de moi ? m’exclamé-je d’une voix forte en serrant les doigts autour de mon verre. Tu me demandes ce que je fais là ?! Je te signale que t’étais là quand on a reçu les flyers et que t’as rien dit ! »

Son sourire dévoile ses dents. Elle hausse les épaules dans un geste nonchalant qui me donne des envies de violence.

« Je pensais que tu aurais été plus futée et que tu aurais compris.
C’est pas une question d’être futée ou non ! m’énervé-je en la fusillant du regard. Comment t’aurais voulu que je sache ?
J’en sais rien, moi. » Elle me jette une œillade goguenarde en vidant son verre d’une gorgée. « Mais c’est marrant de te voir ici, on dirait un hippogriffe dans un magasin de fioles en verre. Ça aurait été moins drôle de te prévenir. »

Elle éclate de rire. Je la considère en silence, le cœur battant dans les tempes. Elle a eu maintes occasions de m’agacer depuis le début de l’année, mais ce coup-ci contrôler la vague de haine qui monte dans mon corps est difficile. Un tremblement m'agite les bras. Je prends une inspiration hachée. Impossible de contrôler ma main libre qui s'envole et qui agrippe le col de sa cape. Rockfield arrête instantanément de rire, elle ouvre grand les yeux en écartant les mains autour d'elle en renversant la moitié de son verre sur elle. Et puis tout à coup, elle se met à glousser. Comme si elle était incapable de s'en empêcher.

« Désolée mais, ahah, c'est... ! »

Elle bafouille. Je la lâche aussitôt dans un mouvement d'humeur qui la bouscule. Je prends une grande inspiration et me détourne dans un mouvement de cape pour m'éloigner d'elle. Direction la porte qui donne sur l’arrière du bâtiment, mon verre toujours à la main, les muscles crispés par une colère toute enfantine qui n’est nourrie que par mon ego blessé.

09 nov. 2023, 12:20
La Scierie  solo 
Je ne m’attendais pas à ce qu’elle revienne vers moi en courant, qu’elle me dépasse et qu’elle se positionne entre moi et ma destination. Toujours hilare, maladroite, empestant l’alcool. Ce serait si simple de me défouler sur elle quand elle est dans cet état. Elle me fait pitié.

« Est-ce que tu as secrètement envie que je me défoule sur toi, Rockfield ? lui demandé-je d’une voix lente et dangereusement calme. Parce qu’à force d’insister, c’est ce qui va arriver.
Mais non ! »

Elle lève les yeux au ciel avant de farfouiller dans sa poche. Je suspecte l’alcool de noyer son instinct, sinon elle aurait clairement compris que ma menace était réelle. Elle sort fièrement de sa cape une patisserie toute ronde et légèrement orangée que je connais bien. Une patacitrouille qu’elle agite sous mon nez. Je me recule en fronçant le nez.

« Tiens ! Pour me faire pardonner de pas t’avoir prévenue. »

Elle se fout de moi ? Je me souviens très bien de ce que m’a dit Adler. Je n’ai confiance ni en l’étudiante de seconde année ni en ma collocataire, aussi ai-je décidé au moment même où je suis rentrée dans le bâtiment que jamais je ne mangerai de patacitrouille que je n’ai pas achetée moi-même. Le geste de Rockfield me laisse cependant perplexe. Je ne crois pas une seule seconde qu’elle souhaite se faire pardonner de quoi que ce soit. Vraiment pas. Alors pourquoi m’offrir ça ? Je plisse les yeux, mon regard passant de la blonde à la friandise et de la friandise à la blonde. Celle-ci soupire et approche un peu plus la patacitrouille de moi.

« Allez, prends-là ! Je vais pas t’empoisonner !
Ah, vraiment ? fais-je avec un rictus colérique. Parce que j’aurais plutôt tendance à penser que t’es plus poison que pardon, Rockfield.
T’es vraiment parano, hein ! s’exclame cette dernière — ce que j’aime voir l’agacement froisser son visage.
Ouais, je le suis. Et je suis aussi du genre rancunier qui essayera de t’étouffer dans ton sommeil si tu me lâches pas alors je te conseille de repartir à ta vie et de me laisser tranquille. »

Et sans un regard de plus je la contourne, non sans avoir dédaigné son cadeau empoisonné. Je m’éloigne à grands pas pour ne pas lui laisser l’occasion de me suivre. Mais elle n’a pas l’air d’en avoir l'envie parce que lorsque je me retourne, je ne la vois plus nulle part. Disparue, évaporée. Je soupire en me frottant le visage d’une main. Je lance un regard dépité à mon verre à moitié vide et, puisque j’en ai de toute façon déjà bu la moitié, je le finis en deux trois gorgées avant de l’envoyer se poser d’un sortilège sur la table la plus proche.

Je n’en peux soudainement plus de la musique, du bruit et de ces corps qui me frôlent. De l’ambiance tamisée, de l’odeur de l’alcool et de la fumée. Je secoue la main en grimaçant, dégoûtée par mes doigts collants et l’alcool qui me prend à la gorge.

J’essaie tant bien que mal de me frayer un chemin vers la sortie arrière. Une personne que je ne connais pas m'attrape par le bras et tente de m’arrêter ; « Eh, tu viens t’amuser avec nous ? » beugle-t-elle à mon oreille en essayant de m’intégrer à son groupe. Je ne connais aucun d’eux et je suis suffisamment intelligente pour savoir que leur amitié soudaine leur est soufflée par l’alcool. Je me dégage d’un mouvement brusque et file sans demander mon reste. Je croise sur le chemin jusqu’à la porte le grand garçon de tout à l’heure, celui que j’ai rencontré avant d'aller dans le tunnel. Il me fait un sourire éclatant lorsque je passe à côté de lui, mais n’essaie pas de me parler. Peut-être parce que je le foudroie du regard ? Il s’écarte même pour me laisser passer, ce qui est tout dans son intérêt : s’il avait tenté de m’arrêter, je lui aurais écrasé mon poing sur le nez.

Enfin, la sortie ! Je quitte la pièce bruyante avec soulagement… Pour me retrouver dans un lieu pire encore : l’arrière du bâtiment donne sur la forêt obscure mais également sur une sorte de terrasse avec différentes banquettes et autres fauteuils. Un lieu plus calme, sans le bruit de la musique, bercé par le murmure des discussions. Les groupes sont en fait des duos. Ou plutôt des couples. J’en compte un, deux, trois ; des corps qui se serrent, qui s’embrassent. Il y a quelques personnes esseulées, comme moi, en quête de calme et de paix, ou des groupes d’amis qui rigolent bêtement, mais ils sont plutôt rares. Je baisse les yeux au sol en traversant à grands pas la terrasse vers les arbres. Je m’éloigne rapidement, étouffée par une gêne que je n’ai jamais réellement ressenti à Poudlard dont les règles sévères et strictes me manquent tout à coup.

Je ne trouve mon calme qu’après avoir laissé derrière moi les premiers arbres. L’obscurité de la forêt m’entoure totalement, avec sa fraîcheur et ses bruits étranges. Je n’allume pas ma baguette, je n’ai pas peur des ombres lorsque c’est moi qui choisis de les rejoindre. Je réfléchis en marchant à travers les bois, le cœur battant encore rapidement contre ma cage thoracique et la bouche pâteuse. Je n’ai aucune envie de rentrer à l’Académie. Déjà parce que je n’ai pas envie de croiser ces étudiants idiots qui s’enivrent au lieu de travailler et ensuite parce que je sens que lorsque Rockfield rentrera, elle va me prendre la tête — et me réveiller. Je n’ai pas envie de gérer une colocataire bourrée. Qu’elle se débrouille toute seule, qu’elle se perde dans les bois, qu’elle se trompe de chambre ! Je m’en fiche. Je n’ai pas envie de penser à elle ce soir.

La seule destination possible est chez Narym. Évidemment. Je n’ai pas l’intention de rentrer chez mes parents et de subir leur interrogatoire. Au moins, mon grand-frère m’accueillera comme il le fait toujours, en s’étonnant de me trouver sur son palier mais en me laissant entrer chez lui. Ne m’a-t-il pas dit que j’étais toujours la bienvenue ? Demain nous sommes dimanche, les enfants ne seront pas là, je ne dérangerai personne. Oui, définitivement, je vais aller chez Narym.

Je m’arrête au milieu des arbres, mes doigts se referment autour de ma baguette. Je visualise le village de Mochdinam, la façade du bâtiment de Narym que je connais par cœur désormais. Je repousse la sensation de ma tête qui tourne et de mon estomac qui se révulse pour me concentrer sur mon transplanage. Une seconde plus tard, je disparais dans un claquement bruyant, abandonnant derrière moi la forêt de Cwm Rhaeadr et ses grands arbres qui frémissent sous le vent d’automne.

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