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SOMMAIRE

Renn avait trois ans, ce soir-là, et, comme tous les soirs, sa mère l'avait installée sur la table des enfants dans le hall de l'école de cirque, en attendant qu'elle finisse son dernier cours de théâtre de la journée. L'enfant dessinait donc, assise sur une chaise minuscule mais adaptée à sa taille. Elle avait hâte de commencer le cirque, plus qu'un an à attendre, disait Detlan. Mais c'était trop long, un an, surtout pour Renn qui venait à l'école presque tous les soirs pour attendre sa mère mais sans pouvoir rien faire. Certes, elle était la préférée de toutes les grandes parce qu'apparemment, elle était trop "mignone", mais elle, ce qu'elle voulait, c'était faire comme elles.

Plus qu'un an.

Ce n'est que lorsqu'elle reboucha son feutre vert qu'elle vit qu'Ella s'était installée en face d'elle. Ella, c'était la fille de la meilleure amie de sa mère, Sarah. Sarah qui était elle, professeure de danse. Renn aimait bien Ella, elle était gentille, même si elle avait tout pile un an de plus qu'elle et qu'elle, à l'inverse de la brune, était dans le groupe des petits de l'école.

— Tu dessines quoi ?
— Un papillon !

Renn tendit son dessin à la plus grande, toute fière de son gros papillon aux ailes vertes. Elle avait décrété qu'il s'agissait d'un papillon que quelques secondes plus tôt, et il n'était pas encore fini, mais l'enfant en était quand même fière. Il en fallait peu, après tout. Ella lui rendit son dessin et lui demanda si elle pouvait avoir une feuille. Renn acquiesça et lui montra le paquet qu'elle avait poussé sur l'une des chaises parce que selon elle, ça prenait trop de place.

— Tiens mes feutres !
— Merci

C'est ainsi que les deux petites dessinèrent ensemble. Renn continuait son gros papillon vert, en rajoutant des ronds multicolores par-ci par-là sur les ailes. Quant à Ella, elle-même ne savait pas vraiment ce qu'elle dessinait, tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle allait l'offrir à son père. Une fois qu'elle eut finit, la plus grande observa le dessin de son amie, qui d'ailleurs n'avait toujours pas fini puisqu'elle rajoutait quelque chose dans chaque petit espace blanc de la feuille.

— Il est pour qui ton dessin ?

Renn haussa les épaules. Quelle question ! Il était pour sa mère, qui d'autre de toutes façons pouvait avoir un dessin d'elle ? Enfin si, il y avait sa mamie ou son oncle, mais la petite ne les voyait jamais, et ne devait pas les voir bientôt, donc il était forcément pour sa mère.

— Maman, toi pour qui ?
— Mon papa

Elle hocha la tête, ok, et s'apprêtait à rajouter une couche de feutre sur sa feuille qui allait finir par être trouée à force lorsqu'Ella l'interrompit.

— Pourquoi il est pas à ton papa ?

Renn releva la tête en fronçant les sourcils. C'était une évidence pour elle : elle n'avait pas de papa. Et elle pensait qu'Ella le savait puisqu'elle venait souvent chez elle.

— Parce que j'ai pas de p...
— T'as pas de papa, toi ? la coupa la petite. Pourquoi ? Tout le monde a un papa, c'est maman qui me l'a dit

Bah non, pas tout le monde, puisqu'elle, elle n'en avait pas. C'était si compliqué à comprendre, ça ? Mais Ella n'avait pas l'air de vouloir changer d'avis. Et si c'était elle qui se trompait ? Elle n'avait toujours eu que sa mère, jamais personne d'autre. Renn ne comprenait pas, son cerveau n'arrivait pas à faire le lien. Comment c'était possible qu'elle n'ait pas de papa alors ?
Finalement, la maman d'Ella vint chercher sa fille, coupant la plus jeune de ses pensées. Elle dit au revoir à Renn, Ella agita la main dans sa direction, puis elles disparurent derrière les portes. Detlan arriva quelques minutes après, derrière un flot d'adolescentes.

— Allez, Renn on y va

Renn la suivit, toujours perdue dans ses pensées, les paroles de sa copine tournant en boucle dans sa tête. Une fois installée dans son siège-auto, sa mère toujours en train de l'attacher, Renn posa la question. Elle n'en pouvait déjà plus d'essayer de comprendre par elle-même, il fallait qu'elle demande.

— Maman, pourquoi Ella elle dit c'est pas normal de pas avoir de papa ? Tu connais mon papa ?
— Oui, je le connais, ma puce, répondit-elle tendrement, après s'être figée quelques instants en entendant la question de sa fille.
— C'est qui ? Pourquoi moi je le connais pas ?

L'écossaise soupira.

— Il s'appelle James, mais tu sais, je ne le vois plus depuis longtemps, depuis avant ta naissance

Renn était déçue. Donc sa maman le connaissait, mais pas elle, et en plus elle ne pourrait jamais le voir parce que sa mère ne le voyait plus ? C'était injuste ! Voyant la mine déçue de sa fille, Detlan passa une main dans ses cheveux pour essayer de la rassurer.

— Mais tu sais, je pourrais essayer de le faire venir, si tu veux

L'enfant hocha la tête. Elle voulait bien ! Et peut-être que comme ça, elle pourrait avoir une maman et un papa comme tout le monde, et pas juste une maman ! Elle avait déjà des tas de questions à poser à sa mère. Est-ce qu'il est gentil ? Est-ce qu'il est grand ? Plus grand qu'elle ? Est-ce qu'il aime dessiner, comme elle ? Est-ce qu'il lui ressemble ? Est-ce que, est-ce que... Renn assaillit sa mère de questions tout le trajet pour rentrer jusque chez elles. Detlan tentait tant bien que mal de suivre le rythme, lui répondre, et garder un œil sur la route. Une fois chez elles, la douche prise et le repas en train de cuire, la jeune femme ressortit ses vieilles photos enfouies au fond du placard de sa chambre. Il y avait dedans une belle pile de photos avec James, que l'écossaise avait gardé elle ne savait trop pourquoi d'ailleurs. Peu-être qu'inconsciemment, elle savait que ce moment arrivera tôt ou tard ? Elle rejoignit Renn dans le salon, et lui montra les photos, ainsi, elle pouvait déjà mettre un visage sur le prénom de James, même s'il avait dû changer depuis. Detlan ne savait pas trop dans quoi elle s'embarquait en promettant à Renn de retrouver James, puisqu'elle n'avait plus eu de nouvelles depuis leur rupture trois ans et demi plus tôt.

James était devant la nouvelle résidence de Detlan, hésitant. Il n'avait pas grand chose à faire, appuyer sur la sonnette, ce n'était pas bien compliqué ; mais quelque chose le retenait. Il n'aurait su dire quoi, si ce n'était qu'il avait peur. Lui, James Winterstone, avait peur. Alors qu'il travaillait avec des créatures magiques, dont certaines étaient dangereuses, pourquoi avait-il peur maintenant ? Mais c'était le cas, il était presque terrorisé. Terrorisé à l'idée de revoir Detlan, qu'il n'avait plus vu depuis plus de trois ans. Terrorisé à l'idée de découvrir sa... Sa fille ? Il ne réalisait pas. Non, il avait déjà deux enfants qu'il aimait plus que tout, ce n'était pas pour lui en rajouter une troisième...
Quelque part, il espérait que son ex compagne s'était trompée, que l'enfant qu'elle élevait depuis trois ans était d'un autre homme, pas de lui. Mais il savait bien que ce n'était pas possible, elle lui avait bien dit qu'elle n'avait rien fait avec personne d'autre que lui, du moins avant la naissance de l'enfant. Alors c'était peine perdue d'espérer, il le savait, il était incontestablement le géniteur de la petite écossaise. Mais James ne pouvait s'empêcher d'espérer.

Il enfonça son doigt sur le bouton de l'interphone, le cœur serré. Stressait-il ? Sûrement oui, aussi.

— Oui ?

Il s'était attendu à ce que la moldue lui ouvre vite, pas qu'elle parle pour savoir qui était en bas. Il avait presque oublié comment marchaient ces interphones, après quatre ans sans en utiliser.
Et puis, il n'avait jamais été à l'aise avec ces trucs de moldus, parler dans le vide pour préciser qui attendait d'entrer, ce n'était pas vraiment son truc. Mais il se força, il n'avait pas vraiment le choix.

— C'est moi, euh... James
— Oh James ? coupa la voix grésillante, visiblement surprise, je t'ouvre, je suis au troisième

Quelques secondes plus tard, il poussait la porte d'entrée du bâtiment. Il grimpa les escaliers avec la lenteur d'un veracrasse, à croire qu'il pouvait ralentir le temps en marchant doucement. Detlan l'attendait en haut, elle lui sourit, de son sourire habituel qu'il aimait tant avant.

— Bonjour
— Je ne m'attendais pas à te voir, tu vas bien ?

Il hocha la tête. En vrai, comment pouvait-il aller bien alors qu'il venait voir un enfant qu'il ne connaissait même pas, et sans en avoir parlé à sa femme ? Il était venu sur un coup de tête même prendre la peine de prévenir son ex-compagne. Comment aurait-il réagi si elle n'était pas chez elle ? Il avait eu beaucoup de chances, mine de rien, qu'elle soit là.

— Et toi ?

La moldue lui répondit à l'affirmative, et l'invita à entrer. Renn était dans sa chambre, lui disait-elle. D'accord, mais à quoi cela l'avançait ? Puis elle s'excusa, subitement. Elle s'excusa de ne pas lui avoir parlé de Renn plus tôt, elle s'excusa de ne pas avoir cherché à le contacter pour lui dire qu'elle était enceinte, alors qu'elle l'avait découvert que peu de temps après leur rupture. Elle s'excusa même d'avoir caché à la petite son existence, jusqu'à ce que l'enfant lui en parle d'elle-même. Et c'était pour ça qu'elle avait cherché à le contacter, parce que Renn le lui avait demandé. Elle voulait connaître son père, parce qu'elle était la seule dans son école à ne pas avoir de papa, et Detlan ne se sentait pas de dire à sa fille qu'elle ne savait pas qui il était, parce qu'au contraire elle le savait très bien.
James accusa le flot de paroles et d'excuses comme il le pouvait. Son corps était dans l'appartement, mais son esprit très loin, trop loin pour être honnête. Il n'arrivait pas à se dire qu'il avait vraiment un troisième enfant, maintenant.

Puis le grincement d'une porte le sortit de ses pensées. Ils s'étaient installés sur le canapé sans que le sorcier ne s'en rende compte. Une petite habillée d'un jogging et d'un sweat rose apparut dans son champ de vision. Une petite qui avait tous les traits de sa mère, excepté le grain de beauté qu'elle avait sous l'oeil gauche, James avait le même. Machinalement, ses doigts vinrent toucher la petite tâche brune sous son œil.

— C'est toi J... l'enfant grimaça, James ?

Il ne put s'empêcher de sourire tendrement, les muscles de son visages l'avaient dessiné avant même qu'il n'y pense. La petite le regardait avec un mélange d’intimidation, d'admiration et de curiosité. Était-il si impressionnant que ça ? Pour un enfant de moins d'un mètre, peut-être.

— C'est moi, toi c'est Renn, c'est ça ?

Elle hocha vigoureusement la tête avant de grimper sur les genoux de sa mère. James n'avait pas remarqué au début, mais elle avait des traces de feutre sur les joues, elle devait aimer dessiner.

— Tu as un joli prénom
— Je sais ! C'est maman qui l'a choisi

Il rit, tournant la tête vers Detlan, son sourire n'avait pas quitté son visage, à elle non plus.

— Tu lui as montré des photos ?

Autrement, comment l'enfant aurait-elle pu savoir qui il était ? L'écossaise hocha la tête. Elle les avait vraiment gardées, toutes ces photos qu'ils avaient pris ensemble. Lui non, il se sentit un peu honteux d'un coup.
James resta une heure de plus chez son ex-compagne. Il essayait de poser quelques questions à Renn, apprit qu'elle adorait dessiner, ce qu'il avait déjà remarqué, et que son livre préféré parlait de dragons. Il avait mentionné les dragons à Detlan, lorsqu'ils étaient ensemble, en disant qu'il était passionné par ces créatures qui n'existaient pas, du moins pas pour elle. C'était aussi l'une des rares créatures qu'il pouvait mentionné, en plus des licornes, puisqu'elles étaient bien ancrées dans les esprits des moldus. Cela lui fit chaud au cœur de savoir que, même si Renn ne le connaissait pas, sa mère avait fait en sorte qu'elle aime les créatures autant que lui. Ce n'était qu'avec des livres pour enfants moldus, mais cela fit plaisir au magizoologiste.

— Moi aussi j'aime les dragons, tu sais ? J'ai même une figurine à la maison
— C'est vrai ? Je peux la voir ?
— Je te l’apporterai la prochaine fois, si tu veux

Puis, il partit, promettant à Detlan de revenir le week-end suivant, et plus longtemps si possible. Il était arrivé dans la ville écossaise stressé, mais était reparti presque à contrecœur. Renn était distante, ce qui était parfaitement normal, même lui n'était pas forcément très à l'aise, mais il l'aimait déjà. Sa fille.

Renn avait passé la semaine à parler de James à ses amis de l'école, Melian et Shay notamment, les deux enfants qui la suivaient depuis le début de l'année. Elle leur avait tout raconté : que sa maman était la meilleure maman du monde parce qu'elle avait réussi à retrouver son papa, même si elle ne parvenait pas encore à l'appeler ainsi. Elle leur avait aussi dit que ce James, il était grand comme sa maman et qu'il avait une barbe qui devait piquer les joues quand il vous faisait des bisous ; qu'il était trop gentil, comme le papa de Melian ; et surtout qu'il reviendra la voir samedi. Elle avait hâte d'être samedi. Tout la semaine, elle avait compté les jours. Plus que trois jours, deux jours... Detlan lui avait même fait barrer les cases sur le calendrier, pour essayer de la canaliser, tellement elle était excitée.
Elle avait fait un dessin pour James, le vendredi soir, qu'elle avait fièrement montré à Detlan. Pendant des jours, elle avait préparé des questions qu'elle voulait poser à James. Est-ce qu'il habitait loin ? Est-ce qu'elle pourrait aller chez lui, un jour ? Est-ce qu'il avait d'autres enfants qu'elle ? Ça voulait dire qu'elle avait des frères et sœurs ? Même si ils n'avaient pas la même maman ? Et quels âges ils avaient ? Et est-ce qu'ils lui ressemblaient ? Et est-ce que lui, il aimait dessiner aussi ? Est-ce qu'il savait dessiner des dragons, surtout ? Est-ce qu'il avait déjà vu des dragons ? Mais non, ce n'était pas possible, les dragons n'existaient pas. Et s'ils existaient ? Elle voudrait tellement en voir en vrai, tant pis si c'était impossible !
En bref, Renn s'était emballée. Mais il fallait la comprendre, elle avait trop de questions sans réponses dans la tête, il fallait bien qu'elle les lui pose !

Pourtant, maintenant que le fameux samedi était arrivé, que James était là, assis à côté d'elle sur le banc, elle ne savait plus quoi dire. Le dessin était resté dans sa chambre, elle n'avait pas osé le sortir. Toutes les questions qu'elle avait passé la semaine à se poser n'arrivaient même pas à passer l'étape de sa mémoire. On aurait dit que toutes ses pensées s'étaient volatilisées, la laissant là, muette et distante parce qu'elle ne savait pas trop comment réagir. Si, elle balançait ses pieds dans le vide, ses jambes étant trop courtes par rapport à la hauteur du banc. Detlan les avait laissés tous les deux, même si elle n'était pas très loin, la résidence n'était qu'à quelques minutes, mais Renn aurait bien voulu que sa maman soit là comme la dernière fois. C'était plus simple, tout était plus simple lorsqu'elle était là, l'enfant était rassurée. Là... Là elle ne savait pas.

James aussi était muet, il ne savait pas quoi dire non plus. Que dire à une enfant de trois ans, après tout ? D'habitude, parler venait plus ou moins naturellement, mais là, il n'y arrivait pas vraiment. Bizarrement, la présence de Detlan la semaine dernière l'avait aidé à se mettre à l'aise, et il se doutait bien que c'était la même chose pour Renn. Elle était sa maman après tout, il était normal qu'elle soit bien plus rassurée lorsqu'elle était là.

Une petite fille et sa mère passèrent devant eux. L'enfant fit coucou de la main à Renn, qui répondit de la même façon, un sourire de retour sur son visage. Quant à la mère, elle sourit à James, qui lui sourit en retour, un sourire forcé mais c'était mieux que ne rien faire. Puis, il se tourna vers sa fille, qui suivait les deux silhouettes du regard avant de se redresser brusquement.

— C'est ma copine à l'école

Renn était contente que Melian soit passé, ça évitait de garder le silence trop longtemps, puisque visiblement James n'était pas très bavard et elle, elle était trop distante pour l'être comme d'habitude.

— Et comment s'appelle-t-elle, ta copine ?
— Melian

James hocha la tête en souriant. Il n'avait aucune idée de comment pouvait-être l'école à cet âge, il n'y avait pas ça chez les sorciers. Était-ce comme Poudlard mais en nettement plus simple, et avec des matières moldues ? Quoique, Renn n'avait que trois ans, elle ne savait même pas lire. Et lui, il n'avait eu un précepteur qu'à six ans, il ne pouvait pas se baser sur son expérience personnelle.

— Tu aimes bien l'école ?
— Oui, on fait des dessins, et de la peinture, et des jeux aussi

C'était vraiment très loin de ce qu'il s'était imaginé. En même temps, à trois ans, que pouvaient-ils faire d'autre que des dessins et des jeux ?

— J'ai fait un dessin, enchaîna Renn d'une petite voix, qui le coupa dans ses réflexions. Pour toi...
— Moi ?

La petite hocha la tête, presque timidement. Elle n'était pas timide d'habitude, pourtant.

— Mais il est dans ma chambre
— Tu me le donneras tout à l'heure alors, ne t'inquiète pas

Elle hocha de nouveau la tête. Oui, voilà, elle lui donnera tout à l'heure. Ou maintenant ? Elle avait froid, et très envie de rentrer. Renn tourna la tête vers James, ses dents claquaient toutes seules.

— Tu as froid ?
— Oui

Alors James se leva, elle descendit du banc à sa suite.

— Allez viens on rentre, ta mère va m'en vouloir si tu tombes malade à cause de moi

Elle enfonça son bonnet sur sa tête et, quelques minutes plus tard, ils étaient dans la cage d'escaliers. Une fois dans l'appartement, Renn ne prit même pas la peine d'enlever sa doudoune, son écharpe, ses gants et son bonnet mais fila dans sa chambre où elle récupéra le dessin qu'elle avait fait. Enfin, c'était un coloriage qu'elle avait pris à l'école, un dragon, elle l'avait demandé à sa maîtresse exprès pour le donner à James. De retour dans le couloir, sa maman et James l'attendaient, elle tendit sa feuille à l'homme, qui le récupéra en souriant.

— Eh merci, il est très joli

Renn se tourna vers sa mère pour seule réponse. James repensa soudain à ce qu'il avait dit à l'enfant la semaine précédente, qu'il lui ramènerait une figurine. Il l'avait prise, mais la sortir lui était sorti de l'esprit. A croire que le silence qu'il y avait eu entre eux cet après-midi avait empêché son cerveau de s'en souvenir. Il sortit la petite figurine blanche, celle de l'Opaloeil des Antipodes, sa préférée puisqu'elle brillait, et s'agenouilla devant l'enfant.

— Tiens, elle est pour toi. Tu verras, elle brille au soleil et même dans le noir parfois

Le regard de Renn alternait entre la figurine et le visage de James, la bouche grande ouverte, comme si elle n'arrivait pas à y croire. A vrai dire, elle avait complètement oublié qu'il lui avait promis de lui ramener une figurine. Elle prit le dragon dans ses petites mains et murmura un petit « merci ». Elle la trouvait incroyable.

— Bon, il faut que j'y aille. Renn, merci pour le dessin, à bientôt ?

Elle hocha la tête, accompagné d'un « oui ». Il sourit puis se releva, remercia Detlan qui lui précisa qu'il pouvait revenir quand il voulait, à condition de prévenir histoire d'être sûr de les trouver, et partit enfin, pour la deuxième fois. Cette fois, il ne savait pas quand il pouvait revenir. Pour cela, il fallait quand même qu'il parle de Renn à Elsy, puisqu'il ne l'avait toujours pas fait. Il savait que la nouvelle allait avoir du mal à être digérée, ce qui le faisait pas mal appréhender.
Renn, quant à elle, dès la porte d'entrée close et ses vêtements accrochés dans l'entrée, installa sa nouvelle figurine, sa figurine préférée à partir de maintenant, sur sa table de chevet.

Elle ne savait pas ce qu'elle ressentait ; avec son cœur qui tambourinait dans sa poitrine, son estomac complètement noué, son envie de se recroqueviller encore plus sur elle-même... Renn était perdue. Du haut de ses sept ans, enfermée dans sa chambre, elle savait pertinemment qu'elle ne pouvait rien faire de plus qu'attendre. Attendre que la tempête se calme, que l'obscurité s'estompe. Alors elle attendait, assise sur son lit, les genoux repliés contre elle-même, sa peluche dragon serrée contre son cœur ; et elle retenait tant bien que mal les larmes qui menaçaient de dévaler la pente de ses pommettes. Renn n'entendait pas tout ce qui se passait dans le salon, mais elle comprenait très bien que sa mère et Logan se disputaient. Et la dispute était violente, trop pour que l'enfant passe outre. Elle entendait les sanglots de sa mère, elle entendait les "pars" et autres synonymes hurlés par Detlan. Elle ne comprenait pas, tout allait bien la veille, pourtant ? Alors pourquoi, là maintenant, tout s'effondrait ? Cela faisait presque trois ans qu'il était dans leurs vies, qu'est-ce qui s'était passé pour que sa mère lui hurle de partir ? Elle aimait bien Logan, pourtant, mais elle ne supportait pas qu'il fasse du mal à sa maman. Ou juste qu'il la rendre triste, elle ne voulait pas voir sa mère triste. Quoi qu'il lui ait fait... et bien elle, du haut de ses sept ans, ne pouvait toujours rien y faire. Elle était trop petite, disait-on. Trop petite pour quoi ? Comprendre ? Peut-être, mais encore fallait-il lui expliquer avant de le décréter.

Elle renifla, portant son pouce à sa bouche. Elle le faisait parfois, lorsqu'elle était vraiment triste ou stressée. Puis d'un coup, elle sursauta. La porte d'entrée venait de claquer, bruyamment. Renn releva la tête, elle n'entendait plus rien. C'était fini ? Vraiment fini ? Elle n'osait pas se lever, n'osait plus bouger d'un millimètre, de peur de briser le silence qui bouffait tout l'espace. Sa respiration s'était coupée sans qu'elle s'en rende compte, jusqu'à ce qu'elle finisse par inspirer en entendant des bruits de pas se rapprocher. *Maman ?*

La porte de sa chambre s'ouvrit lentement sur le visage décomposé de Detlan. Elle avait les yeux rouges, bouffis et des traces de larmes sur les joues. Sans réfléchir, Renn se précipita hors du lit et entoura la taille de sa mère de ses bras, la serrant contre elle. Elle ferma les yeux, le visage collé contre le ventre de sa maman, respirant son parfum si rassurant. Elles restèrent ainsi quelques secondes à peine, avant que les mains de l'adulte écartent doucement les bras de Renn pour qu'elle se mette à sa hauteur. La petite enfouit sa tête dans le creux du cou de sa mère, qui la serra à son tour dans ses bras. Quelques larmes coulèrent le long de ses joues et s'écrasèrent sur le chemisier de Detlan, qui resserra son étreinte en chuchotant des excuses.

Renn s'écarta légèrement, Detlan en profita pour essuyer quelques larmes avec son pouce, puis prendre délicatement le visage de l'enfant entre ses paumes. Renn voulut dire que c'était pas grave, que ce n'était pas sa faute, à sa maman, si Logan était parti. Ce n'était pas sa faute s'il l'avait fait pleurer, elle n'y était pour rien, elle. Mais les mots restaient coincés dans sa gorge, et ses larmes étaient à deux doigts de couler de nouveau. « C'est fini, Renn, tout va bien » Detlan lui embrassa le front, comme pour appuyer ses propos, la rassurer encore un peu plus. « Il est parti, Logan ? » L'adulte hocha la tête. Oui, il était parti, définitivement parti. Et Detlan aurait tout fait pour que leur rupture se passe autrement, ou que Renn n'ait pas à la subir elle aussi. Sa fille n'avait rien demandé, elle était juste présente au mauvais endroit au mauvais moment... « Je resterai toujours avec toi, moi » chuchota la petite en enlaçant de nouveau sa mère. Logan les avait peut-être abandonnées, sa maman et elle, mais Renn se faisait la promesse qu'elle resteraient toujours ensemble. Toutes les deux, et le reste autour.

Detlan répondit à son étreinte, et ne put s'empêcher d'esquisser un léger sourire. « Je sais, ma puce, je sais... » Si seulement elle n'avait pas découvert que Logan la trompait, peut-être que tout aurait été plus simple. Ou il aurait tout simplement pu avoir la présence d'esprit de la quitter après le premier soir, pas six mois plus tard parce qu'elle l'avait apprit, ça aurait évité bien des choses. La respiration tremblante, Detlan se releva lentement, prenant la petite main de sa fille dans la sienne pour la guider jusqu'à son lit. Elle s'y installa, le dos contre le mur, Renn vint se blottir contre elle. Elle avait son enfant avec elle, c'était nettement mieux qu'un homme ne l'aimant pas vraiment, n'est-ce pas ?
« मैं तुमसे प्यार करता हूं, माँ Je t'aime, maman
— मैं भी तुमसे प्यार करता हूं Je t'aime aussi... »

Quelques mois plus tôt, Renn avait rencontré son père. Elle avait passé la semaine qui avait suivi la première rencontre excitée comme une puce, mais son excitation s'était bien vite atténuée, et ce dès le samedi suivant. Il était passé dans un silence presque étouffant pour l'enfant. Elle n'était restée qu'une petite heure et demi avec James, mais c'était pour l'instant l'heure et demi la plus longue de sa courte existence. Certes, ils avaient un peu parlé, mais la petite était mal à l'aise. Puis il s'était passé plus de trois semaines avant que son père revienne la voir, dans le même silence que le samedi précédent, comme tous les samedis qui suivirent ensuite. Renn avait du mal à vraiment le considérer comme son papa, surtout depuis que Logan était entré dans sa vie. Il était bien plus présent, lui, le nouveau compagnon de sa mère. Jusqu'au jour où le mot "papa" sorti tout seul de sa bouche, sans prévenir. Elle n'y avait pas vraiment prêté attention, mais James si.

A quatre ans, Renn ne réalisait pas vraiment ce que signifiait le mot "papa". Elle n'avait pas grandi avec James, elle ne le connaissait presque pas, pourtant elle n'arrivait pas à l'appeler autrement que par "papa", maintenant. Peut-être parce que c'était ainsi que Detlan l'appelait lorsqu'elle lui parlait de lui ? Il était venu la chercher le matin-même, à la gare d'Edimbourg. Apparemment, il n'avait pas de voiture comme Detlan, alors ils allaient faire le trajet jusqu'en Angleterre en train et en bus. Renn n'avait jamais pris le train. Quand elle allait chez Papy et Naanee, c'était toujours en voiture et bateau, jamais en train.
Mais finalement, Renn aimait bien le train. Elle en avait donc pris un qui allait très très vite, tellement vite qu'elle voyait juste les pairies britanniques défiler sous ses yeux. Puis, elle était montée dans un gros bus violet qui allait encore plus vite que le train et qui lui avait donné mal au cœur. Elle n'aimait pas ce bus violet. Mais, elle avait fini par arriver dans le village où James vivait.

La petite serrait son doudou contre elle, fixant la maison en pierres, recouverte de neige, qui se déployait devant elle. C'était donc là qu'elle allait passer les vacances ? Dans cette grande maison si différente de l'immeuble où elle vivait avec sa maman. James ouvrit la porte en bois et lui tendit la main pour qu'elle entre avant lui. Renn attrapa la main de son père et pénétra dans la maison, sa vache en peluche toujours plus serrée contre son torse. « On est là, » annonça James d'une voix forte.

Des bruits de pas précipités virent tout de suite à ses oreilles, puis un enfant blond d'environ deux ans se retrouva devant elle, les bras tendus vers James et qui criait « Papa ! Papa ! ». Renn lâcha aussitôt la main de James, qui prit l'enfant dans ses bras. Une femme apparut devant eux, grande, blonde. Elle toisa Renn quelques secondes avant de détourner le regard et s'adresser à son mari. « Ça été le voyage ? Rosa dort, ne faites pas trop de bruit, j'ai eu du mal à l'endormir. »

Renn se sentait presque de trop. Elle n'écoutait plus la discussion des deux adultes, trop occupée à observer le hall d'entrée. La femme ne l'avait même pas calculée, comme si elle n'existait pas. « Tu viens, Renn ? » Son regard suivit la silhouette de son père qui avançait dans le salon, elle le suivit en traînant des pieds. Le salon était une grande pièce assez terne, à l'exception de quelques jouets d'enfants éparpillés sur un tapis, qui eux, étaient les seuls à être un peu colorés. Autrement, les murs, les meubles, tout était dans les nuances de marron et beige. L'enfant sentit son cœur se serrer, et ses yeux s'embuer. C'était si différent de chez elle, où tout était coloré, les murs remplis de photos d'elle ou de sa mère, le frigo sur lequel étaient accroché pleins de dessins de Renn. Là, il n'y avait presque aucune décoration. Il y avait quelques vases en hauteur, mais Renn ne les voyait pas vraiment. Instinctivement, elle porta son pouce à ses lèvres, sa maman lui manquait déjà beaucoup trop.

C'était un bel après-midi de juillet, le bateau avait quitté l'Ile de Skye, en direction de l'Ile de North Uist, depuis près d'une demi-heure. Beaucoup d'enfants aux casquettes et chapeaux colorés, observaient le petit bout de terre s'éloigner peu à peu, remplacée par l'eau foncée de la mer. Et Renn, du haut de ses six ans, faisait évidemment partie de ces enfants. Les mains fermement accrochées à la rambarde humide, elle se prenait toutes les gouttelettes salées dans la figure. Mais ces gouttes ne l'empêcheraient pas d'observer l'eau s'écraser contre le bateau. Même le vent, qui fouettait fort son visage, qui faisait voler sa tresse dans tous les sens et qui menaçait d'emporter sa casquette rouge ne l'empêcherait pas de regarder la surface de la mer. Même le soleil, alors qu'il tapait fort sur son visage, l'obligeant à plisser les yeux malgré les lunettes de soleil, ne l'empêcherait pas d'observer les vagues au loin, celles vers lesquelles elle se dirigeait. Et après plus de cinq heures de voitures, elle méritait bien de contempler la mer ainsi.

Renn leva la tête vers sa mère, accoudée à la rambarde, celle plus haute, qu'elle n’atteignait qu'en levant le bras. Elle aussi fixait l'horizon, les yeux fatigués. Elle avait conduit de Edimbourg à l'embarquement du ferry, et était épuisée. Certes, elles avaient fait des pauses, Detlan ne se risquait de pas conduire cinq heures d'affilées, surtout avec une enfant qui parlait sans arrêt de la moindre chose qui lui passait par la tête, mais elle était quand même exténuée et n'avait qu'une hâte : arriver enfin chez ses parents. Et les deux heures de traversée en ferry, puis la bonne vingtaines de minutes de voiture, risquaient d'être longues. Heureusement que pour cette dernière étape, Dev, qui était arrivé la veille, venait les chercher.
Renn, elle, n'était pas du tout fatiguée. Enfin presque, mais elle avait bien dormi pendant le trajet, alors ça allait. Et puis, elle aimait trop les traversées en bateau pour dormir maintenant. Elle voulait rester dehors ! Et voir des dauphins. Elle n'en avait encore jamais vu, à part en photos, mais sa mère lui disait toujours que parfois, il pouvait y en avoir, alors elle comptait bien rester devant sa rambarde jusqu'à voir un petit bout de cétacé, même de loin.

« Maman, maman, on va voir des dauphins ? » Renn tapota la cuisse de Detlan, histoire d'être sûre qu'elle l'avait bien entendue, action inutile puisque l'adulte avait déjà baissé la tête vers elle. « Je ne sais pas, ma puce, peut-être. » La petite soupira. Elle voulait être sûre, elle ! Parce que si elle fixait l'eau pour rien, c'était plus aussi drôle. « Mais t'avais dit qu'on en verrait !
— J'avais dit que peut-être, on en verra, mais regarde bien et tu me dis si tu en vois un !
— Mmh... »

Plus d'une heure plus tard, Renn était toujours accrochée à sa rambarde, un bout de gâteau au chocolat dans une main (et l'autre bout dans la bouche), les yeux rivés sur les vagues. Elle n'avait pas encore vu de dauphins, ni quoi que ce soit d'autres sortant de la mer, hormis un bateau qui était passé au loin, dans le inverse du leur. Sa mère était assise plus loin derrière, adossée contre le mur. Un bon nombre de familles avaient déserté l'extérieur du bateau, pour se réfugier à l'intérieur, où il faisait nettement meilleur, sans le vent. Mais Renn avait insisté pour rester là, parce qu'elle voulait absolument voir- oh ! « Maman, maman ! Regarde ! » Au loin, des formes grises sortaient de la surfaces pour retourner sous l'eau quelques secondes après. Il n'y en avait pas beaucoup, seulement deux ou trois, et elles étaient trop loin pour que Renn soit sûre de ce qu'elle voyait. Elle pointa de l'index la petite bande de mer qui abritait les formes grises. « C'est quoi ça là-bas ? C'est des dauphins ?
— Ooh, oui !
— C'est vrai ? »

Renn fronça les sourcils. « Mais, pourquoi ils sont tous petits ? » Sur les photos, ils étaient toujours gros, et on les voyait bien, là, elle n'était même pas sûre que c'était bien des dauphins. Detlan ne put s'empêcher de rire. « Parce qu'ils sont loin de nous » Eh bien Renn trouvait ça nul, et elle ne s'empêcha pas de le dire haut et fort, créant un nouveau sourire sur le visage de sa mère. Ils pourraient faire un effort et venir plus près du bateau, quand même ! Franchement, ce n'était même pas drôles. Elle voulait voir des vrais, des gros, des beaux dauphins, elle, pas juste leurs dos... Même si c'était déjà trop cool, et qu'elle resta plantée là, à les regarder sauter hors de l'eau un bon moment.

La ferry finit par ralentir la cadence, signe qu'ils allaient bientôt arriver. Et effectivement, Renn voyait de mieux en mieux la côté de l'île où vivaient ses grands-parents. Après avoir passé la traversée collée à la rambarde, enfin, elles arrivaient ! Elle allait pouvoir raconter à tout le monde qu'elle avait vu des dauphins, même s'ils étaient trop loin et que ça faisait longtemps qu'elle ne les voyait plus, elle les avaient vus quand même, et elle en était trop contente ! Et puis, elle était quand même fatiguée, donc elle avait hâte d'arriver.

L'odeur de renfermé du grenier, qui n'était pas si désagréable, ne l'aurait pas dérangé plus que ça, si seulement il n'y avait pas eu la tonne de poussière qui allait avec. La tonne de poussière qui volait devant ses yeux, qu'elle voyait grâce à la lumière qui pénétrait par la petite fenêtre, et surtout, qui lui piquait le nez. Sa grand-mère n'était plus montée depuis si longtemps, pour qu'il y ait autant de poussière accumulée ? Renn se frotta vigoureusement le nez avec le dos de sa main. Bon, ce n'était pas un peu de poussière qui allait l'empêcher de continuer ses recherches ! Son regard fit le tour de la pièce en quelques secondes. Tous ces cartons empilés... Comment allait-elle s'y retrouver ? Ce grenier était le cliché-même des greniers de grands-parents, où tout est empilé partout, entassé dans des cartons dont le nombre n'était même pas calculable. Tant pis, maintenant qu'elle était là, elle n'allait pas faire demi-tour.

La petite s'approcha de premier carton à sa droite. Heureusement que sa grand-mère avait eu la bonne idée de noter le contenu des cartons sur ce-dernier ! « Jouets de Renn... C'est pas ça » Elle déplaça la boîte un peu plus loin, pour s'attaquer au suivant, qui cachait plus ou moins la même chose que le premier. Elle l'écarta donc de nouveau, et ainsi de suite pour chaque carton qui arrivait à elle. Mais plus elle avançait, moins elle trouvait ce qu'elle cherchait.

Finalement, après quelques minutes de recherche, le mot "photos" écrit en grosses lettres majuscules, à l'encre noire, se dévoila derrière le carton qu'elle venait d'enlever. « Oh » Enfin ! Elle n'en pouvait plus d'être au milieu de la poussière. Renn emmena le carton hors du grenier, jusque dans le salon. Elle était toute seule dans la maison, sa grand-mère et sa mère étaient parties chercher son oncle et sa copine à l’embarcadère.
En ouvrant le gros carton, la petite découvrit un nombre incalculable de photos. Il y en avait d'elle petite, de Detlan et Dev enfants, adolescents, jeunes adultes... Elle trouva une photo de sa grand-mère, Asha, et son grand-père, Mike, quand il était encore avec eux. Et surtout, elle sortit des clichés d'Asha plus jeune, de ses parents, de photos prises en Inde. C'était celles-là, qu'elle cherchait.

La maîtresse à l'école leur avait demandé de faire des recherches sur leurs origines, s'ils le voulaient, pendant les vacances. Renn, curieuse comme elle l'était, comptait bien les réaliser, ces recherches, et c'était pour cette raison qu'elle était montée récupérer ce gros carton de photographies. Nagpur, 1983. Asha. lut-elle sur le dos de la photo qu'elle avait dans la main, sur laquelle on voyait une petite fille d'environ six ans en robe bleue, toute souriante et seule devant une petite porte en bois. Cette petite fille, elle le savait, c'était sa grand-mère.

Asha avait raconté beaucoup d'histoire à Renn, sur tous les voyages à Nagpur qu'elle avait fait avec ses parents, pour voir toute la famille qui était restée là-bas. Elle lui avait décrit la vie là-bas, la ville d'où venaient ses parents, sa famille... Elle lui avait expliqué que ses parents, Ajay et Neela, étaient tous les deux nés à Nagpur, que leurs familles étaient amies, mais que les parents d'Ajay avaient décidé de déménager en Ecosse quand il était enfant. Elle lui avait expliqué que c'était lors d'un long voyage en Inde qu'Ajay et Neela étaient tombés amoureux. Elle lui avait expliqué qu'ils s'étaient alors mariés, et que Neela l'avait suivi en Écosse, loin de Nagpur et de tout ce qu'elle connaissait.

Asha avait aussi montré à Renn toutes les photos que la petite redécouvrait dans le carton, même celles qui ne représentaient que des paysages. Toutes ces étendues de terre, ces champs, ces montagnes qu'on ne trouvait qu'en Inde. Renn savait qu'elle n'y était pas souvent allée, parce que ce n'était pas la porte à côté, et que les billets d'avion étaient chers, pour traverser deux continents. ; mais sa grand-mère souhaitait y retourner, au moins une dernière fois. Peut-être même que Renn l'accompagnerait, avec Dev et Detlan, qui eux n'y étaient allés d'une fois, quand ils étaient adolescents. Elle l'espérait, en tous cas.

On lui avait raconté tellement de choses sur l'Inde que la petite avait envie d'y aller aussi. Elle voulait voir par elle-même si tout ce qu'on lui avait dit était vrai, voir comment c'était là-bas, si c'était comme sur les photos qu'elle avait là sous les yeux. Et avoir elle aussi des photos de Nagpur et du reste de l'Inde à accrocher dans sa chambre, et s'en souvenir toute sa vie.

Il n'y avait qu'une heure de route pour aller d'Edimbourg à Glasgow. Mais une heure dans la voiture, Renn trouvait ça interminable. Cela avait beau être bien moins long que lorsqu'elles faisaient le trajet jusqu'à l'île de North Uist, une heure, c'était quand même beaucoup trop long pour une enfant de spet ans qui avait juste envie de courir, sauter et faire des roues partout. Elle avait beau regarder le paysage écossais défiler par la fenêtre, les autres voitures sur l'autoroute doubler celle de sa mère à toute vitesse, elle commençait sérieusement à s'impatienter.
« Mamaan
— Oui, Renn ?
— C'est quand qu'on arriiive ? »

Detlan soupira. C'était au moins la dixième fois depuis qu'elles étaient sorties d'Edimbourg que Renn posait la question. Et dix fois en une heure, ça commençait à faire beaucoup, mais surtout à taper dans les réserves de patience de l'écossaise. « Bientôt, dans dix minutes, je t'ai dit, arrête de poser la question, ça ne va pas nous faire arriver plus vite. » Renn, installée à l'arrière, encore dans un siège auto, fronça les sourcils. « Mais tout à l'heure t'as dit qu'on arrivait dans dix minutes, et on est toujours pas arrivées ! » C'était vrai, en plus, et elles étaient encore sur l'autoroute, ce qui voulait dire qu'elles n'arrivaient pas du tout "bientôt". La petite était venue suffisamment de fois chez son oncle pour avoir retenu que même quand elles sortaient de l'autoroute, elles tournaient et viraient dans Glasgow encore un bon moment avant d'arriver enfin chez lui.

« Bon, Renn, ça suffit.
— Mais maman
— Stop. »
Renn fronça les sourcils. Elle en avait marre, d'être assise, ce n'était pas si compliqué à comprendre, quand même ! Les bras croisés contre sa poitrine, elle souffla. « C'est pas juste. » Elle voulait juste enfin arriver chez Dev, parce que la route c'était trop long et trop ennuyant. Et puis, maintenant qu'elles avaient quitté l'autoroute, le paysage était moins joli à regarder. Glasgow, c'était comme Edimbourg, il y avait des immeuble partout, et Renn ne trouvait pas ça très joli, les immeubles. Elle préférait les grands champs, ou les montagnes des Highlands, ou la mer ou l'océan ! Mais pas les immeubles tous ternes des grandes villes.

Au bout de la dizaine de minutes promis par sa mère, que Renn avait passé à bouder, Detlan arrêta enfin le moteur de la voiture. Elle était plus fatiguée des râles de sa fille que de la route à vrai dire. Renn, toute contente d'être enfin arrivée à destination, détacha sa ceinture illico. Elle traversa la banquette arrière pour sortir de la voiture sur le trottoir et pas sur la route, et en deux temps trois mouvements, elle était dehors, les bras en l'air pour s'étirer. Qu'est-ce que c'était bien, d'être enfin dehors ! Elle pouvait respirer ! Bon, c'était l'air encombré de la ville, mais c'était déjà mieux que l'air étouffant de la voiture. « Tu viens prendre ton sac ? Je ne vais pas le porter pour toi. »

Une fois son sac à dos récupéré dans le coffre, Renn suivit sa mère jusqu'à l'immeuble de son oncle. « Y aura Maeve, maman ? » demanda-t-elle à Detlan, en attendant que Dev leur ouvre. Maeve, c'était l'amoureuse de son oncle, la petite ne l'avait pas vu beaucoup de fois. De ce qu'elle avait compris, ils n'habitaient pas dans la même maison, mais ils étaient amoureux quand même. « Je ne sais pas, allez avance. » Detlan venait d'ouvrir la porte de l'immeuble, par laquelle Renn venait d'entrer. Elle grimpa les escaliers deux par deux jusqu'au deuxième étage, comme chaque fois qu'elle venait ici.

Arrivée en haut, la porte d'entrée de l'appartement était déjà entrouverte, la petite l'ouvrit en grand et entra en courant dans l'appartement, pour sauter dans les bras de son oncle. « Deeeeev ! » Elle sentit ses pieds décoller du sol et éclata de rire tandis que Dev la faisait tournoyer dans ses bras, sous le regard amusé de Detlan qui venait d'entrer et de Maeve, qui sortait de la cuisine. Renn adorait quand il la faisait tourner dans les airs comme ça, elle était bien contente d'être encore assez petite pour qu'il continue de la porter comme il le faisait. « Comment va ma nièce préférée ? » L'écossais venait de la reposer au sol. « Ca va ! » répondit-elle d'une voix enjouée, avant de filer saluer l'amoureuse de son oncle.

Renn allait passer toute la journée avec eux, d'après sa mère. Ils iraient pique-niquer dans un parc, et elle pourra faire du roller, des cabrioles dans l'herbe, grimper aux arbres... Tout ce qu'elle voulait, en somme, tant qu'elle ne faisait pas de grosses bêtises et qu'elle laissait les trois adultes discuter tranquillement.