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01 mars 2023, 10:09
Au fond de mon coeur habite un détraqueur  OS 
Vendredi 10 janvier 2048, dans la matinée
Couloirs — Poudlard
7ème année


La lettre en question dans ce texte.


Mes yeux lisent en boucle la même phrase. Encore et encore. Depuis de longues minutes. J'ai du mal à détourner le regard. Ses mots sont douloureux. L'écriture, leur signification. Jamais je n'avais bloqué sur cette phrase en particulier. Je me fatiguais sur des parties plus complexes qui cachent des secrets que j'ai du mal à saisir. Mais aujourd'hui ses mystères me fatiguent. J'ai un poids dans le crâne quand je pense à eux et aux milliards de questions qui traînent dans ma tète. Je suis fatiguée d'avoir mal, fatiguée d'être attachée, fatiguée d'attendre quelque chose. Je crois que le temps effrite ma colère. Les milliers d'heure passées à la haïr ont usé ma patience. Je me sens vide, comme une vieille personne. Sauf que je suis jeune, moi, et que je déteste sentir que ma colère ne part pas par choix mais par simple épuisement.

Ce n'est qu'après le départ d'Araya que je me suis rendue compte que sa présence occupait une bonne partie de mes pensées. Lorsqu'elle s'en est allée en même temps que tous les autres correspondants, que le nouvel an est passé et que la vie au château a repris sa lente et monotone course, mes pensées ont naturellement retrouvé le chemin qui mène à mon spectre. J'ai mis des jours avant de me rendre compte que ce n'était plus la même douleur qui me vrillait le corps lorsque j'invoquais nos souvenirs. Parfois, je me figure que tout ce qu'a fait remonter en moi Gabryel, ce soir de bal, n'y est pas étranger.

Combien d'heures gaspillées à me poser des questions ? Combien d'heures à détester de toutes mes forces, jusqu'aux larmes et parfois aux cris ? Combien de temps à me sentir tellement mieux qu'elle, tellement plus loyale qu'elle ? Me manque l'époque où je faisais semblant de ne pas l'admirer, l'envier, avoir envie de lui ressembler, d'avancer à ses côtés. Aujourd'hui, je ne me voile plus la face mais je donnerais tout pour être exactement comme elle : avoir un coeur aussi froid que son regard, aucune capacité d'attachement, être capable de partir à la recherche des "frontières" sans faire fi de ceux que je laisse derrière moi. Merlin, je voudrais tellement être comme cela. Je sacrifierais mes capacités de ressentir des émotions et des sentiments pour me consacrer aux seules choses importantes. Plus de pleur, plus de douleur.

Je préférerais vous haïr mais j'ai envie de vous ressembler.

Ma gorge est gonflée. Je détourne enfin les yeux de la phrase. « J'espère que nous nous reverrons ». J'aurais moins souffert si elle avait affirmé plutôt qu'espérer.

J'ai à peine conscience d'attraper ma plume et de tremper le bout dans l'encre noire. Patienter au dessus de mon parchemin, réfléchir, lutter puis finalement laisser glisser sur le papier rugueux l'intégralité de mes pensées.
J'ai
Quoi ?
Je rature et recommence.
Je vous
Vous me

Avez-vous réussi à repousser les limites ?
Le vide de cette question me frappe de plein fouet. Ce n'est pas ce que j'ai envie de dire. Pas ce que je ressens. Mes yeux sont secs mais mon front vibre de la douleur qui accompagne en général les larmes.
Revenez.
Un simple mot. Une supplique. Une idiotie que je rature à grands coups de traits agacés.
Dites quelque chose n'importe quoi.
S'il vous plaît, ne faites pas comme si vous n'en avez rien à faire de ce que je deviens.

Un grand moment passe sans que je ne réagisse. Mes pensées se disloquent dans mon crâne tandis que mes yeux glissent encore et encore sur les mots qu'elle m'a écrits il y a une éternité de cela. La dernière phrase absconse, les majuscules, les secrets. Elle parle de l'Ombre. Il n'y a que deux Ombres que nous connaissons toutes les deux mais je ne sais pas si elle parle du tableau ou de cette partie de mon âme, et de la sienne, qui est sale et crasseuse. Pourquoi ne parle-t-elle pas simplement ? Ne devrait-elle pas savoir que je hais les énigmes, moi qui ai tant de mal à déchiffrer ce qui n'est pas terre à terre ?

Elle le sait certainement. Je sais qu'elle me connait d'une certaine manière que moi-même ne peux comprendre. Pourtant elle s'évertue la plupart du temps à agir d'une telle sorte qu'elle en vient à me blesser ou à me torturer. J'ai fini par comprendre que c'était la seule manière de se faire apprécier de cette femme : en souffrant. Maintenant qu'elle est partie, j'aimerais qu'elle me facilite les choses et qu'elle me libère de la prison dans laquelle notre relation m'emprisonne depuis ma cinquième année, peut-être même avant. Mais comment me libérer alors que ses mots mystérieux me hantent ? Comment me libérer puisque j'attends désespérément un signe... Une preuve qui me soulage de mes questionnements : pense-t-elle à moi ? regrette-t-elle nos discussions ? aimerait-elle passer certains de ses dimanches en ma compagnie en buvant du thé ? voudrait-elle que je lui écrive ? si oui, pourquoi ne m'écrit-elle pas, elle, pour avoir de mes nouvelles ? Est-elle trop préoccupée par Owen ? Si elle l'a retrouvé, quel intérêt aurait-elle à songer à moi ? Je sais bien que je n'étais là que pour rendre ses erreurs passées moins douloureuses. Même si dans son courrier elle dit : « J'aimerais me dire que je t'ai utilisée dans ce but, mais je serais bien loin de la vérité ». Quelle est la vérité, alors ? Pour quoi m'a-t-elle utilisée si ce n'est pas pour soulager sa conscience des mauvaises actions, des mauvais choix, de ceux qu'elle a éviscéré sous un coup de rage, de son fils qu'elle a évincé de sa vie par erreur, dit-elle ? Ce ne sont que de belles paroles. Je l'ai crue au début, il y a un an de cela, lorsque nous étions sur le plateau. Je l'ai crue lorsqu'elle disait « Tu crois que mes mots ne valent rien ? Tu crois que je peux dire tout cela au premier venu ? ». Mais maintenant que reste-t-il de cette confiance que je ne lui ai jamais réellement donnée ? Il ne reste plus rien et ses mots me paraissent à la fois abscons et totalement mensongers.

Comment puis-je accepter tout ce qu'il s'est passé ? Durant des années, depuis mon retour de mes six mois d'exclusion si j'y réfléchis bien, j'ai essayé d'apprivoiser cette relation qui s'imposait à nous au fil de nos rencontres, parfois hasardeuses d'autres fois non. Ma méfiance n'a jamais totalement disparue, pas même lorsqu'elle m'a dit qu'elle me soutiendrait dans mon apprentissage de la magie noire si j'écoutais ses consignes. Pas même lorsque je lui confiais être détentrice de la dernière goutte d'Élixir de Longue-vie. Pas même lorsque je pleurais à chaudes larmes en lui faisant comprendre à demi-mots que je ne craignais rien de plus que de lui faire confiance — de peur de voir celle-ci bafouée. Pas même lorsque je me suis effondrée sur ce plateau et qu'elle m'a ramenée au château en me soutenant, son bras autour de moi, ma main accrochée à sa cape.

Cette fois-là par contre, lorsqu'elle m'a abandonnée sur le parvis de l'école sans s'assurer que je guérisse de mes blessures ou que je rentre sauve à mon dortoir, ma méfiance s'est réveillée. Comme tout du long de cette année, celle de ma sixième année, où je n'ai pu la voir pour parler de ce qui s'était passé, pas un seul contact.... Seulement une brassée de notes. Oh, j'ai eu des accès à la Réserve, des livres précieux, des résumés de recherche auxquels je n'aurais jamais eu accès sans elle. Mon savoir a été dûment comblé.

L'année dernière, j'ai appris qu'il en faudrait davantage pour que je mérite autre chose que des notes envoyées quand elle y pensait. Et j'ai compris en recevant sa lettre à la fin de l'année que rien ne sera jamais suffisant. Je ne suis pas un Owen, moi. Je ne suis pas de celle que l'on accueille tous les dimanches dans son bureau pour boire le thé.

Je ferme les yeux pour tenter d'endiguer les larmes mais trop tard, elles ont déjà envahi mon regard. Je plaque mes paumes sur mes paupières, si fort que des points blancs apparaissent dans l'obscurité. J'inspire profondément, incapable de ne pas invoquer à moi, à cet instant où l'envie de m'effondrer en larmes est si puissant, le souvenir de Sarah Priddy et de son « Regardez-moi, calmez-vous ». Je me répète ces phrases en boucle, jusqu'à ce que la douleur dans ma poitrine s'apaise, que la boule dans ma gorge disparaisse et que mes yeux redeviennent secs.

Mais je ne peux rien faire pour le reste. Rien ne peut essuyer la tristesse qui se répand dans mes veines. L'envie de lui écrire me vrille le corps mais ma réticence à le faire est plus puissante encore. J'éprouve une immense honte à l'idée de ce que j'ai failli faire. Je jette un regard déploré au parchemin raturé. Je le froisse d'un coup de baguette ; si j'avais été ailleurs, je l'aurais brûlé. Je me contente de le jeter tout au fond de mon sac dans l'espoir de parvenir à oublier qu'un jour, j'ai bien failli lui écrire.