Les semaines se succédaient et Ernest ne s’améliorait pas vraiment en vol malgré la bienveillance de son professeur et les conseils donnés par Blair quelques semaines plus tôt. Il était incapable d’avoir confiance en lui et en son balai et cela se ressentait dans sa pratique du Vol. La peur le pétrifiait mais il ne voulait rien lâcher. De toute cette tension et se stresse résultait un manque de souplesse et une raideur évidente qui l’empêchait d’avoir un contrôle correct de son balai. Et chaque essai se soldait par un échec douloureux. Littéralement. L’adolescent était déjà tombé à plusieurs reprises et ce n’était pas la première fois que son Professeur l’envoyait à l’infirmerie pour un check-up rapide. À présent, il en connaissait parfaitement le chemin.

La douleur physique était bien présente mais c’était surtout son égo qui était meurtri. Le garçon se sentait frustré de ne pas arriver à suivre les mêmes progrès que ses camarades et voir certains élèves parfaitement à l’aise sur leur balai à plusieurs mètres du sol l’agaçait encore plus, ce qui n’arrangeait rien à la situation. Mais le cours était à présent terminé et il attendait patiemment son tour, assis dans la salle d’attente. Contre toute attente, le brun aimait bien cet endroit. Il s’y sentait relativement serein.. L’atmosphère y était calme et paisible. Malgré la présence de quelques patients et parfois de visiteur, le volume des discussions était toujours plus faible que dans les autres endroits du château.

Il savait également qu’il ne risquerait pas de rencontrer grand monde et d’être dérangé. Alors il laissait aller son esprit aux vagabondages. Ses pensées étaient comme des feuilles mortes soufflées par le vent qui s’envolaient de manière désordonnée et aléatoire. Parfois il en attrapait une au vol mais le plus souvent, il les laissait simplement aller et venir. Il ne tentait jamais de les contrôler. Elles restaient légères et passagères et Ernest restait calme. Et quand il était tranquille, son esprit ne se perdait pas en ruminations. Il ne pensait pas à ces histoires de statut de sorcier, aux notes qu’il ne jugeait pas assez hautes, à ce que les autres pouvaient penser de lui. À la place, il méditait sur la réalisation de tel ou tel sortilège qu’il avait vu en cours, des différents tests qu’il pourrait exécuter pour s’améliorer et de toutes les expériences qu’il voulait encore mener. Même le vol semblait le laisser tranquille.

@Ernest Stevens, désolée pour ce retard

Il semblait que la pluie et le froid multipliaient les petits accidents. Il y avait un certain nombre d’élèves dans la salle d’attente de l’infirmerie et Ernest serait obligé d’attendre patiemment son tour. Ce n’était pas particulièrement un problème. Il n’avait plus d’heures de cours aujourd’hui, sinon il aurait probablement attendu d’y avoir participé pour se rendre à l’infirmerie malgré ce que le professeur de Vol lui avait conseillé. Au bout d’un certain temps, il n’y avait plus que lui et une petite brune assise sur la chaise juste à côté. L’adolescent se frotta le visage, l’attente le rendait somnolent.

Tout en essayant de ne pas la fixer de manière sans gêne, l’adolescent remarqua que la jeune fille portait régulièrement sa main à son genou. Comme c’était souvent le cas, son esprit partait dans tout un tas d’hypothèses quand à la raison de ce mal. Était-il le seul à avoir des accidents de balai si fréquemment ? En tout cas le seul idiot à continuer à s’infliger ce supplice. Il fallait croire que sa détermination ne connaissait pas la douleur. Ou que ses blessures d’égo étaient plus douloureuses que ses blessures physiques.

“Toi aussi tu es tombée ?”

La question sortait de nul part. Il ne connaissait pas l’adolescente qui se tenait à côté de lui et n’était généralement pas aussi prompt à prendre la parole. Mais cela faisait déjà un petit moment qu’ils patientaient tous les deux dans la salle d’attente. Le fait est que le garçon était sensible à la douleur, et plus particulièrement celle des autres.

@Elise Brown Pas de souci ! J'ai pas vraiment l'habitude, du coup je me demandais si tu étais passée à côté ou s'il y avait quelque chose qui ne te convenait pas

@Ernest Stevens

Les deux adolescents avaient enduré de longues minutes de silence alors que la salle d’attente de l’infirmerie se vidait peu à peu. C’était peut-être ce qui avait poussé Ernest à finalement prendre la parole. Comme si à chaque élève qui s’était éclipsé son malaise diminuait. À présent, il n’y avait plus qu’elle et lui. Et comme si l’attente avait créé une sorte de complicité tacite, un point en commun, il avait fini par lui adresser la parole. Il était de nature curieuse mais il avait également un sens du souci de l’autre qui dépassait parfois sa réserve. La demoiselle lui expliqua qu’elle avait mal au genou, ce qu’il avait pu déduire des gestes à répétition qu’elle effectuait. Pourtant, il ne s’agissait pas d’une chute. Quand elle lui retourna la question, ses joues rosirent légèrement et il baissa les yeux.

“Euh… de mon balai… enfin du balai sur lequel j’étais…”

Ernest était nul en vol, c’était un fait. Il continuait pourtant à persévérer, avec acharnement. Mais quoi qu’il fasse, la peur restait toujours là. Dans son esprit, il était inconscient et dangereux de s’élever aussi haut dans les airs perchés sur une branche de bois. Aussi magique puisse-t-elle être. Et malgré les encouragements de son professeur et les efforts qu’il faisait pour que ses élèves se sentent à l’aise, rien n’y faisait. Ce qui ne l’empêchait pas de remonter, encore et encore. Et de se reprendre des gamelles. Ernest était trop crispé, trop stressé.

“Tu en as souvent ? Des douleurs ?”

S'il se montrait indiscret, il n'en avait pas conscience. Il tentait simplement de comprendre. De glâner des informations pour avoir une image plus précise. Ernest détestait le flou et les questions sans réponse.

@Ernest Stevens

Ernest baissa les yeux alors que la demoiselle rit à son commentaire. De l’extérieur, ça avait peut-être quelque chose de marrant de tomber d’un balai. Mais pour lui, cela avait quelque chose d’humiliant. Une honte qu’il acceptait pourtant séance après séance, à chaque fois qu’il enfourchait le maudit bout de bois. Il valait mieux en rire qu’en pleurer. N’était-ce pas ce qu’on disait ? Et s’il y avait une chose qui était sûre c’était qu’il ne pleurerait pas. Il n’était pas du genre à se lamenter sur son sort.

Il comprit néanmoins que la jeune fille ne se moquait pas de lui. Il n’était pas le seul à connaître des déboires en vol apparemment. Ce qui avait quelque chose de réconfortant, même si ça n’arrangerait pas son problème. Il espérait vraiment qu’à l’instar de toutes les autres matières, la pratique et l’entraînement finiraient par payer. Pour l’instant, les progrès n’étaient pas au rendez-vous. L’adolescent haussa les épaules en entendant la petite brune balbutier. C’est vrai qu’il n’était pas fort, autant se le dire.

“Je ne suis pas fort… je suis carrément nul pour être tout à fait honnête… Voler, ça me fiche une frousse pas possible…”

L’adolescent faisait preuve d’une honnêteté déconcertante. En général, il préférait éviter les sujets qui le mettaient mal à l’aise mais ses prouesses en vol n'étaient pas de l’ordre du secret. Il fut néanmoins soulagé lorsque la discussion bifurqua sur la raison qui poussait la jeune fille à se rendre à l’infirmerie. Apparemment, les douleurs qu’elle ressentait n’étaient ni nouvelles ni dues à un choc récent. Une légère grimace se dessina sur le visage du garçon. Il n’aimait pas l’idée de la douleur. Il compatissait, même s’il ne connaissait pas l’élève qui se tenait à côté de lui. Comme il n’y connaissait rien en médecine ou en médicomagie, il s'abstient de faire aucun autre commentaire.

Mais quand la demoiselle montra de nouveau signe de douleur, il jetta un regard dans le couloir pour voir s’il l’infirmier était encore en consultation ou s’il n’apercevait pas un autre adulte à qui il pourrait demander conseil.

“Tu peux passer avant moi si tu veux… je n’ai quelques ecchymoses. Et c’est le Prof qui a insisté pour que je passe rapidement par ici, juste pour être sûr… Je peux aussi aller chercher quelqu’un.”

@Ernest Stevens

Ernest haussa les épaules aux commentaires de l’adolescente. Il n’était pas convaincu. Mais il y avait pire que l’humiliation. L’échec. Sa hantise. L’échec et la culpabilité. Ils étaient son moteur. Ce qui le faisait tenir quand la curiosité et la soif d’apprendre n’étaient plus suffisantes. Il ne connaissait pas grand chose à l’optimisme. Depuis les événements qui avaient secoué Londres en 2045, la vie de la famille Stevens avait définitivement pris un autre tournant. C’était probablement le lot de toutes les familles mixtes. La prise de position était compliquée, voire impossible. Ernest ne comprenait pas tout au monde des adultes, à la politique mais cette année-là, il n’avait pas échappé aux tensions qui enveloppaient la ville mais aussi tout le pays. Depuis, plus rien n’était comme avant.

En voyant que la demoiselle montrait des signes de douleurs, l’adolescent avait voulu appeler de l’aide. Ou au moins lui proposer de passer avant lui. Il n’avait rien de prévu, ci ce n’était retourner dans sa chambre et se plonger dans un livre. Si la Salle commune n’était pas bondée, il s’installerait prêt du feu. Il aimait bien le feu.

“Tu sais pourquoi tu as mal ?”

La question était peut-être indiscrète. Elle répondait seulement au besoin d’Ernest de comprendre le monde qui l’entourait. Comprendre les autres aussi. Il était sensible à la peine. Même celle qui n’était pas la sienne. Et puis qu’est-ce qu’il pourrait bien lui dire d’autre ? Il ne la connaissait pas. Ils étaient à l’infirmerie, c’était plutôt à propos. Et puis elle avait demandé en premier alors il avait l’impression que retourner la question était quelque chose d’acceptable.

@Elise Brown

@Ernest Stevens