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14 janv. 2024, 23:03
Sous le clignotement d'une étoile pâlissante  Solo 
Merci T. S. Eliot pour le titre - cf. Les Hommes Creux.


Mercredi 9 décembre 2048, début de soirée
1ère année à l’AESM



Le froid m’agresse dès que je passe les grandes portes. Un froid qui picore la peau, qui glace le nez, qui fait mal quand on respire. Les gants, l’écharpe et le bonnet ne m’empêchent pas de trembler, pas plus que la cape épaisse que j’ai enfilée et dans laquelle je suis emmitouflée. Alors que tous les étudiants prennent le chemin inverse pour rentrer à l’intérieur du bâtiment et aller se réchauffer dans les lieux de vie de l’école, soit ces grands salons confortables et chaleureux, moi je m’enfonce sur la route obscure qui relie l’école à son portail après avoir quitté en catastrophe la chambre numéro 28 et le regard suspicieux que faisait peser sur moi ma colocataire.

Je trébuche plus que je ne marche. Ce n’est pas à cause du manque de lumière. La lune est suffisamment belle ce soir pour que je puisse me diriger sans ma baguette magique. Ce qui me fait trébucher, ce sont les souvenirs qui reviennent en masse dans mon crâne ; des malvenus, des douloureux, des invités surprises qui brouillent mes pensées et qui me font peur. Tant bien que mal je hâte le pas pour atteindre le portail. J’aurais pu me contenter d’aller m’enfermer dans la salle de bains ou de trouver une salle de cours vide, mais Rockfield était dans la chambre et les étudiants pullulent dans les couloirs, beaucoup trop pour que je me permette d’utiliser un sortilège de magie noire dans l’enceinte de l’une des écoles supérieures de Grande Bretagne. Alors je me traîne sur le chemin, entourée par la silhouette des fontaines et des parterres de fleurs figés sous une couche de givre qui sera bientôt recouverte par un manteau de neige.

Normalement, le Sortilège agit beaucoup plus longtemps que cela. Je l’ai lancé ce matin. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me fasse défaut le soir même. Toute la journée, j’ai eu du mal à me concentrer, et pour cause : des souvenirs que je ne comprenais pas me revenaient à l’esprit. La silhouette d’une femme qui s’est précisée au fur et à mesure que les heures passaient. D’abord silhouette, elle a gagné un corps, un visage, un regard et maintenant, elle a même une voix. Une voix qui dit : « Épargne moi tes ressentis, par Morgane ! ». Tantôt je me souviens de son prénom, tantôt je l’oublie. Parfois, j’arrive à aimer ses yeux bleus glaciaux qui me torpillent l’âme et l’instant suivant, je les hais plus que tout au monde. Et ça tourne en boucle dans ma tête, encore et encore et encore, si bien que je n’arrivais plus à me contrôler, je n’arrivais pas à ne pas trembler, à ne pas me prendre la tête entre les mains, à ne pas donner des coups furieux dans mon bureau parce que je ne comprenais pas les images qui s’affichaient dans mon esprit. Rockfield m’a demandé deux fois si j’avais un problème. La deuxième fois, j’ai précipitamment quitté la pièce, à deux doigts de péter un câble, de hurler, de lui jeter quelque chose dessus pour le simple plaisir de la voir répliquer.

Je suis à bout de souffle lorsque j’atteins le portail. C’est plus fort que moi, je ne parviens pas à lutter contre les larmes qui dévalent mes joues malmenées par le froid. J’ai un étau dans la gorge, j’ai du mal à respirer, mais j’avance, je dépasse les gardiens qui me laissent aller sans chercher à m’arrêter et je m’enfonce dans les bois, laissant derrière moi les lumières de l’école, ainsi que Zikomo et Nyakane dont j’ai refusé la présence auprès de moi.

Les arbres sont penchés sur moi comme des monstres noirs et griffus, mais j’ai passé l’âge d’avoir peur des ombres et de la nuit. La plupart du temps. Je slalome entre les troncs, trébuche sur les racines, renifle douloureusement dans la nuit noire avec la lune pour seule spectatrice.

Je ne m’arrête que lorsque je juge m’être suffisamment éloignée. Alors je me laisse tomber sur le sol, je m’accroche à ma baguette magique et je ferme les yeux à m’en déchirer les paupières. Je me lance dans le processus habituel du Sortilège : penser aux souvenirs, les rassembler pour mieux les oublier. C’est douloureux, je n’ai jamais autant souffert que lorsque je me plonge à corps perdu dans ces réminiscences qui me font du mal. Elles ont pris en ampleur avec les mois. À chaque fois que je tente de les oublier, que je lance le Sortilège, la fois d’après est un peu plus douloureuse. Plus je condamne mes souvenirs, plus ils gagnent en force. Ils se transforment en monstres que j’ai appris à craindre. Parfois, je me dis que les affronter leur ferait perdre de leur pouvoir. Puis je lance le Sortilège et j’oublie tout ça.

Recroquevillée au pied d’un arbre, à moitié camouflée par son ombre, je ne fais pas attention aux brindilles qui craquent, à la branche qui se baisse à une dizaine de mètres sur ma droite. Je pleure sur moi-même, pitoyablement, avec le nez qui coule sur mon écharpe et mes yeux qui me piquent, avec des hoquets et de la douleur. Je lève ma baguette, je murmure le Sortilège qui me donnera des cauchemars cette nuit mais qui me permettra d’oublier tout le reste. J’oublie les souvenirs qui remontent, tout ceux qui me font mal, toutes les choses que je ne suis pas capable d’affronter. La Magie m’aide à oublier. Certains ont les drogues, l’alcool, le déni. Moi j’ai la magie et c’est plus efficace que n’importe quoi d’autre.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 25 janv. 2024, 12:02, modifié 2 fois.

15 janv. 2024, 00:28
Sous le clignotement d'une étoile pâlissante  Solo 
Une poignée de secondes s’écoule, le Sortilège fait effet. Mon esprit se dégonfle mais ce n’est pas de l’air qui s’en échappe, ce sont des morceaux de moi. Mon corps se relâche soudainement, je m’affaisse contre l’arbre et essuie d’une moufle tremblante mon nez dégoulinant et mes joues humides. Tout va bien, me dis-je en observant le ciel couvert de nuages qui s’étire derrière la canopée. Les bruits de la forêt me parviennent maintenant que mon cœur a cessé de battre dans mes oreilles. Tout va bien. Je ne sais pas exactement ce que je fais ici. J’ai vaguement conscience d’avoir lancé un sortilège qui m’a permis d’oublier… Mais oublier quoi ? Peu importe, je me fais suffisamment confiance pour savoir que c’était la chose à faire.

Je me relève difficilement, le corps perclus de douleurs. Je tremble très fort de la tête au pied, et un mal de tête lancinant rend ma vision trouble, mais tout va bien, car dans mon esprit c’est le calme complet. Je me sens bien, légère, même si une intense fatigue m’accable tout à coup. Je me retiens d’une main au tronc, le temps que passe le malaise. Les yeux fermés, je respire profondément par le nez et expire par la bouche. Tout va bien, fatigue magique, rien de grave.

Et puis soudainement, je les entends. Le froissement d’une cape sur le sol de la forêt, le bruit d’une branche que l’on effleure, celui des feuilles qui murmurent au passage d’un corps… Je relève subitement la tête sur la droite, là où à travers deux arbres se dessine l’ombre du chemin qui mène à l’école. Je vois la silhouette étroite qui se redresse tout à coup, qui se détourne, qui s'apprête à s’enfuir. Je ne me suis pas entraînée trois ans avec Nyakane pour rien. En un tour de main, j’ai dégainé ma baguette et si c’est un murmure qui sort de ma bouche, le sortilège n’en est pas moins puissant et précis :

« Furunculus ! »

Un fuseau magique, le bruit sourd d’un corps qui chute contre le sol ; j’ai réussi mon coup. L’adrénaline remplace tout le reste dans mes veines. Le sang bat dans mes oreilles lorsque je me précipite sur la forme qui gémit par terre, le visage sans doute recouvert de furoncles. Avant même qu’elle essaie de se relever, je la désarme d’un Expelliarmus bien placé ; la baguette disparaît dans les buissons. La silhouette se relève, elle me crie quelque chose que je n’écoute pas, trop excitée par la colère de m’être fait surprendre à lancer un sortilège un peu bizarre. C’est mon instinct qui agit, quelque de plus grand que moi, de plus fort, de plus primitif. Je me jette sur le corps qui se détache à peine dans la pénombre de la forêt, mes doigts accrochent ce qu’ils peuvent, le revers d’une cape en l'occurrence. Nous nous débattons quelques secondes, mais c’est à peine si je sens les coups que l’on me porte aux côtes et aux jambes. Lorsque ma prise est sûre, je tire d’un coup sec, arrachant à l’autre un cri de surprise — un cri féminin, je reconnais la voix, mais pourquoi…

« Bristyle, att… »

Je la plaque contre l’arbre le plus proche sans la moindre douceur, sans faire attention à sa tête qui rebondit contre la surface dure du tronc, sans desserrer mes doigts qui doivent appuyer contre sa gorge. Je sais que je la maîtrise et qu’elle ne pourra rien contre moi. Elle ne peut rien faire, ni se débattre parce que je suis plaquée contre elle, ni me donner des coups parce que je la sens tétanisée par la peur, ni crier parce que mon regard s’enfonce dans les deux billes bleus qui lui servent d’yeux et qu’elle doit voir quelque chose sur mon visage qui la dissuade d’élever la voix.

« Qu’est-ce que tu fous là, Rockfield ? » je grogne d’une voix sourde.

Je me sens trembler. Je me sens en colère. Je me sens dangereuse. Mes doigts se resserrent sur elle, même si je l’ai reconnue, même si je sais que je ne risque rien avec elle. Ma baguette chauffe sous mes doigts, le bout s’enfonce dans la peau blafarde de sa joue. Il me suffirait d’un sortilège, un seul…

« S-s-s’il-te-plait, lâche-moi, bafouille-t-elle, j-je voulais pas… Je voulais pas… C’est c-c’est pas ce que tu crois... »

C’est sa voix qui me fait redescendre sur terre. Sa voix qui trébuche. Alors je prends conscience de son corps tout contre le mien, de ses jambes qui lui permettent à peine de tenir debout et qui s’entremêlent aux miennes, des tremblements qui la parcourent de la tête au pied, de son ventre qui se soulève et s’abaisse rapidement contre le mien, des mèches de cheveux blond qui contrastent sur mes moufles noires, de ses yeux terrifiés qui s’écarquillent et qui sont à deux doigts de se remplir de larmes, de son souffle agité et, en dernier, je remarque la dizaine de furoncles énormes qui parsèment son visage à la peau habituellement si blanche et à l’apparence si douce.

Surtout, je prends conscience de l’envie qui gronde tout au fond de moi. Ce serait si simple, si facile de la réduire au silence, de défouler sur elle ce poids que j’ai sur le cœur et dont je ne sais pas d’où il provient. Elle est à portée de main, littéralement, complètement à ma merci. Plusieurs scénarios passent dans mon esprit, très rapidement, trop rapidement, et avant même de savoir lequel me tente le plus, je devine que je n’en choisirai aucun.

Je la lâche subitement. Pas parce que je vois sa peur, pas parce que notre proximité me gêne, pas parce que ce que je fais est mal, mais parce que je sais que dans son état elle ne pourra rien me faire. Et effectivement, elle ne fait rien : elle se laisse tomber au sol comme si elle n’était plus capable de tenir sur ses jambes. Je laisse passer quelques secondes, plantée devant elle avec ma baguette crispée entre les doigts, le corps encore tendu par l’adrénaline et l’envie d’aller plus loin, la surplombant de toute ma taille et de toute ma force. Je suis persuadée qu’elle va fondre en larmes, mais non. Non, elle ricane d’abord en reniflant, puis son ricanement se transforme en rire nerveux qui s’élève dans la nuit noire.

15 janv. 2024, 11:35
Sous le clignotement d'une étoile pâlissante  Solo 
Cela a au moins pour conséquence de faire baisser la tension de quelques crans. Mes épaules s’affaissent, mon cœur retrouve un rythme plus apaisé. Mais cela ne change rien au fait qu’Ashley Rockfield soit là. Je décide de la questionner avant qu’elle ne me reproche de lui avoir fait la frayeur de sa vie et qu’elle ne pète un cable pour ça :

« Dis-moi ce que tu fous là, maintenant, grincé-je d’une voix précipitée. Je suis pas bête : tu m’as suivi, c’est ça ? Sinon, tu serais pas là. C’est quoi ton problème, par Merlin ?!
Sérieux, souffle-t-elle après avoir dégluti difficilement, tu me demandes ce que c’est mon problème ? Et le tien, alors ? T’as failli me… T’es une vraie mala…
Dis pas n’importe, répliqué-je sur un ton cassant, j’ai failli rien du tout. Contente-toi de me répondre. »

Sauf que c’est faux, évidemment que j’ai failli faire ce qu’elle croit que j’ai failli faire. J’en avais tellement envie, en a-t-elle conscience ? Je ne crois pas, sinon elle n’essayerait pas déjà de se relever. C’est pourtant ce qu’elle fait et je m’éloigne de quelques pas pour la laisser faire sans pour autant la lâcher du regard et cesser de la surveiller. Quand elle reprend la parole, j’ai l’impression qu’elle a retrouvé un peu de force ou de courage, ou quoi que ce soit qui nous permet habituellement de ne pas nous effondrer sur nos propres jambes. J’ai du mal à supporter le regard accusateur qu’elle pose sur moi en réarrangeant sa cape autour de son cou.

« T’avais l’air bizarre, articule-t-elle doucement, prudemment. Oui, je t’ai suivie. Tu pars toujours soudainement comme ça, en ayant l’air vraiment bizarre. Sérieusement, tu te vois pas de l’extérieur, Bristyle, mais parfois tu fais vraiment flipper et je voulais voir ce que tu foutais dans ces moments-là. »

Je ne sais pas de quoi elle parle. Je ne sais plus pourquoi j’ai quitté la chambre, tout à l’heure. Je ne me rappelle pas d’avoir agi bizarrement.

« Et ça t’a convenu ? demandé-je d’une voix lente. Ce que tu as vu t’a convenu ? »

Elle s’adosse à l’arbre. Peut-être est-elle plus faible et plus atteinte par ce qui vient d’arriver qu’elle ne veut bien le faire croire. Les furoncles sur son visage sont vraiment horribles et doivent lui faire mal, mais je ne regrette pas. C’est une maigre punition pour m’avoir espionné.

« T’étais en train de faire quoi ? ose-t-elle me reprocher avec sa voix rauque et son regard méfiant.
Tu penses que parce qu’on dort dans la même chambre ça te concerne ou quoi ?
Ouais. Sérieux, t’étais… » Elle désigne l’arbre contre lequel je me suis réveillée, même si je n’étais pas vraiment endormie, sans souvenir de ce qui venait d’arriver exactement. « T’étais en train de pleurer, de pleurer et…
Et tu comptes faire quoi de cette information ? »

J’ai à peine conscience de ce que je dégage. De ma baguette avec laquelle je joue. De mon corps immobile. De mes yeux fixés sur elle. J’ai à peine conscience de sa prudence, de son regard qui fouille les alentours dans le vain espoir de retrouver sa baguette. De la tonalité de ma voix, basse, qui est une menace à elle seule. Je n’ai pas conscience de tout cela car j’agis sans réfléchir, j’agis naturellement, parce que c’est ce qui me parait approprié, parce que j’ai envie d’être comme ça.

« Pourquoi ? dit-elle effrontément. Tu vas me faire quoi, sinon ? »

La question à dix milles Galions. Elle sait que je sais et je sais qu’elle sait ; nous savons toutes les deux de quoi elle parle : de cette menace que je représente et qui n’a rien de superficielle, comme le prouvent la bosse qu’elle aura sur la tête et le souvenir de mes doigts proches de son cou et de ma baguette enfoncée dans sa joue. Nos regards se soutiennent et il se passe des dizaines de choses pendant ces quelques secondes durant lesquelles je garde un silence éloquent.

« Rien, si tu gardes le résultat de ton petit espionnage pour toi. »

Ses lèvres pâles se recourbent lentement vers le bas. Je ne sais pas pourquoi elle choisit la sincérité. Je ne sais pas pourquoi elle m’avoue d’une voix chevrotante et faiblarde :

« J’ai rien compris à ce qui s’est passé, comment tu voudrais que j’en parle ? »

Je me revois contre cet arbre, les muscles bandés pour la tenir immobile ; j’imagine mon regard noir comme l'abysse et la forme de mon visage en colère. Je me demande si elle a senti s’échapper de moi l’aura magique que l’on ressent au contact de certaines personnes, si c’est la raison pour laquelle elle était tétanisée. C’est la première fois que je la vois aussi effrayée. Je crois que ce soir, elle a enfin compris que je ne délirais pas toutes ces fois où je l’ai menacée parce qu’elle m’énervait. Et si je ne m’en réjouis pas, c’est seulement parce que je suis habituée depuis toujours à ne pas laisser voir cette partie de moi. La seule personne qui l’a vue et qui l’a prise pour ce que c’était, c’est Aliénor Delphillia. Mais je n’ai aucune envie, vraiment aucune envie de penser à elle ce soir.

15 janv. 2024, 17:47
Sous le clignotement d'une étoile pâlissante  Solo 
Rockfield prend mon silence pour une réponse. Elle s’éloigne lentement de l’arbre, mais elle le fait avec prudence, les yeux tournés vers moi.

« Je dois retrouver ma baguette magique. »

Elle le dit comme pour me demander la permission.

« Dépêche-toi, soupiré-je, magnanime. Elle est tombée quelque part par là. »

Je désigne une forme obscure à quelques mètres. Des buissons dans lesquels Rockfield farfouille en se retournant régulièrement vers moi. Lorsque je lui propose d’utiliser un sortilège d’attraction, elle refuse, met plus d’ardeur dans ses recherches, et finit par retrouver sa chère moitié. Je regarde les retrouvailles d’un air sombre, affligée que cette fille soit là avec moi ce soir et qu’elle ne m’ait même pas présenté d’excuses correctes. De toute de façon, je ne l’aurais pas cru si elle m’en avait fait.

Nous nous retrouvons quelques instants plus tard sur le chemin qui doit nous ramener à l’école, épaule contre épaule, ralentissant chacune notre tour dans l’espoir de laisser passer l’autre devant pour la surveiller. Je recommence à peine à sentir le froid me caresser les joues, mais je n’y fais pas attention, trop occupée à observer Rockfield du coin de l'œil. Elle marche le regard braqué sur le bout de ses bottes, emmitouflée dans sa cape pas suffisamment épaisse pour la protéger des bourrasques à l’odeur de neige. Ses sourcils bien taillés sont froncés, son nez tout rouge, ses joues sont encore pâles et ses lèvres pincées. Elle a les traits durs, ce soir. Mais peut-être ai-je cette impression parce qu’elle est recouverte de furoncles.

Peut-être parce qu’elle sent mon regard sur elle, elle s’arrête subitement au milieu du chemin, une grimace lui tordant la bouche. Elle lève la main pour effleurer son visage mais s’arrête à temps. Puis elle me fusille du regard.

« T’as abusé avec ce sortilège ! »

Je ricane doucement.

« Tu en aurais préféré un autre ? J’en avais des moins agréables en tête alors contente-toi de ce que tu as eu.
Je vais jamais pouvoir m’en débarrasser !
T’étais où pendant les cours de potion ? dis-je en levant les yeux au ciel. Une potion Défuroncula et ce sera réglé, arrête de me saouler. Si tu te glissais pas sournoisement dans les bois pour espionner les gens t’aurais pas ce problème. »

Je reprends ma route d’un air nonchalant, plus ou moins persuadée, maintenant, qu’elle ne m’attaquera pas dans le dos.

« J’ai pas de potion Défuroncula sur moi, Bristyle, je n’ai pas ça dans mes poches ! »

Sa voix paraît lointaine. Quand je me retourne, je remarque qu’elle n’a pas bougé. Même avec les quelques mètres qui nous séparent je vois bien que son regard est noir et qu’elle est désespérée.

« Faut être plus prévoyante, alors, lâché-je avec un mouvement d’humeur. Allez, bouge-toi, il fait froid !
J’ai. Pas. De. Potion. Pour. Me. Guérir, assène-t-elle, les mâchoires serrées, sans bouger d’un pouce. Et… »

J’attends, les sourcils arqués et l’air impatient, mais rien ne vient. Et quoi ? Personne ne saura jamais. Pourquoi me prend-elle la tête ? Elle brasse des dizaines de personnes tous les jours dans les couloirs de l’école, il y a bien quelqu’un qui pourra lui en filer, non ? Ou alors elle pourra aller en acheter sur le Chemin de Traverse, je ne sais pas, c’est une grande fille !

Il se passe alors quelque chose d’incroyable et d’effrayant : ses yeux se remplissent de larmes.

16 janv. 2024, 08:44
Sous le clignotement d'une étoile pâlissante  Solo 
Elle cache aussitôt ses yeux derrière ses doigts rougis par le froid, expulse un râle à mi-chemin entre le cri de frustration et le grognement de colère, se frotte les joues et relève la tête comme si de rien n’était. Elle s’avance de trois pas vers moi, plus déterminée que jamais, mais avant que je ne puisse décider de si je veux reculer ou non, elle reprend la parole :

« T’en as pas, toi ? Une potion pour guérir… Ça ?
Tu me prends pour une marchande ambulante, Rockfield ? Non, j’ai pas ça, et si j’en avais je te la vendrais à un prix si élevé que tu ne pourrais pas te la payer !
Pourquoi t’es comme ça ? s’écrit-elle, la partant dans les aigus. C’est toi qui m’a fait ça, pourquoi tu veux pas… Pourquoi…
Tu l’as bien cherché ! répliqué-je d’une voix calme, mes yeux suivant la danse de ses cheveux fins qui volent autour de son visage lorqu’elle secoue la tête. T’as qu’à voir avec ta famille, aller t’en acheter, je sais pas moi, pourquoi on parle de ça, en fait ? Depuis quand t’as besoin de moi pour régler tes soucis ? Continue de faire comme tu fais depuis le début de l’année, règle tes problèmes et fous-moi la paix ! »

Prends des initiatives, réfléchis ! Pourquoi est-ce qu’elle me regarde avec ce regard fatigué ? Pourquoi elle me parait si pâle, tout à coup, si faible, si petite ? Où est passée mon énergique colocataire qui sait si bien me prendre la tête ? Pourquoi est-ce qu’elle attend quelque chose de moi, par Merlin ? Elle ne dit rien, elle me regarde avec ce drôle d’air, le visage presque caché derrière ses mèches blondes qui lui tombent devant les yeux. L’air s’infiltre sous sa cape détachée et fait battre les pans autour de ses jambes. Pourquoi est-ce qu’elle ne parle pas, pourquoi est-ce qu’elle ne m’explique pas, pourquoi n’est-elle pas en colère contre moi ?

Elle prend une grande inspiration, mais c’est une petite voix qui sort de sa bouche :

« Je ne peux pas me procurer cette potion, me dit-elle très lentement.
Demande à tes potes ! Bordel, mais pourquoi…
Je ne peux pas faire ça, Bristyle. »

Encore ce ton sans appel. Elle ne peut pas, elle ne peut rien !

« T’es vraiment une emmerdeuse.
Merlin ! explose-t-elle tout à coup, et j’ai bien peur de la voir encore une fois éclater en sanglots. Aelle… Bristyle, j’ai vraiment… » Elle souffle, serre les poings, lève son visage froissé vers le ciel avant de baisser des yeux récalcitrant vers moi. « Ça fait mal. Et j’ai… Je veux juste… S’il-te-plait. »

En prononçant cette simple petite supplique, j’ai l’impression qu’elle sacrifie une partie de son âme. Elle le fait à reculons mais elle le fait réellement, avec une voix à deux doigts de se casser et des yeux prêts à laisser couler de grosses larmes amères.

Tout à coup, je comprends que je n’ai pas d’autres choix que de l'aider. Parce que j’ai beau être celle qui est capable de la plaquer contre un arbre pour la malmener et lui faire du mal, celle qui aurait pu aller plus loin, je n’ai jamais été du genre à refuser à quelqu’un de l’aide, Sauf que je n’ai pas la potion dont elle a besoin sur moi ou dans la chambre, et que je ne connais personne qui peut m’en procurer rapidement, si ce n’est…

« Tu me saoules, lui affirmé-je en la regardant vraiment en face. J’en ai vraiment marre de toi. »

Ce n’est pas un mensonge. Elle me tape sur le système. Elle me fatigue. Elle prend trop de place, partout, dans la chambre mais aussi dans ma vie ; la preuve étant ce qu’il s’est passé ce soir. Je déteste devoir l’aider, je déteste qu’elle ait besoin de moi, je déteste que toute cette fichue situation soit de sa faute.

En un pas, je suis sur elle. J’enroule mes doigts autour de son bras. Elle se débat brusquement et essaie de se défaire de ma poigne.

« Qu’est-ce que tu… Lâche-moi ! »

Son autre main vole vers sa baguette magique qu’elle a rangé dans sa poche, mais je suis plus rapide, j’immobilise son bras d’arme avec ma seconde main. Je la secoue un peu et plante mes yeux dans les siens.

« Calme-toi ! lui ordonné-je, parfaitement consciente que c’est moi qui lui fait peur, et secrètement, honteusement ravie d’avoir un tel pouvoir sur elle. On va juste transplaner.
Où ça ? » réplique-t-elle furieusement en essayant de récupérer ses bras — en vain.

J’aurais pu la laisser dans le flou le plus complet, transplaner sans la prévenir. Mais je prends la peine de lui expliquer ce qui va lui arriver.

« On va chez quelqu’un. Il aura une potion pour tes furoncles.
C’est pas un plan foireux ?
T’as pas d’autres choix que de me faire confiance, je crois, soupiré-je. J’ai aucune envie de passer plus de temps avec toi ce soir : on va régler ça puis chacune pourra repartir de son côté. »

Elle me regarde en plissant les yeux, méfiante. Mais elle sait qu’elle n’a pas d’autres choix. Elle finit par hocher doucement la tête. Ses muscles se détendent. Je consens à lâcher l’un de ses bras. Alors seulement, je me concentre sur la destination et ferme les yeux pour transplaner.