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25 janv. 2024, 12:00
Derrière le masque de verre  solo 

Mercredi 9 décembre 2048, soirée
1ère année à l’AESM



L’espace se tord pour nous avaler, nous secoue dans tous les sens et nous recrache violemment dans un endroit qui m’est bien familier. J’ai à peine le temps d’apercevoir la façade bardée de colombages qu’un voile tombe devant mes yeux. C’est le choc du sol contre mes genoux qui me fait prendre conscience que je viens de tomber. Je suis au bord de la nausée. J’avais oublié que j’étais déjà faible magiquement. Je n’avais pas prévu un transplanage aujourd’hui.

Je prends de grandes inspirations par le nez pour calmer mon estomac récalcitrant. Je me relève tant bien que mal sous le regard amer de Rockfield qui, le visage barbouillé de furoncles, ne fait rien pour cacher le mépris que je lui inspire.

« Ça va ? me demande-t-elle alors sans s’approcher. Tu te sens pas bien ? On… On doit aller où ? »

Peut-être que ce n’était pas du mépris, finalement. Je balaye ses questions d’un geste de la main et prends la direction du bâtiment le plus proche. Nous sommes dans une grande ruelle occupée des deux côtés par des rangées d’immeubles. Celui vers lequel je me dirige comporte le plus d’étages.

Ici, la neige est déjà tombée. Le sol est recouvert d’une fine couche blanche qui crisse sous nos pas. Rockfield trottine derrière moi. Je ne comprends toujours pas pourquoi elle agit comme ça, comme si elle n’était pas habituellement insupportable et agaçante au possible. Son caractère tout neuf m’énerve. On dirait une pauvre chose fragile. Comme si elle était à deux doigts de se casser. Quand je me retourne vers elle, elle se fige ; ça me donne envie de lui balancer quelque chose au visage. Je déteste la crainte qui l’entoure — de quoi a-t-elle donc si peur ? Ce n’est pas comme si j’allais lui faire du mal ! Si je l’avais vraiment voulu, je l’aurais fait dans la forêt.

D’un murmure agacé, je lui ordonne de passer devant moi pour grimper dans la cage d’escaliers et elle le fait, elle le fait comme si elle m’avait obéi toute sa vie ! Je monte à sa suite, le pas lourd, en prenant sur moi pour ne pas lui hurler d’avancer à chaque fois qu’elle s’arrête sur un palier pour demander si c’est là qu’on doit s’arrêter. Tais-toi et avance !

Son ombre s’étire derrière elle et camoufle les marches, je manque de me rétamer par terre plusieurs fois, mais plus que l’obscurité, c’est ma fatigue qui est en cause. Une grande, intense, immense fatigue qui semble me peser sur l’âme.

Dernier étage. Elle ne peut plus s’arrêter pour me demander si nous sommes au bon endroit puisqu’il n’y a aucun autre endroit où aller. Elle se colle contre la rambarde, ses grands yeux bleus écarquillés posés sur moi. C’est drôle, ses yeux sont de la même couleur que les siens, pourtant ils n’ont rien d’effrayant, rien qui m’écrase le cœur.

Je m’avance, le cœur battant à tout rompre contre ma cage thoracique. J’en connais quelques-uns à Uagadou qui se moqueraient de ma condition physique : épuisée parce qu’elle vient de montrer quelques étages ! Bah, je suis toujours moins pathétique que l’écervelée qui me suit et qui a la tronche recouverte de furoncles.

Avant que Rockfield ne se décide à me questionner, ce que je ne supporterais pas, je frappe trois coups secs contre le battant en bois, sincèrement désolée de toujours me pointer chez Narym à des heures déraisonnables et sans avoir prévenu avant. Peut-être n’est-il même pas là… Ou pire, peut-être qu’il est en compagnie de cette Gabrielle. Oh, Merlin, non, faites qu’il ne soit pas…

La porte s’ouvre. Narym se dessine dans l'entrebâillement, grand dadais de trente-quatre ans, les cheveux en vrac autour de sa tête, sans le moindre élastique pour les retenir. Je croise son regard étonné, inquiet même, puis mes yeux descendent le long de son corps pour englober sa tenue dans sa totalité : un haut et un bas de pyjama assortis, couleur jaune canari. Ou jaune Poufsouffle. C’est à vomir.

« C’est quoi ce pyjama, Nar ? » je lui lance au visage.

Son inquiétude s’efface au profit d’une mimique mi-amusée, mi-fatiguée. Il s’adosse au chambranle de la porte, une vision qui m’est étrangement familière, et croise les bras sur son torse, son regard passant de moi à ma colocataire qui s’est approchée. À l’instant même où il aperçoit son visage, Narym ravale la réplique qu’il me destinait pour lui accorder sa totale et entière attention.

« Merlin, mais… Ça ne va pas ?
Narym est très fort pour énoncer des évidences, rétorqué-je, le regard braqué sur mon frère pour ne pas avoir à soutenir les yeux lourds de questions retenues de Rockfield. C’est pas que ton palier est inconfortable, mais il fait vraiment très froid. On peut rentrer ? Je vais tout t’expliquer. C’est… Enfin, j’avais rien pour la soigner, alors j’ai pensé à venir ici. »

Narym s’écarte sans un mot pour nous laisser passer. Son regard soucieux ne quitte pas un instant Ashley Rockfield qu’il accompagne jusqu’au fauteuil le plus proche pour l’y faire asseoir. Quand il se redresse, il me lance un regard sévère que j’ignore avec une habileté née de l’habitude. Je me débarrasse de mes effets, bonnet, écharpe, gant et cape que j’envoie se pendre à la patère — une vague de fatigue suit aussitôt, difficile de se passer de la magie quand on baigne dedans depuis toujours.

25 janv. 2024, 19:07
Derrière le masque de verre  solo 
« Vous êtes… »

La voix grave et pleine d’hésitation de Rockfield s’élève dans l’appartement silencieux. Enfoncée dans le grand fauteuil au coin du feu, elle pense que c’est une bonne idée de prendre la parole. Elle a tort et je la fusille du regard pour la faire taire, mais elle m’ignore totalement, trop occupée à observer Narym.

« Vous êtes son… » Ses grands yeux insolents volent de lui à moi et de moi à lui ; elle va sortir une connerie plus grande qu’elle, je le sens. « Vous êtes son… Copain ? »

Même elle n’a pas l’air d’y croire. Elle a prononcé lentement sa question, presque avec réticence. Rockfield, si tu savais que tu allais dire une bêtise, pourquoi n’as-tu pas gardé la bouche fermée ?! Je suis trop épuisée pour me moquer, mais Narym est en forme, lui. Il aboie un rire qui résonne dans le salon.

« Ah non, non, non ! articule-t-il difficilement, les lèvres retroussées en un sourire amusé. Aaah, on me l’avait jamais faite, celle-là !
C’est mon frère, répliqué-je d’une voix cassante pour qu’on passe rapidement à autre chose. Contente-toi de faire de la figuration et de te taire, Rockfield.
Aelle ! s’offusque Narym, tout à coup sévère et mécontent. Ne lui parle pas comme ça ! » Puis, se tournant vers elle : « Rockfield, hein ? Ashley, je présume ? Aelle m’a parlé de toi, fait-il en me lançant un regard implacable. Tu es sa colocataire. Bienvenue, je m’appelle Narym.
Elle sait déjà comment tu t’appelles, » marmonné-je en m’adossant à la porte, les bras croisés sur la poitrine et le regard braqué sur le drôle de duo que forment Narym et Rockfield.

Mon frère se fait un malin plaisir de m’ignorer. Il se place si stratégiquement qu’il me cache la vue de la jeune fille, ce qui m’empêche donc de la fusiller d’un regard sombre. Je déteste la voir ici, dans un appartement dans lequel j’ai aimé vivre, chez un membre de ma famille. Je déteste moi-même être ici alors que j’avais prévu de travailler ce soir. Je déteste me rappeler du froid dans cette forêt qui me rappelle celui des Highlands écossais sur ce plateau éloigné de tout. Je secoue la tête pour me remettre les idées en place et, frustrée de ne rien entendre de la conversation des deux autres, je contourne le salon formé par un canapé et deux fauteuils pour m’approcher.

« …ment tu t’es fait ça ? » est en train de demander Narym en manipulant d’un geste très doux le visage de Rockfield, deux doigts sous son menton.

Évidemment elle ne dit rien, mais son regard est éloquent : il se dirige vers moi. Oh, Merlin, je pourrais l’éviscérer tellement elle me sort par les yeux ! Narym se tord la nuque pour me regarder. Je me jette dans le canapé sans un mot, les sourcils froncés dans une mimique colérique.

« Est-ce que tu aurais de la potion Défuroncula, Narym ? le questionné-je les dents serrés. On en avait pas à l’AESM et je me suis figuré que peut-être…
Que peut-être que je pourrais vous aider. »

Son ton me glace le sang dans les veines. Je tourne les yeux vers les flammes ronronnant dans la cheminée pour ne pas avoir à supporter son regard. Narym ne me parle jamais comme cela, jamais.

« Désolée de vous déranger, m’sieur, articule Rockfield d’une voix navrée mais beaucoup moins chevrotante que tout à l’heure.
Tu ne me déranges pas, fait-il sur un ton plus doux. Je vais aller voir ce que j’ai en stock, d’accord ? Et peut-être que tu voudrais boire quelque chose ? Un thé ?
S’il-vous-plaît, oui, sourit la jeune fille, certainement rassurée d’apprendre qu’il existe dans ce bas-monde au moins un exemplaire de Bristyle qui ne la traite pas mal — elle me fait pitié.
Aelle ? »

Je croise le regard de mon frère qui s’est relevé. Merlin, pourquoi me regarde-t-il comme si j’étais une gosse qui venait de faire une connerie ?

« Un thé aussi.
Non, je voulais dire… »

Il accompagne ses paroles d’un geste englobant le reste de son appartement. Je mets un instant à comprendre. Je pousse un soupir agacé. J’ai conscience d’avoir un comportement insupportable, j’en ai parfaitement conscience, mais je suis incapable de m’en empêcher parce que Rockfield joue les jeunes filles polies et sympas alors qu’elle est en vérité une véritable harpie. Je me lève avec humeur et je marmonne :

« Oui, j’ai compris, je vais faire le thé. »

Je prends la direction de la cuisine sans jeter un regard à la victime dans son fauteuil qui grimace en avançant ses doigts pour palper ses furoncles — ce qui est la pire chose à faire, mais ce n’est pas moi qui vais l’en empêcher. Narym me suit de près. Avant que je ne puisse atteindre la cuisine, il m'attrape par l’épaule, juste pour attirer mon attention.

« Je ne te demande pas de faire le thé, murmure-t-il en faisant peser sur moi toute la sévérité de son regard ambré, mais de m’accompagner dans la salle de bains. »

Oh, la salle de bains. L’accompagner. Doux Merlin, alors il va me faire la leçon, c’est ça ? J’ouvre la bouche, prête à lui dire tout ce que je pense de son comportement de grand frère surprotecteur et insupportable, mais par-dessus son épaule j’aperçois Ashley Rockfield avec sa tronche de furoncle tournée vers moi. J’avise ses yeux curieux, avides de savoir, d’apprendre des choses sur la famille de la si secrète Aelle Bristyle. Je suis incapable de faire une scène devant elle, alors je hoche sèchement la tête à l’intention de mon frère et le suit docilement jusque dans la salle de bains, qui se trouve au milieu d’un long couloir que je connais désormais par coeur.

26 janv. 2024, 15:34
Derrière le masque de verre  solo 
Il ferme la porte derrière nous. Il s’y adosse quelques instants, son regard inquiet braqué sur moi, avant d’aller vers l’armoire à potions au-dessus de l’évier en s’excusant à mi-voix de devoir me décaler. Je me déporte sur la droite et le regarde fouiller dans le stock qu’il réserve normalement à ses élèves et qui lui est fourni en grande majorité par notre mère, meilleure potionniste de la famille.

« Tu penses que tu en as quelque part ? »

Je me lève sur la pointe des pieds pour faire mine de chercher avec lui. En fait, j’essaie juste d’occuper la conversation. Évidemment, Narym ne rentre pas dans mon jeu. Il manipule quelques fioles avant de cesser tout mouvement et de se tourner vers moi. Cet homme-là a toujours eu le regard le moins effrayant de la famille. Cela signifie que depuis que je suis gamine, Narym n’a jamais eu le rôle de celui qui me grondait. Zakary aimait bien avoir ce statut-là, il me faisait la leçon et continue de me la faire. Mais Narym comprend, soutient, il discute, il est dans l’empathie. Pourquoi est-ce qu’il me regarde comme ça, aujourd’hui ?

« C’est toi qui lui a lancé ce sortilège, Aelle ? »

Une grande vague me monte dans le corps, le genre qui me donne envie de serrer les poings et de crier. Je serre les poings, mais je ne crie pas.

« T’es bien prompt à m’accuser, Narym, » articulé-je, les mâchoires serrées.

Ma gorge se noue affreusement. Je mets cela sur le compte de la colère. Je soutiens le regard de ce frère qui ne me fait pas confiance et je regrette tout à coup d’être venue ici. J’aurais dû laisser Rockfield se démerder toute seule avec ses conneries.

« Je ne t’accuse pas, Aelle. Je te pose une question. Que s’est-il passé ?
On s’en tape de ce qu’il s’est passé ! m’exclamé-je sans pouvoir contrôler le ton qui monte. Elle doit juste être soignée puis on se tire, on te laisse à ta petite vie tranquille, ok ? »

Je me détourne furieusement. J’ai l’impression d’être un chaudron prêt à déborder. Rien ne se passe comme prévu, aujourd’hui. Je me suis sentie mal toute la journée, sans aucune raison, et ce soir… Ce soir, Ashley Rockfield gâche tout et Narym met une ardeur incroyable à l’y aider.

Avant que je ne puisse atteindre la porte, Narym me coupe la route. Il n’élève pas la voix, il ne fronce pas les sourcils. Il se contente de me regarder mais dans ses yeux, je vois les éclats tranchants d’une sévérité qui hurle : je sais que c’est toi. Et il a raison, c’est moi. Et alors ? Ce n’est qu’un sortilège, on l’utilise dans les duels, ce n’est rien de grave ! Elle n’avait qu’à mieux se protéger !

« Vous vous êtes disputées ? insiste Narym.
D’habitude t’es beaucoup plus respectueux du silence des gens, lui craché-je en essayant de le contourner.
D’habitude, je n’ai pas à soigner une amie blessée de ma sœur.
C’est pas mon amie ! Et ça va, elle est pas blessée. C’est juste des furoncles, un coup de potion et ça disparaîtra. Ç’aurait pu être pire. »

La dernière phrase a été prononcée sur un ton amer. J’arrête d’essayer de fuir et plonge mes yeux dans ceux de Narym qui me regarde d’un drôle d’air.

« Je sais, » dit-il.

Juste je sais. Et moi, je ne sais pas ce qu’il croit savoir, mais je me persuade qu’il ment, comme tout le monde. Il ne sait rien, personne ne sait rien, personne ne peut savoir parce que personne ne peut comprendre. Mes lèvres s’incurvent vers le bas. Narym observe ma moue désabusée avant de soupirer longuement. Je sais que j’ai gagné le combat lorsqu’il retourne à sa pharmacie pour trouver le remède contre les furoncles.

Les fioles s’entrechoquent un moment. Pour une raison que j’ignore, je ne pars pas. Peut-être que je préfère être coincée avec mon frère plutôt qu’avec Rockfield. J’observe son dos qui me bouche la vue de ce qu’il fait, ses longs cheveux châtains qui jurent sur le pyjama jaunâtre. Quand il se retourne, une fiole à la main, avec son visage que je connais par coeur, je me fais la réflexion que je suis beaucoup trop proche de lui. Je viens ici quand je n’ai pas envie de dormir à l’Académie, je dîne parfois avec lui le soir, il arrive que nous nous promenions sur le Chemin de Traverse. Cela reste très rare, mais c’est trop pour moi. Narym devine beaucoup plus facilement les choses depuis que je squatte son appartement. Il sait trop de choses. Je suis trop proche de lui. Cette réalisation fait monter une bouffée d’angoisse qui me noue la gorge. Un jour, tout ça m’explosera au visage. Je vais le regretter très cher.

Je camoufle ces pensées sous un masque colérique. Avant d’ouvrir la porte, Narym se tourne une dernière fois vers moi.

« Ce qu’il s’est passé vous concerne, mais si tu as fait quelque chose de répréhensible, tu devrais t’excuser, Aelle. Ne sois pas ce genre de personne qui pense pouvoir agir impunément. »

Il quitte la pièce sur ces mots. Je mets un moment à trouver le courage de le suivre. Ses paroles ont fait naître en moi un violent sentiment d’injustice. Rockfield va passer pour la victime et moi pour le monstre ! Alors que je n’ai fait que défendre mon intimidé ! Quand je reprends la direction du salon, une pensée tourne en boucle dans ma tête et je n’arrive pas à la faire taire. J’aurais pas dû me retenir, dit-elle, là-bas, contre l’arbre, j’aurais pas dû me retenir.

30 janv. 2024, 15:37
Derrière le masque de verre  solo 
Lorsque je reviens dans la pièce principale, mon frère a tiré une chaise pour s’installer face à Rockfield qui, toute souriante, discute à mi-voix avec lui comme si elle le connaissait depuis une éternité. Il est déjà en train de lui raconter quel est son métier lorsque je bifurque dans la cuisine pour m’éloigner d’eux. Je les entends au loin tandis que j’agite ma baguette magique pour préparer théière et tasses. Je m’accroche des deux mains au plan de travail quand ma vision se floute brusquement. Je respire profondément par le nez en comptant les battements affolés de mon cœur fatigué. J’ai vraiment besoin de dormir, j’ai l’impression que cette soirée ne se terminera jamais. Cette sensation grandit lorsque j’entends Rockfield et Narym éclater de rire de l’autre côté de la cloison.

Qu’ils puissent faire ami-amie m’est insupportable. Je trouve ça contre nature d’être ici avec cette fille-là. Comme s’il y avait eu une distorsion de ma vie au moment où j’ai décidé de transplaner. Qu’aurais-je pu faire d’autre ? me rassuré-je en installant le nécessaire pour le thé sur un plateau. La laisser se débrouiller toute seule ? Non, impossible. Malgré toute l’aversion qu’elle m’inspire, je sais que je ne l’aurais pas laissé seule. Si encore elle m’avait repoussé, si elle avait agi avec colère, si elle s’était exclamé qu’elle n’avait pas besoin de mon aide, surtout pas de la mienne ! Là, j’aurais pu. Mais ce n’est pas ce qu’elle a fait et voilà où nous en sommes désormais : elle toute souriante face à mon frère qui va la faire pencher de son côté — tout le monde aime toujours Narym. Pourquoi ne pas l’aimer ? Il est souriant, doux et gentil, il a le cœur sur la main, il a même de l’humour quand il veut. Tout le reste, les gens extérieurs à la famille ne peuvent pas le voir. Rockfield ne verra que le plus beau de cet homme qui est sans doute, si on exclut les Messagers des rêves, la personne la plus proche de moi dans tout ce foutu monde.

Oui, me répété-je en me résignant à porter le plateau à la main pour ne pas subir une autre vague de fatigue magique, l’idée qu’ils puissent se rapprocher me déplaît définitivement.

Plateau sur la table basse, théière dont le bec fumant fait de l’ombre aux volutes grisâtres qui s’échappent des flammes et sur ma droite une Ashley Rockfield au visage barbouillé de potion. Je lui ai bien lancé une œillade moqueuse en me laissant tomber sur le canapé, mais elle m’a ignorée, le regard perdu dans celui de mon grand-frère qui était en train de parler de sa passion pour l’éducation de la génération future. J’observe le feu, rendue lasse par cette vision. Le crépitement du bois agit comme une berceuse en arrière plan et je me rends compte que mes paupières sont lourdes et mes muscles crispés par des courbatures qui n’étaient pas là plus tôt dans la journée. Je me souviens d’une autre cheminée dans laquelle il n’y avait jamais de flammes. Pourquoi ? Qu’y avait-il à la place ?

Un poids s’enfonce dans le canapé, à ma gauche. Je cligne des yeux pour éloigner la fatigue et croise le regard de mon frère qui trouve encore le moyen de me sourire doucement après tout ça. Sur le fauteuil près de lui, Rockfield commence à retrouver figure humaine. Elle a attaché ses cheveux sur le sommet de son crâne, remarqué-je ; des mèches insolentes retombent sur le côté de son visage. Son regard me frôle par intermittence et s’attarde parfois un peu sur moi. À chaque fois que nos yeux se croisent, je me souviens de la forêt, du froid et de son corps contre le mien. Je préfère autant observer Narym qui sert joyeusement le thé avant de nous tendre nos tasses respectives.

« Alors, c’est bientôt les premiers examens ? demande-t-il en enroulant ses doigts autour de la sienne. Je sais, ajouté-t-il en me voyant soupirer : je fais la conversation, mais je n’ai aucune envie de rester silencieux.
Moi non plus ! s’exclame mon idiote de colocataire en croisant nonchalamment les jambes, le regard pétillant d’une moquerie qu’elle n’essaie même pas de contenir. Les examens commencent la semaine prochaine. Votre sœur ne quitte jamais la chambre ou la bibliothèque, à croire qu’elle a besoin de révisions de dernière minute. »

Je la pourfends d’un regard mauvais.

« Je ne révise jamais à la dernière minute, dis-je d’une voix sourde. Et si les cours sont banalisés pour une semaine de révision, c’est bien pour réviser, pas pour flâner ou sortir tous les soirs.
Je ne sors pas tous les soirs, objecte la sorcière en jetant un œil à Narym.
Tu es sortie hier soir et avant-hier soir et encore samedi soir.
Tu es très attentive à mon emploi du temps, dis donc, » se moque-t-elle avec un sourire carnassier.

Voilà. La voilà, la Ashley Rockfield que je connais. Elle est aussi insupportable que la fille qui tremble, qui bégaie et qui a peur du moindre de mes gestes. Est-ce le fait que nous soyons en présence de Narym qui lui donne des ailes ? A-t-elle moins peur de moi maintenant qu’une tierce personne est là pour faire tampon entre nous ? Ce que je sais, c’est que cette version me donne autant envie que la précédente de lui éclater le crâne quelque part. Contre un arbre, par exemple.

31 janv. 2024, 09:00
Derrière le masque de verre  solo 
Enfoncé dans le canapé, Narym suit l’échange silencieusement. Il doit avoir conscience de la tension entre nous deux, mais il ne montre pas qu’il l’a remarquée. Il se contente de sourire en trempant prudemment les lèvres dans sa tasse.

« C’est bien aussi de se vider la tête en période de révision, commente-t-il.
Tout à fait, » répond Rockfield sur un ton victorieux.

Bien sûr, Narym, brosse-la dans le sens du poil puisque tu ne sais faire que cel…

« Aelle travaille toujours assidûment, continue-t-il alors en se tournant vers moi, que ce soit en période de révision ou non. C’est sa manière à elle de se vider la tête. Te connaissant, il y a même de fortes chances pour que tu n’étudies pas les matières pour lesquelles tu seras examinée la semaine prochaine, non ?
Ouais, » marmonné-je en me raccrochant à ma tasse, n’ayant aucune envie de lui donner raison ni de discuter du contenu de mes recherches.

Insensible à mon ton avec lequel il est bien familier, Narym poursuit la conversation comme si de rien n’était, interrogeant Rockfield sur ses cours et ses espérances pour les examens, lui demandant des détails sur ses aspirations et ses envies futures. J’en apprends plus sur elle qu’en quatre mois de cohabitation mais je me serais bien passée de ces détails inutiles. Qu’est-ce que ça m’apporte de savoir qu’elle a envie de devenir briseuse de sorts, qu’elle aime passer des heures à étudier les rouages d’un sortilège afin de le rendre inactif, qu’elle n’est pas très studieuse (je le savais déjà) mais qu’elle essaie de rester motivée encore un peu car elle aura bientôt terminé ses études ? Je me fiche qu’elle sorte régulièrement au Pitiponk, ce bar que connaît évidemment Narym, et qu’elle aime plus faire la fête que potasser ses grimoires. Le portrait que cette conversation dépeint d’Ashley Rockfield est pitoyable. Ce n’est qu’une fille parmi tant d'autres, pas plus intelligente que ses camarades de classe, pas plus intéressante, pas différente. Une élève plutôt médiocre, banale, ennuyante, fade. Qui, à chaque fois que mes yeux s’arrachent des flammes pour se tourner vers son coin de pièce, me toise d’un long regard qui me questionne.

Arrive un moment où les tasses se vident. Après un troisième bâillement difficilement camouflé, Narym décide qu’il est temps d’aller se coucher. Il se lève en s’étirant, les traits tirés et le sourire fatigué. Il secoue les mains vers moi lorsque je fais mine de me lever et fait une proposition que j’aurais dû voir venir mais à laquelle je n’avais pas pensé. Lorsque les mots sortent de sa bouche, c’est déjà trop tard :

« Restez dormir ici, les filles. C’est trop tard pour que vous transplaniez à l’école. »

Mes yeux s’écarquillent d’horreur. Venir voir Narym, c’est une chose, mais dormir ici ? Hors de question que je laisse cette fille s’incruster jusque dans la vie de ma famille. Nos regards se croisent effrontément. Je devine qu’elle va prendre la parole. Elle ouvre la bouche en même temps que je le fais.

« Non, c’est bon, on peut tout à fait rentrer à l’école.
Avec plaisir ! s’exclame-t-elle au même moment. C’est très gentil de proposer. »

Narym me regarde, puis observe Rockfield, puis me regarde de nouveau et fait ce petit sourire contrit que je connais par coeur.

« Restez là, répète-t-il plus doucement en tentant de croiser mon regard. Ça me rassurerait.
T’as pas besoin d’être rassuré, grogné-je en fronçant les sourcils, on peut se débrouiller.
Toi peut-être, intervient une nouvelle fois cette satanée Rockfield, mais moi je ne me sens pas de transplaner. Non, vraiment, votre proposition est très gentille, Narym, merci. »

Et voilà comment gâcher un peu plus une soirée déjà foutue en l’air. Je fusille la sorcière du regard et celle-ci étire dans ma direction un sourire que je juge vicieux. Et insupportable. Un sourire que ne remarque évidemment pas Narym, trop occupé à renvoyer se nettoyer dans la cuisine les tasses et la théière vides. Je fais mine de me lever à mon tour pour prendre la direction de ma chambre et m’y enfermer à double tour, mais…

« Oh non, vous n’êtes pas forcées de suivre, rassure Narym. Moi je me fais vieux, il faut que j’aille me coucher, mais vous pouvez profiter de votre soirée.
T’as que trente-quatre ans, Nar, répliqué-je à mi-voix. Je vais aussi aller me…
C’est vrai que ça fatigue de faire des mystères, intervient alors Rockfield en s’enfonçant plus confortablement dans son fauteuil, le regard braqué sur moi
Des mystères ? répète Narym, perdu.
Ce qu’elle veut dire, c’est que c’est fatiguant de supporter la bêtise des gens. Étrangement je suis vraiment fatiguée ce soir. »

Je regrette ces paroles au moment où je les prononce. Ashley Rockfield ne vaut pas la peine que je perde du temps avec elle. Pourtant, c’est ce que je suis en train de faire parce qu’il y a quelque chose dans son regard qui me donne envie de continuer, ne serait-ce que pour voir cette lueur s’effacer au profit de celle que j’ai bien plus apprécié dans le coeur de la forêt, quand elle avait le bout de ma baguette enfoncée dans la joue.

Je ne fais aucun geste pour me lever parce que le regard méprisant de Rockfield fait disparaître mon envie de m’enfuir dans la chambre. Narym cligne bêtement des yeux avant de balayer l’air d’un mouvement de la main.

« Peu importe, faites ce que vous voulez mais je ne tolérerai pas la moindre dispute dans ce salon. C’est bien clair ? »

Transformation soudaine du timbre de sa voix. C’est le Précepteur Narym qui parle et il pense s’adresser à deux enfants. Rockfield réagit aussitôt, bien plus vite que moi. Elle lève des yeux penauds sur l’homme et le rassure si efficacement que je reconnais bien là le comportement d’une Serpentard. Ma méfiance à son égard s’accroît — je me persuade que sa gentillesse avec Narym n’est qu’une façon de plus de m’emmerder, pas un réel sentiment qu’il lui inspirerait.

« T’inquiète, Nar, interviens-je d’une voix bougonne, va te coucher.
Bon, si je ne dois pas m’inquiéter… Ashley, poursuit-il en se dirigeant vers le couloir, on verra pour une deuxième couche de potion demain. Je prépare le lit de la chambre d’amis et un petit lit dans le dortoir. Vous vous débrouillez, les filles ! À demain ! »

Un sourire éclatant, un gentil geste de la main pour nous saluer et le voilà parti.

01 févr. 2024, 17:08
Derrière le masque de verre  solo 
Plongées dans un silence tendu, nous avons tout le loisir d’entendre le bruit des draps qui se froissent dans les deux pièces citées pour préparer nos lits, les portes s’ouvrir et se fermer, l’eau couler dans la salle de bains. Aucun son ne s’échappe de nos lèvres et je ne tourne pas une seule fois le regard vers ma colocataire, engoncée dans une immobilité colérique que je lui mets sur le dos. J’aurais dû partir en même temps que Narym, mais quelque chose m’en a empêché ; maintenant, je suis bloquée ici avec l’impression que je serais celle qui perdra la bataille si je suis la première à me lever. C’est idiot, idiot, idiot, mais pourtant je n’arrive pas à me lever.

Au bout d’un moment beaucoup trop long, la voix de Rockfield s’élève dans le salon, au-dessus du crépitement des flammes que je ravive régulièrement à l’aide de ma baguette.

« Comment ça se fait que ton frère soit le mec le plus gentil que j’ai rencontré alors que tu es… Toi ?
Comment ça se fait que devant mon frère tu fasses comme si tu étais une fille super agréable alors qu’en temps normal tu es insupportable ? »

Je n’ai même pas pris la peine de la regarder. Par contre, je tourne ma tête de l’autre côté pour ne pas qu’elle pense que je suis ouverte à la discussion.

« Je suis une fille super agréable, Bristyle, rétorque-t-elle sur un ton badin, il n’y a que toi qui ne semble pas t’en rendre compte.
On se demande pourquoi, » marmonné-je en levant les yeux au ciel.

Je la vois du coup de l’oeil qui étire les bras au-dessus de la tête, vraisemblablement à l’aise dans ce salon qu’elle ne connaissait pourtant pas il y a une heure.

« Un jour tu t’en rendras compte.
Je peux pas me rendre compte d’une chose qui n’existe pas, Rockfield, lui asséné-je en me tournant vers elle ; je croise son regard victorieux qui me fait me renfrogner davantage.
Ouais, ouais, c’est ça.
Depuis quand t’as envie que je me rende compte de quoi que ce soit de positif à ton propos ? C’est pas parce que t’es là ce soir qu’on va devenir amies, alors calme-toi. »

Ses sourcils font des vagues sur son front, l’air de dire : oh, elle s’énerve !

« J’ai pas envie d’être ton amie, » reprend-elle cependant en se tournant vers la cheminée.

Je la considère un instant et rétorque sur un ton pince sans rire :

« Incroyable, enfin un point commun ! »

Ce qui semble conclure cette conversation et je considère que la victoire est de mon côté : après tout, Rockfield ne sourit plus, elle est tournée vers les flammes qu’elle observe avec ses sourcils à moitié froncés. La potion étalée sur son visage lui donne un drôle d’air, mais ce n’est pas elle qui tend les traits de son visage. Rockfield fait partie de ce genre de personnes qui, lorsqu’elles perdent leur sourire, ne peuvent pas le cacher. Qu’elle se perde donc dans ses pensées, je n’ai aucune envie de savoir ce qui se passe derrière ses yeux bleus.

Sans savoir comment, je me retrouve affalée contre le dossier du canapé, la tête abandonnée en arrière, les yeux mi-clos tournés vers la cheminée, à moitié consciente de la fille qui se trouve dans la même pièce que moi. Le silence est lourd, mais je suis trop épuisée pour qu’il m’empêche de somnoler. Contrairement à Rockfield qui est infatigable.

« Tu avais envie de le faire, affirme-t-elle tout à coup en m’arrachant violemment à mon état cotonneux.

Je bats des paupières pour accomoder sur elle. Les flammes se reflètent dans son regard clair.

« Dans la forêt, insiste-t-elle. Tu avais envie de le faire.
Sois plus précise, Rockfield, grincé-je, ou ferme-là.
Joue pas à ça avec moi, Bristyle, tu sais très bien de quoi je veux parler. »

Elle a raison, je sais.

01 févr. 2024, 17:12
Derrière le masque de verre  solo 
« Tu te persuades que je sais parce que tu es incapable de mettre des mots dessus ? »

Elle fait peser sur moi un long regard compliqué que je soutiens avec insolence. Elle inspire profondément par le nez, comme pour rassembler son courage.

« Tu avais envie de me…, hésite-t-elle.
Oui ?
Putain mais laisse-moi parler !
T’as qu’à réussir à le faire au lieu de baragouiner comme une gamine !
T’es chiante ! »

L’éclat résonne dans le salon. Ashley Rockfield se renfonce contre le dossier du fauteuil, les bras croisés sur son buste et le visage tout froissé par la colère. Cette vision me fait sourire ; je la prends comme une victoire.

« Tu poses la question mais tu es incapable de comprendre, » consens-je à dire au bout d’un moment.

Elle me regarde sans répondre. Si ses yeux pouvaient lancer des Avada Kedavra, je serai déjà morte.

« Parce qu’il y a quelque chose à comprendre peut-être ? crache-t-elle.
Oui. » Réponse implacable. J’affronte le regard fixe de Rockfield. « Mais tu comprendras jamais. »

Il a dû se passer quelque chose dans la tête de Rockfield, parce qu’elle se lève soudainement.

« C’est ça, continue de croire que ton comportement mystérieux te rend intéressante. En fait t’es juste flippante comme meuf et vraiment, tu fais un peu pitié. »

Cela me blesse, évidemment. C’est comme une vilaine lacération sur le cœur que je camoufle derrière un regard insolent et un sourire moqueur.

« Toi aussi tu faisais pitié, Rockfield. Dans la forêt. Quand tu me suppliais d’arrêter. »

Elle me jette un regard effaré.

« T’es complètement folle…
Si ça te plait de le croire. »

Je ne pense pas qu’elle ait entendu cette dernière phrase. Elle a déjà fait demi-tour et s’éloigne prestement dans le couloir. J’entends une porte s’ouvrir et se fermer dans un claquement bruyant. Je reste seule dans le salon, victorieuse. Mais plus que le plaisir d’avoir gagné cette bataille, je me sens incroyablement lasse, fatiguée et désespérée.

Il se passe un long moment avant que je ne trouve la force de me lever. D’un coup de baguette j’étouffe le feu dans la cheminée et baisse les lumières jusqu’à ce que le salon se retrouve plongé dans le noir. Je me glisse dans le couloir, puis dans ma chambre face à la salle de bains, celle que j’occupe toujours et qui… Je m’immobilise sur le pas de la porte, les yeux écarquillés pour mieux y voir dans l’obscurité. Non, je ne rêve pas : sur le lit, la couette forme une masse. Une masse longue et fillforme qui se termine par un tas de cheveux blond répandus sur l’oreiller. Je l’observe un moment, me demandant s’il serait raisonnable de la réveiller brutalement et de l’obliger à aller dormir dans le bon lit. L’envie est puissante… Pourtant, après quelques secondes je me recule silencieusement et referme doucement la porte sur elle.

Je me glisse sous les draps d’un lit simple trop étroit dans lequel des dizaines et des dizaines d’enfants ont dormi avant moi. Le matelas n’est pas suffisamment épais et la couette trop petite. Je ne me sens pas la force de l’agrandir magiquement. Le sortilège noir que j’ai lancé plus tôt m’a pompé toute mon énergie, plus que d’habitude. Je pose la tête sur l’oreiller et ferme les yeux, déjà entraînée dans un lourd sommeil qui sera, je le sais déjà, hanté par les cauchemars.

*


Le lendemain, Narym me retient sur le palier avant que nous nous en allions.

« Tu es la bienvenue ici, tu le sais ? »

Sérieusement ? Je grogne et me détourne, poussant ma colocataire sans scrupule pour la faire avancer. J’ai un tambour dans la tête et des images qui ressemblent à des souvenirs dans l’esprit, je n’ai pas le temps pour ces conneries.

« Tu me répètes ça à chaque fois que je pars de chez toi, Nar. Tu me prends pour une idiote qui oublie tout ce que tu dis ou quoi ?
Non, fait Nar sur un ton amusé, le bras posé sur le chambranle de la porte, mais c’est bien de répéter certaines choses. Alors je te le répète.
Donc la prochaine que je me pointerai à une heure encore plus tardive, très bien, j’ai compris.
N’abuse pas non plus, sourit mon frère. Tu as très bien compris ce que j’ai dit. »

Oui, j’ai très bien compris. Toujours la bienvenue. Sauf que je n’y crois guère, à sa bienveillance totale envers moi.

« Oui, oui, bonne journée ! »

Je pousse Rockfield pour la forcer à descendre l’escalier. Elle baragouine un au revoir maladroit à mon frère, se tordant le cou pour lui offrir un dernier grand sourire plein de dents avant de descendre joyeusement la volée de marches. Je la suis bien plus sobrement. Terminé la jeune fille accablée que je me suis coltinée hier soir. Ce matin, elle brûle de sa joie insolente qui me la rend si insupportable.

Lorsque nous arrivons dans la rue et que je m’arrête pour resserrer l’écharpe autour de mon cou et enfoncer mon bonnet sur mon front, Rockfield, les épaules crispées par le froid, me jette un coup d’oeil mécontent à travers les flocons qui tombent de la toile blanchâtre du ciel.

« Quoi ?
Tu devrais être plus cool avec ton frère. C’est mignon de sa part de te rappeler à chaque fois que tu pars que tu es la bienvenue chez lui.
J’ai besoin de personne pour savoir comment me comporter avec mon frère, Rockfield, rétorqué-je d’une voix froide.
T’es sûre de ça ? Parce que tu te comportes vraiment comme une saleté avec lui. » Elle me lance un regard furieux. « Il est méga gentil, ton frère ! Je pensais au moins qu’avec ta famille t’étais différente mais en fait c’est avec tout le monde que t’es insupportable, c’est ça ?
Non, je le suis juste quand t’es présente. »

Je glisse la main dans ma manche pour attraper ma baguette magique. Je fais un sourire à la jeune femme :

« Tu te débrouilles pour transplaner. Salut, Rockfield. »

Et je disparais dans un craquement bruyant, abandonnant la blonde dans une rue frappée par les vents de Mochdinam.

— Fin —