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04 oct. 2023, 11:30
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
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Dans ce sujet seront répertoriés différents OS tournant autour de la vie d’Aelle dans l'école.


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11-09-48 | De monstre à monstre
17-09-48 | August
22-09-48 | -tain de hibou

09-10-48 | Incendio
22-10-48 | La tête pleine de fange
26-10-48 | L'effet Delphillia

14-11-48 | Tais-toi et regarde
30-11-48 | Élucubrations d'un innocent
18-12-48 | Pour un mot de trop
Un jour | Murmures
24-02-49 | Pansement
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Dernière modification par Aelle Bristyle le 22 avr. 2024, 12:42, modifié 13 fois.

05 oct. 2023, 11:22
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
DE MONSTRE À MONSTRE
_________________________


Vendredi 11 septembre 2048
Dans les couloirs de l’Académie
1ère année à l’AESM

@Alienor Delphillia


« Dans cette classe, nous apprendrons à connaître la magie. Vous avez passé sept à Poudlard, pour la plupart, mais plus de la moitié d’entre vous utilise la magie sans totalement la comprendre. Nous allons remédier à cela. Dans ce cours, nous étudierons également les origines et la théorie de la magie noire. Vous devez savoir que… »

Ces mots tournent en boucle dans mon crâne lorsque je sors de la salle de classe en saluant le professeur, la sangle de mon sac bien accrochée à mon épaule. Holson et Walmilton. J’ai retenu leur nom alors que ce n’est pas tant eux qui m’intéressent que le contenu de leur cours. À partir du moment où j’ai vu l’intitulé de celui-ci sur mon emploi du temps, j’ai compris qu’il allait être l’un de mes préférés. Les paroles de Walmilton ont fini de me convaincre. Je suis persuadée en savoir plus sur la théorie de la magie noire ici que n’importe qui d’autre — excepté l’homme lui-même, évidemment. Pourtant, cela ne me rend pas moins impatiente que la semaine passe pour arriver au prochain cours.

Je descends les escaliers d’une démarche joyeuse, le cœur palpitant d'un bonheur euphorique qui ne m’a que peu souvent quittée ces derniers jours. La première semaine se termine et même si je sais que le weekend sera studieux et passionnant, j’ai hâte d’être à lundi pour retourner en cours. La seule matière qui m’a moins intéressée, c’est Conception et ergonomie magiques. Et encore, comme c’est un domaine dont je ne connais rien, les recherches que je vais effectuer pour mieux comprendre me rendent déjà curieuses ! Oh et il y a ce fameux cours avec lequel je suis familière, celui sur la protection du Secret. Un peu ennuyeux, mais je fais avec.

Les élèves se pressent dans les escaliers, tous impatients de quitter les couloirs pour aller se détendre, pour partir ou rejoindre leur chambre. Je me laisse aller dans le flux, davantage tournée vers mes pensées que vers les autres qui, déjà, nouent des liens qui ne m’intéressent pas. Hier, j’ai eu un cours de langue. Je ne suis guère intéressée par l’apprentissage d’une langue étrangère mais puisque je n’ai pas eu le choix, j’ai choisi la seule langue qui me parlait un temps soit peu et pour laquelle je voyais un intérêt : le français. J’ai pensé à Sangblanc. Et à Fleurdelys. Puisque songer au second me fait ressentir de drôles de choses, je me suis concentrée sur la première : je me demande comment va Alice Sangblanc dans sa lointaine France. Évidemment, songer à elle m’a fait penser à Nerrah et j’ai souri en l’imaginant tout renfroché à la réception de mon courrier.

Je prends la direction de la bibliothèque qui est un lieu que j’affectionne même si je n’y suis pas encore aussi à l’aise que dans celle de Poudlard. Il y a cependant une collection tout à fait acceptable de livres et certains vieux ouvrages sont très précieux. J’y passe les heures qui me séparent de la soirée avant d’en ressortir en faisant un crochet par la cour intérieure pour prendre l’air avant de rejoindre le réfectoire.

Au-dessus de ma tête, le ciel est gris et menaçant. La nuit tombe vite, maintenant. Mais ce n’est pas lui qui attire mon attention. C’est un hibou qui plane à quelques mètres ; quand il m’aperçoit, il fonce dans ma direction. Je lève machinalement le bras pour le réceptionner. La bestiole s’accroche à ma robe sans faire fi de mon « Aïe ! » agacé. Les élèves s’éloignent prudemment de moi en me jetant des regards en coin. Le hibou m’est inconnu ; ses grands yeux me fixent.

« Qu’est-ce que tu as pour moi ? » lui chuchoté-je gentiment.

N’y a-t-il pas une chance sur deux que ce ne soit qu’une erreur ? Peut-être, mais après le courrier de Nerrah, disons que je ne m’attends plus à rien. Pendant une seconde en voyant l’oiseau tomber du ciel, j’ai eu une pensée honteuse. Je me suis dit : « Il m’a répondu ! » avec cette palpitation dans le cœur, cette palpitation que je vais faire tous les efforts du monde pour oublier. Non, ce n’est pas Nerrah, m’indique l’écriture. Automatiquement, avant même de prendre connaissance du courrier, je regarde la signature. Là, mon cœur retombe brutalement au fond de mon corps. C’est si soudain que je me crispe de la tête au pied. Le hibou fouette l’air de ses ailes, claque le bec dans ma direction et prend son envol avec un hululement agacé. Je le laisse faire, trop choquée par le fait que Delphilia m’écrive pour réagir.

Je referme le courrier et masse mon avant-bras douloureux en regardant le volatile s’éloigner dans le ciel grisailleux. Le chaos dans ma tête m’empêche de penser correctement. Pourquoi Merlin Aliénor Delphillia m’écrirait-elle ? Je ressens avant même de prendre connaissance de ses mots une colère familière qui n’a rien de très objectif. C’est le fait qu’elle ait osé m’écrire qui me fait ressentir ça. Et en même temps, j’ai l’impression d’avoir gagné une victoire. T’as craqué, Delphillia, je me dis, la rentrée vient à peine de commencer et déjà tu m’écris ? Je me sens presque fière, sans raison particulière.

La tête alourdie par toutes ces drôles de pensées, je me secoue et reprends mon chemin. Je passe les portes qui donnent sur le hall et traverse la majestueuse pièce surmonté de son plafond vitré. Je slalome entre les élèves qui font la queue pour s’adresser au service administratif pour atteindre les lourdes portes d’entrée, de l’autre côté. En sortant dans la partie avant de l’école et en m’éloignant sur le chemin bordé de parterres de fleurs, je ressasse le seul mot que j’ai aperçu d’elle.

« Respectueusement, c’est ça ouais ! Respectueusement de quoi, Delphillia ? marmonné-je entre mes dents. Je t’en foutrais, moi, du respect. »

Je m’arrête sur le banc le plus éloigné de l’école, celui qui se cache juste après le virage que prend le chemin. Un vent frais souffle du sud. Je regrette de ne pas être passé chercher une cape plus épaisse. J’abandonne mon sac près de moi et baisse les yeux sur le parchemin. Un sourire ahuri se dessine sur mes lèvres. Aliosus Nerrah et maintenant Aliénor Delphillia ! Et après quoi ? Je vais recevoir un hibou de Sixtine Valerion qui me racontera sa vie et qui s’excusera de m’avoir si mal traitée ? Le monde est devenu complètement fou, alors pourquoi pas ? Les habitants de Poudlard semblent tous s’être faits piquer par la même bestiole bizarre, après tout.

Je prends une grande inspiration avant d’ouvrir le courrier. Un rictus moqueur se dessine déjà sur mes lèvres en parcourant le premier paragraphe.

« T’inquiète, Delphillia, je vais pas encore la brûler ta lettre. » Je marmonne entre mes lèvres en lisant. « Reconnaissante ? Bah voyons. Elle se fout vraiment de ma gueule… »

Mais le rictus moqueur s’efface lentement au fur et à mesure que je prends connaissance du reste de la lettre. Mon coeur se serre bien malgré moi. Je regarde le parchemin sans ne plus le voir. Je ne sais pas ce qui me perturbe autant : qu’elle s’épanche, qu’elle me remercie ou qu’elle parle de la magie comme elle le fait, comme elle ne l’a jamais fait ? La Delphillia qui m’écrit ces mots n’est pas la même que celle que j’ai affrontée plusieurs fois. Pas du tout, même. Mais pourquoi ? Comment son “monstre”, comme elle dit, a pu lui sauver la vie ? Et qu’est-ce que j’en ai à faire, de tout ça ?

Je n’ai plus envie de rire, désormais, de me moquer ou même de m’étonner que cette fille ait pris le temps de m’écrire à moi alors qu’elle me déteste et qu’elle a effectivement passé toute l’année précédente à agir comme si je n’existais pas. Il y a quelque chose d’étrange dans le fait de se rendre compte, bien malgré soi n’est-ce pas, que la personne en face se confie à nous et que si elle le fait, ce n’est pas pour rien. Pas pour rien, peut-être, mais je ne sais pas pourquoi. Pourquoi à moi ? N’a-t-elle pas des amis à qui dire ces choses ? Moi-même n’irai jamais parler de certaines choses à…

« Oh… »

Je relis la lettre dans son entièreté. Alors c’est ça. Je me souviens très bien de ses paroles. « T’es contente de savoir que t’es pas la seule hein ! Pas le seul monstre de ce château... ». On ne peut parler de son monstre qu’à un monstre, c’est ce que cela signifie ? C’est parce que sa noirceur ne me dérange pas qu’elle m’écrit. Et là, sur mon banc, complètement esseulée en plein coeur de la forêt de Cwm Rhaeadr, je veux bien m’avouer que ce n’est pas tant que sa noirceur ne me dérange pas. C’est surtout qu’elle me plait. Elle m’a plu dans la Salle sur demande. Elle m’a plu quand elle était au-dessus de moi, son regard haineux fixé au mien. Elle m’a plu quand elle levait le poing et qu’elle le fracassait sur mon visage. Elle m’a plu sur le chemin vers l’infirmerie, ensuite.

Je mets enfin le doigt sur ce qui me déplait tellement dans son courrier.
Elle l’a maté. C’est cela, n’est-ce pas ? Elle a maté son monstre. L’a-t-elle fait ? Est-ce ce qu’elle veut dire en disant qu’elle l’a accepté ? Alors il a disparu ? Un monstre ne peut que disparaître s’il laisse qui que ce soit le mater, non ? Je n’aime pas du tout cette idée. Je ne l’aime pas du tout, du tout. Je n’aime pas imaginer que Delphillia puisse avoir trouvé un équilibre. Je le refuse, même. C’est impossible, pas elle. Regardez-là ! Si prompte à s’agacer et à envoyer le poing ! Elle n’a trouvé aucun équilibre, c’est impossible, elle se débat encore avec ses démons et c’est très bien comme cela.

Agacée sans réellement savoir pourquoi, je fourre le parchemin dans mon sac et me lève vivement du banc pour prendre la direction de l’école. La nuit est totalement tombée, si bien que je suis forcée de me diriger à l’aide de ma baguette magique. Je me force à songer au repas que je vais prendre dans le réfectoire puis à mes lectures studieuses du soir. Si j’y pense comme il faut, je reléguerai Delphillia tout au fond de mon cerveau et ce sera très bien comme ça.

*


Je laisse passer le weekend avant de lui écrire. J’attends même d’avoir rédigé ma réponse pour Macbeth avant de me concentrer sur Delphillia. Je songe régulièrement à ce qu’elle m’a écrit et à chaque fois je me dis la même chose : c’est impossible. Impossible qu’elle ait réussi à l’accepter, à trouver l’équilibre dont elle parle à demi-mots. Je ne peux le croire. Pour la première fois depuis que je suis arrivée à l’Académie, je ressens l’envie d’être à Poudlard, juste pour pouvoir l’observer du coin de l'œil et m’assurer qu’elle m’a raconté des bêtises pour se faire mousser. Mais elle est loin et et la seule solution pour prouver qu’elle m’a menti c’est de répondre à son fichu courrier.

J’aimerais exiger des réponses sans fioriture. Je n’ai pas envie de faire semblant, pas envie de réfléchir à mes mots. Mais c’est Delphillia. Elle est susceptible. J’ai envie de recevoir une réponse à ce courrier, j’ai envie d’analyser ses mots, de comprendre.
Habituellement, les gens remercient ceux qui les aident à les rendre plus socialement acceptables. [...] À croire que les monstres aiment tellement leur monstre qu’il n’ont pas envie de s’en débarrasser.
Sur ce point-là au moins, je sais qu’elle et moi n’en sommes pas au même point. Moi, je n’ai pas envie de m’en débarrasser pour des dizaines de raisons différentes. Mais je suis persuadée que Delphillia aimerait ne pas être ce qu’elle est. Elle est trop pétrie de culpabilité pour réellement accepter cette part d’elle-même. J’ai envie qu’elle le dise. J’ai envie qu’elle me dise encore : tu avais raison. Tu avais raison, je ne peux pas l’accepter mais je dois vivre avec. Je ne sais pas pourquoi j’ai tellement envie de ça.
Qu’as-tu vécu pour que cela amène un tel changement ?
Quel grand malheur a donc chamboulé son ennuyant été ? Je suis persuadée qu’elle utilise de grands mots pour parler d’une chose pas si grande que cela. Cela dit, je suis réellement intéressée par ce qu’elle a à me dire. J’ai besoin de comprendre son cheminement — qu’est-ce qui a bien pu pousser une fille comme elle à prendre la plume pour écrire à une personne comme moi ?
Parle-moi de ta magie. En quoi est-elle différente ? Qu’as-tu remarqué comme changement ? Qu’entends-tu par flux magiques ?
Si je pouvais l’ensorceler, je ferais en sorte qu’elle réponde à mes questions sans détour. Je n’ai pas envie de tourner autour du pot. C’est comme lorsque j’étudie un sujet intéressant : je me concentre dessus et je vais à l’essentiel. Je fouille mes bouquins pour trouver la réponse à mes questions. Je ne sais pas depuis quand Delphillia est devenue un sujet d’étude. Peut-être depuis qu’elle sort des aberrations plus grandes qu’elle.

Je rédige ces mots à la va-vite et scelle le courrier sans le relire. Je sais qu’il y a plus de chances pour qu’elle ne me réponde pas que le contraire. Alienor Delphillia est une créature susceptible, après tout.

| LETTRE COMPLÈTE > Respectueusement
Dernière modification par Aelle Bristyle le 16 déc. 2023, 16:24, modifié 1 fois.

05 oct. 2023, 13:03
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
AUGUST
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Jeudi 17 septembre 2048
Dans les couloirs — Pays de Galles
1ère année à l'AESM



Un jour, je ne peux plus faire autrement que de penser sérieusement à cette histoire de hibou. J'ai refusé l'offre de mon père de m'en offrir un pour me récompenser de mes ASPIC — pourquoi récompenser la suite logique de mes études ? Ce n'est pas comme si qui que ce soit avait douté du fait que j'obtiendrais mon diplôme, n'est-ce pas ? Avec Nerrah, j'ai eu de la chance : j'ai pu garder l'oiseau qui m'a livré le courrier le temps que je puisse rédiger une réponse. Mais l'idée de devoir toujours me presser pour écrire mes lettres ne me plaît pas. Et malgré moi, je ne peux m'empêcher de penser aux quelques courriers que je voudrais envoyer à ma famille, notamment à Narym. Suis-je destinée à attendre qu'ils m'écrivent pour le faire à mon tour ? Certainement pas.

Évidemment, s'est posée la question de l'achat, qui très vite s'est faite oublier : je n'ai plus d'économies. Quand j'essaie de me souvenir pourquoi, je tombe sur un vide effarant dans mon esprit ; je me torture alors de questions : comment ai-je perdu mon argent ? Il me faut toujours un petit moment avant de me rappeler que cette drôle de sensation est en lien avec le Sortilège que lui, je n'ai pas oublié. Cela m'aide à arrêter ces désagréables auto-questionnements qui n'ont pas de réponse. Pas d'économie, donc pas de hibou. Et puis, pour quoi faire ? M'encombrer d'un animal alors que je n'envoie que rarement du courrier ? Ah, si seulement Nyakane avait pu retrouver son corps ! Nyakane qui jamais n'accepterait de se prendre pour une chouette, mais c'est là un autre sujet. Je n'ai pas envie de perdre du temps, de l'argent et de l'énergie à m'occuper d'un volatile encombrant.

Puisque l'AESM n'accueille ni volière ni service postal, il faut bien que je me débrouille par moi-même. Et il se trouve que j'ai entendu dire par Justin Grimbers, un garçon de ma filière, qui lui-même l'a entendu de Gwen Smith, une étudiante en seconde année de Métamorphose que certains élèves se faisaient de l'argent de poche… En proposant leur hibou ou leur chouette à la location.

J'ai profité d'une accalmie en cours de Sciences de la magie pour aller voir Grimbers, lequel, n'étant pas encore contaminé par les a priori qui touchent toutes les personnes me connaissant de loin et qui les rendent méfiant à mon égard, s'est fait un plaisir de me renseigner. Il avait un sourire immense sur les lèvres et m'a même dit : « Je peux t'accompagner si tu veux, pour être sûr que tu trouves Glawbig ? ». Je suis capable de trouver ce que je cherche toute seule, c'est ce que je lui ai dit après l'avoir remercié, et il a insisté : « Ça me ferait plaisir ». Je pense qu'il a compris, lorsque j'ai répliqué que ce n'était pas mon cas, que lui aussi allait finir par être touché par la même méfiance que les autres vis à vis de moi.

August Glawbig est en première année en filière Métamorphose. Son nom m'est vaguement connu, il ne doit avoir qu'un an ou deux de plus que moi. Je ne sais rien de lui, sinon qu'il est « très sérieux en affaire, tu peux te fier à lui ». Je ne compte pas me fier à qui que ce soit mais cela m'a rassurée d'apprendre que c'était un garçon sérieux.

Je suis allée vérifier sur les panneaux dans le hall majestueux de l'école si je pouvais trouver une indication sur son emploi du temps. Je n'ai rien trouvé. Évidemment, cela aurait été trop simple. Puisque je ne sais ni à quoi ressemble Glawbig ni quelles sont ses habitudes (j'entends la petite voix de Justine Grimbers qui me chuchote : « Il fallait accepter que je t'aide… »), il me faut plusieurs jours pour réussir à le croiser à la fin d'un cours de Français, après avoir couru dès la sonnerie pour atteindre sa classe. S'en suit un moment gênant où je demande à chaque garçon qui quitte la pièce : « Glawbig ? Tu es Glawbig ? » jusqu'à ce que, Merlin merci, l'un d'eux me réponde par la positive.

C'est un gars banal qui me rappelle une personne qui n'a pourtant rien de banal : Nerrah. Si ce dernier est blond, August Glawbig est d'un brun ambré dans lequel se reflète la lumière. Mais ils partagent des traits sévères et coupés au couteau, une stature stricte et un regard distant. Le garçon me salue du bout des lèvres et n'accepte de me suivre que lorsque je lui parle de ce qui m'amène. Nous nous installons près d'une fenêtre, debout l'un en face de l'autre, aussi raides l'un que l'autre. Je n'y vais pas par quatre chemin, inutile de tourner autour du chaudron.

« Tu loues ton hibou ? Ça se passe comment ?
Moyennant somme d'argent tu me passes la lettre à poster et mon hibou s'en charge. »

Glawbig n'est pas trop loquace, ce qui me convient bien. Sans cesse son regard se tourne vers les élèves qui passent près de nous, comme s'il n'arrivait pas ou ne voulait pas se concentrer sur moi.

« Toujours en fin de semaine, précise-t-il. En Écosse, au Pays de Galles ou en Angleterre. Pour l'Irlande, tu dois me prévenir en avance. Et le prix augmente.
Bien organisée, ton affaire, » commenté-je en haussant les sourcils.

Il baisse enfin les yeux sur moi. Pour la première fois, un sourire lui étire les lèvres. Encore une difference avec Nerrah : Glawbig n'a absolument rien de renfrogné, même quand il ne sourit pas.

« Ça fait un moment que j'y pense. »

Chacun ses passions, je présume. Mais une question me turlupine et je n'ai aucune envie de confier mon courrier à un oiseau dont je ne connais rien du maître. Je croise les bras sur ma poitrine et dresse le menton d'un air sévère.

« Tu as un hibou mais pas d'argent de poche ?
Et toi tu as l'argent de poche mais pas de hibou, réplique-t-il avant d'ajouter sur un ton bien plus affable : le service que je propose est pas très cher. Si tu l'utilises souvent, tu pour…
Je ne l'utiliserai pas souvent. »

L'interruption l'a fait se tendre mais il se reprend bien vite.

« Dans ce cas quatorze Noises par courrier.
Je ne veux pas te confier mon courrier, lui dis-je alors en me décalant vers la fenêtre pour laisser passer un dragon en papier voletant dans le couloir. Je peux le donner directement à ton hibou ?
Tu ne sauras pas où le trouver, » réfute-il.

Il réfléchit un moment, les mâchoires serrées. Ses doigts triturent la lanière de son sac qui lui barre le torse et son regard se perd par la fenêtre. Puis il hoche la tête.

« Je comprends ta méfiance. Préviens-moi en avance et on se donnera rendez-vous avec Cara.
Ok. Donc demain matin, avant les cours, tu serais disponible ? »

Il me lance un regard perplexe, comme s'il peinait à croire que j'avais déjà du courrier à envoyer. Mais il hoche lentement la tête, sans prendre la peine d'articuler une phrase.

« J'ai deux lettres à envoyer au même endroit, précisé-je. Je t'apporte demain les vingt-huit Noises.
Arrondis à vingt. Prix pour les nouveaux clients, me dit-il après m'avoir lancé un regard calculateur.
Le service vaut vingt-huit Noises, je t'apporterai vingt-huit Noises, » insisté-je en serrant les dents.

Je ne sais même pas pourquoi j'insiste alors que ma bourse est beaucoup trop légère pour que je vive sereinement. Je sais seulement que je ne veux pas de son prix.

« T'es pas du genre à accepter les cadeaux, toi, hein.
Et toi t'es perspicace, » réponds-je au tac au tac.

Il sourit étrangement, comme s'il ne pouvait pas se retenir.

« C'est seulement que j'ai entendu parler de toi, Bristyle, et que je pense que tu es fiable. Je sais que tu utiliseras mon service, alors je peux bien te faire un prix.
T'as entendu parler de moi et tu dis que je suis fiable ? » Un rire sans joie franchit la barrière de mes lèvres. « Tu me donneras le nom de tes sources, je crois que ce sont des amis que je connais pas encore. »

Mon ironie le tend de nouveau — pas très loquace et pas très amusant non plus, ce garçon. Cela dit, je préfère toujours son silence gêné à la grande gueule qu'il aurait pu être à la place. Il se contente de hausser les épaules à ma remarque, le regard encore fuyant.

« Vingt-huit Noises, donc. Demain, 7h50 sur le parvis de l'école.
Bien, j'y serai. »

Il me salut d'un geste du menton en remontant la bretelle de son sac sur son épaule. Je me décale pour le laisser passer et le regarde s'éloigner dans le couloir. Voilà une affaire rondement bien menée. August Glawbig n'a pas l'air d'être le genre de personne qui me prendra la tête dès que je viendrais lui parler. Simple et efficace, tout ce dont j'ai besoin. Demain, mes courriers pour Macbeth et Delphillia partiront en direction de l'Écosse. Et ma bourse s’allégera, jusqu'à la fin du mois où je recevrai mon argent de poche avec un petit mot de la part de papa — j'espère qu'il ne m'invitera pas à dîner, difficile de refuser une telle invitation lorsque l'on empoche son argent mensuel, n'est-ce pas ?

09 oct. 2023, 18:41
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
INCENDIO
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Vendredi 9 octobre 2048
1ère année à l'AESM

@Sixtine Valerion


Une chose ne change pas, que je sois à Poudlard ou à l’Académie d’Enchantements, de Sortilèges et de Métamorphose : quand le ciel se libère de ses nuages et que la pluie cesse de tomber, lorsque les températures remontent, même très légèrement, les étudiants envahissent les étendues d’herbe autour de l’établissement. Je ne fais pas exception à la règle. Munie d’un sandwich récupéré au réfectoire, d’un Zikomo et d’un Nyakane translucide sous le soleil, je m’installe contre la barrière du domaine, mes livres étalés devant moi en attendant qu’arrive l’heure de me rendre au cours du professeur Walmilton.

J’ai eu un cours de Matériaux magiques, ce matin. Deux heures. Deux longues heures. Je devrais relire mes notes, commencer le brouillon d’une fiche et même être à la bibliothèque pour approfondir ce que je sais déjà (c’est à dire peu) de ce cours. Sauf que voilà, cela ne m’intéresse pas. C’est que, cet après-midi, j’ai un cours d’Origines et théorie de la magie noire ! Je ne dirais pas qu’il s’agit de mon cours préféré, parce que j'aime trop étudier pour faire la bêtise de ne préférer qu’une seule matière. Malgré tout, sont ouverts devant moi plusieurs ouvrages empruntés à la bibliothèque et tous concernent cette unique et seule matière.

« J’y crois pas qu’il y ait des bouquins sur la théorie de la magie noire ici ! » m’exclamé-je en croquant joyeusement dans mon sandwich, sans m’adresser à qui que ce soit en particulier.

Nyakane a la tête coincée sous l’aile, allez savoir ce qu’il y fait, quant à Zikomo il bavasse au soleil comme un bienheureux et se contente d’ouvrir un œil pour me regarder paresseusement.

« À Poudlard, même le plus innocent des manuels traitant de la magie noire nous était interdit. C’est d’un idiot.
Oh oui, commente enfin Zikomo, quelle idiotie d’empêcher les jeunes sorciers de s’intéresser à une telle branche de la magie. »

Son ton ironique me laisse de marbre. J’avale une nouvelle bouchée de mon sandwich aux concombres en entamant la lecture du chapitre intitulé Quel sacrifice pour quel sortilège ?, complètement hermétique à ce qui se passe autour de moi.

C’est un bruissement d’ailes qui me fait lever la tête. Je me tourne d’abord vers les arbres de la forêt épaisse qui s’étend derrière mon dos, au-delà de la barrière, mais lorsqu’une ombre me survole, j'aperçois le hibou qui plane au-dessus de moi. Il fait plusieurs tours, comme pour s'assurer que je suis la bonne personne — à moins qu’il ne soit effrayé par le regard gourmand de Zikomo qui n’a pourtant jamais mangé et ne mangera jamais d’oiseau et encore moins une chouette de sa vie. Cela me laisse le temps de me faire à la surprise de recevoir un courrier, encore.

Évidemment, je pense à elle ; elle est la dernière à qui j’ai envoyé un hibou, après tout. Je pourrais dire que je n’ai pas du tout attendu de réponse de sa part, et cela serait un mensonge de plus, comme à chaque fois que je me dis à moi-même : c’est le hasard si tu as tiré le collier de ce tiroir ! Ni le hasard ni le mensonge ne peuvent cependant survivre aux sursauts du cœur. Quand je reçois la lettre sur les genoux, j’ai une conscience si vive de ma propre impatience que j’ai du mal à accepter la vague de honte qui me submerge aussitôt.

Sans réfléchir, je dépose le sandwich sur mon sac et ouvre la lettre, prête à tout affronter, secrètement euphorique qu’elle ait répondu, qu’elle ait pris le temps pour ça, clairement impatiente de voir à quel point mes mots l’ont vexée !

C’est une claque. Un ouragan. Une tempête dans mon cœur lorsque mes yeux tombent sur les trois mots inscrits au centre du parchemin jauni. J’inspire brusquement en froissant le papier entre mes doigts. Je lève les yeux sur Zikomo qui me questionne de son regard doré ; puis je les tourne vers Nyakane qui a sorti la tête de sous son aile et qui claque du bec silencieusement. Je baisse de nouveau la tête sur le parchemin que je défroisse, lisant et relisant les mots auxquels je ne parviens pas à croire.

Ma réaction est instinctive. Elle est l'enfant de ma colère vive et de ma honte insupportable. Je balance le papier devant moi, dans l’herbe, au-delà de mes affaires et des livres de la bibliothèque. Je dégaine ma baguette, incapable de supporter plus longtemps l’outrage de ces mots. Leur existence même est une insulte ! Ah, cette femme !

« Incendio ! »

Le papier s’embrase sous les yeux arrondis de Nyakane et Zikomo. Quand ils se tournent vers moi, je ramène mes jambes contre ma poitrine, les yeux fixés sur l’herbe calcinée. Mon cœur bat encore rapidement contre ma cage thoracique. Une part de moi a conscience de ma réaction excessive, mais le reste est en train de hurler, d’insulter et de se répandre en répliques acides et méprisantes destinées à Sixtine Valerion.

« Que s'est-il passé ?
Rien ! » rugis-je en réponse à Nyakane en laissant retomber ma baguette dans l’herbe.

Je croise les jambes et baisse mes yeux froncés sur mon livre que je n’arrive de toute manière pas à lire. J’ai la respiration affolée des jours de colère. Non mais je rêve ! marmonné-je dans ma tête. Et elle ose l’affirmer ! Elle ne sait rien, rien du tout ! Me manquer, ah ! cette femme qui m’a… Vraiment idiote ! Elle ne sait rien de rien ; et c’est une professeure ?! Qu’elle aille se faire voir ! Et la litanie continue sur le même ton pendant une bonne dizaine de minutes, jusqu’à ce qu’il soit l’heure de se rendre en cours.

Je rassemble mes affaires en grommelant dans ma barbe, malgré moi préoccupée par l’outrecuidance de Valerion. Je traverse à grands pas le parc en direction de l’aile scolaire du bâtiment, en jurant tous mes grands fondateurs que plus jamais je ne lui écrirais, jamais !

12 oct. 2023, 11:25
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
-AIN DE HIBOU
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Mardi 22 septembre 2048, 7h55
1ère année à l'AESM

@Adaline Macbeth


Je sors du réfectoire, une brioche enfoncée dans la bouche, mon sac maladroitement agrippé de la main gauche et un courrier d'Adaline Macbeth dans la main droite. L'équilibre de tout cela étant très précaire, je m'arrête, attrape ma brioche, arrange la lanière de mon sac sur mon épaule en mâchant, et reprends ma route, le hibou de la Gryffondor ouvert devant moi. Je marche à grand pas vers ma salle de classe. J'ai un cours de Sortilèges mineurs et élémentaires, ce matin, et je suis en retard. La cause ? Ma nuit secouée par les cauchemars, répondrait ma raison ; ce hibou soudain, affirmerait mon ego ; cette fichue Ashley Rockfield ! bramerait ma fierté.

J'étais en train de me brosser les dents quand elle a ouvert la porte de la salle de bains à la volée en gueulant.

« T'as reçu un put... Ah. »

Le reste de sa phrase (-ain de hibou) a subitement disparu lorsqu'elle m'a aperçu en sous-vêtements, la bouche barbouillée de dentifrice et le regard noir. J'ai pris le temps de cracher la mousse avant de lui arracher le parchemin des mains, d'agripper le battant de la porte et de le lui claquer au nez avec un « Si tu toques pas la prochaine fois, je t'arrache les yeux et ce sera pas agréable. On t'a pas appris la politesse, Rockfield ? » — c'est qu'il existe un sortilège qui sert exactement à ça, à arracher les membres, et effectivement cela n'a rien d'agréable. Je pense qu'elle a pris ma menace au sérieux car lorsque je suis sortie de la salle de bains après avoir enfilé une robe de sorcière et des collants, elle m'a a peine regardé avant de disparaître.

Je prends donc connaissance du hibou de Macbeth maintenant. Secrètement, je me réjouis qu'elle m'ait répondu aussi vite. Je ne l'affirmerai jamais mais c'est ce que je ressens. Alors je prends le temps de lire son hibou avant d'aller en classe malgré mon regard et malgré les couloirs bondés qui rendent ma lecture difficile.

J'ai parfois des sourires narquois (« même si la magie noire ce n'est pas mon domaine » ; oh, je l'aurais parié, Macbeth, va savoir pourquoi) et mes sourcils s'arquent sur mon front (« j'ai une idée folle. »). Lorsque je termine ma lecture, j'ai déjà une idée de ce que je vais écrire, ma réponse s'inscrit dans ma tête et je l'enregistre pour ne pas la perdre durant la journée. Je replie le parchemin et le glisse dans mon sac. Je ne sais pas quand j'aurais le temps de répondre.

En trois bouchées, je termine ma brioche. Voilà que j'arrive en vue de ma salle de classe. C'est une matière du tronc commun. Je suis mélangée avec les autres filières. Évidemment, je vois Ashley fichue Rockfield nonchalamment appuyée contre le mur en attendant de pouvoir entrer dans la salle. Un pied contre le mur, les bras croisés sur la poitrine. Elle rigole fort en levant le nez vers le plafond, elle parle comme si elle était seule au monde, en racontant des bêtises sûrement très inintéressantes. Lorsque je passe devant elle, elle m'envoie un regard appuyé. Je résiste à l'envie de lui lever mon majeur devant le nez — ce serait fort peu mature. Je dépasse tout ce joli groupe pour attendre plus loin. Je sors un livre de mon sac, malheureusement je ne me plonge pas dans ma lecture suffisamment vite pour m'épargner la vision d'un Dimitri Jones avec sa tronche bouclée qui se ramène au bout du couloir.

Oh Merlin, j'ai grincé des dents lorsque je l'ai aperçu dans les couloirs de l'école ! Parmi toutes les universités il a fallut qu'il choisisse la même que la mienne ? Ce garçon qui ne m'aime pas et que je n'aime pas non plus ? Lui qui s'est déjà pris le poing de mon frère sur le nez un jour où celui-ci s'est senti le devoir de me défendre ? Je n'aime pas son air, je n'aime pas sa voix. À vrai dire, je n'aime ni les airs ni les voix de la majorité des étudiants qui attendent dans le couloir. Ils me paraissent tous d'une pâleur déconcertante. Et je ne parle pas de leur visage ou de leur peau. Je parle de ce qu'ils ont à l'intérieur. Quel ennui, les gens ! Quel ennui, mes camarades ! Je me soustraie à leur vision en plongeant le nez dans mon bouquin.
| LETTRE COMPLÈTE > Chère Aelle Bristyle

17 nov. 2023, 19:09
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
LA TÊTE PLEINE DE FANGE
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Jeudi 22 octobre 2048
1ère année à l'AESM



Ce jour-là il pleut et le vent fait danser les gouttes dans le ciel Gallois. Les nuages s’éparpillent en larmes glaciales qui s’écrasent anarchiquement contre les vitres du plafond ; en résulte une mélodie bruyante qui se mêle aux discussions des étudiants qui traversent le hall de l’école. Je ne m’éternise pas dans la pièce majestueuse. J’ajuste ma cape avant de passer les portes imposantes du bâtiment. Je ramène ma capuche sur mon front, trop affligée pour avoir le courage de lancer le sortilège du parapluie qui me protégerait des pleurs du ciel. Zikomo est roulé en boule à la base de mon cou, les griffes plantées dans mon pull ; il est silencieux depuis que nous avons quitté la chambre. Je ne lui ai pas demandé de venir et il ne m’a pas demandé non plus mon avis avant de me sauter sur mon épaule.

Le réveil s’est éternisé. Rockfield a tenu à ce que nous discutions des règles en vigueur dans la chambre. Elle m’a dit que je ne pouvais pas lire aussi tard le soir, parce que la lumière de ma baguette l’empêchait de dormir. Je lui ai dit qu’elle ne pouvait pas rentrer à pas d’heure comme elle le fait régulièrement, parce que le bruit de la porte et de son passage dans la salle de bains me réveillait. La conversation s’est terminée par un échange de regards noirs. À vrai dire, je suis pratiquement sûre d’avoir claqué la porte dans mon dos avant même qu’elle termine sa phrase. Déjà que je n’aime pas beaucoup cette fille, alors si elle me parle le matin, surtout un matin où le Sortilège ne fait plus effet, il ne faut pas se plaindre que je sois de mauvaise humeur.

Au début, ça commence toujours par une douleur dans le cœur. Ce n’est pas une douleur physique. C’est un poids qui pèse à l’intérieur de mon corps et qui me noue la gorge. Puis les pensées arrivent, nombreuses et incontrôlables. Ce ne sont pas réellement des pensées, ce sont surtout des souvenirs. Ils remontent sous forme d’images et de sons, de sensations, d’émotions qui ne sont pas les bienvenues. C’est à ce moment-là que je me souviens qu’en réalité je suis triste et que cette tristesse prend toute la place dans ma tête. La réalité est brutale et douloureuse. Tout se remet à sa place dans mon crâne. Mon esprit s’éclaircit avec les souvenirs. Je redeviens celle que je suis et je déteste ça. Je déteste ça parce que je me souviens que je suis en colère (ou triste ?) comme je ne l’ai jamais été mais que je ne peux rien faire pour me décharger de cette tristesse (ou colère ?). Rien de ce à quoi j’ai déjà pensé me parait suffisant. J’ai déjà détruit, j’ai déjà hurlé, j’ai déjà fait souffrir. Rien n’est suffisant, rien ne le sera jamais, c’est pour cela que je choisis la solution du Sortilège.

La tête baissée sur mes bottines, je traverse à pas rapides l’allée centrale bordée de parterres de fleurs et de fontaines. Avec ce temps, le chemin qui mène au portail est vide. Je ne croise personne. Le ciel est encore sombre au-dessus de moi, il est tôt. L’école se réveille à peine, la plupart des étudiants se trouvent dans le réfectoire pour le petit-déjeuner. Je n’ai pas faim. Hier soir non plus, je n’avais pas faim.

J’accélère le pas en arrivant en vue du portail marquant la limite du domaine de l’école. Là, on me laisse sortir sans que j’ai à expliquer quoi que ce soit. Après tout, si je manque des cours je ne pourrais m’en prendre qu’à moi-même. Et je ne compte de toute manière pas arriver en retard. Ce matin, j’ai seulement envie de m’éloigner des gens, des regards, de toutes ces personnes dont la seule existence rend la mienne un peu plus douloureuse. J’ai besoin d’arbres et de silence, de la présence réconfortante des bruits de la nature, de sentir les gouttes de pluie tomber sur mon visage et glisser dans mon cou. J’ai besoin de l’ambiance calfeutrée des bois, de l’obscurité qui se cache derrière les troncs d’arbre. C’est de cela, dont j’ai besoin.

Je m’enfonce dans la forêt. Je ne vais pas dans la clairière de Zikomo, là où nous nous entraînons avec Nyakane, là où je m’assieds pour travailler quand le temps le permet. Non, je pars à l'opposé et je m’enfonce à travers les arbres. Le bas de ma cape traîne derrière moi et ramasse les feuilles humides qui tapissent le sol de la forêt. La pluie est moins forte ici, je fais glisser ma capuche pour sentir les gouttes accrochées aux branches tomber sur mon crâne. Le silence est tellement épais que j’ai l’impression d’être seule au monde. Je n’entends que ma respiration, le chuchotement de la pluie et le bruissement des feuilles. Contre mon cou, je sens le petit cœur de Zikomo qui bat calmement.

Je m’arrête à côté d’un arbre imposant qui monte haut vers le ciel. Zikomo s’ébroue et saute sur le sol. Son poil bleu se détache drôlement sur le sol sombre et boueux de la forêt. Je le regarde faire le tour du tronc, mais à la place de le voir, ce sont mes souvenirs qui se dessinent dans mon esprit.

Des souvenirs de cet endroit sombre et mystérieux dans lequel elle m’a fait aller, en juillet. Les heures qui ont suivi, les heures et les longues journées, l’espoir, l’attente. Mes souvenirs se mélangent, parfois je me vois de nouveau chez Narym, allongée sur mon lit, les yeux écarquillés sur le plafond, écrasée par le poids de la solitude. Et au milieu de ces images se glisse le souvenir de cette fois-là, sur le Plateau, mon corps qui tombe à la renverse, son visage qui se froisse sous la peine ; je me souviens de sa voix quand elle murmurait mon prénom.

Je m’assieds maladroitement sur le sol, le dos contre le tronc. J’ai le souffle court ; comment respirer normalement alors que mon coeur penche sous le poids des souvenirs ? C’est toujours comme cela lorsque le Sortilège ne fait plus effet. À chaque fois c’est un peu plus compliqué. Les souvenirs sont plus forts, plus douloureux. Je pose les coudes sur mes jambes repliées et me prends la tête entre les mains, peinant à faire du tri dans mes pensées. Je dois attraper ma baguette magique et lancer le Sortilège mais entourée du silence étourdissant de la forêt, je me retrouve soudainement incapable de faire le moindre geste. Coincée dans cet entre-deux, épinglée par les souvenirs mais incapable de faire ce qu’il faut pour les déloger.

Ils sont envahissants. Ils arrivent par flash, de plus en plus rapidement maintenant que je n’ai plus de but, que je suis assise et que je ne bouge plus. Ce sont des souvenirs qui ont des goûts différents. Certains me font terriblement mal et sont la porte ouverte à des pensées sombres, les autres sont teintés de nostalgie, de tristesse, parfois même d’un bonheur un peu étrange et décalé. Je me souviens de cette fois-là dans son bureau, juste après avoir fondu en larme. Je me souviens m’être jetée sur un fauteuil comme une enfant, les jambes négligemment posées à travers l'accoudoir. Je l’ai regardée comme je ne pourrais plus jamais le faire, sa silhouette tout en angles, si étroite, obscure, comme si elle cherchait à se cacher parmi les sombres. Elle se détachait sur les murs de son bureau recouverts de livres et elle m’observait aussi, avec son regard que je ne pourrais plus jamais voir ; je lui ai dit : « Est-ce que je peux vous appeler par votre prénom ? ». Voyez tout ce que nous avons vécu ! Les larmes et les pleurs, les cris, si nombreux ! les confidences, les reproches. Vous m’avez donné accès à une partie de vous qui vous rebute et qui vous attire, qui me dégoûte et qui m’appelle ; et je vous ai confié la même chose de moi. Puis-je vous appeler par votre prénom ?

Je ne l’ai jamais fait malgré son autorisation. Ma gorge se noue mais je lutte pour laisser monter les souvenirs, chose nécessaire pour le bon fonctionnement du Sortilège. Je ne l’ai jamais appelée Kristen. En sa présence, cela m’a toujours paru un peu étrange — appeler la grande Directrice par son prénom ! Je n’y arrivais pas. Et après ? Il n’y a pas eu d’après, elle ne m’a pas laissé l’occasion d’essayer, de tenter. Et puis, elle a disparu, purement et simplement. Disparu malgré l’énigme laissée sur le tableau. Disparu malgré les épreuves qu’elle m’a forcée à passer dans ce coin reculé de Grande-Bretagne, cet été. Disparu malgré mes recherches. Disparu malgré mes efforts pour me gorger de nos souvenirs, de m’en enivrer pour oublier que dans le présent elle n’était plus là.

J’ai parfois l’impression que je vais me perdre dans cette haine teintée de tristesse que je ressens. Je crains qu’elle grandisse et qu'elle ne laisse la place à rien d’autre. Mon coeur ne serait alors fait que de noirceur et de vengeance impossible. À chaque inspiration, à chaque battement, je crèverais de frustration de ne pas pouvoir lui faire le mal que j’ai tant besoin de lui faire. Parfois, je pense déraisonnablement à toutes ces mauvaises choses que je voudrais lui faire. Je m’abreuve aux terribles visions qui naissent de mon esprit haineux. J’imagine mille et une façon de lui faire payer de s’être incrustée si profondément en moi. De quel droit a-t-elle un tel pouvoir sur moi après toutes ces années ? C’est injuste ! Je suis une sorcière puissante, je devrais vibrer de joie d’être au point culminant de ma vie : douée, talentueuse, intelligente ! Au lieu de cela, je pleure sur le sol fangeux d’une forêt Galloise sous le regard scrutateur d’un Mngwi qui ne sait que faire des larmes que je n’ai même pas senti couler le long de mes joues.

Je redresse à peine la tête mais Zikomo doit sentir le regard accusateur que je lui lance (coupable d’être présent, coupable d’être témoin de ma honte) car il prend aussitôt la parole.

« Je n’aime pas quand tu fais ça… »

Toute petite voix qui s’élève au milieu du craquement des branches, du bruissement des feuilles, du cri bref d’un oiseau qui s’éveille ; la voix de Zikomo se mêle aux chuchotements de la forêt. J’aurais aimé ne jamais l’entendre.

« J’ai pas le choix, murmuré-je d’une toute petite voix en essuyant du plat de la main mes joues barbouillées de larmes, j’dois laisser remonter les souvenirs pour que le sortilège fonctionne. Va m’a… »

Ma voix se casse. Je déglutis péniblement, les yeux braqués sur la pointe de ses oreilles.

« Va m’attendre plus loin. »

S’il-te-plaît, va-t-en. Je n’ai pas besoin d’entendre tes doutes.

« Je parlais du sortilège en lui-même, insiste-t-il en se tassant sur le sol, ses poils bleus se couvrant de boue et de feuilles. Ce n’est pas bon d’effacer ainsi tes souvenirs. Ça ne te fait pas du bien.»

Je fais glisser mes doigts contre mon crâne et m’accroche à mes cheveux en retenant un gémissement. Je sens dans mes doigts, dans mes bras, dans mes jambes, dans mon buste les tremblements contenus des émotions qui ne savent pas comment s’extérioriser. Je n’ai pas la force de réfléchir à ça maintenant, pas maintenant, il y a une peine énorme dans ma tête qui influence tous mes mouvements, pas maintenant Zikomo. J’ai l’impression que le monde entier se tasse contre mon corps, qu’il cherche à m’écraser, me réduire en poussière, me faire disparaître. Comme si ma tristesse était un monstre de chair et d’os que je trimballais avec moi où que j’aille.

« Pas maintenant, soufflé-je d’une voix hachée.
On doit en parler ! »

Il s’approche, le museau froissé dans une mimique inquiète que je lui connais par coeur. Il insiste, il insiste encore, il insiste toujours.

« Aelle, quand on en parle lorsque le sortilège est actif tu ne sais plus de quoi je parle, tu n'as pas conscience de la gravité de…
PAS MAINTENANT ! »

Mon cri s’élève vers la cime des arbres. Je cache mes yeux entre mes coudes pour ne pas voir la réaction de Zikomo. Mon corps tremble sans retenue, désormais. J’ai encore envie d’ouvrir la bouche et de crier, j’ai envie de crier très fort, de hurler, de m’arracher la voix, juste pour le simple plaisir de laisser quelque chose sortir de moi. Mais je ne peux pas. J’étouffe un gémissement, ma main rode jusqu’à ma baguette magique à laquelle je m’accroche de toutes mes forces.

Je me jette dans mes souvenirs à coeur perdu, avec maladresse et désespoir. Tout remonter jusqu’à notre rencontre. Oublier son prénom. Les souvenirs associés à elle. Kristen Loewy. Rencontrée dans les couloirs quand j’avais douze ans. Notre seconde discussion devant le L’ombre de la mort. Notre rapprochement discret, nos conversations autour de la magie noire. Mon attachement pour elle. Immense, démesurée. Cette grande femme au coeur si noir. Je rassemble les sentiments que j’ai associés à elle. Colère, peine, envie de vengeance, désespoir, manque. Toute cette obscure peine dans laquelle je baigne parce que je suis incapable d’accepter qu’elle n’est plus là et que c’est sans doute pour le mieux. Incapable d’accepter que je ne l’entendrais plus et que je ne pourrais pas lui dire tout ce que je lui reproche. Prendre toutes ces choses, en faire une vilaine petite boule noire dans mon esprit et lancer le Sortilège.

Gestuelle, formule, visualisation, concentration.
Je lève la tête en fermant les yeux, physiquement capable de ressentir les souvenirs s’écouler hors de ma tête ; l’accompagnent la boule dans mon ventre, ma gorge nouée et mes envies de pleurer. C'est comme si je me dégonflais soudainement sauf que ce n'est pas de l'air qui s'écoule de moi, c'est de la douleur. Et je me sens tellement mieux, tout à coup. Cette sensation est euphorisante, elle est agréable, elle me fait du bien.

Lorsque je baisse ma baguette magique et que je lève les yeux sur les arbres qui m’entourent, je me rends compte que la pluie a cessé de tomber. Là-haut, les frondaisons laissent entrevoir quelques tâches grises. Bientôt, la bruine reprendra. Je me lève d’un mouvement fluide et léger, trouvant incongru de me trouver ici alors que je pourrais être à la bibliothèque pour lire avant mon premier cours.

J’esquisse un pas pour prendre le chemin de l’école mais mon regard tombe sur Zikomo, petit Mngwi affligé roulé en boule contre le tronc d’un arbre éloigné. Avec un petit sourire, je rengaine ma baguette dans mon brassard placé sur le bras. Je m’approche du petit être et m’accroupis à ses côtés. Du bout des doigts, je caresse le sommet de son crâne. Son poil est mouillé et recouvert de tâches. Je le récupère tendrement au creux de mes mains. Le renard d’encre se love contre mon ventre et je le serre contre moi en me dirigeant vers l’école.

« Comment vas-tu ? » me demande-t-il d’une voix presque indistincte.

Je baisse les yeux sur lui, un doux sourire m’étirant les lèvres. Je connais par cœur l’éclat de son regard et la mimique qui lui fait retrousser les babines. Il est inquiet mais je ne sais pas bien pourquoi.

« Ça va bien, Zikomo ! m’exclamé-je en marchant d’un bon pas sur le long du chemin. Regarde-toi, tu es tout sale. »

Je pourrais dégainer ma baguette et le nettoyer, mais je préfère encore tirer sur ma manche en lorgnant devant moi pour ne pas me prendre un arbre et lui essuyer consciencieusement les tâches de boue étalées sur son poil d’habitude bien lustré. Il profite de mes mouvements pour me donner un coup de tête affectueux. Lorsque je croise son regard, une agréable chaleur se répand dans ma poitrine et je lui offre l’un de ces sourires dont j’ai le secret, celui qui est presque invisible mais qui peut se voir dans mes yeux.

16 déc. 2023, 13:36
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
L'EFFET DELPHILLIA
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Lundi 26 octobre 2048
1ère année à l'AESM
Suite à la lettre d'Aliénor



Lire Delphillia, c'est un peu comme lorsque je la voyais dans les couloirs de Poudlard et que nos regards se croisaient : je ressens un colère viscérale qui s'ajoute à une étrange et déstabilisante envie de rire. Son ton est toujours insolent. De cette insolence dont elle se drape depuis que je la connais, depuis cette première rencontre dans un couloir qui s'est soldée par une claque — à mon encontre — dont je ne me suis évidemment toujours pas remise. Il y a quelque chose de franchement rassurant avec cette fille que j'exècre, même si jamais je ne l'avouerai à voix haute : elle ne change pas. Malgré la maturité qu'elle prend elle sera toujours à mes yeux, même lorsqu'elle sera diplômée de Poudlard, cette fille insupportable qui est capable de me tenir tête quoi que je dise ou fasse. C'est étonnant de me découvrir cette envie de continuer à la confronter, ne serait-ce que pour m'assurer qu'elle ne change pas. Je ne sais pas si je l'aurais de moi-même contacté, cela dit, alors je crois que je suis satisfaite que ce soit elle qui l'ait fait. Cela non plus je ne l'avouerai jamais.

Son courrier me donne donc envie de frapper quelque chose et de rire en même temps. Drôle de mixture. Cela a pour conséquence de me faire plier la lettre, de la fourrer dans mon sac et de refuser pendant une bonne semaine de lui accorder le moindre crédit. Malgré tout, il se peut que je furète pendant ce temps-là dans les travées de la bibliothèque concernées par les questions qu'a soulevé la Poufsouffle. Malgré moi, ce qu'elle dit m'intéresse.

Comment une fille comme elle peut-elle avoir dans sa bouche un mot que moi-même je ne connais pas ? Comment est-ce possible alors que je suis persuadée qu'elle connait autant la bibliothèque du château que moi son terrain de Quidditch ? J'essaie de me résoudre à ne pas avoir de réponse à cette question... Du moins, j'essaie pendant quelques heures seulement. Ensuite, je poursuis mes recherches et je questionne même un ou deux professeurs. Le terme nexus, si ce n'est son explication latine dont je me fous un peu, n'inspire rien à personne. Par contre, il ne quitte pas la bouche (ou la plume) d'une vulgaire élève de septième année qui ne sait rien faire de mieux que de voler sur son balai et agiter les poings avec colère. C'est agaçant.

Après deux bonnes semaines de recherches lors desquelles j'ai trouvé plusieurs informations intéressantes quoi que guère approfondies à propos des flux magiques mais rien concernant les "nexus", je me décide à récupérer le courrier de Delphillia et à lui répondre. Ou du moins l'aurais-je fait si je n'avais pas entre-temps reçu une beuglante d'une certaine professeure de Poudlard et si je n'étais pas allée lui rendre une petite visite dans les jours suivants. Lorsque je me rappelle enfin de l'existence de Delphillia et de son courrier en attende, trois bonnes semaines sont passées, ce dont je ne compte pas m'excuser dans ma réponse.

Je suis réticente à l'idée de lui livrer certains détails. Après tout, qui me dit qu'elle n'utilisera pas ce que je lui dis contre moi ? Je ne me fais pas d'idée. « Ni camarade ni amie », certes, mais malgré tout le respect qu'elle dit m'accorder, je sais ce que nous sommes : nous sommes rivales et cela ne changera jamais. Notre dernière confrontation dans la Salle sur demande l'a imprimé tout au fond de nos cellules et de nos crânes : nous sommes rivales et toujours nous nous affronterons, que ce soit sur le plan des mots, de la magie ou des poings. Je refuse que cela se passe autrement.

Je m'installe à la bibliothèque, à ma table habituelle qui est fort heureusement vide. Derrière les fenêtres, le domaine se réveille doucement. Les arbres ne sont guère visibles à travers la brume mais je peux apercevoir au milieu de l'herbe les parterres de fleurs et la silhouette de quelques étudiants suffisamment courageux pour mettre le nez dehors par ce temps maussade.

Je trempe le bout de ma plume dans l'encre noire et entreprends la rédaction de mon courrier, ponctuant si et là mon écriture de grognements agacés et de yeux levés au ciel. J'espère tout au fond de moi que la lecture inspirera à Delphillia les mêmes sentiments que les siens m'inspirent : un quelque chose dont on ne sait pas trop si c'est désagréable ou non.
| POUR LIRE LA LETTRE > Respectueusement

27 déc. 2023, 19:12
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
TAIS-TOI ET REGARDE
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Samedi 14 novembre 2048
Forêt de Cwm Rhaeadr — Pays de Galles
1ère année à l'AESM



Les épines de pin traversent le tissu de ma cape et me picotent les cuisses et les mollets. Je m’efforce de les ignorer, concentrée sur la magie qui circule dans mon corps et qui vibre dans la baguette japonaise coincée entre mes doigts moites. Mes yeux me piquent. Mon monde entier se résume au petit espace devant moi. Une langue de terre vide de toute épine ou feuille sur laquelle je louche depuis deux bonnes heures. Je respire lentement et doucement, je contrôle l’air qui pénètre dans mon nez et qui ressort par ma bouche, sachant l’importance de ne pas m’emballer ni de m’exciter. L’impatience me malmène à la fois le cœur et l’esprit. J’ai de plus en plus de mal à la retenir. Plus j’échoue, plus elle prend de l'ampleur.

Nyakane est planté à mes côtés, ses pattes translucides à peine visibles à la périphérie de ma vision. Il parle de temps en temps. « Respire plus doucement », « Doucement, Aelle. Concentre-toi », « Plus précise, la visualisation ». J’aimerais dire que ses interventions me tapent sur le système, mais ce serait mentir. La vérité, c’est que s’il ne parlait pas, j’aurais explosé depuis un moment. Mais après deux longues heures, même ses paroles ne suffisent plus.

J’inspire longuement par le nez. J’expire en entrouvrant les lèvres.

« Ventus. »

La magie retenue, contrôlée et presque étranglée me fait trembler. Un étroit faisceau de magie invisible à l'œil nu s’échappe de ma baguette. L’air tourbillonne violemment, une tempête de deux centimètres carrés qui fait voler la terre et qui ne fait quasiment pas de bruit. Je me concentre de toutes mes forces, puisant au fond de moi pour m’inventer le sentiment de joie nécessaire à ce sortilège. Cela ne dure qu'une minute. Une fois ce laps de temps dépassé, je perds le contrôle : le vent grandit, grossit et un large courant d’air éparpille la terre devant moi. C’était si soudain que je ne l’ai pas vu venir. Ma magie a soufflé comme un vent en colère. Le crépitement sous ma peau disparaît. J’ai échoué.

Mon impatience meugle comme un animal enragé. Je n’en peux plus. Je n’en peux plus de cet exercice idiot et de mon incapacité à le réussir à la perfection ! Je frappe d’un grand coup contre le sol sans retenir le cri qui m’abîme la gorge. Je me lève vivement, ignorant la douleur dans les muscles de mes jambes.

« J’en ai marre ! » crié-je à qui veut l’entendre, c’est-à-dire peu de monde puisque même Nyakane ne réagit pas.

Je fais les cent pas entre deux arbres, traversant l’esprit oiseau-serpentaire sans m’en rendre compte.

« Il aurait pu me donner n’importe quel sortilège ! vociféré-je en levant les bras au ciel. Mais non, il a fallu qu’il m’en donne un comme ça alors que je… » Je lève ma baguette magique en direction d’un arbre. « Que j’en gère d’autres beaucoup mieux ! Deprimo ! »

Un trou de la taille d’une Mornille se creuse alors dans le tronc de l’arbre, si profondément que l’écorce se brise dans un craquement de l’autre côté, preuve que mon sortilège a traversé l’arbre sans le moindre effort.

« Deprimo ! »

Second sortilège ; le trou s’agrandit violemment, comme grignoté par un monstre invisible. L’arbre est désormais creusé en son milieu. Un peu plus et je l’aurais brisé en deux. Je baisse lentement ma baguette, étonnée de ressentir un léger, très léger, sentiment de culpabilité d’avoir abîmé cet arbre qui ne m’avait rien demandé. Mon soupir prend de la place dans le silence de la forêt. Je n’ose pas me retourner pour regarder Nyakane, de peur de trouver dans son regard l’éclat d'un jugement qu’il me réserve souvent.

Les exercices de O’Niels sont intéressants. À vrai dire, si j’étais objective je pourrais reconnaître qu’il m’a justement donné ce sortilège à travailler parce que je n’ai pas un contrôle parfait sur lui. Et aussi parce que Ventus demande l’utilisation d’un sentiment qui ne m’est pas naturel : la joie. Mon professeur n’a pas mis longtemps avant de comprendre que j’avais du mal avec ça et beaucoup moins avec les sortilèges nécessitant une émotion plus négative. Mais ce que mon professeur désire n’est pas naturel, pour moi. Je sais lancer ce sortilège. J’ai appris à rendre mes rafales plus imposantes, plus violentes, plus menaçantes dans le but secret de défier Milya Araya Bogale et sa maîtrise du vent impressionnante. Mais réduire mon sortilège et la force de mes tempêtes à la taille d’une pièce de monnaie c’est, c’est… C’est frustrant. D’autant plus quand je me traîne une fatigue qui pèse constamment sur mes paupières.

Un bruit d’ailes me fait lever la tête. Nyakane vole paresseusement autour de moi, son long cou dressé avec insolence. Son petit jeu me force à tourner sur moi-même pour le suivre du regard.

« C’est désormais la maîtrise chirurgicale de tes sortilèges, qui compte. Sans cela, tu seras incapable de créer un sort valable pour ton projet final, me dit-il comme si je n’étais pas déjà au courant.
Je sais, commencé-je d’une voix colérique, mais…
Il n’y a pas de “mais” à ajouter à cette affirmation.
Mais je…
Tu n’es plus bonne à rien quand tu es dans cet état. Suis-moi. »

Ahurie, je le suis du regard lorsqu’il s’envole vers le ciel en tournoyant autour d’un arbre au tronc épais dont la cime se confond avec celles de ses confrères. Il se pose sur une branche élevée et penche sa petite tête vers moi.

« Qu’est-ce que tu fous, Nyakane ? J’ai pas le temps pour ces conner…
Monte. »

J’attends la chute d’une blague qui ne vient pas, les bras ballants et les yeux écarquillés.

« T’es perché dans un putain d’arbre, je vais pas mon..
Cesse de discuter et viens ! La leçon se poursuit là-haut.
Tu me prends pour qui ? lui lancé-je sur un ton agacé, la nuque douloureusement pliée pour le regarder. La dernière fois que je suis montée dans un arbre j’avais onze ans et si j’ai pas recommencé, c’est pas pour rien.
Et maintenant, à dix-huit ans, tu vas recommencer. À moins que tu n’éprouves de la crainte ? As-tu le vertige ? »

Il me pose la question de façon neutre, comme d’habitude, avec sa voix d’instructeur. Comme si rien ni personne ne pouvait l’atteindre. Pourtant, je prends ses paroles comme une attaque. Quelque chose en moi feule comme un chat en colère : moi, le vertige ?! Moi, peur ?!

« J’ai pas peur. Je trouve seulement ça profondément idiot, grincé-je entre mes dents.
Ce ne sera pas la première fois que tu trouves mes enseignements idiots, commente Nyakane avant de claquer sévèrement du bec : je t’attends là-haut. »

D’un coup d’ailes, il se hisse sur les branches les plus hautes, si bien que je n’aperçois plus rien de son corps translucide et bleuâtre d’esprit. Je souffle en gonflant les joues, agacée à l’idée de gâcher mon samedi après-midi en grimpant dans un arbre idiot, pour un exercice idiot, sous les ordres d’un Messager des rêves idiots. Trois ans que Nyakane fait partie de ma vie et qu’il est mon professeur ; trois ans à supporter sa sévérité, son manque d’humour et son intransigeance ; trois ans à l’entendre juger tout ce que je suis. Mais il a raison : ce n’est pas le premier exercice que je critique et ce ne sera sûrement pas le dernier. Et puis je n’ai pas l’habitude qu’il soit mauvais professeur.

Je grogne pour le principe et marmonne quelques injures dans ma barbe avant de me reculer pour envisager l’arbre dans sa totalité. Il est fait de grandes et belles branches, peut-être que l’escalade ne sera pas si difficile ? Et puis je ne suis pas une vulgaire moldue, j’ai la magie de mon côté. Je ne compte pas grimper cet arbre à la seule force de mes bras et de mes jambes, je ne suis pas non plus idiote.

Je pointe d’abord ma baguette sur le sol recouvert d’humus. Visualisation, gestuelle, formule… Ces étapes me viennent sans même y penser, je manie la magie comme je respire. Un instant plus tard, je sais de source sûre, sans même le vérifier, que le sol est devenu élastique et qu’il me protègera en cas de chute.

Je retrousse les manches de ma cape comme si le centre névralgique de mon courage se trouvait sur la peau de mes avants bras. En avançant vers le tronc, je me rends compte de deux choses : premièrement, mon corps ne contient aucun centre névralgique du courage ; deuxièmement, ma crainte est une réponse logique à une activité non naturelle pour l’humain : si nous étions faits pour grimper aux arbres, cela se saurait. Nous ne sommes pas faits pour grimper aux arbres et Nyakane est un oiseau serpentaire. Un oiseau. Il a volé toute sa vie et il continue de le faire en tant qu’esprit depuis un bon siècle. Il pense comme un volatile, il voit comme un volatile et il ressent comme un volatile. Il ne comprend absolument pas qu’aller se nicher au sommet d’un arbre, peu importe sa hauteur, n’est pas une chose qu’une sorcière normale est censée faire.

Mais tu n’es pas normale, me rappelle une petite voix dans mon esprit, et elle a bien raison. J’ai pour compagnon depuis l’âge de treize ans un petit être carnivore qui chasse et pense comme un carnivore, qui grimace avec tous ses crocs pour me sourire en pensant que ça lui donne un joli air, qui secoue les oreilles pour communiquer avec moi quand il oublie qu’il est doué de parole. Et depuis mes quinze ans, je passe toutes mes journées et mes nuits avec un conseiller, un instructeur, un professeur (jour et nuit !) qui vole, qui claque du bec, qui sautille sur ses deux longues et étranges pattes et qui connaît le ciel comme sa poche. Je n’ai rien de normal. Et cela me paraît tout à fait cohérent et logique, comme si cela coulait de source, comme si ma vie s’était déroulée de sorte que je puisse me tenir ici aujourd’hui, face à cet arbre que je suis censée escalader parce qu’un oiseau me l’a demandé.

Je me plante sous la branche la plus basse, légèrement sur la droite. J’essaie de ne pas penser à tous les malheurs qui pourraient m’arriver, tout ça pour pas grand chose. Je lorgne sur la branche qui me nargue, trop haute pour être atteignable en sautant. Nyakane a-t-il fait attention à ce détail lorsqu’il m’a ordonné de le rejoindre ? Si je me fis à son profil d’oiseau, le bec tourné vers le ciel et les yeux perdus dans le vague, je dirais que non, il n’y a pas fait attention.

Je lève ma baguette vers le ciel, je déglutis péniblement en insultant mentalement le Messager des rêves — et au passage la famille Nyakane sur cinq générations, ce que je regretterai plus tard. Je n’ai jamais vraiment utilisé ce sortilège, si ce n’est pour m’entraîner en cours. Je l’ai appris, je l’ai lancé encore et encore et encore pour le maîtriser, et voilà. Mais pourquoi voudrais-je utiliser ce sortilège en temps normal ?

« Ascendio ! »

C’est comme si un géant avait attrapé mon bras entre deux de ses doigts et qu’il me soulevait sans la moindre difficulté. Un glapissement m’échappe lorsque mon corps s’expulse en hauteur et que mes pieds se décollent du sol. La branche s’approche à toute allure et sans avoir conscience de ce que je fais mes bras s’enroulent autour d’elle et je me retrouve pendue à deux mètres au-dessus du sol, les avants-bras écorchés par l’écorce et le cœur tambourinant à toute allure.

« C’est bien, Aelle ! Maintenant, accroche tes jambes à la branche ! »

Je me dévisse le cou pour jeter un regard incendiaire à Nyakane, mais pendue comme je le suis, mes yeux n’ont rien de très incendiaire. C’est en essayant de ramener mes jambes sur l’arbre et en forçant sur des abdominaux inexistants que je me souviens qu’il y a plusieurs mois, quand j’étais à Uagadou, je m’étais fait la réflexion en voyant la forme physique des élèves africains que je devrais intégrer le sport à mon entraînement quotidien. Mais entre dire et faire, il y a une grande différence. Je n’ai jamais fait. Le simple fait de me hisser sur cette fichue branche malmène mes muscles, accentue le battement de mon coeur et me laisse en nage.

Lorsque je parviens enfin à m'asseoir sur la branche, je baisse les yeux vers le sol et envisage sérieusement l’idée de me laisser tomber et de partir très loin d’ici, peu importe ce que me dira Nyakane. Mais l’oiseau ne m’en laisse pas le temps.

« Maintenant tu vas pouvoir atteindre la branche au-dessus de toi et monter jusqu’à moi. Presse-toi, jeune fille. »

Le sentiment que je ressens est tellement habituel que je ne lui prête pas attention : c’est souvent que j’ai envie d’étrangler cet animal.

Je me redresse lentement en faisant semblant que je ne suis pas effrayée d’être à cette hauteur. Je n’ai pas le vertige. Je n’ai pas peur. Je n’aime cependant pas ne pas être à l’aise quelque part et je ne suis pas à l’aise dans cet arbre, voilà tout. La suite de l’escalade est laborieuse. C’est une épreuve à chaque instant, ponctué par les encouragements de mon fichu Messager des rêves, et je n’y prends aucun plaisir. Une branche, une seconde, une troisième. Je m’écorche la peau des bras sur l’écorce, j’ai les mains pleines de sève et les cheveux recouverts d’aiguilles. Je sens comme une force qui m’attire vers le bas. Plus je monte, plus je dois me m'obliger à ne pas baisser les yeux vers le sol. Je sais que si je le fais, je ne pourrais plus avancer. Je n’ai pas le droit de laisser ça prendre de la place, je n’en ai pas le droit alors je ne baisse pas les yeux, je continue de me rapprocher de Nyakane au rythme de mon coeur qui frappe contre ma cage thoracique.

« Tu y es arrivée, » me dit l'esprit au bout de quelques minutes.

Je me rends compte lorsque je me hisse sur sa branche que oui, j’y suis arrivée. Je suis au sommet de l’arbre, à côté d’un Nyakane spectral auquel j’adresse mentalement une réplique vulgaire qui l’aurait mis en colère. Je ne lui lance pas un seul regard. Les sourcils froncés, le coeur douloureux, je m’installe dos au tronc et avant même que l’oiseau puisse me donner la conclusion de sa leçon idiote, je récupère ma baguette magique et la braque sur mes jambes. Aussitôt, plusieurs cordes apparaissent pour m’attacher solidement à la branche, rendant toute chute impossible.

Enfin, je peux me détendre. Je laisse tomber ma tête contre le tronc, les yeux fermés, et pousse un soupir à m’en fendre l’âme. Merlin, quand est-ce que mon coeur cessera de frapper de cette manière ? C’est fort désagréable. Mais toujours moins qu’être à une dizaine de mètres au-dessus du sol et pour quoi ? Je tourne les yeux vers Nyakane, planté au bout de la branche avec un naturel insolent.

« Prête pour ta leçon ? me demande-t-il.
Non, » je réplique d’une voix froide en le fusillant du regard.

Mais Nyakane se fiche de mes yeux qui fusillent. Il sautille jusqu’à moi en marchant allègrement (autant qu’un esprit puisse marcher) sur mes jambes encordées.

« Regarde, » dit-il en me désignant du bec un point sur l’horizon.

Je regarde dans la même direction. La forêt s’étend devant moi. En me penchant, je peux même apercevoir les toits de l’AESM.

« Ouais et alors ? Y’a quoi à voir ? »

Nyakane me lance un regard dépité avant de se tourner vers le paysage.

« Contente-toi de regarder, Aelle. Profite du paysage. Regarde le ciel et laisse tes pensées couler dans ton esprit.
T’es sérieux, là ? m’exclamé-je avec véhémence. Tu m’as fait monter pour ça ? On aurait pu le faire d’en bas, hein ! Et puis on aurait pu tout simplement ne pas le faire. Tu crois que j’ai envie de perdre du temps av…
Tais-toi et regarde.
J’ai pas envie de gaspiller cette journée à regarder une forêt inutile ! J’ai beaucoup de choses à faire, je dois travailler l’excercice de O’Niels et réfléchir à mon projet et je dois aussi m’entraîner pour le golem et répondre à…
Tais-toi et regarde, murmure Nyakane, complètement hermétique à mes paroles.
Fais pas celui qui ne m’entends pas, râlais-je. Tu te rends compte que je suis étudiante dans l’une des plus grandes universités du pays ? Je dois faire une année parfaite et grimper en haut des arbres ne fait pas partie de mes objectifs de cette année si tu vois ce que je veux dire.
Tais-toi et regarde.
Et puis je te signale que Zikomo est en bas, quelque part, et qu’il va pas savoir où nous retrouver. En plus, je dois vraiment récupérer ce livre à la bibliothèque avant que quelqu’un d’autre le prenne ! baragouiné-je en appuyant mes propos de gestes énervés. C’est la fin de la semaine, j’ai plein de notes à remettre au propre et…
Tais-toi, assène Nyakane pour la millième fois, et regarde.
Et je dois rendre un devoir particulièrement ennuyant pour mon cours de Design magique. Tu crois que ça va se faire tout seul, ça ? Tu crois que ce sont les élèves qui bavassent en regardant le paysage qui réussissent dans la vie ? Non ! »

Le dernier mot, prononcé dans un cri frustré, s’élève vers le ciel et se perd parmi les nuages. Nyakane ne bouge pas. Il fait son esprit bizarre : regard perdu dans le vide, corps figé. Je sais qu’il ne répondra plus à rien, j’ai déjà de la chance qu’il ait répété plusieurs fois sa consigne. Une consigne vraiment idiote, si on me demande mon avis. Mais personne ne me le demande, même quand je croise les bras sur ma poitrine et que je fais mine de me détacher pour m’en aller. Mais je suis au sommet d’un arbre, je ne peux pas fuir en claquant la porte. Je me rencogne donc contre le tronc en poussant un soupir exagérément long et je lève les yeux vers le paysage qui ne m’inspire aucune chose positive.

Ce n’est qu’un paysage, qu’un horizon. Le ciel est immense aujourd'hui. Une grande tâche bleue abîmée par de grands nuages blanchâtres qui glissent contre la toile d’azur. Plusieurs moutons blancs s’accumulent sur l’horizon, au sommet d’une colline qui forme le seul point d’altitude des environs. C’est à peu près là que commence la mer d’arbres qui coule jusqu’à moi et loin encore derrière moi. Les nombreuses cimes se balancent doucement dans le vent, insensibles à la danse des oiseaux qui passent de branche en branche. Je suis le vol de l’un d’eux ; il s’amuse dans le vent, plane sur quelques dizaines de mètres, fait des cabrioles dans le ciel avant de redescendre en piqué. Il disparaît dans la forêt, ne devient qu’un bruit lointain. Il rejoint la mélodie de la forêt à laquelle je n’avais pas fait attention avant ça : le piaillement des oiseaux, la caresse du vent sur les feuilles et dans les branches, le craquement du bois, le grattement d’un animal sur le sol. Et au loin, le rire d’un étudiant qui se promène sur les nombreux sentiers de la forêt. Avec les toits de l’AESM à la périphérie de ma vision, c’est la seule preuve d’une existence humaine autre que la mienne. Sans cela, je pourrais m’imaginer complètement seule, ici. Complètement et entièrement seule, avec tout ce qui accompagne en général la solitude : l’absence de problème, la paix, le silence.

Je ne sais pas exactement où j’ai perdu ma concentration. Sur le chemin du ciel ou des arbres ? Dans ce coin où l’AESM règne dans mon regard ou pendant le vol de l’oiseau ? Le fait est que je l’ai perdue et que c’est avec une minute de retard que je me rends compte que j’ai oublié d’être de mauvaise humeur et de me plaindre de l’exercice de mon oiseau de professeur. Avec un petit soupir, je m’installe plus confortablement sur ma branche et lance mon regard à l’assaut du paysage qui ne permet pas à mon âme de s’élever mais qui fait un support intéressant pour ma réflexion. Je me dis que je peux tout de même faire toutes ces choses dont j’ai parlé à Nyakane : penser à mon exercice, à mon projet de fin d’étude, aux notes que je dois mettre au propre, à mes leçons que je dois apprendre. J’y pense, je fais des plans dans ma tête, des plannings, des projets.

« Tu penses trop. »

Je croise le regard de Nyakane qui enfin se souvient qu’il a un corps (un corps esprit mais un corps tout de même) et qu’il n’est pas seulement une âme. J’arque les sourcils ; comment a-t-il deviné ?

« Tu veux m’empêcher de penser, aussi ?
Non, mais le but de l’exercice est de lâcher prise.
Je n’ai aucune envie de lâcher prise, Nyakane, lui réponds-je d’une voix sérieuse en tournant les yeux vers le ciel.
Dis-moi ce que tu vois.
Je vois la même chose que toi. »

Il soutient mon regard pendant un si long moment que je me sens forcée de répondre.

« Des arbres.
Mais encore ? »

Sincèrement, je pourrais le frapper. S’il avait un corps palpable, je l’aurais frappé en hurlant, car il me frustre énormément.

« Je vois des arbres, répété-je dans un soupir en désignant le paysage d’un geste agacé, beaucoup d'arbres et un ciel bleu. Avec des nuages qui font comme des vagues dans le ciel et une colline au loin. La forêt est plus grande que ce que je pensais. »

Je me sens idiote, alors je me tais. Nyakane ne répond pas. Il regarde le paysage, lui aussi. Je finis par reprendre la parole d’une voix ennuyée :

« Et toi, tu vois quoi ? »

Il prend son temps pour me répondre mais quand il le fait, ce n’est pas avec sa voix de professeur. Il me parle sur le même ton qu’il emprunte parfois avec Zikomo quand ils évoquent leurs souvenirs de l’Afrique.

« Je vois des colonnes de fumée et des dunes de sable dans le ciel. Je vois un horizon sur un horizon : il y a notre monde avec sa mer d’arbres et l’autre monde au-dessus, celui qui se dessine dans les nuages. J’imagine les deux se superposer et se rencontrer dans les yeux de ceux qui savent regarder. »

Je l’observe d’un air interdit avant de tourner les yeux vers le paysage sans voir la moindre chose de ce qu’il vient de décrire.

« Je vois un terrain de jeu. Je me vois monter très haut dans le ciel et me laisser tomber en piqué, sentir le vent glisser sur mon bec et m’assécher les yeux, me caresser les plumes et ralentir ma chute. Il existe des centaines d’histoire dans les paysages, Aelle, et les imaginer fait parfois un bien fou. Que te raconte l’horizon ? »

Second regard interdit. L’horizon n’a rien à me raconter. Je ne vois que le ciel et ses nuages qui, certes, avec beaucoup d’imagination pourraient ressembler à des dunes de sable même si moi j’imagine plutôt la houle d’une mer déchaînée. Je ne vois que des arbres, la ligne d’horizon qui s’élève au niveau de la colline avant de redescendre dans les terres au loin. Je vois notre monde tel qu’il est, sans lui trouver d’ailleurs une quelconque beauté. Ce ne sont que des arbres. Ce n’est qu’un ciel.

« Rien. Il me raconte rien. »

Je sais que ce n’est pas la réponse qu’il attendait, je le sais parce qu’il me regarde avec ce regard-là, comme si j’étais incapable de comprendre ce qu’il était en train de me dire — c’est effectivement le cas.

« Apprends à regarder, Aelle, et tu finiras par voir. »

Moi, les phrases un peu mystiques d’un vieil oiseau-esprit, j’en ai par-dessus la tête. Mais je n’ai plus envie de me battre avec lui alors je lève les yeux vers le paysage et je continue de regarder sans voir.

Ce serait hypocrite de ma part de dire que ce moment ne me fait pas de bien. La frustration que j’ai ressenti tout à l’heure en échouant à mon exercice a totalement disparu. Et je me rends compte au bout d’un moment que mes pensées se délitent, qu’elles ne se concentrent plus sur mes plans et mes planning. Je pense à tellement de choses que je ne sais plus à quoi je pense ; c’est un sentiment qui m’est désagréable, car c’est dans ces moments-là, quand mon esprit n’est pas occupé, qu’il est envahit de toutes sortes de choses que je déteste. Les flashs de souvenirs, par exemple, qui sont plus ou moins présents en fonction des jours. Je vois des choses que je ne comprends pas dans ma tête, des réminiscences qui paraissent être celles d’une autre. Et je pense à tout ce qui me préoccupe. Pourquoi laisser son esprit voguer si c’est pour laisser la porte ouverte à toutes ces choses ? Alors puisque je n’aime pas cela, je commence à réciter mes leçons dans ma tête tout en feignant observer la course des nuages dans le ciel. Et ça fonctionne comme je l’espérais.

Nous rentrons en fin d'après-midi, lorsque le ciel se pare de ses couleurs crépusculaires. Nous n'échangeons guère de paroles sur le chemin du retour, tandis que nous suivons un sentier à travers les arbres, moi à pied et Nyakane en volant au-dessus de moi. Zikomo nous rejoint avant que l'on arrive à l'école et se blottit dans mes bras. J’ai l’impression que le temps est suspendu, comme si ce moment passé au sommet de l’arbre avait réellement servit à quelque chose. Mais je suis bien trop têtue pour reconnaître que je me sens plus détendue grâce à Nyakane et la seule chose que je désire, c'est reprendre ma vie sans réfléchir à autre chose qu'à mes études.
Dernière modification par Aelle Bristyle le 18 janv. 2024, 15:55, modifié 1 fois.

13 janv. 2024, 12:43
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
ÉLUCUBRATIONS D'UN INNOCENT
« ou d'un idiot, on ne sait jamais vraiment », marmonne Aelle
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Lundi 30 novembre 2048, fin d'après-midi
Salle de cours
1ère année à l'AESM

@Lukas Sharp, oups, au début ça devait faire 1500 mots... Et en fait tout s'est enchaîné.


Je descends d'un pas lourd les marches du petit amphithéâtre qui bourdonne de conversations. Au centre des tribunes, le professeur Procta range ses affaires et quitte la petite estrade pour sortir de la pièce avant que les portes ne soient prises d'assaut par la nuée d'élèves pressés de terminer cette première journée de la semaine. Sa leçon me reste douloureusement en tête. Je n'aime pas tellement les cours de Protection de la communauté sorcière ; cela fait quatre ans que je suis des cours semblables, et même si on apprend toujours de nouvelles façons de se protéger des Moldus, surtout de protéger notre magie d'eux, je ne peux pas m'empêcher de trouver ces deux heures profondément ennuyantes, surtout quand j'ai tant de choses plus passionnantes à apprendre. Je lutte toujours pour ne pas réviser autre chose pendant que Procta parle.

Je ne la vois pas arriver, sinon j'aurais longé la rangée la plus proche pour descendre par un autre escalier. Mais j'étais plongée dans mes pensées et lorsque je relève la tête, elle est devant moi. Ashley Rockfield dans toute sa splendeur, sa robe de sorcière négligemment enfilée sur son épaule droite, la hanse de son sac entre ses dents et les cheveux ébouriffées par dessus ses yeux méfiants. Je me stoppe au milieu des escaliers et j'ai l'intelligence de me décaler d'un pas pour la laisser passer, ou plutôt pour la contourner. Mais elle fait un pas de côté également et quand je vais sur la gauche, elle fait pareil. Alors je suis bien forcée de m'arrêter pour la regarder bien en face, désormais persuadée que c'est à moi qu'elle veut parler. Derrière nous, les élèves râlent. Je soupire et me décale sur le côté, suivie par Rockfield, pour les laisser passer.

« Qu'est-ce que tu veux ? »

Elle baragouine quelque chose d'incompréhensible en réponse à mon attaque, mais c'est difficile de la comprendre quand elle parle avec son sac dans la bouche. Je la fusille du regard et elle consent à enfiler la manche gauche de sa robe et à récupérer son sac avec ses mains, ce qui est une façon normale de porter ses affaires.

« Tu vas dans la chambre ? » me lance-t-elle sur un ton pressé.

C'est aussi pour cela que je n'aime pas ce cours, parce qu'il rassemble une bonne partie des autres élèves de première année, même ceux qui ne sont pas dans ma filière. Quand ce n'est pas Rockfield qui me prend la tête, c'est Johnson qui me salue d'un geste de la main ou pire, Jones qui s'est mis en tête de devenir gentil avec moi alors qu'il s'est payé ma tête pendant sept ans à Poudlard.

« Non, » répliqué-je méchamment, n'ayant aucune envie aujourd'hui, ni aucun autre jour d'ailleurs, de discuter avec cette fille qui, ce matin, a piqué une crise parce que je l'aurais apparemment réveillée avec "tes gémissements et tes cris de gamine apeurée".

Je profite de son hésitation pour faire un pas de côté pour continuer de descendre les escaliers. je pensais que mon ton l'aurait arrêté, d'habitude ça marche, mais non, elle me poursuit.

« Mais attends, Bristyle ! Deux secondes !
J'ai pas deux secondes.
Ça va, je suis sûre qu'y'a rien d'exceptionnel qui t'attend.
Ça, t'en sais rien, lui objecté-je en me dirigeant vers la sortie la plus proche.
J'ai juste besoin que tu fasses un truc pour moi ! »

Ah, voilà qui est intéressant. Je m'arrête subitement et me tourne vers elle. Je ne pensais pas qu'elle serait aussi proche, et vu la tête qu'elle tire lorsque nous nous retrouvons l'une face à l'autre, séparées seulement par une dizaine de centimètres, je pense qu'elle ne s'y attendait pas non plus. Je fais comme si cela ne me dérangeait pas et je lui lance un regard moqueur, les sourcils arqués sur le front.

« Ah vraiment, un truc pour toi ? Et depuis quand je t'aide pour quoi que ce soit ?
Jamais, » marmonne-t-elle en reculant d'un pas.

Mais alors que je pensais qu'elle allait me lâcher, elle me tend son sac. Je la regarde bêtement.

« Tu veux pas ramener ça dans la chambre, steuplait ? J'ai pas le temps d'y repasser, je dois partir et tout, et...
Tu te fous de ma gueule ? »

Je lui fais les gros yeux, ahurie qu'elle ose me déranger pour ça.

« T'as pas le temps de passer par la chambre mais t'as le temps de me faire chier avec ça ?
Ça va, sois pas vulgaire..., souffle-t-elle, agacée, en baissant le bras — je reconnais sur son visage la tête qu'elle fait toujours quand je l'énerve ; elle a cet air sombre que j'ai appris à apprécier bien plus que ses sourires moqueurs ou sa joie qui ne m'est jamais destinée.
Je suis vulgaire si je veux, craché-je.
Tu peux pas être cool, pour une fois ?! Je te demande juste une faveur ! Ça m'arrangerait, j'ai vraiment pas le temps ! » s'exclame-t-elle.

Elle hausse la voix. Des étudiants nous jettent des regards surpris en nous contournant pour sortir de l'amphithéâtre. Je lève le menton pour regarder Rockfield bien dans les yeux.

« Est-ce que je t'ai déjà donné l'impression d'être cool, ne serait-ce qu'une fois ?
T'es vraiment insupportable. »

Voilà, on y est. Elle a baissé d'un ton, ses épaules se sont affaissées, son regard a perdu de son éclat ; elle n'est plus motivée par rien, elle est seulement agacée, réellement agacée. Elle me jette un regard noir avant de me dépasser en me bousculant.

« Tu fais tout pour qu'on te déteste, » siffle-t-elle en s'éloignant rapidement, zigzaguant entre les autres étudiants.

Je lève les yeux au ciel et poursuis ma route en ruminant cette désagréable rencontre. Si moi je fais tout pour qu'on me déteste, qu'en est-il d'elle ? Elle me traite comme de la bouse de dragon puis elle espère que je l'aide ? Dans quel monde est-ce qu'elle a grandi ? Elle a gâché ma fin de journée.

Les mains plongées dans les poches de ma cape, je m'extirpe tant bien que mal du flux d'étudiants et parviens enfin à sortir de l'aile réservée aux salles de classe. Dans la cour centrale de l'école, les jeunes sorciers se rassemblent autour de la fontaine et des rares bancs pour prendre l'air, discuter, se chamailler. Je passe au milieu d'eux comme une ombre, le regard tourné vers le bas, les lèvres exempt de sourire, me sentant tellement loin au-dessus de tous ces braillards. Je ne vois aucune trace de Zikomo ni de Nyakane mais je ne m'inquiète pas : ils me retrouveront à la bibliothèque. J'entends pourtant un bruit d'ailes au-dessus de moi et je lève la tête, persuadée d'apercevoir mon Messager des rêves volant. Mais non, c'est un petit hibou noir qui stationne au-dessus de moi et qui vient se poser sur mon épaule lorsque mon regard croise le sien.

Je n'ai jamais vu ce hibou, mais il a une lettre accrochée à la patte et je sais qu'elle m'est destinée. Je le caresse gentiment sur le haut du crâne et sur mes lèvres s'étire l'un de mes rares sourires de la journée.

« Qu'est-ce que tu as pour moi ? » lui murmuré-je tout doucement.

Il se laisse faire tandis que je décroche la lettre et aussitôt fait, il reprend son envol, trop impatient pour attendre que je monte à la chambre, ce que je n'avais pas prévu de faire avant plusieurs heures, pour lui donner du miamhibou en remerciement. Je le regarde disparaître à grands coups d'ailes dans le ciel bleuâtre du Pays de Galles, curieuse de découvrir qui m'écrit.

« Salut, Aelle ! Euh, Bristyle. Salut, Bristyle ! »

Une grande ombre se dresse entre moi et le ciel. Je cligne des yeux pour mieux regarder Oswald Johnson et son immense carcasse souriante et joyeuse. Oh non, pas maintenant. Je grogne et le contourne pour prendre la direction de la bibliothèque, la lettre toujours dans la main.

« Tu vas à la bibliothèque ? Je peux venir avec toi ? Je dois travailler sur mon projet, tu sais. J'ai bien avancé, je pense que je suis sur la bonne voie. La dernière fois le sortilège s'est bien imprégné et... »

Et le voilà qui babille joyeusement en me suivant dans toute la cour, ne s'arrêtant même pas de parler lorsque nous franchissons les portes du hall. Mais lorsque nous arrivons à celles de la bibliothèque, il termine sa phrase (« ...et le professeur Fenton m'a dit que j'ai fait du bon travail ! ») et n'en commence pas une autre. Ce n'est que lorsque nous arrivons à ma table, heureusement vide, et que je dépose mon sac à ma place habituelle, soit à côté de la fenêtre, qu'il me demande enfin en posant sur moi ses immenses yeux noirs écarquillés :

« Ça te dérange que je sois là ? Il faut le dire si tu veux que je m'en aille, vraiment, il faut être sincère, je peux vraiment tout entendre.
Tu viens plusieurs fois par semaine t'installer à ma table, Johnson, et tu me poses toujours la même question. Et qu'est-ce que je te réponds à chaque fois ? lui demandé-je d'une voix froide et cassante.
Tu réponds : "j'en ai rien à carrer", marmonne-t-il, penaud.
Voilà, j'en ai rien à carrer.
Tant que je me tais.
Tant que tu me donnes l'impression de pas être là. Et pour l'instant, répliqué-je en plantant mes yeux dans les siens, je n'arrive pas à oublier que tu es . »

Je tire ma chaise d'un geste brusque et m'assieds. Johnson ne dit plus rien. Il reste planté au bord de la table, totalement immobile, jusqu'à ce qu'il retrouve le contrôle de son corps et qu'il prenne place à son tour en faisant tellement attention à ses gestes et au bruit qu'il fait que je dois contrôler un ricanement moqueur et intempestif de m'échapper. Ce n'est pas tant que je n'aime pas ce grand dadais. À vrai dire il est silencieux et studieux dès que nous sommes installés ici et il ne me parle en général pas hors de la bibliothèque, sauf quand nous nous croisons comme aujourd'hui. Mais il passe son temps à s'excuser, à me demander si je suis dérangée par sa présence, comme s'il attendait que ça, que je lui dise : oui, barre-toi. Un de ces quatre, je vais vraiment lui dire, ne serait-ce que pour le punir de gaspiller sa salive à me poser la question.

Contrairement à lui, je ne sors pas mes affaires. Je décachette l'enveloppe en essayant de parier sur l'identité de celle ou celui qui me l'a envoyée. Et je tombe des nues lorsque je lis la signature gribouillée tout en bas du parchemin : Lukas.

J'aimerais dire que j'ai mis un moment à me rappeler d'un Lukas, mais ce serait un mensonge. Je ne connais qu'un seul Lukas et il a pour nom de famille Sharp. Et c'est un gamin de première année à Poufsouffle qui m'a tantôt agacée, tantôt plu. Devrais-je être étonnée qu'il m'écrive ? Non. Pourtant, je le suis quand même.

Son courrier me fait ressentir un mélange d'émotions malvenues. Tout d'abord, un rictus moqueur : "ce que j'attends de toi", écrit-il ; quelle insolence ! Comme s'il pouvait attendre quoi que ce soit de moi — si c'est le cas, il attendra longtemps. Mais l'agacement furtif que j'ai ressenti en lisant ses premiers mots s'envole soudainement lorsque je découvre la suite. Outre le sursaut idiot de mon idiot de coeur en lisant l'idiot nom "Valerion", la suite me fait ouvrir de grand yeux et j'en occulte totalement la présence discrète de Johnson qui murmure des sortilèges dans son coin.

Outre l'étonnement d'apprendre, et cela transparaît clairement dans les mots de Sharp, que ce petit garçon est proche de ma professeure de Défense contre les forces du mal, ce qui est tellement aberrant que je n'ai même pas envie de réfléchir à la raison pour laquelle ce fait m'agace, il y a la surprise, le choc d'apprendre que le concierge est un mage noir. Enfin... Tout est relatif. Qui me dit que le gamin a raison ? Valerion le luit aurait confirmé ? Mais pourquoi parlent-ils ensemble de mage noir ? Et Merlin, par la barbe de Merlin, pourquoi Sixtine Valerion se confie-t-elle à un putain de carnet comme une adolescente écervelée pourrait le faire ?! L'évocation du collier me plonge dans une vive colère. Le collier ! Le collier ! Notre collier ! Et elle se plaint encore que je ne le porte pas ? Pourquoi... Pourquoi Sharp l'évoque-t-il ? Il ne devrait même pas en avoir connaissance, et Valerion. Merlin, cette femme m'agace tellement que c'en est anormal.

Tout m'agace et me frustre dans ce courrier, c'est pourquoi je le froisse et le fourre dans mon sac, m'attirant ainsi un regard étonné mais plus que furtif du grand garçon installé à ma table. Je tire mes parchemins et mes livres pour travailler, mais je ne peux pas m'empêcher de ruminer les mots de Sharp. Sa réaction m'énerve, même si elle est légitime : évidemment qu'il a peur, évidemment qu'il pense que mage noir signifie gros méchant dont il faut se protéger. Il réagit comme le parfait gosse qu'il est. Tout dans son courrier pue les gamineries. Il est tellement innocent et tellement petit, tellement naïf, tellement gamin. Avec sa vision en noir et blanc du monde. "Toi qui connais tous les livres par coeur". Non mais je rêve.

*


Je pensais ne pas lui répondre avant plusieurs semaines, déterminée à ne pas le laisser passer en priorité, mais au bout de quelques heures après la lecture de son courrier, la réponse est déjà inscrite dans ma tête alors cela aurait été idiot de ne pas l'écrire directement. C'est une réponse brève que j'écris, qui ne répond à aucune question. Je ne fais pas référence au fait qu'il m'ait avoué sans détour avoir fouillé dans les affaires de Valerion, je me fiche de ça. Je ne parle pas non plus de la relation particulière qu'il semble avoir avec elle si elle lui parle du soi-disant statut de mage noir d'un homme dont je ne sais rien. Et je n'évoque surtout pas le collier, sujet qui ne le concerne absolument pas.

Je sais que mes mots sont froids et durs. Je sais qu'il froncera les sourcils en les lisant, qu'il se braquera, qu'il sera tout énervé. Et alors ? S'il est vraiment intéressé, il me répondra et me posera des questions plus intelligentes. S'il ne m'écrit plus, cela signifiera seulement que son étroitesse d'esprit est un mal dont il n'est pas prêt de se débarrasser. Et moi, les gens étroits d'esprit, je n'ai pas envie de leur parler.

Les jours suivant, je m'efforce de me renseigner sur le concierge de Poudlard. Je questionne Aodren et papa. J'apprends des choses banales à son propos, rien de bien particulier, pas même l'ombre d'une rumeur qui pourrait courir à son sujet. Je ne peux pas me permettre de croire Sharp. Après tout, peut-être a-t-il cru que Valerion a confirmé ses doutes, ou peut-être a-t-il tout simplement menti. Comment pourrais-je savoir ? Et puis, qu'est-ce que ça pourrait me faire d'apprendre que cet homme est un mage noir ? Ce n'est pas le seul mage noir du coin, c'est une évidence. Si tout cela est vrai, il a tout simplement eut l'idiotie d'en parler à une femme qui dévoile ses pensées à un bête carnet.

06 mars 2024, 11:21
Il était une fois, l'AESM  Recueil d'OS 
POUR UN MOT DE TROP
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Vendredi 18 décembre 2049 — 21h15
1ère année à l’AESM


En compagnie de

Oswald Johnson
23 ans
Étudiant en art de l'ensorcellement



« J’ai failli t’attendre.
La ferme, Johnson. »

Aelle dépasse son camarade. Ses talons plats résonnent sur le carrelage du hall majestueux de l’école tandis qu’elle s’éloigne à grands pas en direction des portes donnant sur l’extérieur du domaine. Oswald Johnson se hâte pour la suivre, un large sourire enjoué sur les lèvres. Il s’est bien apprêté pour l’occasion. Il a savamment coiffé ses boucles noires pour qu’elles retombent sur son front et a enfilé sa plus belle robe de soirée, celle de couleur bordeaux qui fait briller ses yeux, comme le lui a répété à plusieurs reprises sa mère. Aelle s'est également bien habillée, même si Oswald ne lui a rien demandé. Elle n’a pas conscience que les maigres efforts qu’elle a fait sans y penser, répondant seulement aux règles de la politesse qu’elle parvient parfois à suivre, la mettent en valeur. Ses cheveux sont pour une fois disciplinés et tirés en une jolie tresse qui rebondit sur son dos au rythme de sa marche, elle porte une robe de sorcière noire de bonne qualité sur laquelle elle a enfilé une cape qu’Oswald ne lui a jamais vu : sans capuche, au col droit couvert de filament dorés, comme sur le bout de ses manches et le bas du vêtement qui lui caressent les mollets. À ajouter à cela ses sourcils légèrement froncés, ses lèvres résolument closes et son menton dressé comme si rien ni personne ne pouvait l’atteindre.

Lorsqu’ils passent les doubles portes, un courant d’air glacial leur frappe le visage. Oswald frissonne bruyamment mais s’abstient d’enfoncer un bonnet sur sa tête pour ne pas abîmer sa coiffure. Il préfère sauter à pieds joints plusieurs fois de suite pour se réchauffer avant de rattraper Aelle qui n’a pas émis le moindre son mais qui serre étroitement autour d’elle les pans de son joli manteau. Ils marchent silencieusement sur le chemin en terre qui les éloigne de l’école, celui qui passe au milieu des parterres de fleurs cachés dans l’ombre. Aelle remarque après quelques secondes que son camarade tourne régulièrement la tête vers elle avec sur les lèvres un sourire qu’elle ne comprend pas.

« Qu’est-ce que t’as ? lui lance-t-elle, agacée d’être là ce soir et bien déterminée à le lui faire payer.
Tu t’es bien habillée, sourit son camarade.
C’est bien, rétorque-t-elle, tu sais y voir. Tu veux une médaille ?
Tu aurais pu t’habiller normalement, mais tu ne l’as pas fait. »

Elle braque son regard énervé sur lui. Très sensible à sa colère, Oswald fait une grimace pour s’excuser.

« Je déteste quand on énonce des évidences.
Je sais, souffle le grand jeune homme qui regrette de l’avoir agacée mais qui sait pertinemment bien qu’elle l’aurait été dans tous les cas.
Alors ferme-là. »

Oswald rentre ses lèvres à l’intérieur de sa bouche pour s’obliger à se taire. Il ravale également toutes les autres choses qu’il voulait dire : son bonheur d’être avec elle ce soir, son soulagement d’avoir terminé ses premiers examens depuis longtemps. Surtout qu’il pense ne pas les avoir trop mal réussi ! Mais Aelle n’est pas une personne avec laquelle on évoque des sujets aussi banals, alors il se retient et se contente de suivre sa grande foulée, ce qu’il n’a aucun mal à faire vu la longueur de ses jambes.

Oswald n’est pas ignare. Il sait quand il faut se taire et quand il faut parler. Il ne connaît peut-être pas la jeune femme depuis longtemps, mais comme toute personne fréquentant de près ou de loin Aelle, il sait qu’il ne faut pas titiller sa patience s’il ne veut pas la voir exploser. Et ce soir, elle aurait toutes les raisons d’exploser. Oswald aussi n’aurait que peu de patience s’il avait perdu un pari et qu’il était forcé de suivre un camarade à une soirée dans un bar étudiant.

Il avait été surpris de découvrir en Aelle non pas une joueuse, mais une jeune femme loyale. Il aurait dû s’en douter : après tout, ses amis lui on dit qu’elle avait été répartie à Poufsouffle, quand elle était à Poudlard. C’est donc logique qu’elle tienne parole même quand elle n’en a clairement pas envie. Tout s’est déroulé assez simplement. Trop simplement. Il aimerait dire qu’il n’a pas profité de la situation, mais ce serait un mensonge. Ce soir, il fera tout pour apaiser sa culpabilité — et pour se faire pardonner de ne pas regretter d’avoir légèrement encouragé Aelle à parier avec lui. Pour tout dire, il a voulu faire marche arrière ; après lui avoir dit : « Tu devras m’accompagner à la fête de fin de semestre au Pitiponk ! » et vue la tronche de dix pieds de long qu’elle a tiré, il a voulu faire marche arrière : « Ouais, enfin non, oublie, c’est idiot de parier un truc comme ça. On a qu’à juste dire que j’ai gagné » — Oswald n’aurait pas aimé lui imposer quoi que ce soit. Mais elle a répliqué :

« Elle est quand ta fête idiote ?
Le vendredi 18, mais vraiment on s’en fiche, on peut dire que…
J’irai. »

Elle l’a affirmé avec une telle confiance ! J’irai ! menton dressé, sourcils froncés, lèvres pincées ; elle a remballé ses affaires, a condamné son camarade d’un regard sévère et s’en est allée sans un mot de plus, abandonnant dans son sillage un Oswald Johnson accablé de culpabilité. Par la suite, à chaque fois qu’il l’a croisé entre deux examens pour la tenir au courant de certains détails (« Rendez-vous à 20h15 dans le hall ! », « Tu peux venir accompagnée si tu veux ! », « J’ai trop hâte d’y être, pas toi ?! ») il en a profité pour lui proposer d’annuler. La première fois, elle lui a lancé un regard noir. La seconde fois, elle l’a ignoré. La troisième fois, elle s’est brusquement retournée pour lui faire face et lui a dit que s’il ne fermait pas sa grande bouche, elle lui lancerait Reducto et qu’il le regretterait.

Aelle n’est pas très commode, songe-t-il avec amusement en la suivant jusqu’au portail de l’école. Mais elle a un petit quelque chose de différent des autres, de violemment honnête, et elle est l’une des rares élèves de son âge à être préoccupée par autre chose que ce qui intéresse les jeunes adultes de dix-neuf ans — pour une personne comme Oswald déjà bien ancrée dans la vie et qui a des préoccupations ennuyantes d’adultes, c’est à la fois un soulagement et un mystère. Il est à peu près certain que l'amener à une fête comme celle où ils se rendent est une très mauvaise idée. Mais il s’est dit qu’elle donnerait à l’endroit un renouveau bienvenue ; et il pense également, au fond de lui, qu’il pourrait lui faire découvrir quelques plaisirs de la vie, comme le bonheur de danser sous les néons ou celui de marcher la tête à l’envers sur les murs du pub, mais cela jamais il ne l’avouera.

« Bouge-toi, Johnson, j’ai aucune envie de traîner dans le froid ! »

Aelle l’attend après le portail, bras tendu et visage fermé, prête à le faire transplaner. Oswald la rejoint et glousse en l’observant.

« Tu es déjà allée là-bas ? Tu peux nous y faire transplaner ? »

Les mâchoires de la jeune femme se crispent. Évidemment que non, elle n’y est jamais allée. Mais avouer qu’elle a oublié ce détail n’est pas dans ses options. Merlin, que ce garçon est agaçant ! Elle lui attrape d’office le bras droit, les doigts serrés autour de son biceps et lui ordonne silencieusement, sans un mot, seulement avec son regard, de transplaner, et de le faire rapidement.

« En route, la troupe ! » s’exclame joyeusement Oswald avant de transplaner.

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