Les solistes et leurs énormes crapauds harmoniques formaient le premier rang. La plupart étant très jeunes, ils avaient dû apprendre à tenir correctement le coussin sur lesquels reposaient les batraciens. Le Maestro leva sa baguette de direction - à l'aspect différent d'une baguette magique si l'on y faisait bien attention -, comme pour retenir l'attention des enfants. Tout le monde se tenait fièrement, les épaules légèrement inclinées en arrière et ordonnés sur la petite estrade. Pour la plupart de ces petits disciples du Chœur des Grenouilles, il s'agissait d'une première expérience sur scène.

Toute la journée, le sorcier s'était montré plus accessible que d'habitude, une technique bien à lui qui leur permettrait d'associer cette expérience à - au moins - un bon souvenir : la fois où leur chef de chœur avait semblé ne plus avoir constamment sous le nez une Bombabouse en leur présence. S'ils gardaient un bon souvenir de la répétition générale et de leur présentation finale, la motivation des choristes à progresser augmenterait de façon exponentielle - et peut-être même pourraient-ils envisager de se lancer complètement dans cet art sublime... Le Maestro Piccolo avait aussi pris soin des crapauds harmoniques en compagnie de quelques-uns de ses disciples chanteurs qui étaient passés dans la salle de répétition une dernière fois avant les grandes vacances estivales. Ils avaient partagé un moment de convivialité entourés des crapauds et de breuvages aux herbes connus pour être bénéfiques pour la voix. Finalement, peut-être bien que c'était le chef de chœur qui avait eu le plus besoin de ce genre d'interactions aujourd'hui : cela faisait sept mois qu'il avait retrouvé ce château et ses charmants pensionnaires, les quitter aussi abruptement créerait un vide immense en lui. A vrai dire, l'état de santé de l'une des choristes le préoccupait énormément, même s'il n'en montrait pas le moindre signe. En effet, la dernière journée de répétition générale ne s'était pas déroulée comme prévue pour tout le monde parmi les solistes du chœur... La jeune Charlotte Dwight semblait avoir vécu quelque chose de très grave. Le spectacle doit continuer, lui avait-il conseillé. Elle s'était trop impliquée cette année pour tout abandonner le soir où ils devaient tous récolter les fruits de leur travail... Il espérait surtout qu'elle sourirait de nouveau après avoir chanté accompagnée de son crapaud. Nourrir Beniamino ensemble semblait déjà l'avoir convaincu de prendre place parmi eux.

Les manches de sa grande cape remontées et un dernier regard entendu à l'égard de la petite Charlotte, le Maestro initia le marquage du tempo. Dans les rangs, les regards restaient attentifs et concentrés. Plus tard, peut-être même dès la seconde fois qu'ils se présenteraient devant cette audience, ils pourraient réussir à s'amuser réellement et à exprimer l'esprit de camaraderie qui les liait entre eux, mais pour le moment ils étaient liés à cette envie de bien faire pour la première fois. Le Maestro le savait puisqu'il avait été à leur place. Sourcils froncés laisseraient place à des regards confiants et des sourires complices. Les six crapauds harmoniques aussi devaient faire leurs armes avant de pouvoir montrer leur plein potentiel.


A la reprise du refrain, le chef de chœur sembla réaliser le moment. Lui, conduire le Chœur des Grenouilles ? Son sourire se faisait... plus honnête. L'instant était empli d'une réalité difficilement évitable pour lui qui s'était jusqu'à maintenant laissé porter par le présent sans prendre conscience de toute la joie qu'il ressentait de se trouver à cette place. Marquant l'intensité de la fin du morceau, le Maestro se figea sur la dernière note de la comptine. Ce n'était toujours pas parfait à son oreille mais on pouvait dire que c'était une exécution fort bien convenable. Il offrit un applaudissement plus discret à ses disciples que ceux de leurs camarades installés derrière lui. Une fois qu'ils eurent bien salué leur audience dans les règles de l'art, le Maestro Piccolo les autorisa à quitter leur cocon pour rejoindre leurs tables respectives. Il rangea soigneusement sa baguette de direction pour la troquer avec sa baguette magique et ensorcela les coussins des crapauds qui semblèrent voleter sur un tapis volant jusqu'à la mystérieuse antichambre de la Grande Salle où le Maestro disparut en leur compagnie.

Quelques minutes plus tard, sa grande et fière silhouette réapparut seule pour s'installer auprès de la psychomage Mia Vermillon et de l'infirmier Diarmuid O'Belt, s'efforçant de ne pas montrer son enthousiasme à l'idée de recueillir toutes les fleurs qu'ils pourraient lui offrir pour tout le travail qu'il avait mené avec les apprentis chanteurs. Ces derniers se montraient plutôt attentifs devant le discours de la directrice. Ravalant sa fierté, il en fit de même, avec l'expression insondable d'un sorcier extrêmement vexé. Bien qu'il était heureux de savoir que l'école avait su préserver son aura de grandeur grâce aux échanges internationaux, ce fut la dernière parole du professeur Montmort qui résonna en lui. Seule compte la valeur de vos efforts et de vos actes. Il la nota dans un coin de son esprit pour pouvoir la ressortir à ses disciples. Alors qu'une nouvelle salve d'applaudissements retentissait, le sorcier observa à sa gauche : toujours pas de compliments.

La Coupe des Quatre Maison était remise à Poufsouffle, faisant écho à ces valeurs d'efforts et d'actes mentionnées dans le discours. Tripplehorn n'applaudit pas, laissant ses doigts pianoter impatiemment sur la table près de Diarmuid. Il avait beau être arrivé tel un fantôme - comme à son habitude - il voulait ses félicitations. Le Maestro dût se contenter d'une enquête sur son expérience au château depuis son arrivée... et d'une proposition de boisson qui le fit réagir vite : il avait posé sa main sur son verre très rapidement, comme si l'infirmier avait eu pour objectif soudain de lui proposer un poison. Heureusement, Mia accepta d'être servie de son côté, lui offrant une petite diversion qui lui permit de retrouver ses sens. Il était toujours très étonné de la facilité avec laquelle les sorciers savaient manier l'art de la discussion : lui en était tout dépourvu de toutes capacités à tenir plus d'une minute une conversation qui ne s'orientait pas sur l'un de ses domaines d'expertise. Un peu envieux en écoutant Mia et Diarmuid échanger avec aisance, il sortit sa baguette magique et pointa son verre rapproché vers lui pour y faire apparaitre de l'eau. Depuis son empoisonnement - il y a pourtant de nombreuses années de cela - Tripplehorn n'avait jamais bu ou mangé quelque chose dont il ne savait pas la provenance. Lors des banquets, il attendait qu'un bon nombre de sorciers aient goûté les plats avant de commencer à se servir lui-même sans crainte - ou plutôt avec moins de suspicions.

Ses yeux inquisiteurs observèrent son collègue tremper ses lèvres dans la boisson aux fruits rouges. Si Diarmuid ne présentait aucune réaction dans les prochaines minutes, il pourrait y goûter à son tour. En attendant, il mentionnait quelque chose de très intéressant qui le fit sortir de son mutisme :

« Ah c'est très bien que vous en parliez ! J'ai eu une vision pour la Salle de Répétition et... Sa voix baissa curieusement, sur le ton de la confidence... Il me faudra sûrement le concours d'un magechitecte, sans compter une autorisation de la direction pour la réaliser... Tripplehorn retrouva soudain un ton normal et - presque - enjoué : Mais je suis certain que les murs de Poudlard m'ont eux-mêmes transmis leurs envies alors je me dois d'être leur noble serviteur dans cette tâche... »

La question de Diarmuid lui évoquait autre chose qui lui paraissait essentiel. C'était tout à fait le bon moment d'en discuter :

« Est-ce que vous ne vous sentez pas trop à l'étroit dans vos appartements ? Ma cabine est un véritable trou de souris, figurez-vous qu'il n'y a même pas de baignoire dans la salle d'eau... Imaginez mon désarroi quand je l'ai découvert ! »

Une main sur sa poitrine, le Maestro paraissait en effet toujours en plein désarroi.